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17 avril 2013 3 17 /04 /avril /2013 18:46

 

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15 avril 2013 1 15 /04 /avril /2013 06:50

VII. — LA NAVIGATION FLUVIALE.

 

On allait moins vite sur les voies fluviales, mais la sécurité était plus grande, et les transports moins coûteux. Aussi, en dépit de la concurrence des grandes routes, elles demeuraient fort recherchées par les messagers du commerce ; et les empereurs eux-mêmes ne les dédaignaient point dans les circonstances solennelles : car, autant qu’un chemin de terre, une rivière large et majestueuse se prêtait au déploiement des cortèges triomphaux[98].

 

Comme sur les chaussées, c’était sur les rivières de l’Est que la vie était le plus active. Celles qui passaient par Lyon, la Saône et le Rhône, détenaient peut-être à elles seules la moitié du trafic fluvial de la Gaule entière[99]. La domination romaine ne leur avait rien fait perdre de leurs hôtes, de leurs passagers et de leurs habitudes. Lourds chalands chargés de marchandises[100] que de vigoureux haleurs remorquaient en chantant[101],barge-romaine-du-1er vaisseaux à voiles que le vent secouait comme sur une mer[102], barques énormes que manœuvraient de fortes équipes de matelots[103], pirogues creusées dans des troncs d’arbres[104], convois de transports remplis de troupes[105], canots légers et rapides qui filaient à toute allure pour les estafettes[106] ou les amateurs de sports[107], bateaux[108] ou bacs[109] de passage où s’entassaient voyageurs, bêtes et véhicules, nageurs appuyés sur des outres qui traversaient à meilleur compte, trains de radeaux à lenteurs éternelles[110], navires de plaisance aux tentes de pourpre destinés aux voyageurs de distinction[111], un monde toujours étrange d’êtres et de choses se mouvait sur ces eaux : c’était, entre Arles et Chalon, le plus pittoresque et le plus bruyant des chemins fluviaux de l’Occident, et sans doute, dans le monde entier, n’y avait-il rien qui lui fût alors comparable, sauf le Nil au-dessous des cataractes. Encore n’était-ce point à son fleuve que l’Égypte devait sa capitale d’Alexandrie, tandis que la métropole de la Gaule romaine, Lyon, trônait au milieu même du chemin de ses rivières.

 

Des deux côtés de cette voie maîtresse, la vie gagnait les moindres affluents. À la différence d’aujourd’hui, la Durance, que ses riverains ne captaient pas encore, avait ses bateliers et ses passeurs. On naviguait ou on faisait flotter sur l’Isère, sur l’Ardèche et peut-être sur l’Ouvèze même, la rivière de Vaison. Genève possédait, sur le lac, sa flottille de bateaux et de radeaux[112].

 

Le mouvement devait être aussi très intense sur le Rhin, bordé de villes et de camps[113]. Mais je ne crois pas qu’il eût la variété pittoresque du trafic rhodanien : tout, sur cette voie frontière, se subordonnait aux règlements militaires, et les escadrilles de guerre qui stationnaient à Mayence[114], à Andernach[115], à Cologne[116] et à Nimègue[117], surveillaient et entravaient le va-et-vient d’une ville ou d’une rive à l’autre.

 

Mais sur la Moselle, de Coblentz à Metz, la vie civile reprenait ses droits, stimulée plutôt que gênée par l’approche des garnisons : le long de ses eaux claires, au pied des coteaux verdoyants qui se miraient en elles, s’affairaient sans relâche les gabares chargées de tonneaux, les barques de pêche, les canots de la jeunesse désœuvrée[118]. Il semblait que la nature aurait voulu, par delà les Faucilles, continuer en Moselle la route vivante de la Saône et du Rhône, et faire sur toutes ces eaux une même ligne de travail et de gaieté, depuis Arles filleule de la Méditerranée jusqu’à Trèves voisine du Rhin. Comme l’on comprend qu’un audacieux légat ait rêvé un jour de réunir toutes ces rivières, pour ouvrir avec elles, au milieu même de la Gaule, la plus belle route du monde entier !

 

Sur les trois grands fleuves de l’Atlantique, au contraire, nous n’avons pas la même impression d’énergies qui s’activent et de marchandises qui se pressent. On s’explique aisément pourquoi. La voie de terre, de ce côté, a été victorieuse de la rivière. Seine, Loire et Garonne servaient jadis aux transports vers le nord ou vers le sud, entre la Gaule et la Bretagne a ceux-ci prennent maintenant la route de Boulogne, directe et rapide. Quant au commerce dans la direction de l’est ou de l’ouest, entre l’Espagne, la Gaule et l’armée du Rhin, il n’a pas le moindre besoin des fleuves. Ils se trouvèrent donc réduits à un service intérieur, et encore les courbes allongeaient tellement les distances et les temps, qu’on ne résistait pas à la tentation, entre Roanne et Nantes, Sens et Rouen, et même Toulouse et Bordeaux, de prendre la route de terre : il en allait autrement entre Arles et Chalon, sur le Rhône et la Saône, ligne aussi droite que celle d’une voie romaine.

 

De ces trois fleuves océaniques, c’est encore la Seine qui résista le plus à la concurrence, sans doute à cause de la forme régulière de son bassin, des chemins convergents et rapprochés qu’étaient tous ses cours d’eaux. Entre eux, Paris et les abris de son île se présentaient comme un centre et un refuge naturels. Aussi la cité garda-t-elle sous les empereurs ses nautes ou marchands de l’eau, corporation hardie dont les membres demeurèrent pendant longtemps armés et équipés à la gauloise ; et dans la plus belle ruine qu’elle nous a laissée de ce temps, la grande salle de l’édifice mystérieux de Cluny, on peut voir encore, sculpté en la forme d’une console, un avant de navire chargé d’armes, symbole peut-être de la puissance que la nature assignait à Paris[119].

 

Ni sur la Loire[120] ni sur la Garonne nous n’avons remarqué jusqu’ici rien de pareil. Il y a un port à Nantes[121] et à Bordeaux, et il fallait en ces deux villes un nombre imposant de barques et de gabares pour la traversée des fleuves et le transport des pierres ou des barriques[122]. Mais le trafic fluvial nous paraît limité aux besoins immédiats de la cité. À Bordeaux, les commerçants forment une partie notable de la population : tout porte à croire que leurs marchandises allaient par les routes de terre, surtout par celles du Centre et du Nord. De son activité d’alors, il nous reste des images innombrables : aucune ne rappelle la vie de son fleuve[123].

 

Camille Jullian - Histoire de la Gaule, Tome V

 

[98] Claude en 43, d’Arles à Chalon ? ; Vitellius en 69, de Chalon à Lyon.

[99] Dion Cassius en rappelle l’importance, XLIV, 42, 4.

[100] Sans doute à fond plat (cf. note suivante). C’est à eux que je rapporte les stlattæ d’Ausone sur la Garonne et le Tarn (Epist., 22, 31) et de la mosaïque d’Althiburus, et les pontonia d’Isidore (Orig., XIX, I, 24) ; peut-être aussi les planæ carinis de Germanicus sur le Rhin (Tacite, Ann., II, 6).

[101] Helciarii, sur la Seine à Lyon (Sidoine, Epist., II, 10, 4) : sur la Moselle, Ausone, Mos., 41-2, où je laisse malorum au lieu de la correction mulorum (si on l’acceptait, ce serait le halage par bêtes de somme, et non à bras d’hommes, ce qui était du reste aussi en usage : Horace, Sat., I, 5, 19) ; monument de Cabrières-d’Aigues, halage sur la Durance vers Cavaillon (Bonnard, p. 241) ; monument d’Igel, sur la Moselle (Esp., VI, p. 455) ; autre, sur la Moselle (Esp., VI, p. 340 : voyez l’attache de la corde au mât). — Ausone (Mos., 47) semble parler de chemins de halage pavés.

[102] Ce sont les pontones de César (De b. c., III, 29, 3), quod est genus navum Gallicarum ; César les appelle ailleurs naves onerariæ (id., 40, 5). C’est également à ce genre que la mosaïque d’Althihurus applique le mot de ponto, dont le sens s’est déplacé plus tard. Cf. aussi les grands navires de transport pour hommes, chevaux et vivres, navires pontés, construits par Germanicus sur le Rhin, et, de même, les naves angustæ pappi proraque et lato utero, les uns et les autres destinés à naviguer aussi sur la mer (du Nord, Tacite, Ann., II, 6), comme, je crois, ceux du Rhône dont parle Ammien. Sur le Rhône, grandissimas naves, ventorum difflata jactati sæpius adsuetas, Ammien, XV, II, 18. Espérandieu, n° 5261 (sur la Moselle ?).

[103] Monument de Blussus à Mayence, sur le Rhin (Bonnard, p. 147 ; C. I. L., XIII, 7067) ; barques de Neumagen, chargées de barriques, sur la Moselle (Esp., n° 5184, 5193, 519S) ; etc. Il ne serait pas impossible qu’elles eussent un mât et pussent aller aussi à la voile. C’est à ce groupe qu’Ausone semble appliquer (en Garonne) le mot acatus (var. acatia, acatium ; Epist., 21, 31).

[104] Lembus caudiceus, Ausone, Mos., 197 ; cf. Tite-Live, XXI, 20, 9 (sur le bas Rhône). Peut-être le bateau à pagaie, Bonnard, p. 143 ; Déchelette, Manuel, I, p. 542-3 (beaucoup de pirogues citées peuvent être romaines).

[105] Il est certain qu’on embarquait souvent des troupes à Chalon, par exemple lors de l’expédition de Constantin coutre Maximien en 308 : l’armée se rend du Rhin à Chalon, et s’y embarque pour Arles (Panégyrique de Constantin, Pan. Lat., VII (VI), 18). Cf., sur le Rhin, les vaisseaux de transport, sans doute de troupes, à deux gouvernails ; Tacite, Ann., II, 6. — Les phaseli d’Ausone doivent être de légers vaisseaux de transport pour marchandises (Epist., 22, 31).

[106] Cursoria au féminin ; Sidoine, Ép., I, 5 (sur le Pô) ; Ausone, Ép., 2, 5-10 (sur la Moselle). Cf. les vegetiæ (mot rectifié : Aulu-Gelle, X. 25, 5 ; mosaïque d’Althiburus) ; vegetorum, genus fluvialium navium aput Gallos, C. gl. L., IV. p. 191 ; V, p. 518, 613.

[107] Exercices de canotage sur la Moselle, Ausone, Mos., 200 et s. (lembi remipedes).

[108] Les listres sont des barques ordinaires servant aux transports à petite distance, ou aux passages ; Ausone, Ép., 22, 31 (Garonne) ; César, De b. G., VII, 60, 4 (Paris) ; I, 12, 1 (Mâcon).

[109] Je me demande si le mot geseoreta chez Aulu-Gelle (X, 25, 5) n’est pas le nom gaulois d’un bateau de passage, le radical de ce mot se retrouvant dans les noms de deux ports de la Gaule, Gesoriacum, Boulogne, et Gesocribate.

[110] Ratis, sur la Garonne et le Tarn ; Ausone, Ép., 22, 31.

[111] Cf. Sidoine, Ép., VIII, 12, 5. Il faut rappeler à ce propos le goût des Gallo-romains pour les villas riveraines des cours d’eau.

[112] Ratis peut d’ailleurs signifier aussi un bac ou bateau plat à rames pour eaux très peu profondes.

[113] Cf. le monument de Blussus. — La batellerie remontait l’Aar et les lacs suisses.

[114] C., XIII, 6712, 6714 (navalia). — Il y a peut-être une flottille sur le lac de Constance avant 300. — Le port et la station militaires d’Altripp près de Spire ne sont mentionnés que sous le Bas Empire (C. I. L., XIII, II, p. 175 ; Bœcking, Not., p. 966).

[115] Point certain (XIII, II, 7681 ; cf. ibid., p. 489). — On a tort de placer une station à Brohl : les soldats de la flotte n’y sont venus que pour y travailler aux carrières.

[116] A Alteburg près de Cologne : c’est, je crois, le vrai centre de la classis Germanica (XIII, II, p. 506). — Il n’est pas sûr que le camp naval de Bonn ait été maintenu.

[117] Douteux ; cependant l’importance des constructions (navalia ?) donne le droit de supposer une station navale à Nimègue. — Stations terminales vers la mer : à Voorburg près de La Haye, sur le canal de Corbulon (XIII, II, p. 637), à Katwyk sur la mer, port du Vieux Rhin (XIII, II, p. 641), au grand port commercial de Vechten.

[118] Nautæ Mosallici à Metz, XIII, 4335.

[119] C. I. L., XIII, 3026.

[120] Il n’est pas inutile de rappeler que César signale des embarcations sur la Loire à Nevers (VII, 55, 8).

[121] Le port, vicus Portus (C. I. L., XIII, 3105-7), me parait être le quartier du port, en aval de la ligne du Canal (Mattre, Géogr.... de la Loire-Inf., 1893, p. 381, préfère en amont, au port Maillard ou à Richebourg), la ville de Nantes proprement dite restant bâtie sur la partie haute, là où s’élèvera la ville murée du Bas Empire, au confluent de l’Erdre, et sous le nom de Condeviens = vicus du confluent (Ptolémée, II, 8, 8). Portu(s) Naamnetu(m), Table, 1, 2, désigne Nantes.

[122] A Nantes, nautæ Ligerici, associés au vicus du port dans une dédicace religieuse (XIII, 3103).

[123] Les scènes où interviennent des embarcations paraissent purement mythologiques (Esp., n° 1103, 1100), très différentes des représentations réalistes que nous avons trouvées en si grand nombre sur la Moselle.

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13 avril 2013 6 13 /04 /avril /2013 08:58

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre III. Les Fœderati.

 

Les Goths.

 

Les Goths, qui se trouvaient en contact perpétuel avec l’Empire, depuis leur établissement sur les bords du Danube, ne tardèrent pas eux aussi à entrer dans l’alliance romaine. Sans prendre à la lettre les paroles de leur historien Jornandès, dont le témoignage peut à bon droit être suspecté comme partial en ce qui les concerne, il est hors de doute que, dès le début du règne de Constantin, ils furent appelés à grossir les forces militaires de Rome dans une proportion notable et qui augmenta encore sous ses successeurs[26]. Leur alliance fut recherchée comme l’avait été celle des Francs et d’autres Barbares occidentaux ; on dut, pour les attirer, leur faire les mêmes avantages.

Constantin, ainsi qu’on l’a remarqué, aimait les Barbares auxquels il ressemblait par certains côtés de son génie et de son caractère ; il s’appuya sur eux dans ses luttes contre ses compétiteurs au trône. Ne lui a-t-on pas reproché d’avoir été le premier à revêtir un Barbare de la pourpre consulaire ? Il accepta d’autant plus volontiers le concours régulier et permanent des Goths, qu’il s’était vu obligé de rappeler à l’intérieur une partie des légions cantonnées sur les frontières. Il fallait absolument recourir aux étrangers pour suppléer au défaut de troupes romaines et assurer ainsi la défense des provinces limitrophes sans cesse exposées aux attaques des Barbares. Les Goths s’étaient rendus268.jpg redoutables par leurs incursions dans la Thrace, la Dacie et la Mésie ; vaincus plusieurs fois par les empereurs qui les avaient combattus en personne, ils n’avaient pas cessé de menacer la frontière romaine. Constantin traita avec eux : ce traité lui valut un renfort de quarante mille soldats dont il avait le plus grand besoin et qui pouvaient lui rendre d’éminents services. A partir de cette époque, les Goths, nous dit Jornandès, prirent et gardèrent le nom de fédérés[27].

Ce furent ces mêmes Goths Fœderati qui, appelés par l’usurpateur Procope, lui prêtèrent le secours de leurs armes dans sa révolte contre l’empereur Valens. Le texte d’Ammien Marcellin ne laisse aucun doute sur ce point : gens amica Romanis fœderibusque ingenuæ pacis obstricta. Ils s’étaient engagés à fournir un contingent de troupes auxiliaires, et ce contingent était précisément celui qui fut envoyé à Procope, sur sa demande, comme au prince véritable et légitime. Les Goths firent valoir les conventions établies entre eux et les Romains, et alléguèrent une lettre de Procope dont la parenté avec la famille de Constantin les avait trompés[28].

Le grand mouvement qui suivit dans la Germanie l’arrivée des Huns en Europe marque une époque importante pour l’histoire des Barbares engagés au service de l’Empire et établis à ce titre sur le sol des provinces romaines. Les Wisigoths ou Goths de l’ouest, une des trois grandes branches de la confédération des Goths, se virent menacés dans leur existence et leur liberté. Le vaste empire qu’avait fondé Hermanrich fut détruit ; Hermanrich lui-même se donna la mort pour ne pas survivre à sa puissance ; son successeur ne fut pas plus heureux et ne put arrêter les progrès des Tartares[29]. Il arriva alors ce qui arrivait presque toujours dans ces migrations de peuplades entières dont l’histoire de la Germanie fournit tant d’exemples. Les Goths se divisèrent ; les uns se rendirent avec les nouveaux vainqueurs, d’autres furent détruits, d’autres enfin, obligés de quitter leurs demeures pour échapper à la ruine ou à la servitude, allèrent chercher une nouvelle patrie, un sol plus hospitalier. Tandis que les Thervinges qui avaient à leur tête Athanaric, se réfugièrent dans les défilés des Carpathes, d’où ils chassèrent les Sarmates Iazyges[30], le gros de la nation jeta les yeux du côté du Danube, sur la rive méridionale, où les vastes et fertiles plaines de la Thrace leur promettaient une existence facile et un abri d’autant plus sûr qu’ils seraient alors, séparés des Huns par le large lit du fleuve très rapide et très profond dans cette partie de son cours[31]. Ils arrivèrent donc sur les bords du Danube, sous la conduite d’Alavivus et de Fritigern[32]. Pour le franchir et passer la frontière romaine, sans déclaration de guerre, il fallait l’autorisation de l’empereur. Une ambassade fut envoyée à Valens pour demander humblement qu’on voulût bien les admettre ; ils promettaient de vivre en paix et de fournir au besoin des troupes auxiliaires, ce qui revient à dire que leur condition devait être celle des fédérés[33].

Il faut lire dans Ammien le récit vraiment dramatique de cet événement. L’empereur et sa cour éprouvèrent un sentiment de joie plutôt que de crainte. N’était-ce point un bonheur inespéré de voir arriver de ces contrées lointaines tant de nouveaux soldats ? Par la réunion de ces forces étrangères aux forces romaines n’obtiendrait-on pas une armée invincible ? Les Barbares ne sollicitaient que des concessions de terre et ne demandaient point d’argent. Valens ne pouvait laisser échapper une pareille occasion. Il s’empressa de la saisir et accueillit favorablement la supplication des Goths. Le passage du Danube s’effectua dans des barques que le gouvernement romain mit à leur disposition et sous la surveillance des officiers impériaux, qui avaient reçu l’ordre de veiller à la loyale exécution du traité. Il dura plusieurs jours et plusieurs nuits[34]. Eunape, dans les fragments de son histoire qui nous ont été conservés, évalue à deux cent mille les hommes en état de porter les armes qui passèrent ainsi sur le territoire romain, sans compter les femmes et les enfants[35]. Ammien, empruntant une métaphore à Virgile, les compare aux grains de sable du désert[36]. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on vit alors pour la première fois des nations entières, avec leurs chefs, faire leur entrée dans les provinces, et y camper jusqu’à ce qu’on leur eût assigné des cantonnements définitifs (subigendos agros)[37]. Ce spectacle produisit une grande impression sur les contemporains et les inquiétudes que devait inspirer une telle invasion, malgré son caractère pacifique, ne tardèrent pas à se justifier. Les ordres de l’empereur furent mal exécutés, le désarmement des Barbares ne se fit qu’à demi ; les généraux romains, exploitant les horreurs d’une famine inévitable, se livrèrent à un odieux trafic et vendirent à des prix exorbitants les aliments de première nécessité qu’ils étaient tenus de fournir d’après les conventions[38].

Ces hordes étrangères auxquelles on avait eu l’imprudence d’ouvrir les portes de l’Empire, unies dans un sentiment commun d’indignation, devinrent les ennemies acharnées de la puissance romaine, qu’elles avaient promis de défendre. Fritigern, Alathée, Safrach, tous les principaux chefs des Goths, se liguèrent pour tirer vengeance de l’insigne mauvaise foi dont ils avaient été victimes. La Dacie riveraine, la Mésie, la Thrace, furent parcourues en tous sens par des bandes dévastatrices qui brûlaient les villages, incendiaient les maisons de campagne, emmenaient en captivité les hommes, les femmes, les enfants et les vieillards, comme aux plus mauvais jours des invasions. Les villes seules étaient préservées à cause de leurs murailles que les Barbares, inhabiles dans l’art des sièges, respectaient (pacem sibi esse cum parietibus), selon l’expression pittoresque et caractéristique de Fritigern[39]. Valens reconnut la faute qu’il avait commise ; il essaya d’arrêter le torrent, de fermer aux nouveaux peuples qui se pressaient sur les rives du Danube l’entrée des provinces, en leur refusant la permission accordée à leurs devanciers, mais il était trop tard. Il fallut subir toutes les conséquences d’une politique imprévoyante, faible et lâche, qui ne reculait devant aucun expédient[40]. Les Goths voyaient leurs rangs se grossir tous les jours d’une multitude innombrable. Les habitants des provinces venaient se joindre à eux pour échapper à la tyrannie du fisc, et les mineurs de la Thrace leur servirent eux-mêmes de guides jusque sous les murs d’Andrinople[41]. La bataille d’Andrinople (9 août 378), fut une éclatante victoire pour les Barbares et une immense défaite pour les Romains, moins encore à cause du désastre matériel et de la fin tragique de l’empereur Valens, que par l’effet moral qu’elle produisit[42]. Le désastre de Cannes, rappelé dans cette circonstance par Ammien, comme le seul comparable à celui d’Andrinople, n’avait porté à la puissance de Rome qu’un coup passager et dont elle se releva bien vite ; cette fois, l’Empire se vit frappé au cœur et la blessure fut mortelle. A partir de ce jour, les Barbares se trouvèrent les véritables maîtres de la situation, et, comme le dit le chroniqueur Jornandès[43], toute sécurité disparut pour les Romains. Vingt et un ans seulement séparaient la défaite et la mort de Valens du triomphe de Julien à Argentoratum (357-378) et les rôles étaient changés : les vainqueurs étaient devenus les vaincus ; la substitution des Barbares à l’Empire ne pouvait plus être qu’une question de temps.

Théodose, appelé par le choix de Gratien à recueillir la succession de Valens et à réparer les malheurs de son règne, s’acquitta avec succès d’une tâche aussi difficile, mais, malgré son génie et ses brillantes qualités militaires, s’il obtint la soumission des Barbares et put retarder la chute de l’Empire, ce fut moins par la force des armes que par les nouvelles avances qu’il leur fit et les faveurs dont il les combla[44]. Il renouvela l’alliance conclue par ses prédécesseurs entre les Goths et les Romains, la rendit plus étroite, plus avantageuse pour les premiers, afin de s’assurer par là un appui dont il ne pouvait se passer et qu’il fallait maintenir à tout prix. C’était comme une reconnaissance officielle des faits accomplis. Par ce nouveau traité les Goths acceptaient la souveraineté de Rome et étaient incorporés dans les armées romaines pour y servir au même rang et au même titre que les soldats de la milice régulière ; on leur confiait la garde de la frontière du Danube, exposée aux perpétuelles attaques des Barbares. En retour, ils devaient jouir de tous les privilèges attachés à leur condition de fédérés, comme sous Constantin, c’est-à-dire conserver leur organisation propre, tout en faisant partie de l’Empire, et ne relever directement que de l’Empereur ou des maîtres de la milice, sans être subordonnés aux lois civiles et aux magistrats romains des provinces où ils se trouvaient établis[45]. Théodose crut si bien pouvoir compter sur le dévouement et la fidélité des Goths fédérés, qu’il emmena avec lui un corps de vingt mille Barbares contre le rhéteur Eugène élevé à la pourpre après le meurtre de Gratien.

 

[26] Jornandès, De reb. Get., c. VII.

[27] Jornandès, De reb. Get., c. VII.

[28] Gibbon, t. V, c. XXV. — Ammien, l. XXVII, c. V. — Cf. Zosime, l. IV, c. X.

[29] Ammien, l. XXXI, c. III.

[30] Ammien, l. XXXI, c. III. — Opitz, p. 32.

[31] Ammien, l. XXXI, c. III.

[32] Ammien, l. XXXI, c. IV.

[33] Zumpt, p. 32. — Ammien, l. XXXI, c. IV.

[34] Ammien, I. XXXI, c. IV. — Cf. Jornandès, De reb. Get., c. VIII.

[35] Eunape, fragm., De legat., p. 48.

[36] Ammien, l. XXXI, c. IV.

[37] Ammien, l. XXXI, c. IV.

[38] Eunape, fragm., De legat., p. 48. — Ammien, l. XXVI, c. IV.

[39] Ammien, l. XXXI, c. V. — Ibid., l. XXXI, c. VI.

[40] Ammien, l. XXXI, c. IV.

[41] Ammien, l. XXXI, c. VI.

[42] Comparez pour la description de la bataille d’Andrinople : Ammien, l. XXXI, c. XIII ; Zosime, l. IV, c. XXIV ; Jornandès, De reb. Get., c. VIII.

[43] Jornandès, De reb. Get., c. VIII.

[44] Jornandès, De reb. Get., c. VIII-IX.

[45] Jornandès, De reb. Get., c. IX.

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12 avril 2013 5 12 /04 /avril /2013 07:52

1. Utilité des hérésies. Elles fournissent à l’église l’occasion de définir plus clairement certains points du dogme et affermissent la foi dans les armes, car à mesure que la doctrine religieuse et attaquée, les fidèles l’étudiaient avec plus de soin.

De même que les persécutions affermies à la fois dans la divinité du christianisme, la réfutation des hérésies mit en pleine lumière la vérité et la grandeur de sa doctrine.

 

2. Les judaïsants étaient des juifs convertis qui n’admettaient pas l’abrogation de la loi mosaïque. Leur hérésie amena l’église naissante à s’affirmer catholique, c’est-à-dire universelle, ouverte à tous.

 

3. Les gnostiques (du grec gnôsis, sciences) prétendaient posséder une science extraordinaire de la nature et des attributs de Dieu.

Ils inventaient des systèmes variés, selon l’origine de leurs docteurs, pour les substituer aux enseignements de la foi sur la création de toute chose par Dieu, sur le péché originel causes initiales de tout mal dans le monde, sur l’Incarnation et la Rédemption par lesquelles Dieu a « tout restauré dans le Christ ».

Le gnosticisme date des temps apostoliques ; il atteignit son apogée aux IIème et IIIème siècles, puis disparut vers la fin du IVème.

Par leurs erreurs, les gnostiques provoquèrent le développement de la morale catholique, également éloigné du rigorisme des uns et du relâchement des autres.

 

4. Les manichéens, disciples du Persan Mani ou Manès, distinguèrent de principes éternels, la bon, auteur du bien : Dieu ; d’autres mauvais, auteur du mal : Satan. Les manichéens se sont maintenus jusqu’au Moyen Âge.

 

5. Montanistes. Vers le milieu du IIème siècle un illuminé, le Phrygien Montan, fonda une secte de faux mystiques. Il se proclamait le Saint-Esprit incarné, pratiquait l’extase et tendait à substituer l’inspiration prophétique est individuel à la hiérarchie.

Les montanistes prêchaient une morale rigoriste qui séduisit Tertullien. Elle imposait des jeûnes stricts et proscrivait les secondes noces.

 

6. Erreur sur la Trinité. Le dogme catholique de la Trinité des personnes et de l’unitéste-trinite de nature en Dieu provoqua de vives controverses.

Vers la fin du IIème siècle, des élitistes regardaient Jésus-Christ comme fils adoptif de Dieu et niaient sa divinité.

Par réaction, d’autres hérétiques supprimaient toute distinction personnelle entre le Père et le Fils.

Pour combattre ces derniers, on n’en vint à distinguer le Fils du Père, au point de le déclarer inférieur et subordonné au père. On tomba ainsi dans une nouvelle erreur qui, en se développant, aboutit à l’arianisme.

 

Source : Histoire de l'Église, éd. Clovis

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11 avril 2013 4 11 /04 /avril /2013 07:14

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre III. Les Fœderati.

 

Les Vandales.

 

Le nombre des Barbares ainsi enrôlés sous les drapeaux de l’Empire augmente à mesure que de nouveaux peuples font leur apparition et se trouvent en présence des Romains. Au commencement du IVe siècle, les Vandales, fixés dans la partie de la Dacie de Trajan qui correspond à la Hongrie, après une lutte désastreuse contre les Goths, franchirent le267b.png Danube et obtinrent de l’empereur Constantin un établissement dans la Pannonie où ils résidèrent plus d’un demi-siècle, à côté de la population romaine, en corps de nation, soumis à la surveillance des gouverneurs de la province, mais libres de s’administrer eux-mêmes et d’obéir à des chefs de leur nationalité[25]. En retour de ces avantages et des privilèges qu’ils partageaient avec les autres fédérés, ils devaient aider les Romains à protéger la frontière du Danube et fournir leur part du contingent que Rome tirait des différents peuples barbares admis sur son territoire. Les Vandales occupèrent paisiblement le pays qui leur avait été concédé et l’histoire, malgré l’illustration de plusieurs de leurs compatriotes, élevés aux premières dignités de l’Empire, ne les mentionne plus jusqu’à l’époque de la grande invasion, où ils devaient jouer un rôle important. Il ne faut pas oublier du reste que la plupart des peuples de la Germanie avec lesquels Rome lutta si longtemps se composaient de diverses tribus portant le même nom et dont les destinées furent souvent bien différentes ; les unes devenaient sujettes ou alliées de la puissance romaine, tandis que les autres demeuraient ses ennemies. C’est ce qui explique un grand nombre d’erreurs commises par les historiens, soit anciens, soit modernes, dont les récits ne peuvent en apparence se concilier et semblent même se contredire.

 

[25] Jornandès, De reb. Get., c. VII. — Opitz, p. 31. — Dexippe, De bellis Scythicis, p. 20.


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10 avril 2013 3 10 /04 /avril /2013 07:03

 

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8 avril 2013 1 08 /04 /avril /2013 05:49

Le vicus et les canabae

 

Autour de ce camp se développent les « canabae » (terme militaire désignant les baraques dressées aux portes des camps de la légion, puis, par extension, les hangars et entrepôts de commerce) et la ville civile, « vicus » avec toutes les activités artisanales (fer, cuivre, bronze, cuirs, poteries…), les boutiques, les marchés destinées à subvenir aux besoins d’une armée sédentaire, mais aussi les tavernes, les lupanars, les lieux de spectacles variés, tout un univers dont les seuls revenus dépendent du pouvoir d’achat de la légion. C’est une ville prospère dont la population oscille au IIè siècle entre vingt et trente mille habitants..La cité est placée sous la double tutelle de « Mercure voiturier » et d’Epona, la déesse des chevaux.256  

La ville se développe en fait sur deux grands axes partant du camp : le premier vers le nord (actuel faubourg de Pierre) et surtout le second, partant vers la Gaule par Tres Tabernae (Caverne), l’actuelle « route des Romains » de Kœnigshoffen, qui s’étend sur plus de trois kilomètres. Il y avait sans doute une rocade à l'Ouest du camp, entrevue notamment place Kléber, reliant le système de voies sud-nord passant par Strasbourg.

 

Kœnigshoffen

 

La concentration la plus importante de population et d’activités se situait sous l'actuelle banlieue de Kœnigshoffen. Cette localité antique est connue par l'épigraphie comme un vicus canabarum habité par des vicani canabenses comme l’atteste une inscription très intéressante d’un autel dédié au Génie du vicus, trouvée en 1851 à l'angle de la route des Romains et de la rue du Schnokeloch, mais malheureusement détruite en 1870. Kœnigshoffen était en fait traversée d'est en ouest par deux axes de circulation, que l’on retrouve encore en grande partie dans l'agglomération d'aujourd'hui : l'axe principal semble avoir été l'actuelle route des Romains, doublé au Nord par l'Altweg, les deux voies se diversifiant, l’une vers Marlenheim-Wasselonne-Saverne, l’autre vers Molsheim et la vallée de la Bruche. Ces voies étaient sans doute recoupées à l'ouest de la localité par une voie sud-nord, peut-être à la hauteur du couvent des Capucins…

Les fouilles ont mis en évidence une distribution orthogonale en quartiers. Une particularité de Kœnigshoffen est l’imbrication étroite de l'habitat, des installations artisanales et des nécropoles. L'habitat se développe le long de la voie principale et des rues perpendiculaires : il se signale par des constructions relativement « légères », (pan de bois et torchis, certaines avec caves).

Dans la partie centrale de l'agglomération actuelle ont été découverts un grand nombre de fours de potiers et de dépotoirs : la production de céramique (principalement cruches, et urnes) s'est faite essentiellement entre le milieu du Ier siècle et la fin du IIè siècle. Des tuileries légionnaires (principalement de la VIIIè légion) se trouvaient à l'Ouest, du côté de l'ancienne Chartreuse (Couvent des Capucins). Le matériau de fabrication était partiellement extrait localement et provenait de la terrasse de lœss dominant la Bruche et le petit Muhlbach. Les tuiles étaient distribuées surtout par voie d'eau.

Au pied de la terrasse de Kœnigshoffen, à la Montagne-Verte, a été découvert un quai aménagé (lié à des darses ?) ainsi que les vestiges de deux radeaux pouvant charger chacun plusieurs tonnes de matériel. Le port s’occupait sans doute aussi de flottage et de transport de grès de Haslach). L'armée a ainsi été très présente à Kœnigshoffen : les ateliers de poterie étaient vraisemblablement placés sous son contrôle. Le faubourg257.jpg pratiquait aussi d’importantes activités maraîchères.

Une partie de la nécropole de Kœnigshoffen, composée de tombes à incinération et à inhumation a livré des tombes de légionnaires (pierres tombales de la IIè légion, notamment celle de Largenius du Musée archéologique de Strasbourg). A l'extrémité ouest du faubourg de Kœnigshoffen (lieu-dit « Hohberg »), ont été découvertes les traces d'un très grand mausolée circulaire de 60m de diamètre : il s’agit sans doute d’un tertre artificiel de 20m environ de haut, rehaussé de sculptures et de plantations. Sa situation dans la perspective du camp et son élévation lui assuraient d'être vu de tous les environs.

Enfin, à l’emplacement de l’église protestante saint Paul, ont été découverts en 1911 les vestiges d'un important sanctuaire dédié à Mithra qui sera détruit en 395. D’autres sanctuaires, petits et plus grands ont été mis à jour : rue des Capucins, sous l'ancienne brasserie Gruber, à l'Ouest de la rue du Schnockeloch…


 

Image : 1/ plan général du camp militaire et des diverses zones d’occupation (vicus et canabae) en l’état actuel des fouilles et découvertes _ 2/ stèle du légionnaire Largennius de la IIè légion. Musée archéologique de Strasbourg. Règne de Tibère, Ier siècle

 

Source : http://www.encyclopedie.bseditions.fr

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6 avril 2013 6 06 /04 /avril /2013 08:58

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre III. Les Fœderati.

 

Les Francs Saliens.

 

Dès le IIIe siècle de l’ère chrétienne, les Francs apparaissent, d’abord comme ennemis, puis comme alliés de l’Empire. On ne tarda pas à apprécier leur valeur égale à celle des Bataves et leurs qualités militaires non moins remarquables. Leur place se trouvait naturellement marquée parmi les nations que Rome cherchait à gagner pour s’en faire un rempart contre le flot des invasions. Les circonstances favorisèrent la politique romaine. Chassés de leurs demeures primitives par les Saxons, les Francs Saliens s’établirent d’abord dans l’île des Bataves dont la possession leur fut reconnue et qu’ils occupèrent à la condition de fournir des recrues à l’Empire et de protéger la frontière du Rhin contre les envahissements des autres peuples barbares. Ils conservèrent leurs rois, leurs institutions nationales, leur indépendance vis-à-vis de Rome, qui se contenta de leur imposer sa souveraineté comme aux Bataves. Ce fut sous le règne de Gallien, en 259, que les Francs conclurent une première alliance avec l’Empire et se mirent à sa solde[18].

Les Saliens, dont le nom apparaît pour la première fois dans un texte d’Ammien Marcellin[19], formaient une des principales branches de la grande confédération des peuples de même race désignés sous le nom générique de Francs[20]. Cette désignation particulière qui les distinguait des autres tribus franques remontait à une assez haute antiquité (quos consuetudo Salios adpellavit) ; elle était empruntée, selon toute apparence, non pas à leur séjour sur les bords d’une rivière appelée la Saale, mais à la266.jpeg condition même de la terre patrimoniale, appartenant aux chefs de famille (sala, saal, en tudesque, domus domini), et se transmettant de mâle en mâle, à l’exclusion des femmes. Cette disposition évidemment très ancienne et caractéristique chez les Francs de la même tribu s’est conservée dans la loi salique, recueil écrit des anciennes coutumes, des traditions nationales. On y retrouve l’expression de terre salique dans le même sens, et c’est en vertu d’une analogie avec cette vieille loi que les femmes furent exclues de la succession à la couronne de France[21].

Les Saliens occupèrent, avec l’agrément de Rome, le territoire voisin de la mer et s’y montrèrent les fidèles alliés de l’Empire. Plus tard, vers le milieu du Ier siècle, les Saxons envahirent de nouveau la frontière romaine. Les Francs, préposés à la garde de cette frontière, se mirent en devoir de la défendre et de repousser les envahisseurs, mais ne pouvant soutenir la lutte, ils se virent refoulés et obligés de chercher un nouvel asile sur le territoire romain, dans le pays des Toxandriens, entre l’Escaut et la Meuse, qui forme une partie des Pays-Bas actuels[22]. Julien considéra comme une atteinte portée à la puissance et à l’autorité de Rome cet établissement des Barbares que n’avait précédé aucune demande officielle et se prépara à marcher contre eux.

Aussitôt les Saliens envoyèrent une ambassade pour se justifier et implorer la paix, assurant que ce n’était pas comme ennemis qu’ils avaient franchi les limites assignées à leur nation, mais que la nécessité seule les y avait contraints, et que, si on les laissait tranquilles dans leur résidence actuelle, ils s’engageaient à remplir fidèlement les obligations qui leur seraient imposées. Rome était intéressée à accepter de semblables propositions, accompagnées d’un acte de réparation solennel. Julien n’hésita pas à recevoir comme auxiliaires ces nouveaux hôtes de l’Empire. Les Saliens continuèrent à fournir de précieuses recrues aux armées romaines ; ils devinrent, à partir de cette époque, les alliés perpétuels de Rome et furent spécialement chargés de la défense du Rhin depuis Mayence jusqu’à la mer[23]. Plusieurs corps auxiliaires de Saliens (seniores et juniores) et de peuples appartenant à la confédération des Francs, tels que les Bructères, les Ampsivariens, figurent dans la Notitia Dignitatum[24].

 

[18] Lehuërou, l. I, c. IX.

[19] Ammien, l. XVII, c. VIII.

[20] Zosime, l. III, c. VI.

[21] Ammien, l. XVII, c. VIII. Note de Valois. — Guérard, Polyptique d’Irminon, 1re part., p. 496. — Pardessus, Loi salique, tit. 62. — Montesquieu, Esprit des Lois, l. XVIII, c. XXII.

[22] Ammien, l. XVIII, c. VIII. — Zosime, l. III, c. VI.

[23] Dareste, Hist. de France, t. I, l. III, § 13. — Lehuërou, l. I, c. IX. — Zosime, l. III, c. VI-VIII.

Les Francs Ripuaires, tribu tout à fait différente et indépendante des Saliens, habitaient encore au IVe siècle la rive droite du Rhin. Ils doivent peut-être se confondre avec les Attuarii dont parle Ammien Marcellin et contre lesquels Julien fit plusieurs expéditions. Ils n’occupèrent la Deuxième Germanie que dans la première moitié du Ve siècle et devinrent à cette époque les alliés de l’Empire comme Fœderati. Jornandès les cite en énumérant les troupes auxiliaires qui combattaient dans l’armée d’Aétius contre Attila et les Huns. Leur nom de Ripuaires vient évidemment du pays où ils s’étaient établis entre le bas Rhin et la Meuse. Ils conservèrent leurs rois de la race marcomirienne jusqu’au temps de Clovis et s’incorporèrent alors à la monarchie franque. Leur loi se maintint à côté de la loi salique.

[24] Böcking, Notitia Dignitatum, 3 vol. in-8°, Bonn, 1739-1853. — Zosime, l. III, c. VIII.

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4 avril 2013 4 04 /04 /avril /2013 16:25

Le camp romain

 

C’est la « Legio VIII Augusta » qui donne au castrum primitif sa forme définitive. Le petit camp primitif de l’« Ala Petriana » est étendu en 10 de l’ère chrétienne aux dimensions d’une légion par la « legion II Augusta » ; ce camp est désaffecté quelques années vers 60 pour renaître entre 70 et 92. Les remparts se succèdent : en bois et terre vers 15 sous le règne de Tibère, en bois sur fondations de basalte sous les Flaviens autour de 80, en pierres calcaires avec chaînage en tuiles et tours intérieures carrées avec plateformes pour abriter les balistes vers 120-140.254.jpg

Le camp atteint son état le plus parfait sous Constantin (306-337) et (ou) Valentinien (364-375) : il s’étend sur une superficie de 19 hectares et dessine un rectangle de 530 x 275m, sur une terrasse non inondable d’une altitude de 132m au nord-est des deux affluents du Rhin, à environ 5 km à l'ouest du fleuve, la Bruche et l'Ill (Ill et Canal du Faux-Rempart), à l’emplacement du centre médiéval de la ville de Strasbourg. Le mur qui ceint le castrum est long de 1 810 mètres. Quatre imposantes tours de garde semi-circulaires de 20m de diamètre flanquent les angles du polygone. Entre ces tours et les quatre portes monumentales, 46 tourelles de guet de 7m de diamètre jalonnent le mur du rempart.

L’accès au camp se fait par la porte prétorienne, « porta praetoria » (rue Mercière, à hauteur du Fossé-des-Tailleurs et de la rue du Vieil-Hôpital) ; après la porte, à gauche, le « tertre des sanctuaires » (emplacement de la cathédrale Notre Dame) comprend, outre le temple romain, les lieux saints celtiques qu’ombrage un bosquet de chênes. En contrebas du tertre, à l'est, (débouché de la rue du Dôme sur la place de la Cathédrale) se trouve le prétoire, l'hôtel du commandement militaire dont les annexes se prolongent jusqu'au croisement de la via principalis ou cardo (rue du Dôme et rue du Bain-aux-Roses) avec la via praetoria ou decumanus (croisement rue du Dôme - rue des Hallebardes - rue des Juifs).

Plus loin se trouvent la chancellerie et le librarium où se trouvent les archives (coin rue des Frères - impasse de la Bière). Le valetudinarium, hôpital militaire, se trouve à l’emplacement de la place du Marché Gayot et plus loin, dans l'angle nord-est du camp, l'arsenal et l’intendance jouxtent les thermes réservés à l'armée (collège Saint Etienne). Enfin une voie ceinture le camp et fait le tour du rempart intérieur.

La citadelle abrite également une manufacture d'armes blanches, la fabrica (rue du Sanglier) où travaillent des armuriers indigènes, marqués au bras au fer rouge par précaution de secret militaire. D’autres thermes importants se trouvent entre la rue de la Hache et la rue du Temple Neuf. Ils comprennent entre autres une pièce circulaire d'une huitaine de mètres de diamètre, comparables à ceux qui sont connus dans d'autres camps rhénans, notamment à Xanten.

Outre la porte prétorienne, deux portiques percés aux deux extrémités de la rue principale donnent, l'un, sur la voie de Brocomagus-Brumath (extrémité de la rue du Dôme - place Broglie), l'autre, à l'opposé, sur la voie du Rhin (à l'emplacement du Château Rohan). Sur le flanc nord de l'enceinte (rue des Pierres - pont des Pontonniers) un autre porche ouvre sur la voie directe de Saletio (Seltz).

 

Un système de fossés développé au moins sur une trentaine de mètres de largeur et probablement une zone supplémentaire de sécurité isolent le camp des quartiers civils.255

L’enceinte du castrum est restée longtemps debout : l'archéologie a montré qu'elle était encore intégralement en usage à la fin du Xè siècle et que ses murailles puissantes faisaient partie sur certains côtés (front nord-est, côté quai Lezay-Marnésia et une partie du quai Saint Etienne) de l'enceinte de la ville à l'époque gothique (jusqu'à la fin du XIVè siècle).

 

À suivre...  6/6

 

Source : http://www.encyclopedie.bseditions.fr

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3 avril 2013 3 03 /04 /avril /2013 05:59

Vaincue en 51 av. J.-C., la Gaule ne devient pas instantanément romaine. Il faudra plusieurs dizaines d’années pour que la province romaine d’Aquitaine, qui va désormais de la Loire aux Pyrénées, soit organisée et prennent des caractères strictement Romains.

Dans les premiers temps de la conquête, le pouvoir est remis à des chefs locaux qui ont aidé César. C’est le cas de Sotiate Adietanus (de Sos dans le Lot-et-Garonne) ou du Santon Contoutos (région de Saintes) qui peuvent même frapper monnaie. Quand Auguste créait et organise la province d’Aquitaine en 27 av. J.-C., ces monnaies disparaissent progressivement, ceci indique l’arrivée d’administrateurs Romains qui vont organiser les agglomérations gauloises à l’image des villes romaines.

Burdigala devient la capitale des Bituriges Vivisques peu après la Conquête. Ce peuple est193.jpg issu du peuple des Bituriges Cubes provenant de la région de Bourges. Ils sont installés par Auguste sur le territoire que convoitaient les Helvètes avant la guerre des Gaules.

C’est à la fin du premier siècle avant J.-C. qu’apparaissent les premiers monuments publics en pierre. Très rapidement, ses monuments seront détruits et remplacés par des nouveaux, plus grand. Des éléments architecturaux sont retrouvés en réemploi dans des niveaux archéologiques datés du règne d’Auguste, comme sur le Cours du Chapeau-Rouge. Les grandes artères, decumanus et cardo sont mises en place au début du premier siècle après J.-C. Le même schéma d’aménagement se retrouve dans toute la province d’Aquitaine, à Iluro (Oloron-Sainte-Marie), Mediolanum Santonum (Saintes), Venusa (Périgueux), Aginum (Agen) ou Aquae Tarbellicae (Dax), etc. À partir des années 20-30 de notre ère, toutes les agglomérations d’Aquitaine présentent les caractéristiques des villes « à la romaine », avec les bâtiments publics, des termes, des temples, etc.

Les campagnes sont aussi organisées, avec la création de vastes domaines agricoles : les villas. Plusieurs grandes agglomérations agricoles sont datées des premières décennies de notre ère comme Plassac (Gironde) ou Lalonquette (Pyrénées-Atlantiques).

Le mode de vie évolue avec l’usage de l’écriture, les inscriptions dans la pierre ou les graffitis gravés sur des céramiques se multiplient. La vaisselle de verre apparaît en plus grand nombre, tout comme les céramiques dites « sigillées », importées d’Italie avant la création de grands centres potiers en Gaule : Montans dans le Tarn, la Graufesenque en Aveyron ou Lezoux dans le Puy-de-Dôme.

De nouveaux produits alimentaires apparaissent et les goûts évoluent. Les huîtres sont désormais consommées dans la région, les amphores huilent d’olive arrivent en plus grand nombre, le vin de Tarraconaise (Espagne) remplace le vin d’Italie mais surtout, les Aquitains apprennent à produire du vin.

Même si quelques très rares indices de culture de la vigne existent avant le premier siècle, notamment près d’Agen et de Lectoure, il faut attendre le tournant de notre ère pour voir la vigne apparaître en Aquitaine. Sur le site de Saint-Christoly, au centre de Bordeaux, des ceps de vignes ont été découverts. Daté de la première moitié du premier siècle de notre ère, il témoigne, avec les très nombreux pépins de raisin découvert sur le site de Chapeau-Rouge, que Bordeaux a déjà une place prépondérante dans l’économie du vin. À partir de 50 après J.-C., le vin aquitain est bien connu à Rome où il inonde le marché. Une nouvelle forme d’amphores particulières à l’Aquitaine apparaît vers 60-70 après J.-C. pour l’exportation du vin, définitivement remplacé par le tonneau de bois autour de 140 après J.-C.

 

Source :  Au temps des Gaulois, L'Aquitaine avant César éd. Errance

 

Image : Le Palais Galien de Burdigala.

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