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9 juin 2014 1 09 /06 /juin /2014 08:01

Au début de 286, avant d'aller affronter les barbares du Rhin et de la mer du Nord, le César Maximien eut à combattre en Gaule des paysans et esclaves révoltés.


Mamertin, contemporain des événements et auteur des deux panégyriques de Maximien, en 289 et 291, évoque sans les nommer les monstra biformia qu'étaient ces rebelles, "laboureurs devenus fantassins, bergers mués en cavaliers", dévastant les campagnes 0207.jpgà la manière des barbares. Leur nom celtique de Bagaudes, peut-être dérivé de bagad, "combat", n'apparaît que dans la seconde moitié du IVe siècle, tant chez Aurelius Victor, pour qui les Gaulois appellent ainsi des bandes de paysans mêlés à des latrones, que chez Eutrope et dans la chronique de saint Jérôme, où les Bagaudes sont seulement des rusticani révoltés. Dans des textes hagiographiques beaucoup plus tardifs, les Bagaudes, paysans et esclaves soulevés par la misère et supposés chrétiens, réapparaissent : l'une des Passiones de Saint-Maurice-d'Agaune, abbaye située près d'Octodurum (Martigny), œuvre rédigée entre 475 et 500, ainsi surtout que la Passio des Saints Martyrs de la légion thébaine, écrite par Sigebert de Gembloux au XIe siècle, relient les Bagaudes à la présence du César Maximien dans les Alpes Pennines, à Octodurum : là, les soldats chrétiens de la légion thébaine, venue d'Orient, refusèrent de leur faire la guerre et furent exécutés sur l'ordre de Maximien, récit repris par l'auteur, au XIe siècle aussi, de la vie de saint Babelon, abbé de Saint-Maur-des-Fossés au VIIe siècle.

Si ces textes tardifs s'inspirent sûrement des souvenirs de la grande persécution contre les chrétiens, de 304 à 311, et de la grande révolte des Bagaudes du Ve siècle en Armorique et en Aquitaine, où ces rebelles avaient suscité la sympathie de saint Germain d'Auxerre et de Salvien, il reste que, d'une part, les noms des deux chefs bagaudes, Aelianus et Amandus, donnés par Aurelius Victor, Sigebert de Gembloux et l'auteur de la Vie de saint Babelon, sont reproduits par huit monnaies, d'authenticité douteuse cependant, et que, d'autre part, la Vie de saint Babelon mentionne un castrum bacaudarum dont huit documents des Ve-VIe siècle attestent l'existence à Saint-Maur-des-Fossés, sans qu'on puisse savoir s'il s'agit d'un fort occupé par les Bagaudes de 285-286 ou par ceux du Ve siècle.

Pour tenter de comprendre les Bagaudes, il faut se replonger dans la société gallo-romaine du IIIème siècle. À cette époque l’Empire a connu depuis longtemps son apogée et s’est replié sur des frontières plus faciles à défendre, le Danube et le Rhin. Mais sa richesse attire toujours autant les peuples voisins : à l’est, les Goths, allié envahissant, accentuent leur pression. Au sud, les Maures multiplient des razzias. Et à l’intérieur, l’instabilité gagne. Une période d’« anarchie militaire », se déroula suite aux assassinats des empereurs Sévère Alexandre en 235 et Carin en 285, année qui voit Dioclétien accéder officiellement au trône et restaurer la stabilité. Cette période d’un demi-siècle verra plus de 60 prétendants se disputer le pouvoir, lever des armées, annexer des provinces.

Entre 260 et 274, il existe même des « empereurs » gaulois dans une Gaule indépendante.

Les querelles de ces braves gens ruinent l’économie et affaiblissent le tissu social, tant à l’intérieur qu’aux frontières de l’Empire.

Les légions sont mobilisées pour s’entre-déchirer et la sécurité dans les campagnes n’est plus qu’un souvenir. Les raids germaniques de 276 et une piraterie croissante sur le littoral de la Manche conduisent à l’abandon de nombreux villages et la fuite des habitants vers les forêts. C’est dans les années 280 à 300, par exemple, que les ateliers de salaison installée sur le site de l’actuelle ville de Douarnenez (Finistère) cesse de fonctionner et que le sanctuaire gallo-romain du Haut Bécherel (Côtes-d’Armor), élevé à la fin du premier siècle, est abandonné et incendié. En 312, un notable d’Augustodunum (Autain, Saône-et-Loire), dans un discours voué à remercier l’empereur Constantin d’avoir allégé les impôts de sa ville, rappelle que nombres de ses concitoyens ont été réduits, dans les années précédentes, « à se cacher dans les bois ou même à partir pour l’exil ».

Cette crise politico-économico- militaire se déroule à un moment de mutation sociale. L’édit de Caracalla, en 212 a fait de tous les hommes libres de l’Empire des citoyens romains... mais pas égaux pour autant. En réalité, la société est, depuis longtemps déjà, scindée en deux. D’un côté, la classe des « honestiores » (sénateurs, chevaliers, militaires, fonctionnaires, prêtres et leurs familles) : ils détiennent les postes-clés, la richesse et le pouvoir. Leur position les exonère de l’impôt et leur permet d’être jugé par des tribunaux spéciaux. De l’autre côté, l’immense majorité de la population, les « humiliores » : est soumise à l’impôt, les corvées et les droits civils réduits. Il leur était interdit de détenir des armes, de changer de domicile ou de métier. Il existe enfin une troisième et une quatrième classe sociale, souvent négligées : celle des citoyens déchus pour dettes et celle des esclaves.Evariste-Vital_Luminais-Pillards_gaulois.jpg

                                          Pillards Gaulois, par Evariste-Vital Luminais


 Il est intéressant de préciser les régions gauloises concernées par ce soulèvement de petits paysans ruinés, d'esclaves et de colons des grands domaines émancipés à la suite des invasions du IIIe siècle, rusticani que vinrent rejoindre et encadrer des latrones et des soldats déserteurs, tels apparemment Aelianus et Amandus ? Comme les Bagaudes furent les premiers ennemis que combattit, pour gagner le Rhin, Maximien qui était à Mayence en juin 286, il est probable qu'ils sévissaient surtout dans les régions où débouchaient les routes qui, par les cols des Alpes et du Jura, menaient d'Italie en Gaule, régions d'ailleurs sillonnées par les invasions alamanniques depuis 254 et, en 186 déjà, par les bandes de l'ancien soldat Maternus, pillant les campagnes et même attaquant les villes. Là effectivement, le brigandage était endémique à la fin du IIIe siècle, attesté tant par un praefectus arcendis latrociniis institué par la cité de Nyon que par le nombre des trésors monétaires enfouis avec des monnaies terminales de Dioclétien-Maximien dans la région de Genève et, du côté gaulois, dans la Franche-Comté et les départements de l'Ain, de la Saône-et-Loire, de l'Yonne, de la Nièvre, enfin de l'Isère et de la Drôme, c'est-à-dire aux abords des routes allant d'Italie soit vers Lyon et Vienne, soit, par Besançon, vers Chalon-sur-Saône et Autun, d'où partaient les routes de l'Ouest et de la basse Seine, vers le castellum bacaudarum de Saint-Maur-des-Fossés, sur la Marne, à l'entrée de Paris.

Le vaste secteur routier d'au-delà des cols des Alpes occidentales devint le tractus de la Gallia riparensis organisé militairement en duché très tôt : d'après ce qu'il en reste dans la Notice des Dignités, il correspondait au débouché des routes alpines entre le lac de Genève et Marseille, la partie septentrionale dépendant d'un duc de Séquanique, lequel n'avait plus, alors, qu'une petite garnison à Besançon, comparable à celles de Milites distribuées dans les provinces des Lyonnaises à l'ouest de la Saône, sans doute parce qu'au cours du IVe siècle le brigandage était resté très actif dans la zone alpine et sa périphérie.

Maximien ayant soumit les Bagaudes en quelques mois, il reçut, dès avril 286, peut-être même plus tôt , le titre d'Auguste qui consacrait ses succès, il est probable néanmoins que cette rapide soumission fut incomplète et que le César se borna à rétablir des communications sûres dans la région de l'axe Rhône-Saône-Rhin, en guerroyant contre les bandes d'Aelianus et Amandus qui avaient réussi à s'imposer avec le concours des latrones locaux. Vaincus, les deux chefs bagaudes furent abandonnés par les rusticani, puisque Mamertin vante la clémence de Maximien envers ces misérables rebelles. Vainqueur, le César ne chercha même pas à atteindre, par les routes de l'Ouest qu'il avait rouvertes, le littoral gaulois dévasté par les pirates saxons et francs, dont Dioclétien avait confié la défense à un officier originaire de Belgique Seconde, le Ménape Carausius, probablement déjà investi par l'empereur Carin du commandement de ce tractus étendu aux côtes de Bretagne. Il s'empressa de pénétrer en Germanie Supérieure pour y lutter contre des barbares — Aelianus et Amandus avaient-ils essayé de les refouler ? — qui sont vraisemblablement des Alamans, car Maximien était à Mayence en juin 286.


Il est amusant de noter qu'à l'issue d'une des dernière bagaude menée en Gaule centrale en 448, par un médecin nommé Euxode, vaincu, celui-ci se réfugia à la cour d'Attila... 

 

Sources : www.theatrum-belli.com / Guerre et Histoire N° 18

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commentaires

E
Bonjour. Intéressant. Du coup... peut-on imaginer une parenté entre la structure de la société gallo-romaine et la nôtre, notamment dans le distinction entre les humiliores et les honestiores?
Répondre
L
<br /> <br /> La Ripoublique française ayant adoptée les Droits de l'Homme etc... comme religion, elle ne peut donc compter en son sein des classes aux droits différents tels que les honestiores et humiliores.<br /> En théorie...<br /> <br /> <br /> En pratique, c'est autre chose et cela ne date pas d'hier. Jean de la Fontaine dans "Les Animaux malades de la peste"  nous parle des innégalités de la société française du XVIIe siècle, (ou<br /> de toujours !). Heureusement depuis 1789 les tyrans ont disparu et l'injustice, la corruption, le favoritisme, le fanatisme aussi...<br /> <br /> <br /> Arrosé de Ramitello, noyé dans le limoncello, tout va alors pour le mieux dans le meilleur des mondes (d'Aldous Huxley)<br /> <br /> <br /> A bientôt<br /> <br /> <br /> <br />

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