Les gaulois n’ont laissé aucun écrit sur eux-mêmes et pratiquement aucune représentation de leurs Dieux. Longtemps, la religion gauloise n’a été connue qu’à travers des textes latins ou grecs qui ont servi de base à nos connaissances. Ainsi, depuis le XIXe siècle, on pensait que les cultes des gaulois étaient pratiqués dans les forêts profondes à proximité de sources... Depuis 30 ans, grâce à l’archéologie, nous en savons davantage sur leurs lieux de cultes et leurs rituels.
« Toute la population gauloise s’adonne avec passion aux pratiques religieuses. » En introduction à son exposé de la religion gauloise (dans la Guerre des Gaules, vers 52 – 51 avant Jésus Christ), César écrit cette phrase étonnante. Les historiens postérieurs ne lui ont pas prêté l’attention qu’elle mérite. Il est vrai que le conquérant de la Gaule qui la copiait d’un livre du savant grec Poséidonios d’Apamée, paru 30 ou 40 ans plus tôt, n’en mesurait pas lui-même la portée. Cette natio omnis Gallorum dont il parle n’est qu’une vue de l’esprit et la suite de son texte montre trop qu’il ne comprend guère ces religiones qu’il évoque de façon confuse : les sacrifices humains, quelques dieux qu’il désigne par le nom de leurs équivalents romains, d’étrange trophées d’armes. C’est pourquoi, pendant deux millénaires, historiens, philosophes et même les rédacteurs de l’Encyclopédie ont préféré se fier à leur propre imagination, puisant seulement dans quelques textes antiques haut en couleur : les accusations outrancières d’un Cicéron, la description précise mais non comprise d’un rite de cueillette par Pline, des évocations poétiques sans valeur documentaire.
On a ainsi parlé d’une religion naturiste, sans lieu de culte, pratiquée dans le plus profond des forêts, auprès de quelques phénomènes naturels, voire d’un dolmen. De le seul rite qui était décrit est évidemment le sacrifice humain accompli par un personnage énigmatique mi-devin mi-sorcier, le druide que César mentionne dans un autre chapitre de sa description de la société gauloise. Une ligne ou deux, tout au plus, dans les livres d’histoire. Il valait mieux suivre le conseil de Voltaire : « détourner les yeux de ses temps horribles ».
Et pourtant, depuis une trentaine d’années, c’est une tout autre vision de la religion gauloise que nous révèle les découvertes archéologiques : un univers spirituel ou les druides, des savants et des théologiens, joue le plus grand rôle, où le culte public - c’est-à-dire d’État - occupe toute la place.
D’authentiques sanctuaires
La découverte de la religion gauloise à commencer par celle de ses lieux de culte qu’on croyait inexistants. Le sanctuaire de Gournay-sur-Aronde (dans l’Oise), le premier identifié, est un enclos carré qui paraît petit (50 m de côté) mais n’est pas moins grand que bien de ses homologues de Grèce et du latium. Il en a aussi l’aspect : entourée de hauts murs et ornés d’un porche monumental. Poséidonios, qui avait fait un voyage en Gaule au tout début du premier siècle avant Jésus Christ, n’hésite pas à appeler «temenos » une telle enceinte et « propylée » son entrée couverte de boucliers, de lances et d’épées. Même l’intérieur lui rappelait ce qu’il voyait partout en Méditerranée : au centre une sorte de temple en bois et près de lui, un bosquet que grecs et latins qualifiés de « sacré ».
C’est qu’en gaule si le lieu de culte est un terrain commun aux dieux et aux hommes, où les seconds honorent les premiers par des donc qui ne peuvent être que ce qu’ils ont eux-mêmes produit : le bétail élevé parole, les dépouilles arrachaient un ennemi vaincu. Les animaux sauvages qu’on prétendait être le tout venant des sacrifices gaulois n’y avait donc pas leur place, pas plus que des hommes à titre de victimes : les uns comme les autres appartenaient au domaine divin. Les offrandes, animales et matérielles, étaient traitées comme en Grèce et en Italie. Les premières faisaient l’objet des deux types de sacrifices habituels. Le plus courant, dit « de commensalité », consistait à partager les bovidés, moutons et porcs entre les dieux qui n’en recevaient que sang et fumet des viscères et les hommes qui en consommaient sur place les meilleurs morceaux. Dans l’autre, exceptionnel, on précipitait des bœufs entiers dans une grande fosse servant d’autel -leur chair y pourrissant alimentait la divinité censée résider dans les entrailles de la terre ; les Grecs le qualifient de «chtonien ». Les offrandes matérielles quant à elles sont, surtout à date haute (IVème - IIème siècle avant J. C.), des armes. Elles étaient fixées sur les parois du sanctuaire et y demeurer des décennies, jusqu’au moment où leurs liens les laissaient choir au sol. Elles étaient alors désacralisées : on les pliait, les tordait, les priser. Les Grecs usant du même rite l’appelait : l’anathéma.
Cependant les gaulois différé de leurs voisins sur un point majeur : il ne donnait pas figure humaine à leurs dieux, ne leur fabriquait. De statut et n’avait, par conséquent, nul besoin de construire de temple où abriter pareille effigie. Le bâtiment qui occupait le centre des sanctuaires protégeait seulement l’autel, une grande fosse bordée d’un foyer, qui servait en toute saison, à l’abri des intempéries. Seule son ouverture sur l’extérieur rendu possible par les colonnes de bois supportant la toiture lui donnait l’allure d’un bâtiment classique qui lui avait peut-être servi de modèle.
Le culte public
Tous les lieux de culte découvert, depuis près de quarante ans, on sait allure de grand sanctuaire : les animaux qui ont été sacrifiés parfois par centaines et les armes offertes par milliers. Il ne fait guère de doute que ces aménagements sont l’œuvre de vastes communautés ne craignant pas ces prélèvements de leurs richesses. Le soin de la construction témoigne d’un engagement collectif : plan géométrique, matériau abondant et de qualité. Il faut parler ici de culte public, celui d’un groupe humain qui arbore sa puissance guerrière et affirme son autorité sur un territoire mis par lui en exploitation. S’il est excessif de reconnaître dans cette entité une civitas, comme l’appelle César, un de ses soixante grands peuples qui ont laissé des souvenirs dans les noms de nos villes ou de nos régions, on n’y verra sûrement l’une de ses subdivisions, le pagus, plusieurs tribus unies et occupant l’équivalent d’un ou deux de nos cantons.
Mais alors qu’en est-il à des pratiques religieuses plus individuelles ou familiales, celle qu’on dit généralement les héritières directes de croyances venues tout droit de la Préhistoire ? L’archéologie ne nous en dit rien : ni autel ni ex-voto dans les maisons pas plus qu’auprès des tombes. S’il y eut des cultes privés - l’absence de leurs vestiges ne pouvant signifier leur inexistence - , il faut pour le moins reconnaître qu’ils furent le contraire de ce de nature publique : ils ne se sont pas exprimés dans l’ostentation. Et pourtant, dans les deux cas, il s’agissait des mêmes hommes. Comment la société gauloise, en moins de deux siècles, a pu étouffer le culte de la personnalité de ces princes pour le remplacer par des formes collectives ?
Les druides au cœur de la religion
Pour le comprendre il faut interroger la personnalité des druides et leur rendre leur fonction dans la société. Les auteurs Grecs, mieux que César, nous disent qui sont ces étranges personnages qui le sont moins que ce que l’on s’est plu à imaginer pendant des siècles : des sages, quasiment des philosophes qui firent naître en Gaule les premières disciplines intellectuelles. Comme les mages en Perse ou les chaldéens en Assyrie, ils furent tout d’abord des spécialistes de la divination par l’observation des astres. Et cette pratique les a naturellement amenés à d’autres découvertes : le calcul, le calendrier, les cycles de la nature. Ils durent beaucoup aux Grecs dont ils servirent d’intermédiaire auprès des indigènes dans leurs activités commerciales. Très tôt on les compara aux Pythagoriciens, ce qui dit beaucoup des honneurs que non seulement les gaulois leur accordaient mais aussi les étrangers : comme les disciples du grand savant, ils prônaient la pureté, se vêtait d’une toge blanche, se réunissaient en des sortes de séminaires où l’enseignement n’était qu'oral. Les notes étaient proscrites pour encourager le travail de la mémoire mais aussi pour interdire la diffusion de connaissances conçues comme des armes spirituelles et politiques.
Ainsi les druides eurent conscience que le contrôle de la religion leur permettrait d’atteindre leur but : rendre la société plus morale et plus harmonieuse. Ils se firent théologiens. En interdisant les représentations des dieux, ils s’imposaient comme leurs interlocuteurs auprès des populations ; eux seuls connaissaient les désirs divins, les moyens et le bon moment de les satisfaire. Aux yeux des Grecs, la Gaule parut alors reconnaître un âge d’or : une société dirigée par les sages. Il est vrai que les druides seuls assuraient l’éducation d’une jeunesse choisie, qu’ils avaient rendu dépendante du culte public la vie politique, qu’enfin ils exerçaient une justice nationale, indépendante des potentats locaux.
Seuls leurs dogmes très particuliers et qu’ils diffusèrent largement rendirent possible l’ascendant des druides sur la société. En moins d’un siècle, ils firent disparaître des croyances populaires, notamment celle d’un au-delà où l’individu conserverait une existence larvaire, justifiant l’inhumation d’un mort avec armes et bijoux. Comme les Pythagoriciens et les poètes or physiques, ils professaient l’immortalité de l’âme et sa réincarnation perpétuelle dans de nouveaux corps : la vie, le cosmos tout entier obéissait à des cycles. Il valait donc mieux incinérer les morts et enfouir leurs cendres afin qu’elles regagnent au plus vite la demeure d’un Pluton gaulois, père de tous les hommes. Cependant, pour les besoins de leur cause, ils avaient aménagé la foi : les guerriers - la classe la plus importante et la plus dangereuse - échappaient au cycle des réincarnations, s’ils mouraient au combat. Non seulement la témérité de ces hommes était multipliée - ils n’hésitaient plus dès lors à combattre nus - mais leur force, origine du pouvoir politique, devenait dépendante de ceux qui pouvaient conduire leur âme à un paradis céleste auprès des dieux.
Les dieux eux-mêmes connurent une profonde réforme. La description très succincte en fait César montre des dieux désormais très policés : le premier et Mercure « inventeur de tous les arts », viennent ensuite Apollon qui « guérit les maladies », Minerve qui « enseigne les principes des travaux manuels », Jupiter « maître des dieux », Mars qui « préside aux guerres ». On est bien loin de ces divinités protectrices (la déesse mère par exemple) ou infernales qu’on dit venir de la Préhistoire. Ce panthéon très gréco-romain et celui que durent expliquer les druides à Poséidonios quand il faisait son enquête en Gaule. Nul doute qu’il était une enveloppe acceptable pour une forme de panthéisme, plus conforme à la philosophie de ces sages.
Cependant les druides et le culte public ne pouvait résister longtemps à l’ouverture de la Gaule sur le monde romain. La conquête de César l’ordonna le coup de grâce. La religion gauloise fut absorbée dans le culte public romain. Il en demeura fort peu de vestiges.
Source : Jean-Louis Brunaux - Le Monde de la Bible, Hors Série