En 170, les Chauques, pirate venu de la mer du Nord, remontent Lescaut et détruisent Tournai. Ce raid précédé de ceux des Chattes dans les années 160, en annonce d’autres favorisés par l’instabilité du IIIème siècle. La mort d’Alexandre Sévère (222 – 235) entraîne des luttes de succession. Des généraux rivaux n’hésitent pas à dégarnir les frontières pour conquérir le pouvoir central. Par ailleurs, à l’Est, les velléités conquérantes des Perses Sassanides captent en priorité les forces de l’empire romain sur fond de crise économique, démographique et sociale.
Ce contexte favorise l’alliance des groupes barbares hostiles à Rome. Les Francs, les Allamans, ou encore, le long des côtes, les Saxons, représentent l’essentiel de la menace dans le nord de la Gaule. Vers 254, les Francs, ensemble de peuples germaniques dont la ligne guerrière s’est formée outre-Rhin, traverse la Gaule Belgique jusqu’à Lutèce. En 275, une nouvelle offensive brutale des Francs et des Alamans sème désordre et désolation dans le nord de la Gaule. Tongres, Bavay, Arlon et bien d’autres agglomérations et domaines agricoles sont dévastés. Ces incursions guerrières n’ont toutefois pas comme objectif la conquête de nouveaux territoires, elles se présentent comme des razzias.
Les réformes de Dioclétien (284 – 305), qui établissent une nouvelle organisation militaire et administrative, stabilise quelque peu l’empire. Il répartit les responsabilités sur deux Augustes assistés chacun d’un César (Tétrarchie). Trèves est alors une des quatre résidences impériales. Les victoires militaires de l’empereur Constantin (306 – 337) renforcent aussi pour un temps l’empire.
Les agglomérations comme Tournai où Arlon se resserrent dans des remparts. Les défenses des refuges fortifiés sont renforcées, comme en atteste l’archéologie à Liberchies, Morlanwelz, Braives, Taviers, Epave, Furfooz, la Roche à Lomme ou encoreMontauban (Buzenol). Ces refuges protègent tantôt un axe routier tantôt un domaine agricole.
Jusqu’à la fin du IVème siècle, Romerégule l’intégration des populations extérieures. À partir du IIIème siècle des populations non romaines, dite barbares, sont intégrées sous différents statuts pour suppléer aux carences des effectifs militaires indigènes. Déditices et tributaires sont accueillis sur base d’un statut individuel à la suite d’un acte d’allégeance à l’égard de l’empereur ou d’un traité. Vers la fin du IIIème siècle des populations sont intégrées dans les régions de l’actuelle Belgique avec le statut de lète (laeti). Ce statut communautaire particulier est accordé alors à des populations bousculées par la pression germanique. Ces lètes, parmi lesquels l’élément germanique est très important, sont attachés à l’exploitation d’une terre et sont astreints en contrepartie au service militaire héréditaire. C’est vers 291, sous l’empereur Maximin (286 – 305) que les premiers lètes sont disposés sur des territoires dépeuplés des Nerviens et des Trévires.
Signe révélateur de nouveaux rapports de force, le pouvoir Romains investit peu à peu au IVème siècle des groupes germains de la mission de défendre le limes par le biais d’un traité, le foedus. Celui-ci garantit aux peuples qui acquièrent ce statut de fédérés l’autorisation de garder leurs institutions, leurs droits, leur religion ; en contrepartie, ceux-ci mettent leurs armes au bénéfice de l’empire. Des Francs sont autorisés à occuper dans les années 360, sous l’empereur Julien l’apostat (331 – 360), la Toxandrie, un territoire correspondant aux actuelles provinces belges et néerlandaises de Limbourg et de Brabant septentrional.
La faiblesse du pouvoir central renforce l’autonomie des fédérées. Utilisés dans les conflits entre prétendants romains au pouvoir, ces Germains se vendent au plus offrant pour constituer au Vè siècle des armées errantes cherchant à obtenir des revenus notamment fiscaux au détriment de Rome. On est donc loin d’une migration massive d’un peuple, il s’agit plutôt de déplacement de groupes armés ou l’élément masculin était probablement plus nombreux que les femmes et les enfants.
Lorsqu’en 406 est la frontière du Rhin est rompue par la poussée conjointe des Vandales, des Suèves et des Allains, des Francs pénètrent plus avant en Belgique seconde. Les rois francs continueront de situer leur action dans le cadre de fédérées de l’empire. La déposition en 476, de Romulus Augustule, dernier empereur romain, ne fait que confirmer l’évanescence du pouvoir central.
L’aristocratie gallo-romaine apprend progressivement à s’allier aux nouvelles élites dirigeantes pour sauver son statut. Les dirigeants barbares reprennent à leur compte le prélèvement de l’impôt et le système romain de la grande propriété.
À partir du Vème siècle, la société se métisse peu à peu. On note l’apport d’un vocabulaire germanique dans les parlers romans notamment dans les champs lexicaux de la guerre et de l’émotion. L’orfèvrerie en particulier, portera la marque du goût et du savoir-faire des Francs. L’acculturation réciproque se fait différemment en fonction des couches sociales ; alors que l’élite barbare est séduite par le raffinement romain, on observe que les populations locales modestes adoptent des comportements venus d’outre-Rhin.
Combien étaient-ils ? Le philosophe Walter Von Wartburg s’est risqué dans les années 1930 à cette évaluation : 15 à 25 % de la population.
La frontière linguistique
La poussée germanique a bien emmené dans ces régions par infiltration successives de nouvelles populations. Elle n’a cependant pas modifié l’ancrage de ces régions dans la romanité (à l’exception du pays d’Arlon). Vers le IIIème siècle, une zone de séparation entre parlers romans et germaniques se stabilise. Elle connaît encore quelques avancées dans la région de Mouscron et de Comines au détriment des parlers germaniques. La frontière se fixe vers le X- XIIe siècles.
Sa genèse continue à susciter des interrogations. Différentes hypothèses furent avancées. On a longtemps pensé que la chaussée romaine Cologne – Bavay - Boulogne renforcées de fortifications au IIIème siècle auraient contenu des Francs. Ces fortifications étaient loin de constituer une véritable frontière, un obstacle en continu. Se basant sur l’étude des villas gallo-romaines et la densité démographique qu’elle suppose, d’autres chercheurs ont postulé que plus nombreuses dans le sud de la Belgique, les populations gallo-romaines auraient absorbé les nouveaux venus, à l’inverse du Nord ou l’élément germanique aurait formé le groupe dominant. Cette hypothèse crédible se base largement sur le relevé des bâtiments de la période romaine. Cependant, la difficulté à évaluer de manière plus fine le sous-sol en Flandre où le matériau de construction fut parfois le bois, fait de cette explication une hypothèse à affiner. D’autant que les recherches archéologiques récentes en Flandre mettent à mal cette hypothèse ancienne.
Par ailleurs, l’influence de l’Eglise, le maillage des abbayes et des sièges épiscopaux qui utilisaient le latin ont contribué à maintenir la prégnance du roman, voire à romanisés à nouveau des régions germanisées comme ce fut le cas à Stavelot et à Malmédy.
Il semble certain que aujourd’hui que, durant un temps, des îlots de langues germaniques cohabitèrent avec la langue romane avant d’être peu à peu résorbés. Les parlers populaires dans la majorité de l’actuelle Wallonie n’ont guère été influencés dans leur structure par les parlers germaniques. Par contre, de nombreux noms de lieux témoignent d’une origine germanique, notamment les noms marqués avec le mot marche (marka, limite ; Marcq, Marche-les-Dames ? Marche-en-Famenne) ou sur le mot ham (ham, langue de terre), ou encore les noms se terminant en lier (lare, Lande, clairière ; Longlier, Anlier), en hain, chain ou ghien (heim, ferme, maison ; Walhain, Rechain, Enghein).
Source : Histoire de Wallonie, Yannick Bauthière - Arnaud Pirotte ; éd. Yoran embanner