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14 septembre 2013 6 14 /09 /septembre /2013 09:21

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS AU IVè SIÈCLE DANS L'EMPIRE ROMAIN

 

CHAPITRE V. — LES TERRES LÉTIQUES ET LES COLONIES MILITAIRES MODERNES.

 


Rapprochement entre les colonies militaires des Romains et les colonies militaires modernes : 2° la Russie méridionale, 3° les Arabes de Tell.

 

 

Les colonies militaires de la Russie méridionale sont une imitation des régiments-frontières ; elles leur ressemblent beaucoup[41]. Là, comme en Autriche, les éléments furent divers et pour la plupart étrangers : des Serbes, des Valaques, des Moldaves, des Bulgares, qui avaient quitté la Turquie, vinrent demander des terres à la Russie et en obtinrent ; on leur adjoignit des Cosaques, des habitants de l’Ukraine, de la Petite-Russie, des paysans même de l’intérieur de l’Empire. Elles datent du commencement de ce siècle, du règne d’Alexandre Ier et sont l’œuvre du fameux général de Witt. Il y a dans la Russie méridionale vingt régiments colonisés formant cinq divisions ; trois dans le gouvernement de Cherson et deux dans celui de Charkoff. Ce sont des régiments de cavalerie et non d’infanterie. Cette première différence avec les régiments frontières n’est pas la seule. Les terres de chaque régiment sont divisées en deux parties, l’une donnée aux habitants, l’autre réservée à la couronne et cultivée à son profit. L’unité adoptée dans la distribution des terres fut le travail d’une charrue ; une charrue peut être possédée en commun par deux familles n’ayant pas chacune un nombre de bestiaux suffisant pour l’exploitation. À chaque charrue correspond une maison d’une forme et d’une grandeur déterminée, ce qui donne à la colonie un aspect d’uniformité complète. Des villages entiers ont été construits et formés de la sorte. Chaque possesseur d’une charrue doit loger et nourrir un soldat, donner à la couronne, pour les travaux publics et la culture des terres du domaine réservé, deux journées de travail par semaine ; c’est le seul impôt direct ou indirect. La jeunesse mâle de la population est destinée au recrutement du régiment, qui reste constamment cantonné dans le pays en temps de paix. Le gouvernement, l’administration, les écoles, les tribunaux sont exclusivement militaires ; toutes les fonctions, même civiles, sont remplies par des officiers, comme dans les Confins.

L’organisation des bureaux arabes dans le territoire militaire algérien du Tell n’est que l’application du système des colonies militaires[42]. Là aussi la propriété est immobilisée et l’individu placé sous la tutelle de l’autorité militaire seule chargée de la haute surveillance et de tous les détails de l’administration. Chaque cercle est commandé par un officier de l’armée, assisté d’un conseil composé en partie d’indigènes[43]. Cet officier fait appliquer la loi musulmane par les khadis[44], veille à la culture des terres, à la sécurité et à l’entretien des routes en même temps qu’à la défense de la frontière contre les tribus rebelles ou non soumises. La religion et l’instruction publique rentrent dans ses attributions comme la police, la justice et les finances. Des concessions de terrains sont0150.jpg faites aux indigènes à la condition de les cultiver et de servir dans les troupes auxiliaires sous le commandement des chefs des bureaux arabes[45]. Ces communautés arabes (douars-communes)[46] sont destinées, comme les colonies autrichiennes et russes, comme autrefois les colonies romaines, à fournir des cultivateurs et surtout des soldats[47] ; elles conservent leurs moeurs, leurs lois, leurs institutions, leur religion ; seules elles ont la propriété du sol, propriété collective (arch) et non individuelle[48]. La propriété individuelle ou privée (melk)[49] n’existe que chez les Kabyles, anciens habitants de l’Afrique septentrionale refoulés par l’invasion musulmane[50]. À cette première différence avec le système romain où les concessions faites aux Barbares étaient personnelles s’en joint une seconde, non moins importante : les Arabes en Algérie sont colonisés dans leur propre pays, sur le territoire même qu’ils occupaient avant la conquête française. Là comme ailleurs les résultats de cette organisation, trop exclusivement militaire et condamnée à périr, n’ont pas été plus favorables pour les indigènes que pour les colons européens.

[41] Le duc de Raguse, Voyages, t. I, p. 195-225.

[42] H. Verne, La France en Algérie, Paris, Douniol, 1869.

[43] H. Verne, p. 10-12.

[44] H. Verne, p. 11. Les khadis sont les juges musulmans.

[45] H. Verne, p. 11.

[46] H. Verne, p. 23.

[47] H. Verne, p. 34.

[48] H. Verne, p. 24.

[49] H. Verne, p. 23.

[50] H. Verne, p. 30. — Les Kabyles, par le baron Henri Aucapitaine.

 

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11 septembre 2013 3 11 /09 /septembre /2013 19:09

L’archéologie de ces vingt dernières années a précisé l’aspect que pouvaient avoir les constructions gauloises et détruit le mythe des cabanes rondes en bois en révélant des constructions rectangulaires ou carrées. À Lutèce, les premières habitations de l’époque romaine étaient encore de type gaulois, de petites dimensions, composé d’une ou deux pièces principales, construite sur un module assez stéréotypé. Les sols étaient revêtus d’argile damée ou de sable de Beauchamp compactés et les seuls véritables aménagements intérieurs que l’on est identifié sont les fous et les foyers utilisés soient au milieu de l’une des pièces, soit contre une paroi. Dès cette période, beaucoup de maisons en torchis possédaient une cave de faible dimension, sorte de garde-manger fermé par une trappe ou donnant parfois directement sur la rue. Les pièces souterraines plus vastes sont rares : celle qui a été mise au jour à l’école des mines de Paris, boulevard Saint-Michel, montre une qualité de construction inattendue pour une époque aussi précoce.


Vers le milieu du Ier siècle après Jésus Christ, on constate dans l’ensemble de la ville une intensification de l’activité des constructeurs et une colonisation des surfaces non bâties. Les maisons s’agrandissent et deviennent plus raffinées dans leur décor : les murs de torchis se couvrent de peintures murales. Elles sont organisées en une succession de plusieurs pièces, de part et d’autre d’une salle principale. Les dimensions varient en général entre 2 et 6 m de côté. Cependant la faible surface des fouilles ne permet pas d’avoir une idée plus précise des dimensions intérieures, ni des superstructures de ces maisons de terre et de bois.


Au milieu du Ier siècle, l’emploi de la maçonnerie de pierre permet une véritable révolution dans la construction des maisons : augmentation des volumes de pierre, création probable d’étages, toitures de tuiles, création de véritables sous-sols. On gagne en taille et en solidité. On observe également la disparition des fours domestiques dans les pièces principales, indiquant peut-être une modification du mode de chauffage et une modification de la répartition des activités domestiques dans la maison.0109.jpg

                                           Pièce souterraine du site de l'institut Curie


Les pièces souterraines se généralisent, servant de lieu de stockage, d’ateliers, de sanctuaire. Leur fonction était sans doute diverse et seule la cave de l’institut Curie est aujourd’hui interprétée comme un lieu de culte en raison de la découverte des statuts des divinités Rosmerta et Mercure aujourd’hui exposées au musée Carnavalet.


Les façades agrémentent souvent les constructions privées, qu’elle donne sur des espaces publics (galerie sur rue de l’habitat de la rue de l’Abbé-de-l’Epée) ou sur des espaces privés (galerie des habitats des sites du Luxembourg et de l’institut Curie, ouvrant sur des cours). La couverture prend appui sur les murs gouttereaux des corps de bâtiment et retombe sur une colonnade. Ces galeries sont orientées plus particulièrement à l’Est à l’Ouest et offre un espace lumineux et abrité aux activités domestiques, artisanales ou même agricoles.


D’un point de vue architectural, les galeries renforcent et protègent les murs porteurs les plus exposés aux intempéries et aux vents dominants. Dès l’apparition des premières constructions en pans de bois, des galeries sont attestées. Elle repose sur des poteaux en bois dont la base, dans certains cas est calée dans des poutres horizontales jouant le rôle de sablière basse. Le développement des constructions maçonnées semble entraîner un léger recul de l’emploi des galeries qui doivent alors s’avérer moins utiles pour protéger les murs, désormais plus solides, à moins qu’il ne faille y voir l’incidence de bâtiment surmonté d’un ou de plusieurs étages.

 

Source : Construire à Lutèce, éd. PARIS musées

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9 septembre 2013 1 09 /09 /septembre /2013 08:26

En 170, les Chauques, pirate venu de la mer du Nord, remontent Lescaut et détruisent Tournai. Ce raid précédé de ceux des Chattes dans les années 160, en annonce d’autres favorisés par l’instabilité du IIIème siècle. La mort d’Alexandre Sévère (222 – 235)0107.jpg entraîne des luttes de succession. Des généraux rivaux n’hésitent pas à dégarnir les frontières pour conquérir le pouvoir central. Par ailleurs, à l’Est, les velléités conquérantes des Perses Sassanides captent en priorité les forces de l’empire romain sur fond de crise économique, démographique et sociale.


Ce contexte favorise l’alliance des groupes barbares hostiles à Rome. Les Francs, les Allamans, ou encore, le long des côtes, les Saxons, représentent l’essentiel de la menace dans le nord de la Gaule. Vers 254, les Francs, ensemble de peuples germaniques dont la ligne guerrière s’est formée outre-Rhin, traverse la Gaule Belgique jusqu’à Lutèce. En 275, une nouvelle offensive brutale des Francs et des Alamans sème désordre et désolation dans le nord de la Gaule. Tongres, Bavay, Arlon et bien d’autres agglomérations et domaines agricoles sont dévastés. Ces incursions guerrières n’ont toutefois pas comme objectif la conquête de nouveaux territoires, elles se présentent comme des razzias.

Les réformes de Dioclétien (284 – 305), qui établissent une nouvelle organisation militaire et administrative, stabilise quelque peu l’empire. Il répartit les responsabilités sur deux Augustes assistés chacun d’un César (Tétrarchie). Trèves est alors une des quatre résidences impériales. Les victoires militaires de l’empereur Constantin (306 – 337) renforcent aussi pour un temps l’empire.


Les agglomérations comme Tournai où Arlon se resserrent dans des remparts. Les défenses des refuges fortifiés sont renforcées, comme en atteste l’archéologie à Liberchies, Morlanwelz, Braives, Taviers, Epave, Furfooz, la Roche à Lomme ou encoreMontauban (Buzenol). Ces refuges protègent tantôt un axe routier tantôt un domaine agricole.


Jusqu’à la fin du IVème siècle, Romerégule l’intégration des populations extérieures. À partir du IIIème siècle des populations non romaines, dite barbares, sont intégrées sous différents statuts pour suppléer aux carences des effectifs militaires indigènes. Déditices et tributaires sont accueillis sur base d’un statut individuel à la suite d’un acte d’allégeance à l’égard de l’empereur ou d’un traité. Vers la fin du IIIème siècle des populations sont intégrées dans les régions de l’actuelle Belgique avec le statut de lète (laeti). Ce statut communautaire particulier est accordé alors à des populations bousculées par la pression germanique. Ces lètes, parmi lesquels l’élément germanique est très important, sont attachés à l’exploitation d’une terre et sont astreints en contrepartie au service militaire héréditaire. C’est vers 291, sous l’empereur Maximin (286 – 305) que les premiers lètes sont disposés sur des territoires dépeuplés des Nerviens et des Trévires.


Signe révélateur de nouveaux rapports de force, le pouvoir Romains investit peu à peu au IVème siècle des groupes germains de la mission de défendre le limes par le biais d’un0108.jpg traité, le foedus. Celui-ci garantit aux peuples qui acquièrent ce statut de fédérés l’autorisation de garder leurs institutions, leurs droits, leur religion ; en contrepartie, ceux-ci mettent leurs armes au bénéfice de l’empire. Des Francs sont autorisés à occuper dans les années 360, sous l’empereur Julien l’apostat (331 – 360), la Toxandrie, un territoire correspondant aux actuelles provinces belges et néerlandaises de Limbourg et de Brabant septentrional.


La faiblesse du pouvoir central renforce l’autonomie des fédérées. Utilisés dans les conflits entre prétendants romains au pouvoir, ces Germains se vendent au plus offrant pour constituer au Vè siècle des armées errantes cherchant à obtenir des revenus notamment fiscaux au détriment de Rome. On est donc loin d’une migration massive d’un peuple, il s’agit plutôt de déplacement de groupes armés ou l’élément masculin était probablement plus nombreux que les femmes et les enfants.


Lorsqu’en 406 est la frontière du Rhin est rompue par la poussée conjointe des Vandales, des Suèves et des Allains, des Francs pénètrent plus avant en Belgique seconde. Les rois francs continueront de situer leur action dans le cadre de fédérées de l’empire. La déposition en 476, de Romulus Augustule, dernier empereur romain, ne fait que confirmer l’évanescence du pouvoir central.


L’aristocratie gallo-romaine apprend progressivement à s’allier aux nouvelles élites dirigeantes pour sauver son statut. Les dirigeants barbares reprennent à leur compte le prélèvement de l’impôt et le système romain de la grande propriété.


À partir du Vème siècle, la société se métisse peu à peu. On note l’apport d’un vocabulaire germanique dans les parlers romans notamment dans les champs lexicaux de la guerre et de l’émotion. L’orfèvrerie en particulier, portera la marque du goût et du savoir-faire des Francs. L’acculturation réciproque se fait différemment en fonction des couches sociales ; alors que l’élite barbare est séduite par le raffinement romain, on observe que les populations locales modestes adoptent des comportements venus d’outre-Rhin.


Combien étaient-ils ? Le philosophe Walter Von Wartburg s’est risqué dans les années 1930 à cette évaluation : 15 à 25 % de la population.


La frontière linguistique


La poussée germanique a bien emmené dans ces régions par infiltration successives de nouvelles populations. Elle n’a cependant pas modifié l’ancrage de ces régions dans la romanité (à l’exception du pays d’Arlon). Vers le IIIème siècle, une zone de séparation entre parlers romans et germaniques se stabilise. Elle connaît encore quelques avancées dans la région de Mouscron et de Comines au détriment des parlers germaniques. La frontière se fixe vers le X- XIIe siècles.


Sa genèse continue à susciter des interrogations. Différentes hypothèses furent avancées. On a longtemps pensé que la chaussée romaine Cologne – Bavay - Boulogne renforcées de fortifications au IIIème siècle auraient contenu des Francs. Ces fortifications étaient loin de constituer une véritable frontière, un obstacle en continu. Se basant sur l’étude des villas gallo-romaines et la densité démographique qu’elle suppose, d’autres chercheurs ont postulé que plus nombreuses dans le sud de la Belgique, les populations gallo-romaines auraient absorbé les nouveaux venus, à l’inverse du Nord ou l’élément germanique aurait formé le groupe dominant. Cette hypothèse crédible se base largement sur le relevé des bâtiments de la période romaine. Cependant, la difficulté à évaluer de manière plus fine le sous-sol en Flandre où le matériau de construction fut parfois le bois, fait de cette explication une hypothèse à affiner. D’autant que les recherches archéologiques récentes en Flandre mettent à mal cette hypothèse ancienne.

Par ailleurs, l’influence de l’Eglise, le maillage des abbayes et des sièges épiscopaux qui utilisaient le latin ont contribué à maintenir la prégnance du roman, voire à romanisés à nouveau des régions germanisées comme ce fut le cas à Stavelot et à Malmédy.


Il semble certain que aujourd’hui que, durant un temps, des îlots de langues germaniques cohabitèrent avec la langue romane avant d’être peu à peu résorbés. Les parlers populaires dans la majorité de l’actuelle Wallonie n’ont guère été influencés dans leur structure par les parlers germaniques. Par contre, de nombreux noms de lieux témoignent d’une origine germanique, notamment les noms marqués avec le mot marche (marka, limite ; Marcq, Marche-les-Dames ? Marche-en-Famenne) ou sur le mot ham (ham, langue de terre), ou encore les noms se terminant en lier (lare, Lande, clairière ; Longlier, Anlier), en hain, chain ou ghien (heim, ferme, maison ; Walhain, Rechain, Enghein).

 

Source : Histoire de Wallonie, Yannick Bauthière - Arnaud Pirotte ; éd. Yoran embanner

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7 septembre 2013 6 07 /09 /septembre /2013 09:08

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS AU IVè SIÈCLE DANS L'EMPIRE ROMAIN

 

CHAPITRE V. — LES TERRES LÉTIQUES ET LES COLONIES MILITAIRES MODERNES.

 

Rapprochement entre les colonies militaires des Romains et les colonies militaires modernes : 1° les Confins militaires de l’Autriche

 

 

Le système des colonies militaires n’est pas exclusivement propre aux Romains ; il a été adopté par certains peuples de l’Europe moderne, notamment par l’Autriche et la Russie ; les régiments-frontières de la Hongrie, de la Croatie et de la Slavonie, les colonies militaires de la Russie méridionale sur les bords de la mer Noire, offrent plus d’une analogie avec les Læti de l’Empire*. Le maréchal Marmont, duc de Raguse, nommé après la paix de Vienne, en 1809, gouverneur général des provinces illyriennes, avait été chargé par Napoléon de lui présenter un mémoire sur les régiments-frontières ; ce mémoire a été publié plus tard dans la Revue rétrospective[34]. En outre, il nous a laissé dans ses Voyages[35], le meilleur sans contredit et le moins connu de ses ouvrages, une appréciation fort remarquable de ces établissements militaires qu’il avait visités dans le plus grand détail, et que sa compétence en ces matières lui permettait de juger avec une autorité incontestable. D’éminents publicistes de nos jours, des voyageurs et des écrivains français nous ont aussi transmis de curieux renseignements sur l’Autriche orientale, sur l’organisation des Confins militaires[36].

Les confins militaires (die Militärgränze) s’étendent sur une partie de la frontière turque, en Croatie, en Slavonie et en Hongrie. Ils ont été organisés pour repousser les invasions périodiques des Turcs absolument comme les colonies militaires des Romains avaient été créées sous l’Empire pour repousser les invasions périodiques des Barbares de la Germanie. Ils sont nés des efforts continus que firent les commandants autrichiens pour garnir et défendre la frontière, pour opposer aux incursions musulmanes un rempart vivant, une population de soldats et de laboureurs comme celle que Rome avait établie sur la frontière du Rhin et du Danube. Ce fut après la paix de Carlowitz (1699), en vertu de laquelle la frontière austro-turque se trouva déterminée d’une manière fixe, que les Confins militaires prirent une organisation sérieuse et durable. Le prince Eugène de Savoie jeta les bases au système et le maréchal Lascy le porta plus tard à la perfection qu’il devait atteindre. Les longues guerres entre la Hongrie et la Turquie, les dévastations qui en avaient été la conséquence inévitable, avaient réduit la population voisine des frontières à une extrême misère : ce n’était partout, comme aux derniers temps de l’Empire, que villages pillés et incendiés. Les habitants dépossédés, ruinés, exposés à tous les maux de l’invasion, se voyaient contraints d’abandonner les terres même les plus fertiles et de fuir vers l’intérieur pour échapper à la mort ou à l’esclavage : le sol ainsi abandonné se couvrait de broussailles. Pour rendre à l’agriculture ces terres vacantes et en friche, il fallait repeupler le pays, attirer une nouvelle population attachée au sol par la jouissance qui lui en serait donnée, et chargée de le défendre par l’obligation du service militaire. Rome avait compris tout le parti qu’on pouvait tirer d’un pareil système ; elle l’avait appliqué aux vétérans et aux Læti ; l’Autriche fit de même. Les éléments de cette population semi-agricole, semi-militaire, se trouvaient tout préparés : les chrétiens soumis à la Porte avaient émigré en grand nombre pendant le XVe siècle ; des Serbes (les Haidouks), des Albanais (les Clémentins), avaient formé près de Peterwardin une agglomération de plusieurs milliers d’hommes ; on était assuré de leur fidélité, tandis que Rome n’avait pas toujours pu compter sur celle des Barbares.

Le Gränzer (miles limitaneus), ou soldat des Confins, doit à l’État le service militaire en retour du lot de terre qui lui a été concédé et dont le revenu lui est abandonné. Ce service est obligatoire non seulement pour lui, mais pour ses fils, c’est-à-dire héréditaire comme chez les Romains, où le fils du vétéran était soldat par sa naissance. Le Gränzer ne peut sortir de sa famille sans permission ; s’il cherche à se soustraire à l’obligation qui pèse sur lui, il est appréhendé au corps comme vagabond et reconduit dans la maison à laquelle il appartient ; s’il s’échappe une seconde fois, il est puni de la prison ou du fouet. Il lui est formellement interdit de se racheter ou de se faire remplacer ; dès l’âge de vingt ans, si aucune infirmité ne le rend impropre au service, il appartient à l’armée des Confins. La seule différence avec le système romain, c’est que le fils du vétéran ou du Lète était réputé capable de porter les armes à dix-huit ans. Le Gränzer qui se sent fait pour les travaux de l’esprit et non pour manier le soc de la charrue et le fusil n’a qu’un seul moyen d’échapper au servage militaire : c’était déjà celui auquel recouraient les Romains du Bas-Empire : il faut qu’il entre dans les ordres. Le Gränzer, comme le vétéran, jouit de certains privilèges attachés à sa condition ; ces privilèges lui ont été accordés par différents décrets royaux correspondant aux constitutions des empereurs ; il est exempt de l’impôt foncier et de la plupart des contributions indirectes, immunis, mais il doit se nourrir et s’équiper à ses frais.

L’organisation des régiments-frontières, de ces colonies de soldats laboureurs, leur donne un caractère tout à fait à part. La propriété y est collective et non individuelle : elle se trouve répartie entre des associations (Haus communion), dans la langue administrative des Confins. Ces groupes de familles, ces sociétés existaient déjà chez les Slaves méridionaux, Croates ou Serbes, sous la dénomination de zadrouga. L’Autriche n’a eu qu’à transporter sur son territoire militaire cette constitution de la famille et de la propriété particulière aux Slaves et singulièrement appropriée à ses desseins. Les anciens Germains, nous l’avons vu[37], avaient une constitution analogue : les communautés, Gemeinden, possédaient le sol collectivement et le répartissaient entre les différents membres de la communauté pour un temps déterminé ; les Romains, en les transplantant sur le sol de l’Empire, durent aussi tenir compte de cette organisation et l’utiliser. Le bien de fondation (Stammgut) qui forme le véritable avoir patrimonial de chaque famille, sa dotation héréditaire, est inaliénable ; il ne peut être ni diminué ni partagé, comme les castellorum loca ; il comprend une certaine étendue de terres arables[38] ; en cas d’extinction d’une famille, l’exploitation du lot qu’elle possède passe à une autre famille, à la condition de fournir un même nombre de soldats. Les biens excédants  seuls (das Ueberland) peuvent être vendus moyennant une autorisation facile à obtenir.

L’autorité a le droit et le devoir de veiller à ce qu’aucun des biens de fondation ne soit inculte. Le propriétaire d’une terre demeurée inculte pendant trois ans après les assolements d’usage reçoit un avertissement ; après cet avertissement, on lui accorde un délai, et, le délai passé, il est déclaré déchu de son droit et le terrain est attribué gratuitement à une autre famille. En aucun cas, les habitants des provinces limitrophes ne peuvent prétendre à la possession du Stammgut, non plus que les citoyens des villes situées dans les Confins et qui n’en font point partie, bien qu’enveloppées de tous côtés par le territoire d’un régiment[39]. Chez les Romains, les provinciales ne pouvaient pas non plus posséder les terres létiques à cause de l’obligation du service militaire qui s’y trouvait attachée, et les villes, placées au milieu de ces terres concédées aux Barbares, demeuraient toujours sous l’autorité immédiate de l’empereur.

Le chef de la famille, désigné par l’âge ou l’élection, l’administre : c’est un véritable patriarche muni de pleins pouvoirs, mais obligé chaque année de rendre des comptes. La caisse de famille, la caisse commune, lui est confiée ; il pourvoit aux besoins de tous, fait cultiver les terres et habille les soldats qu’il fournit à sa compagnie. Il est assisté dans ses fonctions par sa femme ou une autre femme élue maîtresse de la maison. À la fin de l’année, il est chargé du partage des produits nets entre tous les membres de la communauté. Chacun reçoit une part égale, à l’exception du chef de famille et de la maîtresse de la maison qui en reçoivent deux. Telle est la loi organique des Confins.
Tout ce qui concerne l’administration supérieure et la justice est aux mains des officiers, le but principal de l’institution étant le maintien de l’esprit militaire et le recrutement de l’armée. Le corps des officiers d’économie chargé de l’administration offre les meilleures garanties de capacité, car on les prend parmi ceux qui ont le plus d’intelligence et ils se forment spécialement à cette carrière. Ils exercent la haute surveillance sur la colonie, donnent les ordres, font tous les rapports et correspondent avec le colonel de chaque régiment. La justice civile est rendue par un tribunal de première instance appelé session : ce tribunal est présidé par le lieutenant d’économie assisté d’un sergent-major, de deux sergents, de deux caporaux et de deux chefs de famille de la compagnie ; il se réunit une fois par semaine : c’est une sorte de justice de paix. Les affaires plus importantes sont portées devant un tribunal d’appel, composé de trois auditeurs, gens de loi, mais ayant un titre et un costume militaires : chaque auditeur est assisté de deux officiers. La justice correctionnelle se rend différemment suivant que l’accusé est enrôlé ou non enrôlé. Celui qui est enrôlé est déféré aux tribunaux militaires ordinaires : les autres, ainsi que les femmes, sont soumis à la session. Pour les affaires criminelles, elles sont portées au régiment, devant un tribunal composé d’un chef de bataillon, président, d’un auditeur, de deux capitaines, de deux sergents-majors, de deux sergents, de deux caporaux et de deux soldats. Le jugement n’est exécutoire qu’après l’approbation du colonel qui lui-même ne peut jamais présider.

La condition des terres dans les Confins militaires ressemble beaucoup à celle des terres létiques[40]. Avant 1848, elles étaient attribuées au Gränzer à titre de bénéfice, de fief perpétuel et irrévocable contre l’obligation du service militaire. Les colons avaient le domaine utile, tandis que l’empereur conservait le domaine direct. En 1850 une nouvelle ordonnance déclara que le gouvernement abandonnait en pleine et entière propriété (als wahres, beständiges Eigenthum) les terres dont ils n’avaient eu que l’usufruit (Nutzeigenthumsverhältniss). Les terres des Confins, exemptes de l’impôt foncier, immunes, sont imposées en journées de prestation. Ces prestations servent à l’entretien des chaussées, des magasins de réserve, des corps de garde de la frontière établis à une courte distance l’un de l’autre et désignés sous le nom de cordon militaire, aux réparations qu’exigent les maisons des officiers et des employés publics, absolument comme les terres létiques étaient soumises à l’entretien des routes, des travaux de défense, des forts et du grand rempart. Le territoire de chaque régiment est cadastré ; il existe dans chaque régiment un tableau de toutes les terres avec leur classement : le nom de chaque famille est enregistré à côté des terres qu’elle possède ainsi que le nombre de journées de prestation qu’elle doit.

Le recensement de 1857 donnait pour les Confins une population d’un million d’âmes fournissant une armée de soixante mille hommes, répartis en quatorze régiments d’infanterie de quatre bataillons chacun. Il y avait deux groupes : le groupe occidental comprenant les quatre districts militaires de Slavonie, de Warasdin, de Banat, de Karlstadt, sur la rive droite du Danube, le long de la Save et de ses affluents, composé des Serbes et des Croates : le groupe oriental comprenant le banat de Temeswar en Transylvanie, sur la rive gauche, composé des Magyars et des Valaques. Cette zone militaire forme une bande de terrain dont la longueur était de seize cent quatre vingt et un kilomètres sur une largeur moyenne d’environ vingt-neuf, car la ligne qui forme la limite entre l’Autriche et la Turquie est une ligne toute conventionnelle appelé la frontière sèche. La dissolution du corps des zeklers, gardiens de la frontière transylvanienne, a réduit cette longueur. Aujourd’hui l’invasion musulmane ne menace plus ni l’Autriche, ni l’Europe* ; les patrouilles qui circulent le long de la frontière ne jouent guère que le rôle de rondes de douane. L’armée des Confins, n’étant plus chargée spécialement de la surveillance des frontières méridionales, fait partie intégrante des forces militaires de l’empire et est appelée à prendre part à toutes les guerres, même en pays étrangers. Les Læti, au IVe siècle, nous l’avons remarqué, n’étaient pas non plus exclusivement attachés à la défense des terres létiques ou frontières ; ils servaient à recruter les différents corps des armées romaines. Le Gränzer, envoyé hors de la circonscription de sa compagnie, reçoit une solde et l’État pourvoit à son entretien. La durée de son service actif est de douze années après lesquelles il entre dans la réserve.

L’organisation des Confins militaires de l’Autriche, tant admirée par le duc de Raguse, a sans doute l’immense avantage d’assurer, avec une population relativement peu considérable, le recrutement d’une armée nombreuse et qui ne coûte presque rien, mais il faut reconnaître qu’elle immobilise la propriété comme l’individu et que par là elle porte une grave atteinte au libre développement, au progrès intellectuel et moral d’un peuple. Il peut y avoir dans les Confins un bien être matériel plus grand qu’ailleurs et en quelque sorte garanti par l’État, mais cette organisation ne satisfait point d’autres besoins plus élevés et non moins impérieux de la nature humaine dans toute société arrivée à un certain degré de civilisation elle sacrifie l’individu à l’État ; en cela elle est despotique. L’esprit monarchique et militaire peut seule favoriser la création de pareille institutions, que nous retrouvons en même temps dans la Rome des Césars, dans le vieil empire germanique et dans les pays placés sous la domination de l’autocrate de Russie. Aussi les régiments-frontières tendent-ils à disparaître comme une institution surannée et contraire à l’esprit de notre temps*.

* L'ouvrage est paru en 1873

 

 

[34] Le duc de Raguse, Mémoires sur les régiments-frontières, Revue rétrospective, 2° série, t. I.

[35] Voyages du duc de Raguse en Hongrie, en Transylvanie, dans la Russie méridionale, etc., t. I, p. 82-103, 5 vol. in-8°, Paris, 1837.

[36] Revue des Deux Mondes, 15 oct. 1861, L’Autriche orientale, par M. S. René Taillandier. — Ibid., 1er nov. 1869, Les Confins militaires de l’Autriche, par M. Georges Perrot. — Utiésénovic, Die Militärgränze und die Verfassung, eine Studie über den Ursprung und das Wesen der Militärgränz Institution und die Stellung derselben zur Landesverfassung, Vienne, 1861. — Hassel, Erdbeschreibung des österr. Kaiserthurns, Vinar., 1819, in-8°.

[37] Waitz, Deutsche Verfassungs Geschichte, Bd. I, c. II. Ackerbau und Grundbesitz, — Tacite, Germania, c. XXVI.

[38] L’étendue des parts varie suivant les cercles. Chacun comprend toujours joch (arpent) pour maison, cour et jardin, et un nombre de jochs ou terres arables suffisant pour nourrir une famille.

[39] Gränitz, Rechte, loi des Confins, 1704. — Kantonsystem, système des cantons, 1785. — Gränzgrundgesetz, loi foncière des Confins, 1807.

[40] La loi foncière de 1850 suit pas à pas la loi foncière de 1807.

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4 septembre 2013 3 04 /09 /septembre /2013 17:39

Une tradition bien établie veut que ce sarcophage fut acquis et apporté d'Italie par le général Jovin pour lui servir de sépulture. Flavius Jovin, général romain d'origine gauloise, né à Reims, fut nommé Maitre de la Cavalerie romaine en Gaule par l'empereur Julien (331-363). En 363, quand Jovien veut le remplacer par un de ses hommes, il est proclamé par ses légions en Gaule, mais il refuse la pourpre et calme la révolte de ses troupes. Jovien, reconnaissant, lui restitue sa charge. Il conserva  donc son commandement sous Jovien (363-364) et Valentinien 1er (364-375). En 366, il battit à plusieurs reprises les Alamans et devint consul l'année suivante ; converti au christianisme il fit construire à Reims l'église des Saints Agricole et Vital où il fut inhumé à sa mort en 370.0119.jpg 

 DESCRIPTION

 

Taillé en marbre de Carrare, à Rome, vers 260 ap. J.C. le sarcophage a l'aspect d'une cuve monumentale quadrangulaire ; destiné à l'applique, seules trois de ses faces sont sculptées : la face principale, frontale, possède un très haut relief parfois proche de la ronde-bosse alors que les petites faces latérales sont traitées en très faible relief. La face principale est encadrée par deux pilastres décorés de rinceaux surmontés de la personnification d'un Fleuve; le pilastre de droite a disparu.

Le thème en est une chasse au lion présentée en deux épisodes ; le Maître de la Chasse, identifié au défunt, occupe le centre des deux scènes. À gauche, la préparation pour la chasse : le Maître en habit militaire, cuirassé portant la main à son glaive, debout, est entouré de valets qui l'aident à s'équiper; l'un coiffé d'une sorte de bonnet phrygien tient son cheval par la bride alors qu'un second, en arrière plan, semble lui tendre une pièce de vêtement. Au premier plan; un jeune enfant presque nu porte son casque.

À droite, se déroulant sur les deux tiers de la surface, se situe la scène de chasse elle-même: le Maître, ayant recouvert sa cuirasse d'une tunique à manches longues, monté sur un cheval cabré, transperce d'un coup de lance un lion qui assaille un valet tombé à terre; en arrière plan, un valet également à cheval prête main forte au Maître alors que deux autres valets à pied s'écartent du fauve. Entre les jambes des personnages, apparaissent, pêle-mêle, des trophées de chasses (cerfs, sangliers, etc ... ) et des chiens de meute.

Les deux scènes sont à la fois séparées et liées par la présence d'un personnage féminin casqué et armé qui est la personnification de la Bravoure. Cette figure qui marque ainsi le passage entre la scène du départ et celle de la chasse, permet, d'autre part, de conserver une unité narrative et plastique à la frise car elle procède des deux scènes à la fois.0118


INTERPRÉTATION DE LA SCÈNE SCULPTÉE

 

La chasse au lion est une allégorie mythologique très prisée dans l'art funéraire romain : l'affrontement de l'homme et du lion doit être compris comme l'épreuve du défunt face à la Mort; le triomphe sur cette dernière est conforté par la présence, aux côtés du héros, de Virtus, déesse guerrière que l'on peut considérer comme l’incarnation de la Force morale, de la Bravoure ou de la Vaillance du défunt. Ce thème fut repris par la suite, dans l'iconographie chrétienne où le lion devint l'instrument de l'épreuve du Jugement Dernier.

 

Source : Musée Saint Rémi de Reims _ Biographie universelle ou dictionnaire historique, vol. 3 

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2 septembre 2013 1 02 /09 /septembre /2013 06:27

Des phoros de l’Antiquité aux vectigalia de l’Empire romain

 

Un examen comparatif de la fiscalité souligne une analogie, voire une proximité, entre les principales civilisations antiques. Toutes les Nations, les grandes monarchies orientales, les Républiques de la Grèce et de Rome eurent la même conception du droit public ou de l’impôt.

Les grandes conquêtes s’accompagnèrent toutes deux razzias et d’exactions. Ainsi, Athènes vivait du tribut des villes qu’elle avait soumises ; Sparte pratiquait le pillage ; Rome soumettait les nations vaincues à son droit. L’impôt paru lorsque les conquérants comprirent qu’il était plus judicieux et plus rentable de substituer au pillage la perception d’un tribut, de laisser aux populations conquises la possession de leurs terres en contrepartie d’un impôt foncier, puis d’une capitation (impôt lié à la personne).

Telle fut l’attitude des Perses, des Égyptiens, qui préférèrent la taxe aux réquisitions diverses. De même, mieux valait affranchir les esclaves et les imposer en homme libre que de les maintenir en servitude pour une rentabilité médiocre.


Le monde égyptien.


Civilisations sophistiquées et organisées, elle connaît un développement fiscal mis  en évidence par les nombreux papyrus ou ostraca (fragments de poteries) retrouvés ; la fiscalité repose sur un cumul de taxes locales et nationales. Le contrôle de la fiscalité est assis sur une bureaucratie développée : relevés de terre, documents cadastraux, mesures d’arpentages constituent la base nécessaire pour établir l’assiette et le montant des impôts fonciers.

Pour s’adapter à l’évolution consécutive à l’introduction de l’économie monétaire, l’Égypte, qui pendant longtemps n’a connu que des impôts en nature, a mis en place le système de la ferme pour collecter des recettes en argent. Ainsi, les impôts étaient perçus par des « fermiers », cocontractant de l’État, chargés de percevoir l’impôt en leur nom et, à ce titre, de fournir par provision au trésor royal une somme convenue. Le fermier se rémunérait sur l’excédent éventuel des impôts qu’il avait pu recueillir en fin d’exercice.

Ce système de la ferme, introduit à l’époque lagide, coïncide avec eux l’introduction de l’économie monétaire et du besoin de recettes en argent du roi.

 

L’époque la Gide (300 av. J.-C.)


À la différence de l’ancien empire, la fiscalité ptolémaïque s’articule principalement autour des corvées, taxe professionnelle (phoros) et impôt sur la terre. Pour ce dernier, elle recourt à un instrument précieux en matière agricole et fiscale, dénommé le « nilomètre », permettant de mettre à jour, au gré des crues du Nil, les relevés des terres qui constituaient la base nécessaire de l’assiette des impôts fonciers.

S’il existe des impôts apparentés (sur les pâturages, les vignobles,, le fonctionnement des bains publics ou des taxes en nature sur certains produits et des taxes de douane aux frontières, l’impôt sur les personnes n’existe quasiment pas, à l’exception d’un impôt sur le sel ou du maintien de l’obligation des corvées, c’est-à-dire des prestations de travail requis des paysans égyptiens pour l’entretien des canaux ou des digues.

S’ajoutaient à ces contraintes les éventuelles réquisitions de logements en faveur des soldats ou des fonctionnaires, mais la répartition de ces charges n’est ni régulières ni uniforme. À cette époque, l’essentiel des revenus provient des taxes indirectes : monopole, droits de douane, péages et taxes sur les rentes.

En raison des guerres difficiles coûteuses telles celles de Raphia en 217 av. J.-C., notamment sous le règne d’Evergète, les hommes depuis les terres furent parfois surtaxés au point de susciter une fuite devant l’impôt, appelée anachoresis, s’exprimant sous la forme de retraite dans d’autres villages ou dans le désert. Ses excès de la pression fiscale conduisirent à une dislocation progressive de l’autorité.


L’époque romaine


Une réorganisation est mise en place reposant sur une augmentation globale de l’impôt en espèces et le développement des « liturgies », c’est-à-dire la perception d’impôts directs confiés à des liturges responsables de la collecte (en espèces et en nature) et de son transport à Alexandrie. Le système repose sur la responsabilité personnelle du liturge, sur ses propres biens en cas de renouvellements inférieurs à ceux qui étaient prévus, comme autrefois, à l’époque lagide, celle du fermier.

L’impôt foncier subsiste sous des formes diverses : redevance emblée, obligation imposée aux propriétaires de cultiver des terres domaniales (épibolé), taxes diverses sur les vignobles, vergers ou jardin potager (géometriâ).

Par ailleurs, se développe la « capitation », pour tous les adultes masculins de quatorze à soixante ans, seules les catégories privilégiées en étant dispensées. Pour assurer la levée de cet impôt sur la personne, un système de recensement est organisé tous les quatorze ans.

En outre, parmi les impôts personnels, les artisans étaient redevables d’une taxe pour l’exercice de leur métier. Il existait également d’autres taxes, sur les moutons, les chameaux, le sel, la bière, l’huile, des taxes de douane ou péages sur les personnes ou les animaux, et même des taxes dites ad valorem pour le transfert de propriété ou sa mise à disposition. Enfin, les Romains continuent d’effectuer des services dits « corporels », consistant en cinq jours de travail à l’entretien du réseau d’irrigation.


Le monde grec


Au VIIème siècle avant Jésus Christ, avec Cyprélos, tyran de Corinthe, apparaît la dîme, c’est-à-dire un impôt du dixième, prélevé pendant dix ans sur les biens des Corinthiens pour l’offrir à Zeus.


              La dîme, un impôt intemporelle décence religieuse.

Au demeurant la dîme figure parmi les plus anciens impôts, puisqu’elle existait déjà dans la Bible. Ainsi, Abraham la versait à Melchisedech, Roi de Salem (livre de la Genèse, chapitre XIV, versets 18 à 20) ; le Nouveau Testament évoquera, quant à lui, la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin...

À l’origine, la dîme était présentée comme une offrande à Dieu, proche de la notion des « prémices » qui constituaient également la première part des revenus devant être donné à Dieu.

Dans le même esprit, mais à des fins confessionnelles différentes, le IIIème pilier de l’islam, la Zakât, est une aumône de 10 % due par chaque musulman, pour le purifier de son avarice.

C’est ainsi un droit des pauvres évoquées par le Coran dans plus de 80 versets, pour préciser :

 _les biens soumis à cette taxe (bétail, marchandises, fruits, céréales, minerais, ainsi que l’épargne) ;

_les modalités pour s’en acquitter (en général 10 %, sauf sur l’épargne annuelle où le taux est réduit à 2,5 %) ;

_ainsi que les huit catégories de bénéficiaires (sourate 9, verset 60), parmi lesquels les pauvres et les nécessiteux, ou encore les voyageurs en détresse pour les aider sur le chemin de Dieu).


À Athènes, sous la tyrannie de Pisistrate (VIème siècle avant J.-C.), la dîme est un signe d’asservissement prélevé sur les revenus de la terre des populations conquises. Les autres impôts s’apparentaient à des taxes prélevées sur les transactions marchandes.

Jusqu’à l’apparition des liturges, charges confiées aux citoyens les plus riches, il n’existait pas d’administration fiscale proprement dite. En Grèce, le système de liturgie relevait d’une conception aristocratique de la cité où, en contrepartie de l’autorité qui était reconnue aux riches, ces derniers devaient assurer un certain nombre de services.

Toutefois, lorsqu’il fallut financer la guerre du Péloponnèse, les taxes et liturgies se révélèrent insuffisantes ; un tribut supplémentaire fut mis en place, sous la forme d’un impôt exceptionnel dénommé l’eisphora.


L’Empire romain


L’expansion de Rome, qui débute avec les Étrusques autour d’un centre situé sur les rives du Tibre, rendit rapidement nécessaire la mise en place d’un système fiscal assis sur :

_les échanges (droits de douane, d’octroi...) ;

_Un impôt direct appelé le tributum civium romanum, reposant sur une évaluation de la fortune liée de façon directe ou indirecte à l’exploitation de la terre.

Exceptionnel sous Servius Tullius, il deviendra annuel en 406 av. J.-C., lorsque sera créée la solde militaire.

Après avoir assisté puissance terrienne, Rome va s’emparer de la mer puis mener son0117.jpg impérialisme en se tournant vers les Balkans, puis l’Orient, où elle soutint les États les plus commerçants, qui fourniront ainsi les bases de sa future expansion. Dans ce contexte, le système fiscal originel applicable à une Cité allait se révéler inadapté à un Empire ; c’est pourquoi auguste et ses successeurs vont constituer une véritable administration et réorganiser le système fiscal.

L’ambition des empereurs romains visait à ce que l’État pût recueillir des recettes importantes pour financer une armée permanente, des fonctionnaires, une bureaucratie, des grands travaux, l’entretien des routes, les services de la poste, de l’éducation et de la culture. Les Romains organisèrent leurs finances publiques en centralisant les recettes de l’État à travers les Aerarium (trésor de l’État romain par province) sous la dépendance du Fiscus (trésor impérial).

Auguste profitera de l’annexion de l’Égypte et s’inspirera de l’efficacité du système fiscal existant, notamment de l’organisation du cadastre pour améliorer l’efficacité du recouvrement. Il fit établir une nomenclature générale, recensant les divers peuples des régions conquises, les cités, les familles, leurs membres, avec mention des noms, âge, condition, métier, ressources. Ce premier travail de recensement, extrêmement poussée, a permis d’organiser une fiscalité moderne fondée sur le corps des publicains chargé de faire rentrer les impôts (inspiré du système de la ferme existante en Égypte), dont on retrouvera l’équivalent avec les fermiers ou agents d’État de Louis XIV.

Les Romains distinguaient deux catégories principales d’impôts : les tributa et les vertigalia. Les premiers correspondent sensiblement à la définition de l’impôt direct (taxation des facultés contributives d’une personne physique ou morale en revenus ou capitales) ; les seconds aux contributions indirectes qui sont générées par un acte (quelle qu’en soit l’auteur).


L’impôt direct : le tributum


Cet impôt repose sur le cens (census) ; instituer sous la Rome Antique par Servius Tullius, la censure devient sous la République romaine une des plus hautes fonctions de la Magistrature.

Le tributum était un impôt de quotité, assis sur la situation de fortune ressortant du cens, qui donnait une cartographie des situations individuelles. Sous Dioclétien, au Bas Empire, le tributum devient un impôt tant sur la terre (jugatio terrena) que sur les personnes (capitatio humana), les femmes étant taxées pour moitié. Afin d’optimiser l’efficacité de cet impôt dualiste, Dioclétien fit procéder dans tout l’empire à un recensement des biens et des hommes.

La fiscalité romaine fera feu de tout bois et imposera la capitation (impôt personnel), la taille agraire, des taxes à la production agricole de toute nature (blé, huile, vin, figues, pommes de terre...), en prélevant la dîme ; sont également dus la gabelle, impôt sur le sel ; l’« anonne » militaire pour financer l’armée, la nourrir, la vêtir, parfois même pour lui consentir l’hospitalité. L’impôt est dû sur les terres en friche parce qu’elles sont en friche et sur les terres cultivées parce qu’elles sont !


L’impôt indirect


L’impôt indirect frappe la mutation matérielle (aux frontières, à l’entrée des villes ou des ports) ou juridique (droit sur les marchés).

Dans la catégorie des impôts indirects (vectigalia) peuvent être notamment cité :

_les droits de douane, d’octroi de péage ou de taxes assises sur les troupeaux ;

_les taxes sur le négoce ou le transport, la fourniture de chevaux pour l’armée, de recrues pour les décurions et l’entretien des chemins ;

_les impôts sur les transmissions : impôt appliqué aux ventes aux enchères, impôt sur l’affranchissement et sur la vente des esclaves. En l’anVI, Auguste établira l’impôt du 1/20è sur les successions, legs et donations ;

_le portorium : droits d’entrée et de sortie, de douane aux frontières de chaque grande région découpant l’Empire, péages sur des ponts et sur certaines routes, octroi à l’entrée de certaines villes ;

_le chrysargyre : impôt spécial sur l’industrie et le commerce, qui s’est étendu à tous les corps de métier, à l’exception des cultivateurs et ouvriers.

L’étroitesse des liens entre les impôts et l’économie d’échange n’est pas étrangère à l’essor de l’Empire romain, qui privilégiera la recherche de voies commerciales pour asseoir son expansion. Inversement, la régression de l’économie d’échange entraînant celle des impôts indirects, conduira l’Empire romain à demander davantage aux impôts indirects.

La décadence depuis la chute de l’Empire emporteront simultanément celle de l’impôt, annonçant ainsi la mutation vers le Moyen Âge et une nouvelle fiscalité de l’économie médiévale.

 

Source : Histoire du droit et de la justice en France, ouvrage coordonné par Eve François éd. Prat

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25 août 2013 7 25 /08 /août /2013 12:09

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS AU IVè SIÈCLE DANS L'EMPIRE ROMAIN

 

CHAPITRE V. — LES TERRES LÉTIQUES ET LES COLONIES MILITAIRES MODERNES.

 


Les bénéfices romains et les bénéfices mérovingiens.

 

 

On désignait chez les Romains sous le nom de bénéfices, beneficia, les terres du domaine public ainsi concédées par les empereurs. Il y avait dans chaque province un registre des bénéfices, liber beneficiorum, où étaient inscrites ces donations ; un bureau spécial, primiscrinium beneficiorum, était chargé de cette partie de l’administration, et placé sous la direction du trésorier général du fisc[25]. On a comparé les bénéfices romains aux bénéfices accordés par les premiers rois de France à leurs leudes ou fidèles, aux fiefs du régime féodal[26]. Cette comparaison est-elle bien juste ? Le caractère essentiel du fief, feodum, était sans doute l’obligation du service militaire ; la transmission héréditaire était reconnue à la condition de porter les armes et de remplir avec loyauté les engagements du contrat, mais là se borne la ressemblance[27]. Le possesseur du fief a un maître, un seigneur de qui il tient son fief et qui peut exiger de lui tous les services attachés à la vassalité, services essentiellement personnels ; le lien qui unit le donataire et le donateur est un lien de dépendance individuelle. Il en était tout autrement des bénéfices militaires concédés par les empereurs[28]. Les obligations du bénéficier étaient contractées en vue de l’Empire, aucune en vue de la personne de l’empereur ; le bénéfice romain entraînait l’obligation de servir l’État ; la terre létique, comme la terre du vétéran était la solde d’un service public. Il y a là une différence profonde et radicale.

On est allé plus loin ; on a prétendu trouver dans les bénéfices de l’Empire l’origine véritable des bénéfices mérovingiens. Le bénéfice mérovingien, d’où le fief est sorti plus tard, est une concession de terre faite en tous lieux et à toutes personnes par des seigneurs ou de simples propriétaires aussi bien que par le roi, en vue d’obtenir pour eux une assistance et des services de toute espèce. Cette définition que nous empruntons à M. Guérard[29], parce qu’elle nous semble vraie et complète, nous éloigne déjà beaucoup du bénéfice romain qui n’imposait que le service militaire. Le bénéfice mérovingien était viager, et non héréditaire[30], la concession devait être renouvelée ou confirmée à chaque mutation de propriétaire ou de seigneur, tandis que, chez les Romains, une fois accomplie, elle était perpétuelle et définitive. Il y a tout lieu de croire que le bénéfice est un produit de la Germanie, surtout quand on considère les rapports frappants qui existent entre cette institution et les habitudes des Barbares avant leur transplantation sur le sol de la Gaule[31]. L’union du chef et du guerrier germain n’était-elle pas déjà personnelle ? N’était-elle pas ordinairement temporaire ? Ne reposait-elle pas sur des obligations et des devoirs réciproques ? La terre patrimoniale seule (sors barbarica, proprium, terra salica), était héréditaire et se transmettait du père aux enfants ; elle devint plus tard l’alleu, allodium. Après la conquête, les rois durent accorder à leurs compagnons une portion des terres qui étaient tombées en leur pouvoir, absolument comme ils partageaient avec eux le butin[32]. Ces terres dont la possession était soumise à certaines conditions furent les bénéfices. Le mot latin beneficium, qui existait pour désigner les terres militaires concédées par les empereurs, fut adopté par les Barbares déjà familiarisés avec la langue et les institutions de Rome. Cette coïncidence ne suffit point pour autoriser à confondre le bénéfice mérovingien avec le bénéfice romain et à lui attribuer une origine romaine. Ce n’est pas du reste la première fois qu’on retrouve ainsi, chez des peuples plus étrangers les uns aux autres que les Germains ne l’étaient aux Romains, des institutions en apparence de la même famille, mais nées spontanément dans différents siècles et sans aucun lien de parenté[33].

 

 

[25] Hyginus, De limitibus, p. 193. — Ibid., p. 301. — Godefroi, Cod. Théod., XI, tit. 20, Paratitlon. — Böcking, I, p. 44 ; II, p 54.

[26] Du Cange, Gloss. med. et infim. latinit. Læticæ terræ appellantur quorum ratione Leti obnoxii erant servitio militari : unde haud insulse opinantur viri doctissimi feudorum inde apud nos fluxisse originem, vel certe servitii militaris.

[27] Du Cange, Gloss. med. et infim. latinit. Feudum proprietas rei alicujus etiam ad heredes transitura, retentis solummodo clientela et superiori dominio, cum quibusdam servitiis maxime militaribus, ex pacto statutis.

[28] Lehuërou, Instit. Mérovingiennes, liv. II, c. III, p. 370-371. — Roth., Beneficial- wesen, Viertes Buch, c. IV, p. 416-417 ; p. 436.

[29] Guérard, Polyp. d’Irm, 1re part., p. 505-506.

[30] Du Cange, Gloss. med. et infim. latinit., Beneficium. Beneficium prædium concessum alicui sub annua præstatione et ad vitam tantum utendum.

[31] Du Cange, Gloss. med. et infim. latinit., Feudorum originem a moribus Francorum rectius repetendam existimat Alteserra, De Origine et statu feudorum, pro moribus, lib. I, c. I.

[32] Du Cange, Gloss. med. et infim. latinit., Franci rerum potiti in Gallia, prædia divisere Ducibus et Milltibus idque beneficiario jure, sub lege fidei et servitii. — Lehuërou, Hist. Mérov., liv. II, c. III.

[33] Guérard, Polyp. d’Irm. — La milice feudataire ou bénéficiaire des Timariotes chez les Turcs (militia beneficiaria) offre un curieux exemple de ces analogies.

Les Timariotes, sorte de milice feudataire ou bénéficiaire chez les Turcs, et ainsi nommés des Timares, partages ou divisions établies par Soliman le Magnifique, sont, avec les Zaïms, des propriétaires ou plutôt des usufruitiers de terres concédées dans les différentes provinces de l’empire turc par le sultan, seul véritable propriétaire du sol. Les Timariotes ou vassaux du sultan constituent une noblesse attachée à la culture du sol et destinée en même temps au recrutement de l’armée. Le service militaire est leur principale obligation ; ils fournissent un contingent proportionnel aux revenus de la terre qu’ils tiennent de la munificence du souverain. Le Timariote le moins puissant fournit un seul soldat ; le plus opulent en amène quatre. Le plus pauvre Zaïmite en met quatre sur pied, le plus riche jusqu’à dix. Ces enrôlés sont généralement pris parmi leurs serviteurs ou leurs esclaves, de même que les recrues fournies par les propriétaires romains au IVe siècle étaient des colons. Les fiefs des Timariotes sont donnés à titre précaire et demeurent révocables, bien que parfois ils se transmettent d’une génération à l’autre et deviennent ainsi héréditaires par faveur, sinon en droit.

Leibnitz donne de curieux détails sur les Timariotes dans son fameux projet d’expédition d’Égypte (Consilium Ægyptiacum) présenté à Louis XIV. Il évalue cette milice à plus de cent mille combattants et nous apprend qu’elle se composait de la réserve de l’armée turque, de l’arrière-ban, pospolitia, russenia, en Pologne et en Russie, par opposition à la milice permanente et soldée des janissaires et des spahis, militia stipendiaria.

Le manuscrit original de Leibnitz était demeuré inédit dans la bibliothèque de Hanovre jusqu’à notre temps où il a été retrouvé et publié.

Klopp. — Ausgabe der Leibniz’chen Werke. — Hanovre. 1764, second volume.

Blumstengel. — Leibnitz’s Ægyptischen Plan. eine historich Kritische Monographie, Leipzig, 1869.

De expeditione Ægyptiaca regi Franciæ proponenda, Leibnitii justa dissertatio, ch. XXX (Zaimis et Timariotis), dans le cinquième volume des Œuvres complètes de Leibnitz, publiées par M. Foucher de Careil, Paris, Firmin Didot frères, fils et Cie., 1864.


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23 juillet 2013 2 23 /07 /juillet /2013 18:27

 

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29 juin 2013 6 29 /06 /juin /2013 08:14

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS AU IVè SIÈCLE DANS L'EMPIRE ROMAIN

 

CHAPITRE V. — LES TERRES LÉTIQUES ET LES COLONIES MILITAIRES MODERNES.

 


Condition des terres létiques identique à celle des terræ limitaneæ.

 

 

À la question des Læti se rattache celle des terres létiques. Qu’était-ce que les terres létiques ? D’après quelles règles les distribuait-on ? À quelles charges se trouvaient-elles soumises ? Avaient-elles quelque rapport avec les bénéfices du moyen âge ?


Les terres létiques étaient des terres vacantes et en friche, généralement voisines de la frontière et appelées aussi pour cela terræ limitaneæ. Elles avaient été abandonnées par leurs anciens possesseurs, obligés de fuir devant l’invasion, et rentraient ainsi dans le domaine de l’État. Le territoire limitrophe avait été de tout temps réservé comme faisant partie de l’ager publicus, et le gouvernement avait le droit d’en disposer de manière à. assurer la défense des frontières. Cette propriété n’était qu’une propriété précaire ; il en est à peu près de même aujourd’hui pour les bâtiments et les terrains situés dans l’enceinte des fortifications des places de guerre. Le plus grand nombre des terres létiques appartenait à la Gaule[1], plus exposée que toutes les autres provinces aux fréquentes dévastations des Germains. Elles étaient surtout répandues dans le nord et dans l’est (per diversa dispersorum Belgicæ primæ) : s’il y en avait dans l’ouest, en Bretagne et en Normandie, c’était pour repousser les pirateries des Saxons qui infestaient alors les côtes de l’Océan. Il n’est pas nécessaire d’insister sur la ressemblance parfaite qui existait entre ces terres et celles des vétérans. On a donc pu appeler les terres létiques des terres militaires[2], à cause de leur caractère essentiel et distinctif. Le mode de concession ne différait pas non plus de celui qui était usité pour les colonies de vétérans.


Les assignations de terres, assignationes et divisiones agrorum, ont joué un rôle important dans l’histoire du peuple romain ; on les retrouve à toutes les époques, soit de la République, soit de l’Empire ; ‘les nombreuses annexions des territoires conquis au domaine public, les confiscations, les déshérences, fournissaient à l’État le moyen de multiplier ces sortes de concessions ; le mot colonie lui-même, colonia, désignait une ville dont le territoire avait été partagé et assigné[3]. Les partages se faisaient d’après certaines règles fixes et déterminées, les lots parfaitement symétriques comprenaient tous un nombre égal d’arpents, jugera. On sait jusqu’à quel point les Romains étaient formalistes. La classe des géomètres, des arpenteurs, agrimensores, chargés du soin de délimiter les terres, jouissait d’un grand crédit ; elle comptait des hommes instruits et remarquables ; les traités qu’ils ont écrit sur ces matières nous ont été conservés dans un recueil intitulé : Rei agrariæ auctores[4]. Ce recueil nous montre le soin qu’on apportait dans les opérations de partage. Le nombre d’arpents dont se composait chaque lot variait suivant la nature du terrain et la fertilité du sol, suivant la dignité et les états de service du concessionnaire[5]. On trouve mentionné tantôt le chiffre de deux arpents, bina jugera, ou deux cents arpents pour une centurie (compagnie de cent hommes), tantôt celui de sept, de dix, de vingt, de quarante arpents. Un lot de terre parfois était donné à plusieurs en commun[6] ; c’est ainsi qu’en Algérie on attribue un certain nombre d’hectares de terrain aux communautés arabes. L’arpent, unité de surface, jugerum, mesurait vingt-cinq ares environ et correspondait à ce qu’une paire de boeufs attelés à une charrue peut labourer en un jour. On compte plus de quarante espèces de colonies, d’après les différents modes d’assignation et les différentes mesures employées pour la composition des lots[7]. Les colonies avaient toujours été le boulevard de l’Empire, propugnacula imperii, en même temps qu’elles servaient à surveiller les ennemis comme les alliés du peuple romain ; c’est l’expression même dont se sert Cicéron[8].

Le pouvoir d’établir ou de fonder des colonies appartint successivement aux rois, au sénat, au peuple, aux empereurs dont la personne était l’incarnation vivante de la majesté souveraine du peuple[9] ; de même qu’autrefois il avait fallu un sénatus-consulte ou un plébiscite pour autoriser une assignation régulière des territoires concédés, de même, sous les Césars, il fallut un ordre du prince, une autorisation impériale, imperialis annotatio, pour que la distribution faite par les censitores fût légale[10]. Nous avons sur ce point un rescrit des empereurs Arcadius et Honorius, de la fin du IVe siècle. Il s’agit des terres létiques et de la manière dont elles devaient être concédées. De nombreux abus s’étaient glissés dans la répartition de ces terres ; il y avait eu des empiétements, des fraudes dont les principales et les defensores, magistrats des cités, s’étaient faits les complices : il est question d’inspecteurs chargés de vérifier les titres et les droits de chacun, d’exercer un contrôle sérieux sur la répartition des censitores. Le rescrit est daté de Milan et adressé à Messala, préfet du prétoire. Le préfet du prétoire, nous l’avons déjà dit, en vertu de la constitution établie par Constantin, centralisait dans ses mains toutes les affaires civiles, comme nos préfets actuels. Les différents types des assignations, formæ, gravés sur des tablettes d’airain, étaient placés dans le cabinet du prince, sanctuarium Cæsaris, avec les registres des partages, divisionum commentarii, sorte de cadastre général auquel, on recourait en cas de contestation[11].

La première charge qui pesait sur les terres létiques était l’obligation du service militaire, militandi onus, attachée à la possession même de ces terres, comme à celle des terres accordées aux vétérans[12]. Aussi ne pouvaient-elles jamais passer à de simples particuliers[13] ; en cas de déshérence ou d’abandon ; elles retournaient nécessairement à un Lète ou à un vétéran. C’est pour la même raison qu’elles se transmettaient de mâle en mâle à l’exclusion des femmes ; celui qui renonçait au service militaire ou cherchait à y échapper renonçait par le fait même à la possession de la terre létique. Cette obligation générale n’était pas la seule : elle entraînait avec elle toutes les conséquences de la vie247 militaire chez les Romains. Le Lète prêtait serment comme le légionnaire et le vétéran ; il était corvéable, c’est-à-dire obligé de prendre la pelle et la pioche pour travailler aux terrassements et aux fortifications élevées sur toute la ligne des frontières (propter curam, munitionemque limitis atque fossati)[14]. Le limes était une frontière artificielle et non naturelle, par opposition à la mer, aux fleuves, aux montagnes, aux espaces déserts ; c’étaient des travaux d’arts (χειροποιητά), comme le grand rempart, les digues, les chaussées, dont on retrouve aujourd’hui presque partout les vestiges, de petits camps fortifiés, entourés d’une enceinte en briques ou en terre, avec un système de tours, turres perpetuæ[15]. On les désignait sous les noms de castra, castella, burgi ; on s’en servait, soit pour observer les mouvements de l’ennemi, soit pour le repousser, soit enfin pour enfermer les approvisionnements nécessaires aux armées. Les Burgarii formaient une population spéciale, attachée au sol et condamnée à y vivre de père en fils[16]. Chaque castellum était entouré d’un territoire imprescriptible qu’on appelait castellorum loca[17]. La garnison établie dans ces castella depuis un temps immémorial était une population exclusivement militaire : les peines les plus sévères avaient été édictées contre celui qui, n’étant pas soldat, castellanus miles, occuperait ou retiendrait ces territoires : il devait être puni de mort et ses biens confisqués[18]. Il ressort cependant d’un texte de loi relatif aux terres limitrophes que de simples citoyens (privati) pouvaient par tolérance prétendre à la possession de ces terres, pourvu qu’ils s’engageassent à remplir les obligations qui y étaient attachées et parmi lesquelles ligure au premier rang l’entretien du retranchement ainsi que du fossé[19]. Ce droit de possession n’était du reste qu’un droit de jouissance et non de propriété absolue[20].

Les terres létiques, grevées des mêmes servitudes que les terres des vétérans, avaient les mêmes droits. En leur qualité de terres publiques elles rentraient dans la catégorie des terres privilégiées, et, comme telles, étaient exemptes de l’impôt, immunes. N’y aurait-il pas eu injustice à exiger l’impôt en argent de ceux qui payaient déjà l’impôt du sang ? Le contrat même de l’engagement des Loti reposait sur une reconnaissance formelle de la jouissance pleine et entière des terres létiques en échange du service militaire qui leur était imposé[21]. La sollicitude des empereurs pour l’armée, et en particulier pour les soldats chargés de la défense des frontières, se manifeste à plusieurs reprises dans le recueil des Novelles de Théodose[22]. Nous y voyons la recommandation expresse adressée au préfet du prétoire et au maître de la milice de respecter et de faire respecter les droits des soldats. Aucune taxe vexatoire ne devait être levée sur eux : les injustes détenteurs des terres létiques ne pouvaient jamais invoquer la prescription contre leurs légitimes possesseurs. Le droit d’immunité, immunitas, de franchise absolue, avait toujours existé en faveur des agri limitanei. Il n’y avait qu’un seul cas où le privilège de l’exemption disparaissait, c’était celui d’un besoin pressant de l’État, d’une superindiction, superindictio, à laquelle le prince croyait devoir recourir pour faire face aux nécessités du trésor, et alors on taxait en raison directe du nombre d’années écoulées depuis la concession[23]. Perreciot tombe dans une grave erreur lorsqu’il définit les terres létiques des terres soumises à l’impôt (terræ censuales), et les assimile aux mainmortes du moyen âge dont le cens est le trait distinctif[24]. Les terres létiques, au contraire, nous l’avons suffisamment démontré, ne payaient aucune redevance.

 

 

[1] Perreciot, t. I, liv. IV. p. 348. — Böcking, p. 119-120.

[2] Rambach, De Lœtis, p. 31.

[3] Wilelmi Gœsii antiquitatum agrariarum liber singularis, c. VI.

[4] Rei agrariæ auctores, édit. Goës. 1 vol. in-4°, Amsterdam, 1674. — Römische Feldmesser. 2 vol. in-8°, Berlin, 1848-1852.

[5] Siculus Flaccus, De conditionibus agrorum, p. 17 et suiv.

[6] Siculus Flaccus, De conditionibus agrorum, p. 17 et suiv.

[7] Siculus Flaccus, De conditionibus agrorum, p. 17 et suiv.

[8] Goesius, Antiquit. agrar. lib. sing., p. 39.

[9] Goës, Antiq. agrar. lib. sing., p. 15-20. — Aggeni Urbici in Julium Frontinum commentarium, édit. Goës. (Rei agrariæ auct.), p. 50.

[10] Cod. Théod., XIII, De censitoribus, tit. 11, loi 9.

[11] Siculus Flaccus, De condition. agrorum, édit. Goës, p. 16.

[12] Rambach, De Lœtis, p. 31.

[13] Rambach, De Lœtis, p. 31.

[14] Cod. Théod., VII, tit. 15, loi 1. — Godefroi, Cod. Théod, VII, De terris limitaneis. Paratitlon.

[15] Godefroi, Cod. Théod, VII, De terris limitaneis. Paratitlon. — Le comte de Marsigli, Danubius pannonicomysicus observationibus geographicis, astronomicis, hydrographicis, historicis, physicis perlustratus, passim, 6 vol. in-fol., La Haye, 1726.

[16] Godefroi, Cod. Théod., VII, De terris limitaneis, Paratitlon.

[17] Godefroi, Cod. Théod., VII, De terris limitaneis, Paratitlon.

[18] Cod. Théod., VII, tit. 15, loi 2.

[19] Cod. Théod., VII, tit. 15, loi 1. — Rambach, De Lœtis, p. 32.

[20] Godefroi, Cod. Théod., VII, tit. 15, loi 1.

[21] Rambach, De Lœtis, p. 34. — Legum novellarum divi Theodosiani, lib. I, tit. 31.

[22] Leg. Novell. div. Theodos., lib. I, tit. 31.

[23] Lehuërou, Institutions mérovingiennes, liv. XI, c. VII, p. 437. — Cod. Théod., XI, tit. 20, loi 4.

[24] Perreciot, t. I, liv. V, c. I, p. 353.

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24 juin 2013 1 24 /06 /juin /2013 07:05

 

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