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12 novembre 2014 3 12 /11 /novembre /2014 18:35

Etudier, imaginer, tester la cuisine gauloise ; c'est ce qu' Anne Flouest et Jean Paul Romac ont réalisé dans leur livre : "La cuisine Gauloise continue" présenté ici

 

Les viandes

Quelles viandes mangeaient les Gaulois ? À cette question on serait tenté de répondre : du sanglier. Et pourtant, dans les restes d’animaux issus des déchets culinaires, les archéozoologues identifient à peine 1 % d’os d’animaux sauvages, et les restes de sanglier, au demeurant facile à distinguer du porc, qui sont très rares.

On ne peut qu’être frappé, comme l’ont été les observateurs étrangers de l’Antiquité, par l’importante consommation de viandes et de laitages chez les Gaulois. L’ampleur des restes archéologiques en témoigne. Ces restes renseignent sur les espèces consommées, leur fréquence relative, leur stature, les modes d’élevage, leur mode de préparation (découpe, conservation, cuisson). Si une part des viandes était réservée aux morts, l’examen des parts réservées aux vivants montre que, globalement, tous les morceaux étaient consommés.

 

Viande de boucherie

Les archéologues ont mis en évidence la petite taille du bétail (bœufs, veaux, vaches, moutons et porcs). La qualité des viandes, alors moins grasse qu’aujourd’hui, n’en pâtissait cependant pas. Cette petite taille atteste que les gaulois étaient sans doute peu portés à sélectionner les races.

 

Gros bétail

La viande de bœuf (et de vaches) apporte près de la moitié de l’alimentation carnée. Les traces de découpe observée sur les eaux montrent qu’on distinguait, avec la même attention qu’aujourd’hui, les différents morceaux selon leur qualité : les pièces de premier choix (viandes à rôtir ou à griller : filet, gîtes, jumeaux, macreuse, culotte), puis les viandes à braiser (plat de côte, etc.) et, enfin, les viandes à bouillir (pieds, queue, etc.). L’âge d’abattage et le sexe sont aussi des paramètres qui jouent sur la qualité. Selon les maisons, la qualité diffère : les familles paysannes se contentent souvent de la consommation d’animaux de réforme, vieilles vaches laitières et vieux animaux de trait, tandis que des animaux jeunes sont appréciés dans d’autres maisons, peut-être plus aisée.


 

        Bœuf éduen

 

   • 1,5 kg de bœuf bourguignon

   • 1 l de cidre

   • 1 bouquet garni

   • Saindoux

   • Carottes

   • Champignons

   • Oignons

   • Echalotes

  Cuisson 2 heures

 

La veille, voir l’avant-veille, placer les morceaux de bœuf dans un pot, ajouter du sel fin, des condiments et un oignon coupé en tout petits morceaux ainsi que deux échalotes, mélanger le tout et laisser reposer une nuit.

Pendant ce temps, préparer la marinade. Faire bouillir un pot de cidre avec un bouquet garni, une pointe de miel et un petit morceau de couenne salée (la présence d’un morceau de salé et la courte salaison permettent à la viande de garder quelques couleurs sans devenir terne). Quelques bouillons, laisser refroidir une nuit environ. Verser la marinade dans le pot sur la viande, remuer, couvrir et laisser au frais une nouvelle nuit.

Le lendemain, laisser reposer la viande quelque temps pour qu’elle s’égoute ; au besoin, passer un linge pour enlever l’excès d’humidité. Dans une belle terrine, faire rissoler les morceaux de bœuf dans deux cuillerées de saindoux salé, faire dorer. Ajoutez la marinade chaude, faire prendre un bouillon, ajouter un bon bol de jus de veau ou, à défaut, un reste de bouillon de pot-au-feu, ajoutez les carottes, deux au minimum, des petits oignons, des champignons, un bel os fendu, laisser mijoter quelques heures, rectifier l’assaisonnement et servir !0216.jpg

Garniture : soit les carottes de l’accompagnement, soit autre chose, par exemple des pâtes fraîches, un plat de champignons ou des quenelles cuites dans un bouillon de pot-au-feu.

 

Source : Anne Flouest, Jean-Paul Romac, La cuisine Gauloise continue - éd. Bibracte & Bleu autour

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30 août 2014 6 30 /08 /août /2014 09:15

Les romains appelaient le coq : gallus, nom qui avec une majuscule désignait un habitant de la Gallia, de la « Gaule », un gaulois donc. Au Moyen Âge, les Anglais et les Allemands, se souvenant du double sens latin de gallus, ont par dérision associé le coq, volatile réputé 0215orgueilleux, prétentieux et vaniteux, aux français, lesquels ont assumé la comparaison, et adopté le coq comme image de leur fierté nationale.

Mais c’est surtout à partir de la révolution de 1789, que le coq gaulois s’est imposé comme symbole de la France, pour remplacer la fleur de lys, qui était l’emblème de la monarchie déchue.

En ancien français, le coq était appelé jal (ou gal, ou jau), mot issu du latin gallus. Mais, à partir du XIIe siècle, jal a été concurrencé et peu a peu éliminé par coc et coq, nom qui a très probablement été formé à partir d’une onomatopée. On sait qu’en latin l’onomatopée imitant le chant du coq était coco coco...

On a aussi retrouvé la trace, en latin tardif, du coccus, autre onomatopée, évoquant le caquettement de la poule. Mais, par ailleurs, en latin classique, le terme coccum désigne une couleur « rouge écarlate », comme la crête du coq : y a-t-il un rapport entre coccum et coq ? C’est possible, auquel cas le coq que serait un cousin de la coccinelle, insecte qui doit son nom à la couleur écarlate de ses ailes.

Quelle que soit son origine, le mot coq, dès lors qu’il s’est imposé en français, a donné naissance à une famille de mots nouveaux, parmi lesquels coquerycoq, puis coquerico, pour désigner le cri du coq. Car, jusqu’au XIXe siècle, dans les basses-cours françaises, les coqs poussaient des coquericos sonores, et ce n’est que dans les années 1860 que les coquericos sont devenus des cocoricos…0214

Coquerico, l’ancien cri du coq, avait une variante, coquelicoq : ces deux mots, à partir du XVIe siècle, ont été également employés pour désigner une fleur des champs aux pétales rouges vifs, ressemblant à la crête d’un coq ; cette fleur, qui jadis était un coquerico ou un coquelicoq, est aujourd’hui appelé le coquelicot.

Au Moyen Âge, le coq, augmenté du suffixe péjoratif -ard, a donné le nom cocard ou coquard, lequel a d’abord désigné un « vieux coq », puis a pris un sens figuré, inspiré par l’allure et par le comportement du coq se pavanant dans la basse-cour au milieu des poules : ainsi, un coquard est devenu un « homme sot prétentieux », et l’adjectif coquard, a qualifié une « personne sotte et vaniteuse ».

L’adjectif coquard n’est plus guère utilisé aujourd’hui, mais deux de ses dérivés en revanche sont toujours bien vivants : le nom cocarde et l’adjectif cocasse. Commençons par la cocarde : ce nom, à partir du XVe siècle, a désigné, dans l’expression coiffée à la cocarde, une coiffe ornée de plumes de coq ou de rubans, et ressemblant à une crête de coq. Puis, au XVIIIe siècle, une cocarde est devenue un « nœud de ruban » décerné aux soldats comme décoration militaire, et un « un signe, généralement rond, que l’on porte en signe de ralliement à un parti politique » : ainsi, durant la Révolution française, certains portaient la cocarde blanche des royalistes et d’autres la cocarde tricolore (bleu, blanc, rouge) des révolutionnaires.

C’est au XVIIIe siècle également qu’est apparu, par déformation de coquard, l’adjectif cocasse : il qualifie « ce qui est d’une bizarrerie ou l’extravagance comique », « ce qui est d’un ridicule qui fait rire », comme le coq vaniteux et fanfaron, faisant de l’esbrouffe parmi les poules.

Dans la famille du coq, on trouve aussi le diminutif coquet, qui à l’origine a servi à nommer un « petit coq » ou un « jeune coq », avant de prendre, au XVIIe siècle, un sens figuré : un coquet devient un « homme qui cherche à plaire, à séduire ». À cette époque également, la coquette, version féminine du coquet, entre en scène : en effet, au théâtre, dans certaines comédies, on prend l’habitude de parler de la coquette ou de la grande coquette pour désigner le principal rôle féminin de séductrice et d’intrigante dans certaines comédies.

Employé comme adjectif, coquet, coquette qualifie, au XVIIe siècle, « celui ou celle qui cherche à plaire », et la coquetterie est le « souci de plaire ». C’est au XVIIIe siècle que ces mots prennent leur sens moderne : coquet, coquette signifie alors « qui a le goût des vêtements élégants, des belles toilettes et parures » ou « qui a le souci de plaire par sa mise, sa manière, ces attitudes, son esprit » et la coquetterie devient le « goût de plaire par ses vêtements, sa mise ».

 

 

Source : Virgule N° 86

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1 août 2014 5 01 /08 /août /2014 11:04

L’édification de l’église en hommage à Saint Sigismond étant achevée, le petit-fils de Theudoald continua l’œuvre de son aïeul. Au lieu des cabanes qui, jusqu’alors, avait abrité les pèlerins venus des localités voisines, il construisit quelques maisons puis en fit élever d’autres, la renommée du saint grandissant. Bientôt, un village entier entoura l’église, qu’on appela Puits de Saint Sigismond, puis Saint Sigismond. Au XVe siècle, cette localité avait acquis de l’importance, et sur son territoire s’étaient élevés plusieurs fermes et petite-fiefs. Ce fut alors que Louis de Saint-Simon, conseiller et chambellan de Louis XII, sollicita et obtint du roi, en novembre 1498, la création de deux foires par an et d’un marché par 0212.jpgsemaine, en faveur « du lieu de sainct Simon qui est, disent les lettres-patentes, ung beau lieu et villaige assis en bon pays et fertil. » Ne cessant de guérir les fièvres depuis le VIème siècle, le puits de Saint Sigismond était placé sous le maître autel dont on soulevait le tablier lorsqu’on voulait puiser de l’eau, au moyen d’une corde qui, frottant sur la margelle, a laissé dans la pierre des traces profondes. Ruinée et reconstruite plusieurs fois, elle fut en dernier lieu démolie presque en entier par les calvinistes, le puits ne faisant dès lors plus parti de l’église et demeurant enclos par des ruines qui furent vendues en 1791 et servirent à édifier quelques maisons.

Chaque année, le 1er mai, fête de Saint Sigismond, la procession sortait de l’église par la porte principale, traversait la cour du prieuré, et entrant dans les ruines par une porte percée au nord, faisait une station au lieu vénéré. Tous les pèlerins et gens du pays suivaient le clergé, et en passant devant le puits, les femmes y jetaient une épingle, afin de se préserver les fièvres. En 1775, le curé de Saint Sigismond, s’élevant avec force contre cette pratique superstitieuse, obtint de Monseigneur de Jarente la défense de faire la station accoutumée au mois de mai ; et les trois dimanches précédents, on lut cette proclamation en chaire. Mais deux marguilliers et la foule transgressant l’injonction, de Jarente et l'intendants de la province ordonnèrent de combler le puits, la tâche étant confiée à Mathieu Pinsard, fermier à Chan et syndic de la paroisse. Il y renonça lorsque, après avoir fait jeter dans le puits la charge de vingt grandes voitures, en pierre et en immondices, il reconnut que le sol ne s’était élevé que de 2 mètres. On dit même qu’ayant, à l’aide de six chevaux, arraché du massif de maçonnerie le couronnement du puits, il ne put parvenir à la traînée hors des ruines. Le peuple cria au miracle, et la sédition fut près de renaître, le calme ne revenant dans la paroisse que lorsque le couronnement eut été rétabli sur sa base.

 

 D’après... Légende de l’orléanais paru en 1846

 

Source : La France pittoresque N° 44

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19 juillet 2014 6 19 /07 /juillet /2014 17:34

Les débuts du christianisme furent agités par de vives discussions dogmatiques, surtout dans les champs christologique*  et trinitaire** (comment comprendre les paroles du Christ qui se dit fils de Dieu et fils d’une femme, et qui annonce la venue de l’Esprit divin ? Est-il avant tout Dieu, avant tout homme, homme et Dieu à part égale ? Quels sont les rapports qui existent entre lui, le Père et l’Esprit ?)

Les réflexions, les débats, les recherches ont parfois débouché sur ce que l’on appelle des hérésies (du grec hairésis, « choix, opinion, inclination »). Mais il faut savoir que ces dernières n’ont commencé être considérées comme telles qu’après de longs débats, souvent pacifiques ; que certains évêques, dont nul n’aurait contesté la légitimité ont professé telle ou telle d’entre elles ; et que ces courants, dont certains auraient pu devenir majoritaires, n’ont finalement été rejetés comme hérétiques qu’à l’occasion de conciles, à la majorité des votants.

Ce fut le cas de l’interprétation professée vers 320 à Alexandrie par le prêtre Arius, selon laquelle des trois personnes de la Trinité divine, seul le père est éternel, inengendré, tout-puissant, et possède la transcendance absolue. Le Christ, sa première créature, ne participe pas de la même identité ni de la même éternité divine, il n’a qu’une divinité déléguée. Cette doctrine fut condamnée en 325 par le concile de Nicée qui fixa, presque une fois pour toutes, l’acte de foi du chrétien (dit symbole de Nicée) : « Jésus-Christ, fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, vrai Dieu du vrai Dieu, engendré et non créé, consubstantiel au Père. » Les débats ne furent pas clos pour autant, notamment sur la validité du concept de consubstantialité. Certains empereurs, comme 0211.jpgConstance II et Valens, tendirent à une forme nuancée de l’arianisme, que condamna définitivement le concile convoqué en 381 à Constantinople par l’empereur Théodose. Mais entre-temps, la doctrine avait été transmise aux barbares Goths par Ulfila, l’un des leurs, initiée lors d’un séjour dans l’Empire romain d’Orient et qui, revenu chez les siens avec le titre d’évêque vers 350 leur avaient prêché l’Évangile traduit en langue gothique.

Sans doute cette traduction et la pratique du liturgie célébrée dans leur langue explique-t-elle le succès de l’arianisme chez les Goths, qui en firent un marqueur de leur identité et qu’ils transmirent, au rythme de leur migration vers l’ouest (jusqu’en Aquitaine pour les Wisigoths, en Italie pour les Ostrogoths), aux autres peuples barbares avec lesquels ils entrèrent en relations diplomatiques ou matrimoniales : Vandales, Suèves, Burgondes et même Francs.

Ce sont sant doute des émissaires goths, probablement ostrogoths, qui instillèrent l’arianisme à la cour de Clovis Ier, et obtinrent la conversion de Lantechilde, l’une des sœurs du roi franc. Toutefois, Grégoire de Tours raconte que celle-ci se convertit à la vraie foi sitôt après le baptême de son frère et qu’elle fut à cette occasion ointe du saint chrême. Il n’était pas nécessaire en effet qu’elle fut baptisée de nouveau puisque, comme tout arien, elle avait déjà subi le rituel de la purification. En revanche, il était essentiel que par l’onction, elle exprima son adhésion au Credo nycéen et au principe de l’égalité du Père, du Fils et de l’Esprit.

 

 

*relatif à la nature du Christ

**relatif aux liens existants entre les trois personnes de la Trinité

 

Source : Religions & Histoire N° 41

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9 juin 2014 1 09 /06 /juin /2014 08:01

Au début de 286, avant d'aller affronter les barbares du Rhin et de la mer du Nord, le César Maximien eut à combattre en Gaule des paysans et esclaves révoltés.


Mamertin, contemporain des événements et auteur des deux panégyriques de Maximien, en 289 et 291, évoque sans les nommer les monstra biformia qu'étaient ces rebelles, "laboureurs devenus fantassins, bergers mués en cavaliers", dévastant les campagnes 0207.jpgà la manière des barbares. Leur nom celtique de Bagaudes, peut-être dérivé de bagad, "combat", n'apparaît que dans la seconde moitié du IVe siècle, tant chez Aurelius Victor, pour qui les Gaulois appellent ainsi des bandes de paysans mêlés à des latrones, que chez Eutrope et dans la chronique de saint Jérôme, où les Bagaudes sont seulement des rusticani révoltés. Dans des textes hagiographiques beaucoup plus tardifs, les Bagaudes, paysans et esclaves soulevés par la misère et supposés chrétiens, réapparaissent : l'une des Passiones de Saint-Maurice-d'Agaune, abbaye située près d'Octodurum (Martigny), œuvre rédigée entre 475 et 500, ainsi surtout que la Passio des Saints Martyrs de la légion thébaine, écrite par Sigebert de Gembloux au XIe siècle, relient les Bagaudes à la présence du César Maximien dans les Alpes Pennines, à Octodurum : là, les soldats chrétiens de la légion thébaine, venue d'Orient, refusèrent de leur faire la guerre et furent exécutés sur l'ordre de Maximien, récit repris par l'auteur, au XIe siècle aussi, de la vie de saint Babelon, abbé de Saint-Maur-des-Fossés au VIIe siècle.

Si ces textes tardifs s'inspirent sûrement des souvenirs de la grande persécution contre les chrétiens, de 304 à 311, et de la grande révolte des Bagaudes du Ve siècle en Armorique et en Aquitaine, où ces rebelles avaient suscité la sympathie de saint Germain d'Auxerre et de Salvien, il reste que, d'une part, les noms des deux chefs bagaudes, Aelianus et Amandus, donnés par Aurelius Victor, Sigebert de Gembloux et l'auteur de la Vie de saint Babelon, sont reproduits par huit monnaies, d'authenticité douteuse cependant, et que, d'autre part, la Vie de saint Babelon mentionne un castrum bacaudarum dont huit documents des Ve-VIe siècle attestent l'existence à Saint-Maur-des-Fossés, sans qu'on puisse savoir s'il s'agit d'un fort occupé par les Bagaudes de 285-286 ou par ceux du Ve siècle.

Pour tenter de comprendre les Bagaudes, il faut se replonger dans la société gallo-romaine du IIIème siècle. À cette époque l’Empire a connu depuis longtemps son apogée et s’est replié sur des frontières plus faciles à défendre, le Danube et le Rhin. Mais sa richesse attire toujours autant les peuples voisins : à l’est, les Goths, allié envahissant, accentuent leur pression. Au sud, les Maures multiplient des razzias. Et à l’intérieur, l’instabilité gagne. Une période d’« anarchie militaire », se déroula suite aux assassinats des empereurs Sévère Alexandre en 235 et Carin en 285, année qui voit Dioclétien accéder officiellement au trône et restaurer la stabilité. Cette période d’un demi-siècle verra plus de 60 prétendants se disputer le pouvoir, lever des armées, annexer des provinces.

Entre 260 et 274, il existe même des « empereurs » gaulois dans une Gaule indépendante.

Les querelles de ces braves gens ruinent l’économie et affaiblissent le tissu social, tant à l’intérieur qu’aux frontières de l’Empire.

Les légions sont mobilisées pour s’entre-déchirer et la sécurité dans les campagnes n’est plus qu’un souvenir. Les raids germaniques de 276 et une piraterie croissante sur le littoral de la Manche conduisent à l’abandon de nombreux villages et la fuite des habitants vers les forêts. C’est dans les années 280 à 300, par exemple, que les ateliers de salaison installée sur le site de l’actuelle ville de Douarnenez (Finistère) cesse de fonctionner et que le sanctuaire gallo-romain du Haut Bécherel (Côtes-d’Armor), élevé à la fin du premier siècle, est abandonné et incendié. En 312, un notable d’Augustodunum (Autain, Saône-et-Loire), dans un discours voué à remercier l’empereur Constantin d’avoir allégé les impôts de sa ville, rappelle que nombres de ses concitoyens ont été réduits, dans les années précédentes, « à se cacher dans les bois ou même à partir pour l’exil ».

Cette crise politico-économico- militaire se déroule à un moment de mutation sociale. L’édit de Caracalla, en 212 a fait de tous les hommes libres de l’Empire des citoyens romains... mais pas égaux pour autant. En réalité, la société est, depuis longtemps déjà, scindée en deux. D’un côté, la classe des « honestiores » (sénateurs, chevaliers, militaires, fonctionnaires, prêtres et leurs familles) : ils détiennent les postes-clés, la richesse et le pouvoir. Leur position les exonère de l’impôt et leur permet d’être jugé par des tribunaux spéciaux. De l’autre côté, l’immense majorité de la population, les « humiliores » : est soumise à l’impôt, les corvées et les droits civils réduits. Il leur était interdit de détenir des armes, de changer de domicile ou de métier. Il existe enfin une troisième et une quatrième classe sociale, souvent négligées : celle des citoyens déchus pour dettes et celle des esclaves.Evariste-Vital_Luminais-Pillards_gaulois.jpg

                                          Pillards Gaulois, par Evariste-Vital Luminais


 Il est intéressant de préciser les régions gauloises concernées par ce soulèvement de petits paysans ruinés, d'esclaves et de colons des grands domaines émancipés à la suite des invasions du IIIe siècle, rusticani que vinrent rejoindre et encadrer des latrones et des soldats déserteurs, tels apparemment Aelianus et Amandus ? Comme les Bagaudes furent les premiers ennemis que combattit, pour gagner le Rhin, Maximien qui était à Mayence en juin 286, il est probable qu'ils sévissaient surtout dans les régions où débouchaient les routes qui, par les cols des Alpes et du Jura, menaient d'Italie en Gaule, régions d'ailleurs sillonnées par les invasions alamanniques depuis 254 et, en 186 déjà, par les bandes de l'ancien soldat Maternus, pillant les campagnes et même attaquant les villes. Là effectivement, le brigandage était endémique à la fin du IIIe siècle, attesté tant par un praefectus arcendis latrociniis institué par la cité de Nyon que par le nombre des trésors monétaires enfouis avec des monnaies terminales de Dioclétien-Maximien dans la région de Genève et, du côté gaulois, dans la Franche-Comté et les départements de l'Ain, de la Saône-et-Loire, de l'Yonne, de la Nièvre, enfin de l'Isère et de la Drôme, c'est-à-dire aux abords des routes allant d'Italie soit vers Lyon et Vienne, soit, par Besançon, vers Chalon-sur-Saône et Autun, d'où partaient les routes de l'Ouest et de la basse Seine, vers le castellum bacaudarum de Saint-Maur-des-Fossés, sur la Marne, à l'entrée de Paris.

Le vaste secteur routier d'au-delà des cols des Alpes occidentales devint le tractus de la Gallia riparensis organisé militairement en duché très tôt : d'après ce qu'il en reste dans la Notice des Dignités, il correspondait au débouché des routes alpines entre le lac de Genève et Marseille, la partie septentrionale dépendant d'un duc de Séquanique, lequel n'avait plus, alors, qu'une petite garnison à Besançon, comparable à celles de Milites distribuées dans les provinces des Lyonnaises à l'ouest de la Saône, sans doute parce qu'au cours du IVe siècle le brigandage était resté très actif dans la zone alpine et sa périphérie.

Maximien ayant soumit les Bagaudes en quelques mois, il reçut, dès avril 286, peut-être même plus tôt , le titre d'Auguste qui consacrait ses succès, il est probable néanmoins que cette rapide soumission fut incomplète et que le César se borna à rétablir des communications sûres dans la région de l'axe Rhône-Saône-Rhin, en guerroyant contre les bandes d'Aelianus et Amandus qui avaient réussi à s'imposer avec le concours des latrones locaux. Vaincus, les deux chefs bagaudes furent abandonnés par les rusticani, puisque Mamertin vante la clémence de Maximien envers ces misérables rebelles. Vainqueur, le César ne chercha même pas à atteindre, par les routes de l'Ouest qu'il avait rouvertes, le littoral gaulois dévasté par les pirates saxons et francs, dont Dioclétien avait confié la défense à un officier originaire de Belgique Seconde, le Ménape Carausius, probablement déjà investi par l'empereur Carin du commandement de ce tractus étendu aux côtes de Bretagne. Il s'empressa de pénétrer en Germanie Supérieure pour y lutter contre des barbares — Aelianus et Amandus avaient-ils essayé de les refouler ? — qui sont vraisemblablement des Alamans, car Maximien était à Mayence en juin 286.


Il est amusant de noter qu'à l'issue d'une des dernière bagaude menée en Gaule centrale en 448, par un médecin nommé Euxode, vaincu, celui-ci se réfugia à la cour d'Attila... 

 

Sources : www.theatrum-belli.com / Guerre et Histoire N° 18

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2 juin 2014 1 02 /06 /juin /2014 06:34

À la fin du IIIème siècle, Maximilien Hercule envoya à Agaune (aujourd’hui en Suisse) une légion venue de Haute Égypte pour renforcer l’armée impériale qui allait combattre en Gaule.

Le défilé rocheux d’Agaune était un endroit stratégique, conduisant au Grand Saint-Bernard et permettant de franchir les Alpes.

La légion était composée de chrétiens. Elle avait à sa tête un dénommé Maurice. Arrivé sur les lieux, Maurice reçu l'ordre de tuer les habitants récemment convertis au christianisme, d’une ville située aux abords d’Octodure (Martigny). Ce copte, fidèle à sa foi, refusa catégoriquement de ce livrer à un tel crime.

L’ordre fut alors donné de massacrer Maurice, ces officiers Candide et Exupère, ainsi que tous leurs soldats.0208c.jpg 

                          Le Martyre de Saint Maurice par Le Greco

               Peinture sur toile (1582) - Escurial, Monastère de San Lorenzo


 0208.jpg 

 

En 515, Sigismond établit officiellement à Agaune, une abbaye vouée à la laus perennis, la louange perpétuelle de Dieu, et aux cultes de Saint-Maurice et des martyrs de la légion thébaine. Auparavant, une basilique avait été fondée sur cet emplacement par Théodule, évêque du Valais qui, d’un songe, avait vu l’endroit où, reposaient les dépouilles de Maurice et ses compagnons.

Protégé par les souverains burgondes, les papes et les comtes de Savoie, l’abbaye reçut en don de précieux reliquaires qui constituèrent un trésor exceptionnel. Saint patron du Saint Empire romain germanique, saint-Maurice fut vénéré au Moyen Âge par les plus grands souverains d’Occident, pour lesquels il offrait le modèle idéal du chevalier chrétien.

Les pièces les plus spectaculaires du trésor sont celles du premier millénaire, qui n’ont plus d’équivalent en France pour les périodes mérovingiennes et carolingiennes. Parmi celle-ci, le vase dit de Saint-Martin, qui servit de reliquaires au sang des martyrs thébains, offre un rare exemple d’orfèvrerie de la période mérovingienne : il s’agit d’un magnifique vase de Sardoine antique qui fut remonté, probablement au début du VIème siècle, avec une monture de grenats cloisonnés réhaussé de saphirs et d’émeraudes.Vase St Martin

On trouve également une représentation de la scène du martyre de candide, reproduite sur la partie inférieure d’une magnifique pièce de métal représentant le beau visage (idéalisé) du saint.st-candide-face.jpg

 

 
Source : Grande Galerie, le journal du Louvre N° 27
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26 mai 2014 1 26 /05 /mai /2014 07:30

Le baiser


L’instant solennel du baiser est enfin arrivé. Ah, ce baiser ! On l’appelait encore la « petite bouche » : osculum. Chez les Romains, Ovide lui-même il décelait une atteinte à la chasteté des vierges. À l’époque de Willi, il est entré dans les mœurs. Oh, ce n’est pas un baiser sur la bouche à la façon d’Hollywood ! C’est une simple bise très pudique sur la joue, mais un acte capital.

Afin de protéger la femme de tous les harcèlements sexuels menus et grands dont les Franks étaient coutumiers, la loi salique frappée d’amende les coureurs de tous poils : pressez la main (ou simplement le doigt) d’une femme libre coûtait quinze sols d’or. Si la main de l’audacieux s’égarait au-dessus du coude, c’était trente-cinq sols, si elle avait explorer le sein de la dame, l’amende montait à quarante-cinq sols ! On imagine que voler un baiser était un délit ou... Un engagement.

L’empereur Constantin en 336 avait décrété que c’était un commencement de consommation du mariage. Willi et Dagoulf ont pu trouver la même idée dans le roman grec Les aventures de Leucippe et Clitophon (écrit un siècle et demi auparavant par Achille Tatios) : « la fiancée est déjà épouse par le baiser. » Pour les Mérovingiens, ce baiser furtif est, plus qu’une preuve de tendresse, un acte juridique exprimé de cœur et de bouche. Si Dagoulf était mort avant ce baiser, Willi n’aurait eu droit à aucune compensation. Maintenant, si Dagoulf disparaît pendant la période des fiançailles, la jeune fille gardera la moitié de sa « dotation ».

En tout cas, avec le paiement des arrhes, la signature de grands témoins du libelle de dot, la remise de l’anneau et le baiser, Willi a changé de famille.

Les formalités sont achevées. Chez les aristocrates riches comme Willi, elles sont suivies d’un banquet.

 

Le banquet


Notre informateur ne nous dit rien de la fête qui a, selon la tradition, suivi la cérémonie, mais, dans d’autres poésies, il nous a révélé quelques-uns des plats à la mode et « la charmante incertitude [devant] les mets [qui] se multiplient, se confondent et arrivent de tous les côtés. Lequel attaquait d’abord ? »

Dans un repas solennel comme celui de la jeune Parisienne, on peut servir des asperges bouillies arrosées de miel, des moules, un porc farci dont les quartiers sont « dressés en forme de montagne », en dessert, des crêpes -« de la farine, des eux battus dedans, des dates, des olives » -servies toutes brûlantes encore dans la poêle. Les dames boivent du vin cuit, les hommes ont un faible pour le « vin biturige », c’est-à-dire le Bordeaux, mais le poète, qui s’en désole, note que Dagoulf préfère la bière, une boisson obtenue avec des grains d’orge germés, grillés au feu de bois et macérés longuement dans l’eau.

Un romancier scrupuleux nourrit de tous les textes, de toutes les chartes, de toutes les Vies des Pères, des martyres et des confesseurs, lecteur attentif des miracles et observateurs de leur décor, n’aurait aucun mal à imaginer la scène à partir d’une poussière de détail, à travers des bribes de témoignages ou des comptes rendus de fouilles archéologiques. Il nous montrerait la « salle » (comme disent les Franks dans leur langue) avec les invités qui s’installa table, les esclaves, les vieux serviteurs portant fièrement la calotte ronde des affranchis, l’orchestre avec les joueurs de tibia et les harpistes qui commencent à zonzonner. Mais nous n’avons aucune indication sur le banquet des fiançailles de Willi. Disons simplement que ces festins étaient interminables. Commencés vers neuf heures du matin, ils pourraient se prolonger fort loin dans la nuit. Les jeunes gens avaient coutume de s’y déchaîner, d’y chanter d’« infâmes fescennies », c’était à qui racontera l’histoire la plus salace.

En revanche, notre poète nous révèle que les fiançailles de la jeune Parisienne ont duré un an.

 

Le mariage


Willi a donc quatorze ans lorsqu’elle se marie dans le Poitou. Un mardi soir ou un jeudi à la tombée de la nuit, si la tradition a été respectée. Insistons, c’est une petite cérémonie que le mariage. La famille de la jeune fille offre une dote à la veille des noces, c’est sa contribution au patrimoine du ménage. Puis on rédige un autre acte, la carta traditionis, c’est-à-dire la « charte de la remise de la fille » (traditio puellae), les assistants prennent part ensuite à un banquet, offert cette fois par la famille poitevine. Enfin, coutume ultime, le franchissement du seuil de la chambre. Hymen, Ô hyménée. Curieusement, ce n’est pas dans les bras de son mari que la jeune épousée accomplie ce dernier rite mais porté par un de ses proches parents. Enfin, écrit sans détour notre poète informateur :

_Elle joint son corps à lui dans le lit conjugal, mais plus que son corps, elle lui donne son cœur.

Après la nuit de noces, la jeune Mérovingienne reçoit en échange de sa virginité, selon la tradition des Franks, un « don du matin ». Nous ne savons pas si Willi a reçu un don de son mari poitevin. Par rapport aux fiançailles si importantes, cette cérémonie marque surtout la consommation de l’union.

 

Le mariage est civil


N’y a-t-il donc pas de prêtre, ni aux fiançailles ni au cours de cette cérémonie sommaire0205.jpg ? Non. Si le mariage, en tant qu’institution, intéresse l’église qui égrène interdit et quart d’inceste, il n’est pas encore considéré comme le VIIème sacrement et le mariage religieux n’existe ni chez les Romains, ni chez les Mérovingiens, ni chez les Carolingiens. En 866 encore, le pape Nicolas Ier l’écrira : « la bénédiction nuptiale avec le voile n’est pas nécessaire. Il n’y a d’essentielles que le consentement mutuel entre époux. »

Le mariage est donc civil. Le libelle de dot de Willi a été enregistré à la municipalité aux Gesta municipalia. Mieux : il est conseillé de remplacer le notaire par le premier magistrat de la ville, le defensor, et la cérémonie bénéficie alors d’un lustre officiel.

Dans des familles pieuses comme celle de Dagoulf et de Willi, l’union des jeunes gens a pu être néanmoins couronnée par une bénédiction. Le poète ne nous le dit pas. En ce cas, Willi les cheveux couverts d’un voile rouge, sera allé s’agenouiller avec Dagoulf sous un petit drap blanc – la palla -tendu par quatre témoins. Ainsi faisaient et font les juifs.

 

La vie de Willi


Le mariage est heureux, la conversation des jeunes gens est une fête de bons mots, Willi et généreux et secours les pauvres, mais la première année se passe sans grossesse. La deuxième année, Willi à des espérances et elle a dix-sept ans lorsqu’elle accouche. C’est le moment le plus dangereux de la vie d’une femme du VIème siècle, il est fatal à la petite parisienne qui aimait tant rire.

_ Elle était dans sa fleur et le temps pouvait attendre mais une fin prématurée brisa cette vie décente, nous dit le poète.

Le nouveau-né, un garçon, lui survivra pas et l’écrivain à ce mot terrible : « il était né dans la bouche de la mort. » C’est par le chant funèbre commandé par Dagoulf au poète Venance Fortunat que nous connaissons la petite parisienne à « la silhouette tendre ». Le mari se consolera à la bière. Ce qui lui vaudra plus tard cette apostrophe amicale de notre poète qui était italien et aimait le bon vin : « Que la triste cervoise et les impuretés qu’elle dépose fassent crever Dagoulf. Qu’il en devienne hydropique ! Que celui qui empoisonna ainsi l’eau naturelle ne rafraîchissent son stupide gosiers que de cette désagréable boisson. »

 

Source : Les Mérovingiennes, Roger-Xavier Lantéri  éd. Perrin

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22 mai 2014 4 22 /05 /mai /2014 17:37

La toilette


Notre informateur est muet sur la fête même des fiançailles de la connaît suffisamment pour la raconter. La toilette de Willi d’abord.

Les cheveux sont encore un élément majeur de la parure féminine (ce sont les siècles futurs qui les camoufleront en les accusant d’attiser la concupiscence des mâles). Aux jours ordinaires, la chevelure dénouée de Willi se déploie, ample, sur ses épaules. Aujourd’hui, le rite impose la coiffure à six nattes nouées par un fil rouge. La couleur du0206.jpg mariage n’est pas le blanc comme aux temps modernes mais le rouge. Willi offre donc à ses invités un visage souriant entre des petites tresses blondes ceinturées par un galon brodé d’or, une vitta (elle prononce «houitta »). Ce serre-tête qui ressemble, en plus riche et en plus mince (moins d’un centimètre), à celui que porteront les joueuses de tennis des temps modernes est la coiffure caractéristique de la Mérovingienne. Si Willi suit la toute dernière mode, des boucles en or, triangle incrusté d’une verroterie, pendent à ses oreilles. La tunique de soie brodée de fils d’or est retenue à l’épaule par une petite fibule d’or ou d’airain doré avait haussé d’un grenat. Le col est ouvert sur le devant par une fente verticale. Un très long collier de perles de verre multicolore descend jusqu’à la ceinture. Le soleil fait chanter au poignet la dorure d’un fin bracelet de bronze moulé. Voilà pour le costume et la mode du VIème siècle. Place aux formalités des accordailles.

 

Le « libelle de dot »


la cérémonie doit être publique. Avec les fiancés, avec les parents, il y a ici un notaire. Et des invités qui seront les indispensables témoins. C’est une des grandes coutumes d’origine germanique donnée à la France moderne par les Mérovingiens (avec eux l’audience publique des tribunaux).

Le notaire a déjà couché sur un papyrus ce qu’il nomme le « libelle de dot » (libellus dotis) et il en donne lecture. Willi reçoit une donation de son futur mari. Nous touchons là un bel exemple de fusion des cultures : la « dote du mari » des Germains dont parle déjà Tacite et la « donation avant noces » des Romains se confonde peu à peu dès l’époque de Willi et Dagoulf. Dans cet acte, les témoins sont cités et toutes les clauses révélées. Nous possédons par chance une formule type de ce libelle. Il est bref, quelque cent soixante-dix mots, mais considérable par sa signification juridique. Grâce à ce texte, Willi échappe désormais au sort des concubines. Elle pourra prouver, le cas échéant, qu’elle est une épouse légitime.

Nous ne connaissons pas la dote reçue par Willi. Chez les gens riches du VIème siècle, le fiancé offre une terre, quelquefois une villa, une maison, un moulin, des esclaves ou un troupeau de bœufs, de porcs, de moutons ou de chevaux. Chez les gens modestes, c’est un vêtement. Le code Théodosien ordonnait de mettre par écrit tout ce que le futur mari voulait donner à sa fiancée avant le jour des noces, et naturellement Dagoulf s’y conforma. Cette dot est la propriété personnelle de Willi. La loi ripuaire qui s’applique aux Franks du Rhin spécifie que ces biens reçus par la fiancée « restent à perpétuité entre ses mains », qu’elle peut « en faire ce qu’elle veut, les consommer, les vendre, les échanger, les donner ». En clair, c’est le moyen de subsistance de la femme en cas de décès du mari.

Mais comment faisait donc une épouse pauvre quand sa famille n’avait pas eu les moyens de s’offrir un notaire et du papyrus, ce qui était tout de même le cas le plus banal ? Elle réunissait les témoins qui juraient sous serment qu’elle avait bien été unie légitimement grâce à une donation, qui n’était souvent pour elle que symbolique. Mais ce symbole était si important que le roi de Tolède, Recceswinthe, édictera, quelques décennies plus tard, au VIIème siècle, la loi : « sans dot, pas de mariage. »

À la lecture du libelle, le vrai nom de la jeune fille est apparu Willithéouta. Si le premier élément, Willi, est devenu Guille en français, comme dans Guillemette ou Guilloton, Willithéouta, forme rare qui signifiait « peuple-volonté », n’a pas fait souche. Les Franks avaient le génie de casser leur nom à deux éléments en ne conservant que le premier, et surtout ils adoraient s’appeler par de petits « nom de caresse », Bobo, Dodo, Gogo, Rago, Sata... Comme les Anglo-Saxons modernes qui préfèrent Bill, Bob, Dan, par William, Robert ou Daniel. Suivons la coutume du temps et laissons à notre parisienne son nom usuel de Willi. Qu’elle conservera même après son mariage, car la Mérovingienne (comme la romaine) ne renonce jamais à son nom.

Apparaît aussi l’âge de l’adolescente : treize ans. Là encore des modernes s’étonneront, n’est-ce pas un peu jeune ? Non pour l’époque. Douze ans, treize ans, ce n’est pas exceptionnel pour des fiançailles. On n’en a conclu que les filles étaient nubiles (nuptiabilis) plutôt qu’à l’époque moderne, que la croissance s’achevait plutôt qu’aujourd’hui.

Que se passera-t-il si Dagoulf veut casser les fiançailles ? Il devra verser une indemnité (dite « composition ») de soixante-deux sols d’or et demi. Dagoulf de cassa pas ses fiançailles.

 

Les cadeaux


Chez les Franks traditionalistes, on accompagnait la signature du « libelle de dot » d’un geste coutumier : on jetait un fétu de paille (ou plutôt une baguette) et l’on remettait un objet à la fiancée. Dagoult le Poitevin a sans aucun doute respecter une tradition gauloise en offrant à Willi une paire de chaussures (calciamenta) ou des chaussons fabriqués avec art, damasquinés et décorés par exemple de petites appliques en forme de croissant de lune. Un homme riche comme lui a pu ajouter des bijou. Nul doute que les invités ont reçu aussi des cadeaux, par exemple des friandises. Non pas des bonbons car, en ce temps, le sucre n’avait pas été inventé, mais des gâteaux au miel ou d’autres douceurs.

 

L’anneau de la promesse


Willi tend la main et Dagoulf passe à son doigt un anneau d’or (chez les pauvres, il est de fer). On le nomme annulus fidei, ce qui signifie à la fois anneau de la promesse, de la parole donnée, de la confiance et de la fidélité.

_ C’est le gage de l’union des cœurs, dit un contemporain de Dagoulf et Willi, l’érudit Isidore de Séville.

Que le moderne ne voit pas dans cet « anneau de la promesse » notre bague de fiançailles, il est l’équivalent de notre alliance. C’est la seule bague que reçoit la femme qui se marie. Elle est si importante que les Gotes qui habitent le futur Languedoc n’en portent jamais d’autres.

Remarquons qu’il n’y a pas eu d’échange. Seul Dagoulf a remis un anneau. Juridiquement, cela signifie : « Willi a bien reçu des arrhes. » C’est la confirmation visuelle qu’elle est engagée. Elle conservera jusqu’à la mort quelle que soit l’avenir, en cas même de divorce, de séparation, de répudiation. Si, par inconstance, il prenait au jeune homme l’envie de promettre le mariage à une autre femme, il tomberait sous le coup de la loi (chez les Lombards, de l’autre côté des Alpes, il en coûte beaucoup moins d’assassiner un homme et même deux -cent à deux cents sols par tête  - que d’abandonner une fille à qui on a remit l’anneau, quelle que soit la qualité de la fiancée. L’amende est colossale :cinq cents sols or).

C’est au IVème doigt de la main gauche que Willi et les Mérovingiennes de toute origine portent l’anneau de promesses. Pourquoi ? Parce que l’on était persuadées qu’une veine passait dans ce quatrième doigt et qu’elle montait directement au cœur. Isidore de Séville le prétend, à la suite de quelques écrivains de romains. Les modernes qui portent leur alliance à l’annulaire se doutent il est qu’ils obéissent à cette superstition antique ?

 

Source : Les Mérovingiennes, Roger-Xavier Lantéri  éd. Perrin

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18 mai 2014 7 18 /05 /mai /2014 17:57

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

CHAPITRE VIII. — VÉRITABLE CARACTÈRE DE LA CONQUÊTE DE L’EMPIRE ROMAIN PAR LES BARBARES.

 

Causes diverses de rapprochement entre les Romains et les Barbares : 2° le réveil de l’esprit national dans les provinces, notamment dans la Gaule, 3° le christianisme.

 

La Gaule fournit un remarquable exemple de cette résurrection de l’esprit national étouffé par la conquête romaine. C’est surtout dans son histoire qu’il faut étudier le mouvement de réaction contre l’autorité impériale et en suivre les progrès[17]. Soumis par César, façonnés par Auguste aux moeurs, aux lois, aux institutions de Rome, les Gaulois ne cessèrent jamais de conserver un certain esprit d’indépendance, un caractère indomptable[18]. La facilité avec laquelle ils adoptèrent la civilisation romaine et se l’approprièrent a pu faire illusion à certains historiens. Les villes, dont la prédominance sur les campagnes est un fait constant, avéré dans l’Empire[19], se modelèrent bien vite sur la métropole ; leurs palais, leurs écoles, leur administration, leur organisation, les embellissements dont elles se parèrent, rappelaient en tout le luxe et l’éclat de la capitale, mais le fond même de la population n’est point devenu aussi romain qu’on a voulu le dire. Le vieil élément celtique se maintint en dépit de la fusion des deux races et chercha constamment à reconquérir le premier rang.

Les révoltes de la Gaule furent perpétuelles ; elles commencèrent sous Tibère, par le soulèvement du Trévère Julius Florus et de l’Éduen Sacrovir[20], et se continuèrent durant les quatre premiers siècles de l’Empire, n’attendant qu’une occasion favorable, saisissant le moindre prétexte, profitant de tous les embarras de Rome. Les chefs de ces révoltes faisaient toujours valoir les mêmes griefs, c’est-à-dire l’aggravation des impôts, l’insolence et la cruauté des gouverneurs romains, la supériorité de la race gauloise sur la race latine[21]. Dès l’époque de Vindex, dont le nom même semblait un symbole de la revendication de l’autonomie gauloise, on voit surgir le projet d’un empire national des Gaules (imperium Galliarum)[22]. La fondation de cet empire, substitué à celui de Rome, est la préoccupation constante des patriotes de la Gaule, leur grand moyen de popularité. Ils répètent partout les prophéties des druides promettant aux nations transalpines le sceptre de l’univers et l’héritage des Césars[23].

Les échecs successifs de Vindex, de Julius Sabinus, de Clodius Albinus élevés à l’empire et traités d’usurpateurs parce que la fortune trahit leurs efforts, ne découragèrent point les Gaulois. La période des trente tyrans, période de confusion et d’anarchie qui succéda aux désastres et aux turpitudes du règne de Gallien, fournit à la Gaule une nouvelle occasion d’attester son esprit d’indépendance, sa prétention de disposer de la couronne impériale et de donner ainsi des maîtres à Rome dont elle ne pouvait parvenir à secouer le joug[24]. Les deux Posthumus, Lollianus, Marius, les deux Victorinus, les deux Tetricus, Saturninus, étaient tous des Gaulois ; parmi les usurpateurs qui furent alors salués empereurs et revêtus de la pourpre, on en compte jusqu’à neuf originaires des Gaules. La plupart appartenaient aux armées où ils avaient fait leurs preuves et contribué puissamment, à la tête des légions, à repousser les Barbares. Les Gaulois passèrent toujours aux yeux des Romains pour les sujets les plus inquiets, les plus turbulents de l’Empire, pour de véritables révolutionnaires[25]. C’est le témoignage que leur rendent tous les historiens latins, sans excepter Tacite[26]. Leurs révoltes avaient paru à tous les empereurs plus dangereuses que celles des autres provinces ; aussi les avaient-ils combattues avec une vigueur exceptionnelle et affectaient-ils d’en triompher comme ils triomphaient des ennemis extérieurs. L’importance de la Gaule pour Rome était manifeste ; elle reculait la frontière romaine jusqu’au Rhin et lui faisait contre la Germanie un plus solide rempart que les Alpes. Le génie politique de César lui avait révélé qu’elle serait un jour le théâtre des luttes du monde romain et du monde germanique[27].

Les Gaulois trouvèrent dans les Germains des alliés naturels contre Rome et le despotisme impérial. Les rapports constants qui s’établirent entre les habitants des deux rives du Rhin favorisèrent une entente commune. Dans la terrible révolte de Civilis, les Gaulois combattaient à côté des Bataves et dans les mêmes rangs. Les usurpateurs gaulois établirent et maintinrent leur pouvoir avec le secours des Francs et des Barbares d’outre-Rhin dont se recrutaient les armées romaines[28]. Les dévastations régulières et périodiques auxquelles la Gaule fut soumise à partir du IIIe siècle durent contribuer singulièrement à réveiller le sentiment national, à grouper les forces du pays ; mais les Gaulois se battaient moins pour Rome que pour eux-mêmes ; le mal que leur faisaient les Barbares n’était pas comparable aux humiliations, aux vexations, aux tortures, aux spoliations de tous genres que leur infligeait le gouvernement romain. Ils en concevaient une vive et profonde irritation ; lorsqu’ils comparaient leur sort à celui des Germains, leur servitude à la liberté dont jouissaient les Barbares, ils se sentaient attirés vers eux, faisaient des voeux pour leur succès et étaient disposés à les considérer comme des libérateurs[29]. Le long et éloquent réquisitoire de Salvien contre les vices des Romains et de leur administration n’est que l’expression du sentiment général dans les Gaules[30]. L’horreur qu’inspirait alors ce titre de citoyen romain, autrefois envié de tout l’univers et devenu un véritable objet d’exécration pour le malheureux qui le traînait comme un boulet, nous donne la mesure du degré d’exaltation où en étaient venus les esprits. Ces bandes armées de paysans, désignées sous le nom de Bagaudes, c’est-à-dire de rebelles[31], qui vivaient dans les bois et se livraient au brigandage, finirent par devenir une classe séparée de la nation, un élément perpétuel de guerre civile, et populaire[32]. On eut beau les traquer comme des bêtes fauves, étouffer leur révolte dans le sang[33], ils renaissaient sans cesse de leurs cendres, se grossissaient de mécontents de tous les partis et de tous les rangs de la société. Vers la fin du IVe et le commencement du Ve siècle, ils couvraient une partie non seulement de la Gaule, mais encore de l’Espagne.

Toutefois, cette protestation publique et manifeste contre la domination romaine ne prit un caractère vraiment efficace que le jour où les Barbares eurent occupé une partie du sol de la Gaule et où Rome elle-même, impuissante à maintenir son autorité, se vit obligée de se replier. La Grande-Bretagne, la Gaule furent successivement évacuées par les légions ; le gouvernement et l’administration se retirèrent après les troupes, abandonnant les anciens sujets de l’Empire à leurs propres ressources[34]. Profitant de cette désertion, de cette retraite, forcée sans doute, mais anticipée du gouvernement romain, les cités gauloises, les cantons s’organisèrent eux-mêmes, levèrent des milices, créèrent un gouvernement, une administration locale, se détachèrent complètement de la métropole et agirent isolément, chacun pour son propre compte, se préparant à repousser les Barbares ou à aller au-devant d’eux[35]. Déjà, sous le règne d’Honorius, les assemblées provinciales des Gaules avaient pris une nouvelle importance et vu s’élargir le cercle de leurs attributions politiques. En vertu d’un édit d’Honorius, daté du 17 avril 418[36], le préfet des Gaules devait convoquer annuellement à Arles une assemblée générale, composée des juges et autres officiers dans les sept provinces[37], ainsi que des notables et des députés des propriétaires territoriaux, pour y délibérer pendant un mois (du 13 août au 13 septembre) sur les moyens les plus propres à survenir aux besoins de l’État et en même temps les moins préjudiciables aux intérêts des propriétaires. C’était surtout en vue des nouveaux impôts exigés par les nécessités de la situation, que l’empereur décrétait la convocation périodique et régulière des assemblées provinciales, mais ce n’était pas moins une concession faite à l’esprit de liberté qui travaillait cette partie de l’Empire et tendait à s’y développer de plus en plus.

Le pays armoricain, la Bretagne actuelle, où s’était réfugié le druidisme, après la conquête romaine, fut un des premiers à proclamer son autonomie, à refuser la soumission et l’obéissance aux magistrats romains et à se constituer en république indépendante[38]. Le fait est incontestable, malgré les objections et les critiques de Montesquieu ; l’abbé Dubos ne l’a point inventé ; il nous est attesté par les contemporains eux-mêmes[39]. La confédération armoricaine fut une ligue pour la défense nationale de la Gaule et l’expulsion des étrangers, soit romains, soit barbares. Elle n’atteignit point le but qu’elle s’était proposé, mais sut affirmer et maintenir son indépendance pendant plus d’un demi-siècle, au milieu des bouleversements incessants dont la Gaule fut alors le théâtre : elle essaya de grouper autour d’elle les populations les plus voisines de la Bretagne, principalement celles du littoral, et ne fit sa soumission aux Francs que sous le règne de Clovis, après avoir épuisé les moyens de résistance et obtenu les conditions les plus favorables. Il n’est pas sans intérêt de remarquer que cette même province de Bretagne, si jalouse de sa liberté et de son autonomie dès le temps des Romains. a gardé dans le cours de notre histoire le même caractère, la même fidélité à sa langue, à ses usages, à ses institutions, ne s’est laissé annexer à la monarchie française qu’en stipulant des garanties spéciales pour le maintien de ses prérogatives et n’a jamais cessé de lutter contre les empiétements du pouvoir royal, contre les abus de la force, quels qu’ils fussent, et de donner les plus nobles exemples de dévouement à la patrie.

La Gaule, détachée de Rome, vaincue par les Barbares, n’en conserva pas moins la tradition romaine. Là, comme dans les autres provinces de l’Empire, plus que partout ailleurs ; la domination des Romains, quatre fois séculaire, avait jeté de profondes racines, laissé des traces ineffaçables. La population gallo-romaine, mélange de la vieille race gauloise et du peuple conquérant, ne s’identifia jamais d’une manière aussi complète avec les nouveaux vainqueurs : elle demeura romaine par la filiation, par le sang, par les lois, par la langue, par les idées. C’est le jugement qu’a formulé de nos jours un de nos plus illustres historiens, M. Augustin Thierry[40]. Les Germains, qui avaient pénétré la société romaine, avant de substituer leur autorité à celle de l’Empire, devaient subir le prestige d’une civilisation qui s’imposait à eux par sa supériorité comme elle s’était imposée au monde ancien, d’une puissance qui, malgré ses faiblesses, ses vices et ses fautes nombreuses, avait lutté victorieusement pendant plusieurs siècles contre tous les éléments de dissolution qu’elle renfermait, en même temps que contre les invasions, faisant face aux ennemis du dedans et du dehors, soutenue jusqu’à la fin par son admirable organisation militaire, dans laquelle les Barbares tenaient eux-mêmes une si grande place[41]. Ces derniers n’arrivèrent donc point comme des inconnus, comme des étrangers, comme de sauvages conquérants habitués à ne rien respecter. Ils avaient fait l’apprentissage de la vie policée, s’étaient façonnés au contact perpétuel des Romains, soit en les combattant, soit en se mêlant avec les habitants des provinces, dont l’ensemble n’était déjà que la réunion des éléments les plus hétérogènes. Les Barbares, comme l’a si bien dit M. de Chateaubriand[42], avaient pris possession de la terre romaine avec l’épée et la charrue avant de la conquérir.

 

[17] Amédée Thierry, Histoire des Gaules sous l’administration romaine.

[18] Lehuërou, Institutions mérovingiennes, liv. I, c. IX.

[19] Guizot, Histoire de la civilisation en Europe, 2e leçon.

[20] Tacite, Ann., lib. III, c. XL.

[21] Tacite, Ann., lib. III, c. XL.

[22] Tacite, Hist., lib. IV, c. LIX.

[23] Tacite, Hist., lib. IV, c. LIV.

[24] Lehuërou, Institutions Mérovingiennes, liv. I, c. IX.

[25] Trébellius Pollion, Triginta tyranni, c. III (De Posthumio). — Vopiscus, Vita Saturnini, c. I. — Ammien, lib. XXX, c. X.

[26] Tacite, Germania, c. XXIX.

[27] Lehuërou, Institutions Mérovingiennes, liv. I, c. I.

[28] Trébellius Pollion, Triginta tyranni. — Ibid., In Gallieno.

[29] Salvien, De gubernatione Dei, lib. V.

[30] Salvien, De gubernatione Dei, lib. V.

[31] Salvien, De gubernatione Dei, lib. V.

[32] Sismondi, t. I, c. 1, p. 31.

[33] Paneg. vet., Mamertinus Maximiano Augusto, c. IV.

[34] Guizot, Histoire de la civilisation en France, 2e leçon.

[35] Zosime, lib. VI, c. V.

[36] Wenck, Cod. Théod., lib. V priores, append. III, p. 382.

[37] Les Sept Provinces formaient une des divisions administratives de la Gaule à l’époque de la Notitia. Elles comprenaient : la Viennoise, la Première et la Deuxième Aquitaines, la Novempopulanie, la Première et la Deuxième Narbonnaises, les Alpes maritimes, et se trouvaient placées sous la juridiction d’un vicaire spécial, Vicarius septem Provinciarum, relevant lui-même du Préfet du Prétoire des Gaules. (Voir Notitia Dignitatum, édit. Böcking, t. II, p. 71-73.)

[38] Zosime, lib. VI, c. V.

[39] L’abbé Dubos, liv. IV, c. VIII.

[40] Récits des temps mérovingiens, Préface.

[41] Guizot, Histoire de la civilisation en Europe, 2e leçon.

[42] Études historiques, premier discours, exposition.

 

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17 mai 2014 6 17 /05 /mai /2014 17:57

Un mariage vers 570


Willi, c’est une petite Parisienne maigrichonne qui aime bavarder et rire à tout bout de champ. Bien sûr, le poète qui nous informe emploi des expressions plus distinguées : « Jamais nuage n’assombrit son front. » Cette adolescente est née au milieu du VIème siècle, et il a fallu bien des hasards et de biens étranges chemins pour que le rire de cette jeune fille parvienne jusqu’à nous après avoir dormi des siècles dans les rouleaux d’archives. Entendu par un poète, le rire juvénile de Willi a été confié par lui à un fragilefemme-mérovingienne papyrus, puis recueilli par des scribes, puis consigné sur parchemin par des moines, puis il a volé aux quatre vents de l’Histoire, de Poitiers à Metz, de Corbie à Saint-Pétersbourg, de Paris aux caves de la bibliothèque du Vatican où, en l’an 2000, on peut le retrouver sur quatre manuscrits grignotés par le temps. Le rire, les jours et les nuits d’une parisienne en cent soixante vers. Les misères aussi.

Cette jeune fille au caractère heureux à 13 ans et c’est aujourd’hui la fête de ses fiançailles, le plus beau jour de la vie d’une Mérovingienne. Les fiançailles sont plus importantes que le mariage lui-même, au point que le mot fiançailles qui se disait sponsalia est devenue en français « épousailles ».

Willi à la silhouette souple, un corps délicat, « tendre » (forma tenera, en latin). On s’attendrait qu’en ces temps dits barbares, un écrivain mit en relief des traits plus rustiques, une beauté vigoureuse, du biceps, de la poigne, ou du moins des chaires rondes, des hanches larges modelées pour la maternité... Eh bien, non ! Willi, fille du VIème siècle, à la souplesse gracile d’un personnage d’Alfred de Musset. Et le poète insiste : le caractère de l’adolescente est particulièrement « doux » et « la joie, répète-t-il, illumine son visage ».

L’écrivain se complaît à esquisser le portrait de la petite fiancée en se cantonnant dans un flou très artistique : « elle est dans sa fleur », « elle est plus belle que toutes les autres de sa race », « son coup à la blancheur du lait » et, bien évidemment, « son teint est de rose ». Cliché de tous les temps. Il semble plus précis sur le statut social de Willi : «Son sang est noble et sa race barbare. » Son père et sa mère étaient des Franks, sûrement l’une de ces grandes familles militaires qui entouraient Childebert Ier, fils de Clovis, roi de Paris de 511 à 558 et fondateurs, sur la rive gauche de la Seine, d’une église dédicacée à Saint-Vincent qui deviendra Saint-Germain-des-Prés.

Malgré ses rires sonores, tout n’a pas été rose dans la vie de Willi. Son père et sa mère sont morts et l’orpheline a été recueilli par sa grand-mère. La vieille dame, qui est fort riche, à couvé l’enfant dont le destin lui confiait la garde et elle a veillé à ce qu’elle reçoive une excellente instruction classique en latin. Détail que devraient méditer les cacatoès qui répètent que les francs étaient uniquement des soudards farouches et incultes. La vérité est plus nuancée : les écoles municipales ayant pratiquement disparu au nord de la Loire, faute de subventions, les maîtres sont passés au service des grandes familles.

Notre informateur poète assure que c’est Willi qui a choisi son fiancé. Soyons sceptiques. Aussi bien chez les Franks que chez les Gaulois romanisés, les fiançailles scellaient l’union de deux familles à travers l’union de deux êtres. Les parents arrangeaient les moindres détails et une fille avait besoin du consentement de son père. Willi étant orpheline, c’était à sa grand-mère de prendre la décision. Si l’on devait s’en tenir à la lettre, personne, pas même le roi, ne pouvait forcer une fille à épouser un prétendant qu’elle ne désirait pas. Mais les familles engageaint garçons et filles dès l’enfance et, au début du VIIème siècle, le roi Clotaire II (le père de Dagobert) dut rappeler qu’il était interdit de contraindre une femme non consentante. Preuve que les familles passèrent outre à la volonté de la fille (et de la veuve aussi).

Mais peut-être le poète a-t-il voulu dire que Willi se mariait par amour. Après tout, elle avait pu connaître son fiancé à Paris ou au cours de vacances dans le Poitou. Car celui-ci appartenait à une grande famille gauloise de la civitas de Poitiers et, comme tous les jeunes gens bien nés, soucieux de mode, il s’était doté d’un nom frank qui sonnait bien : Dagoulf. Ce qui signifie « loup de jour » ou, si l’on préfère, « loup de lumière ». Un nom particulièrement noble. Le poète qui nous a guidé n’a pas manqué de le souligner : Dagoulf était de « haute noblesse ». C’est sans doute excessif mais, quoi qu’il en soit, Dagoulf était un aristocrate.

Ces fiançailles d’une Franke et d’un Gaulois poitevin sont exemplaires. Elles nous confirment qu’il n’est pas de barrière entre les diverses « nations » du royaume (selon le mot utilisé alors pour désigner les ethnies : les gens « nés » de mêmes ancêtres) et elles illustrent l’amalgame des traditions particulières. L’époque mérovingienne est une époque de fusion et c’est la France qui lentement se forge.

 

Les arrhes de la fille


Dagoulf et sa famille ont déjà versé les « arrhes de la fille » (arrha puellae) pour avoir Willi. À partir de l’acceptation par la grand-mère, nul ne pouvait reprendre sa parole. Un chroniqueur nous fournit le cas d’un certain Leobhard, vers 570 au moment même où Willi se fiance) : « lorsqu’il fut parvenu à l’âge convenable, ses parents le poussèrent à donner les arrhes de la fille selon l’usage du monde. Promettant ainsi de prendre plus tard celle-ci pour épouse. Son père avait réussi sans difficulté à convaincre son tout jeune fils de faire ce qui était contre sa volonté. »

On racontait aussi l’aventure d’un arriviste marseillais, Andarchius, ancien esclave qui avait des vues sur une riche héritière du Velay et d’Auvergne, fille d’un gros propriétaire terrien nommé Ursus (dont le nom est resté dans Orcival et Urçay). Fort en mathématiques, grand lecteur de Virgile, expert en droit, Andarchius est sûr de se faire éconduire par le père et il réussit à circonvenir la mère de la jeune fille en lui confiant une cassette :

_Elle contient, assure-t-il, seize mille sous d’or.

La mère, par sottise, accepte la cassette. Comme prévu, le père refuse sa fille. L’affaire s’envenime au point de monter jusqu’au roi qui décrète qu’Andarchius doit recevoir ou la riche héritière ou seize mille sous d’or. Sinon, tous les biens d’Ursus seront remis à l’ancien esclave. C’est ce qu’il advient. Cas limite qui se conclut dans le sang par l’assassinat du prétendant.

La lectrice moderne se récrira :

_ Eh quoi, chez les Mérovingiens, la fille était donc une marchandise ? Une chose qu’on achète et qu’on vend ?

Pas vraiment. Willi est sous l’autorité de sa grand-mère (habituellement de son père, mais dans notre cas il est mort). C’est cette autorité que le fiancé achète. On peut avancer aussi que Willi conservera les arrhes en cas de rupture ou de mort du fiancé. Mais on est en réalité dans l’univers des symboles et, depuis un siècle déjà, chez les franks, le père d’une vierge se contente la plupart du temps de recevoir un sou d’or et un denier d’argent. Sur les bords du Rhin, comme on manque d’or, les arrhes sont en argent et l’on ne donne pour une vierge que treize deniers. Dans l’un et l’autre cas, le poids est vérifié par trois témoins :

_ Ces pièces sont recevables.

 

Source : Les Mérovingiennes, Roger-Xavier Lantéri  éd. Perrin

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