Les Armoricains de l’époque romaine appréciaient particulièrement les coquillages marins, ces « fruits de mer » dont on pouvait, sans trop de peine, faire une abondante cueillette dans les estrans mis à nu par le reflux de la marée. Tous les établissements romains de la région livrent en effet d’appréciables quantités d’écailles rejetées après consommation, les espèces les mieux représentées étant les patelles, les moules (Mytilus edulis) les palourdes, les ormeaux (Haliotis tuberculata), les oursins (Paracentrotus lividus), les bigorneaux (Gibbula magus, Littorina obtusata), les olives de mer (Tellina tenuis, Donax vittatus) et surtout les huîtres dont raffolaient des Gallo-romains. Certaines de ces espèces - les pourpres, en particulier - peuvent avoir servi à la confection de colorants, mais il est indéniable que la plupart de ces coquillages étaient destinées aux plaisirs de la bouche. Au Ier siècle de notre ère, Strabon vantait déjà les huîtres de l’étang de Berre et Pline celles du Médoc, tandis qu’au IVème siècle le bordelais Ausone chantait - avec des raffinements dignes du plus fin des gastronomes - les diverses espèces croissant en Gaule : À mon avis, les meilleurs de toutes, nourrissons de l’océan médocain, ont porté le nom de Bordeaux, grâce à leurs admirateurs, sur la table des Césars, les a rendus aussi fameuse que notre vin... Elles ont la chair grasse et blanche, un jus doux et délicat, où une légère saveur de sel se mêle à celle de l’eau marine. Derrière elles, mais très loin, viennent celle de Marseille... Il y a des amateurs pour les huîtres de la mer armoricaine, pour celle que ramasse l’habitant de la côte des pictons (Epist. IX).
La découverte de très nombreuses valves d’huîtres dans les villes et les villae de l’Armorique romaine - dix kilos dans un seul dépotoir à la villa de Kervenennec en Pont-Croix (Finistère), par exemple - montre à l’évidence que les Armoricains partageaient les goûts du poète en ce domaine, et que ces mollusques n’étaient pas seulement dégustés dans les établissements proches des côtes, mais aussi dans les agglomérations situées à l’intérieur des terres - ainsi Rennes ou Carhaix - vers lesquels elles étaient transportées par route, sans doute serrées dans des bourriches, avant d’être ouvertes à la flamme ou à l’eau bouillante (Ausone, Epist. V), pour le plus grand plaisir des convives. L’abondance de ces dépouilles donne d’ailleurs à penser que les espèces rencontrées - plates et creuses - pouvaient être cultivées et non seulement glanées.
Si les coquillages marins ne jouaient pas sans doute un rôle essentiel dans la nourriture des Armoricains, à base de céréales, de légumes et secondairement de viande, il n’en constituait pas moins un complément apprécié, et l’on ne s’étonnera donc pas qu’ils aient été, d’une certaine manière, intégrés à l’art régional, tant dans la fresque du bâtiment de Langon en Ille-et-Vilaine (représentation d’oursins et de solens) que dans la décoration peinte des termes du IIIème siècle (application de palourdes, de bigorneaux, d’olives de mer dans le plâtre frais, mais aussi figuration de poissons au Ris en Douarnenez et au Hogolo en Plestin-les-Grèves). Il est en revanche surprenant que l’on n'ait pas signalé la mise au jour, sur les sites romains d’Armorique, de carapaces de crustacés, crabes, langoustes ou homard, bien que ces derniers soient souvent représentés sur les céramiques décorées du sud et du centre de la Gaule, et qu’ils figurent en bonne place dans l’inventaire des espèces marines du golfe de Gascogne que dresse Sidoine Apollinaire. Des cétacés venus s’échouer sur le rivage devait parfois faire de bonheur de la population par la grande quantité de viande de salaison, de graisse d’éclairage et de peau.
Cette cueillette littorale, aux pratiques relativement simple, se doublait très certainement d’une pêche à la côte ou en mer, les gaulois étant, dès avant la venue des Romains, grands amateurs de poissons, du saumon de l’océan et du thon de la Méditerranée en particulier. Seuls quelques hameçons de bronze mis au jour à Quimper, Pont-Croix (dans un niveau du Ier siècle après J. C.) et Erquy (Côtes-d’Armor) paraissent témoigner de la première activité, dont on sait pourtant par Ausone qu’elle était fort prisée des Gaulois. Le poète décrit comme suit l’attirail de pêche de son ami Théonius : Tout ton mobilier consiste dans les trésors que voici : habits noueux des fidèles de Nérée, filets, « éperviers », lignes aux noms campagnards, nasses, hameçons amorcés avec des vers de terre… (Epist. IV)
La pêche artisanale, qui se pratiquait au large des côtes, est bien attestée dans des contrées plus septentrionales par l’inscription de Leeuwarden (Frise) (CIL, XIII, 8830) mais naguère laissé dans la région de traces très tangibles, sinon les caisses d’éperlan - représentant plusieurs tonnes de poissons - découverte à Nantes dans les vestiges d’une poissonnerie. Il est vrai qu’il suffisait de bateaux de faible tonnage, que l’on pouvait mouiller dans les innombrables criques du littoral ou tirer au sec sur la grève et de filets munis de poids d’argile en forme de pyramide tronquée, semblables aux contrepoids des métiers à tisser (découvertes du Ris à Douarnenez, du Vieux Bourg à Fréhel), ou de pierre (diverses trouvailles de galets percés au long des côtes – au Yaudet en Ploulec’h, par exemple - ces objets ne datant cependant probablement pas tous de l’époque romaine). On ne connaît rien, bien sûr, des matériels utilisés, mais tous donnent à penser que — à la côte les filets que les bateaux étaient à déposer au large on sait que de telles pratiques existait encore voici peu dans le nord du Portugal, à Nazaré ou Palheiros de Mira par exemple). La rampe bétonnée qui, du côté de la mère, précède les cuves de salaisons du Ris à Douarnenez, servait certainement à remonter au sec les filets remplis de poissons que l’on déversait ensuite dans les bassins de salage. Des navettes aux extrémités bifurquées (découverte de Kervel en Plonévez-Porzay, mais aussi de La Guyomerais en Châtillon-sur-Seiche, pour la pêche en rivière) et de grosses aux aiguilles en os (découverte de Keriaker en Saint-Pierre-Quiberon et de Goulvars en Quiberon dans le Morbihan, de Kervenennec en Pont-Croix dans le Finistère, dans des niveaux du IVème siècle, de Lanester dans le Morbihan) servaient à ramener les maillages endommagés.
Il ne faut sans doute pas mésestimer l’importance des pêcheries d’estuaire, comportant deux barrages de pierres non cimentées entre lesquels était aménagée une étroite ouverture perpendiculaire au courant, dans laquelle une nasse était placée au moment du reflux. De telles installations sont fréquentes sur les rivières – le Scorff et l’Ellé, par exemple – ou les côtes de Bretagne occidentale (on les nomme gored) et, si aucune d’entre elles n’a pu être à ce jour datée de la période romaine, il est certain que le petit établissement de salaisons du Resto en Lanester (Morbihan), installé sur les rives du Blavet, à quelque distance de la mer, devait utiliser des structures de ce type pour son approvisionnement. On notera enfin que coquillages et poissons pouvaient être conservés vivants dans des viviers établis le long des côtes, selon une habitude romaine importée en Gaule. C’est sans doute ainsi, en effet, interpréter le petit bâtiment de 6m sur 5,32m fouillé sur la plage du Curnic en Guissény (Finistère), et qui contenait, outre de nombreux coquillages et débris de poissons, neuf monnaies (la dernière était un antoninianus de Tetricus), huit fibules et divers vases de bronze et de céramique, ou bien encore celui reconnu à Alet.
L’examen des écailles et des ossements de poissons mis au jour dans les établissements de salaisons et dans quelques habitats des côtes armoricaines semble montrer que les espèces ainsi récoltés étaient peu variées et d’assez petite taille. Les sites de Port-Aurel en Plérin (Côtes-d’Amor), de Douarnenez, de Combrit (Finistère), de Keriaker en Saint-Pierre-Quiberon (Morbihan) ont livré les restes de très nombreuses sardines (celles de Plomarc’h en Douarnenez n’ont pas plus de 4cm de long), et l’on a pu noter la présence de chinchards à Keriaker, d’anguilles et d’aiguillettes à Combrit (Finistère), d’éperlans à Nantes et même de vieilles (labres) à Châtillon-sur-Seiche. Il parait néanmoins très probable que d’autres espèces marines – maquereaux, saumons et truites de mer – aient été pêchées pour les plaisirs de la table et non pour les besoins de l’industrie du garum et des salaisons.
Image : Vénus au bain. Détail de la fresque découverte dans la chapelle Sainte Agathe de Langon (35)
Source : L'Armorique Romaine, Patrick Galliou éd. Armeline