En 534, Thierry meurt. Clotaire voudrait bien récupérer le royaume de son frère, mais c’est Thibert, le fils de celui-ci qui en est le légitime héritier. Il faut donc se débarrasser du jeune roi. Clotaire propose alors à Childebert de s’emparer du royaume de leur neveu. Les deux hommes se lancent donc à la conquête du royaume d’Austrasie, mais la campagne, mal préparée ne se déroule pas comme prévue, et Childebert abandonne l’expédition. Clotaire n’est bien entendu pas satisfait. Il multiplie dès lors les courtes et violentes attaques à la frontière. Face à cette situation, Thibert décide de mettre son oncle à la raison. Pour cela, il doit trouver un allié. Pourquoi pas Childebert puisque celui-ci désire agrandir son royaume, qu’il l’agrandisse avec celui de son frère ! Excellente idée se dit Childebert, Thibert et lui tiennent le royaume de Clotaire en tenaille. Quand l’un aura franchi la Marne et l’autre la Loire, Clotaire n’aura plus qu’à se soumettre à leur volonté, et il y a même encore plus simple : s’en débarrasser définitivement !
Clotaire, qui n’a pas prévu la double attaque est prit de court. Il se réfugie avec ses plus fidèles compagnons dans la forêt de Brotonne au cœur de la Neustrie, dans le méandre de la Seine qui serpente au sud de Caudebec-en-Caux.
Apprenant que ses fils et son petit-fils sont prêts à s'entretuer, Clotilde impuissante implore le Seigneur d'intervenir.
Pendant ce temps, Childebert et Thibert sont parvenus au fond de la forêt, près du lieu où Clotaire attend dans l'angoisse le dernier assaut. Alors que les troupes sont déployées, prêtes à passer à l'attaque, le ciel devient soudainement très sombre. La forêt plonge dans l'obscurité totale puis une grêle serrée, mêlée de pierres et d'effrayants coups de foudre s'abat sur les assiégeants. Les dégâts sont lourds, les hommes et les animaux qui n'ont pu se protéger ont été grièvement blessés. Personne n'a jamais connu un tel déchaînement météorologique. Un tel cataclysme ne peut avoir qu'une origine : la colère de Dieu. «Ils faisaient acte de pénitence, raconte Grégoire de Tours, et priaient Dieu de leur pardonner d'avoir voulu commettre des crimes contre des hommes de leur sang.»
Les hostilités cessent aussitôt. La paix est alors conclue et chacun s'en retourne dans son royaume respectif.
Puisque le Seigneur ne veut pas que les héritiers de Clovis s'entretuent, ceux-ci vont donc s'intéresser à leur voisins : les Goths.
On est alors en 536. Théodoric le Grand, chef de la dynastie amale, créateur du royaume ostrogothique d'Italie est mort dix ans plus tôt. Or, depuis sa disparition, son royaume est livré à l'anarchie. Théodoric n'a pas eu de fils. Aldoflède, sœur de Clovis lui a donné trois filles. La cadette, Amalasonte a bien donné le jour à un garçon prénommé Athalaric reconnu roi d'Italie, mais celui est décédé en 534, alors qu'il n'avait que dix-huit ans. La Provence occupée par les Ostrogoths est donc une cible idéale pour les Francs qui n'ont qu'à traverser le Rhône et la Durance. L'entente des trois rois se scella donc autour de ce projet : la conquête de l'Italie.
Ce fut Thibert qui s'y consacra avec le plus de ferveur. Ayant rassemblé une armée que les chroniqueurs estiment à cent mille hommes, il pénétra en Italie du Nord et fondit sur les Ostrogoths. Leur roi, Vitigès, s'enfuit avec ce qu'il restait de ses troupes.
Pendant ce temps, Childebert et Clotaire se concertaient pour attaquer de leur côté. Mais curieusement, ceux-ci ne sont pas très enthousiastes. En fait, ils auraient préféré s'en prendre aux autres Goths, ceux de l'ouest, qui avaient repris possession du territoire qui s'étendait depuis l'autre rive du Rhône aux Pyrénées. Quelques années auparavant, Childebert avait vaincu les Wisigoths, saisi Narbonne et s'était emparé du trésor royal[1]. Puis, raccompagnant vers le nord sa sœur blessée et malade, il n'avait pas laissé de troupes pour occuper le territoire, ce dont avait profité Theudis, devenu roi d'Espagne à la mort d'Amalaric, qui occupait maintenant la Septimanie. Voilà donc ce qui troublait Clotaire et Childebert : au lieu de sauvegarder et même d'agrandir l'empire franc, ils avaient consacré leur énergie à se battre entre eux -ce qui avait peiné leur mère et courroucé le Seigneur - aussi, s'interrogeaient-ils sur le choix de s'emparer de l'Italie plutôt que de marcher vers les Pyrénées. Ce fut alors que des messagers venus d'Austrasie mirent fin à leur perplexité : une épidémie avait décimé la grande armée de Thibert, qui s'était vu contraint de repasser les Alpes. Le projet italien était ainsi abandonné, et le contrat passé entre les trois hommes devenait caduc.
Les deux frères décidèrent donc, en 542, de réunir leur force et de s'intéresser à l'Espagne. Ils franchirent les Pyrénées sans obstacles, prirent Pampelune et assiégèrent Saragosse. Cette place, défendues par de fortes murailles derrière lesquelles veillait une garnison déterminée n'était pas facile à prendre, mais les mérovingiens n'étaient pas pressés : ils organisèrent donc le blocus de la ville et pillaient les campagnes environantes pour se ravitailler. Le siège sera finalement levé en échange de ce que les rois francs croient être les reliques de saint Vincent[2], qu'ils ramenent aussitôt à Paris.
Clotaire qui avait habilement annexé la plus grande partie du royaume de Clodomir, guettait la mort de ses autres frères. Étant le plus jeune, il espérait bien être le dernier des héritiers de Clovis. Ambitieux et sans scrupule, il était prêt, si les autres ne mouraient pas de mort naturelle, à provoquer leur fin prématurément.
Thibert règne pendant quatorze ans, puis décède en 548. Le jour même des funérailles de Thibert, son fils Thibaud est acclamé roi des Francs à Metz. Il a douze ans. Clotaire ne réagit pas. Il sait très bien que cet enfant, héritier unique de son père est chétif et malade.
Thibaud règne malgré tout pendant six ans. Mais alors qu'il s'est marié depuis peu, il est victime d'une hémiplégie et meurt ; sans descendance.
Clotaire, à l’affut, se précipite à la villa où se trouve Vuldetrade, l’épouse de Thibaud, et comme il l’a fait avec Radegonde, enlève la jeune femme, déclare qu’il va l’épouser, et se proclame roi d’Austrasie. (Il est fort possible que cela se passe alors que Thibaud agonisant n'est pas encore mort, mais soupçonnant la jeune femme d'être enceinte, Clotaire prend les devants).
Childebert ne bronche pas, mais cette fois les évêques manifestent bruyamment leur opposition. Tant si bien que Clotaire renonce à épouser la jeune fille… mais pas à s’emparer du royaume.
Les antrustions de Thierry et de Thibert connaissent l’homme ; ils l’ont vu à l’œuvre dans les combats et la conquête, et le reconnaisse pour leur souverain. Cette acceptation, ou cette proclamation de la noblesse militaire est autant que la loi du sang, la garantie de la légitimité d’un roi barbare. Ni Childebert, ni les Thuringiens, ni les Goths n’émettent la moindre contestation là-dessus. Clotaire se trouve à présent, maître de plus de la moitié du royaume de Clovis.
Mais les choses ne sont jamais simples et voilà qu'il a maille à partir avec les Saxons qui refusent de payer leur tribut et se montrent même arrogants. Le roi Francs lève alors une armée afin de les soumettre. Alors, profitant que Clotaire s'est rendu en campagne, Chramne, l'un de ses fils, se met en tête de prendre possession d'une partie du royaume. Pour cela, il obtient l'aide de son oncle Childebert.
De son côté, Clotaire s'impose aux Saxons et rentre dans sa capitale où il apprend que Chramne s'est emparé de plusieurs villes de son royaume.
Le prompt retour de Clotaire met fin à la collaboration entre Childebert et son neveu, le roi de Paris ne tenant décidément pas à défier son frère. Sentant alors que ses affaires tournent mal, Chramne prend la fuite et se réfugie dans les domaines qu'il a conquis.
Le 23 décembre 558, Childebert meurt d’une longue maladie, ce qui permet à Clotaire de s’emparer de son royaume. Influencé par (saint) Germain de Paris, Childebert sentant la mort venir, a distribué son trésor aux pauvres de Paris. Voilà qui ne réjouit guère Clotaire qui trouve les caisses vides. Mais il reste le palais, et surtout le royaume qui comprend toute la bande occidentale du territoire des Gaules entre la Somme et la Garonne. Clotaire se trouve dès lors à la tête de l’intégralité du royaume de son père, plus celui des Burgondes, plus la Provence. Ce qui pourrait désigner actuellement comme la France, plus le Benelux, plus l’Allemagne de l’ouest, plus la Suisse.
En quarante-sept ans, Clotaire a multiplié par neuf la modeste portion de territoire dont il a hérité à la mort de son père ; devenant ainsi le premier souverain de l’Occident.
Pas question de partager ou de céder quoi que ce soit. Il expulse rapidement sa belle-sœur, la reine Ultrogotha, ainsi que ses nièces Chrotberte et Chlodosinde[3]. Puis, comme son père, choisit Paris pour capitale.
Alors que Clotaire avait pardonné son fils Chramne, celui-ci fait à nouveau parler de lui ; et entre le 1er septembre 559 et le 31 août 560, avec l’aide des Bretons, celui-ci pille et détruit un grand nombre de lieux appartenant à son père. En novembre ou décembre 560, Clotaire, accompagné de son fils Chilpéric, s’avance à sa rencontre . La bataille a lieu dans les environs de Vannes. Vaincu Chramne tente de s'enfuir par la mer mais il est alors capturé et aussitôt condamné à mort. Enfermé dans une masure avec son épouse et ses filles, il y est étranglé avant que le feu ne soit mis à l'édifice.
À son tour, Clotaire sent la fin de sa vie approcher. Il a conscience de s’être montré cruel, impitoyable et même méchant pendant son existence. Or, on peut tromper sa mère, ses frères, ses fils, ses ennemis ; on ne trompe pas Dieu. Enfin la sagesse semble atteindre le dernier des fils de Clovis. Maintenant qu’il a obtenu richesse et pouvoir, qu’il n’a plus la hantise de perdre ce qu’il possède, voilà que la culpabilité le tenaille. Aussi, désireux de faire pénitence, il décide de faire un pèlerinage. Il semble que cette volonté de se repentir fut sincère. C’est en toute simplicité que Clotaire se rendit à Tours, là où son père aimait prier pour obtenir la victoire ; là où sa mère était morte en invoquant la miséricorde divine pour ses enfants coupables. Il se rendit sur le tombeau de saint Martin et, « il se remémora, écrit Grégoire de Tours, toutes les actions coupables qu’il avait accomplies et pria avec d’intenses gémissements, afin que le bien heureux confesseur implorât pour ses péchés la miséricorde de Dieu et lui obtînt son pardon. »
En novembre ou décembre 561, Clotaire sentant sa mort très proche convoqua ses quatre fils. Il informa ces derniers qu’à sa mort, ils se partageraient son royaume, sans toutefois préciser la part que chacun devait obtenir, ce qui allait assurément créer des tensions.
C’est à Soissons, dans la basilique Sainte-Marie qu'il avait commencé à faire construire sur le tombeau de saint Médard, que fut enterré Clotaire Ier, Roi de France.
[1] Voir l'article sur Childebert
[2] Voir l'article : Clotaire et Childebert roulés par l'évêque de Saragosse
[3] Les filles, prétend-il, n’ont aucun droit ; usage qui en 1316, à la mort de Louis X, fils ainé de Philippe le Bel, sera invoqué par le second, Philippe V, pour ravir la couronne à Jeanne, l’héritière. C’était là, prétendent les juristes qui le soutiennent, un article de la loi salique. Or, la loi salique n’a jamais compté un tel article ; et Philippe comme Clotaire oublièrent que Clovis, à sa mort, avait laissé à sa file Clotilde une belle portion de territoire à titre de dot. Héritage qu’aucun de ses frères n’avaient contesté.
Sources : carte royaume france unifié www.castlemaniac.com _ Grégoire de Tours, Histoire des francs. _ Clotaire Ier Fils de Clovis, Ivan Gobry éd. Pygmalion