Dès la fin du IVe siècle, le christianisme orthodoxe devient une religion de l’Empire. L’Église va se trouver placée devant une situation nouvelle. D’une part, de minorité plus ou moins persécutée (7% des habitants de l’Empire), elle va devenir majoritaire, bénéficiant des lois qui, sur une durée de trente ans, interdisent progressivement les cultes païens, même en privé. Les temples vont être démolis par les croyants enthousiastes ou, plus généralement, transformés en bâtiments publics. C’est ainsi que l’on a découvert récemment les débris monumentaux du sanctuaire de Vénus à Port-Vendres (Portus Veneris) – Pyrénées-Orientales - qui avaient été précipités dans la mer à cette époque.
D’une autre côté, les définitions dogmatiques deviennent non plus seulement des questions de foi, mais aussi des enjeux politiques de première importance, pour lesquelles le pouvoir impérial se sent impliqué. D’abord parce que l’État apporte son soutien à la doctrine orthodoxe, mais également parce que tous les avantages de l’unité spirituelle risquent d’être menacés par les succès d’une hérésie.
Une hérésie nous dit le dictionnaire, c’est une doctrine contraire aux idées émises par une religion ; et parmi les hérésies qui vont voir le jour, l’arianisme prendra une place importante.
L’Incarnation et la Trinité sont les thèmes que les différents courants hérétiques remettent le plus souvent en cause
En affirmant la nature divine du Fils, les chrétiens se faisaient accuser de polythéisme par les juifs et les « judaïsants », mais, paradoxalement, également par les païens qui renchérissaient sur ce registre, accusant le christianisme de revenir aux mythes des demi-dieux. D’autre part, si jésus était né comme un homme, avait-il reçu sa nature divine de toute éternité ou progressivement ? Était-ll déjà Dieu avant de naître, seulement le jour de sa naissance ou l’est-il devenu ultérieurement, suite à une prise de possession de son corps par le Père ? S’il était déjà Dieu avant de naître par la chair, avait-il eu un commencement ou partageait-il avec Dieu créateur la divinité éternelle ? Cette question engendrait un second problème qui était la nature du Fils par rapport au Père, et par conséquent leurs places respectives, l’existence d’une hiérarchie entre les personnes de la Trinité.
Le courant antitrinitaire, principale source d’hérésie, remet en cause la Sainte Trinité : Le Père, le Fils et le Saint Esprit ne font qu’un, et aucun n’est supérieur aux autres.
Le plus ancien hérésiarque connu sur ce sujet, fut Noët, un prêtre de Smyrne, qui vivait vers 180, et qui condamnait ce qu’il appelait la diversité en Dieu, prétendant renouer avec le monothéisme strict : la monarchie divine. Il fut chassé de l’Eglise d’Ephèse et mourut vers 200. Peu après à Rome et non plus en Orient, une hérésie voisine se fit connaître sous la férule d’un prêtre grec nommé Praxéas. Ce chef d’école avait commencé par adhérer au montanisme avec Tertullien, puis l’abandonna en se soumettant au pape Victor Ier, mais ce fut pour mettre en doute le Trinité en enseignant que le même Dieu était en même temps le Père et le Fils, c’est-à-dire le Dieu caché et le Dieu manifeste. Il fut cruellement moqué par Tertullien et supplicié sous Marc Aurèle en 180.
D’autres hérétiques hostiles à la divinité de Jésus étaient les artémoniens : « Jésus a eu un commencement, donc il n’est pas Dieu », disaient-ils. Ils furent condamnés au concile d’Antioche en 216.
Une autre façon de rejeter la divinité originelle du Christ était la théorie « adoptianiste » de Paul de Samosate, évêque d’Antioche vers 260, qui fut longtemps soutenu par la reine Zénobie de Palmyre. Selon lui, le Christ était un homme à l’origine, mais il avait été adopté par Dieu comme son fils. Comme la toute puissance de Dieu ne connait aucune limite, il n’y avait rien d’étonnant à ce que Dieu le Père ait accordé à son nouveau fils l’homoousie, c’est-à-dire l’unité de substance avec le Père, les deux êtres divins ne formant alors plus qu’une seule personne.
Enfin, certains, choqués par ce qu’ils considéraient comme une atteinte au monothéisme, tentèrent néanmoins de trouver une expression acceptable en préservant les images divines distinctes : ce fut le cas de Sabellius, évêque de Ptolémaïs en Libye de 250 à 260. Ce théologien voulut réaffirmer ce qu’il appelait la monarchie de Dieu, mais en formulant une théologie des « trois formes divines » : celle du Père créateur et testateur de la Loi, celle du Fils, le messager incarné, celle de l’Esprit projetant sa lumière sur les apôtres. Ce qui était important, pour lui, c’était de comprendre qu’il n’y avait pas trois personnes, mais une seule, prenant des formes différentes. D’où le nom de ses théories : modalisme. L’Eglise orthodoxe romaine condamna Sabellius au synode d’Alexandrie en 261.
Cependant, c’est avec Arius que l’hérésie antitrinitaire reçut sa formulation la plus durable, appelée à un grand renom et à des rebondissements jusqu’à la fin de l’Empire romain. Arius (256-336) était un prêtre libyen qui se rendit célèbre lors d’une controverse avec Alexandre, évêque d’Alexandrie, aux alentours de l’an 318. Celui-ci s’attachait à montrer que la Trinité n’était pas incompatible avec l’Unité éternelle de Dieu. Arius s’opposa à lui, reprenant les objections de Sabellius et de Paul de Samosate, mais sans adopter leurs conclusions. En effet, Arius répétait que le Père seul était Dieu depuis le commencement des temps, le Fils étant créé par lui afin de devenir le « second créateur ». Il faut observer qu’Arius ne date pas la création du Fils au moment de la création du monde, en tous cas avant les autres créatures. Il s’agit donc d’une tentative de compromis entre les tenants de la stricte monarchie divine et les enthousiastes de la révolution de l’Incarnation. D’ailleurs Arius croit pouvoir trouver une allusion à cette seconde création, celle du Fils, dans le chapitre 8 du Livre des Proverbes : le monologue de la Sagesse (versets 22-31) :
« J’ai été établie dès les temps éternels, Dès le commencement, avant la création de la terre.
Quand il n’y avait point encore d’abîmes, j’ai été enfantée, Avant les sources aux eaux abondantes.
« Avant que les montagnes fussent fondées, Avant les collines, j’ai été enfantée,
« Avant qu’Il eut créé la terre et les campagnes, Et l’ensemble de la poussière du monde.
« J’étais là quand Il disposa les cieux, Quand Il traça un cercle sur la surface de l’abîme.
« Quand Il fixa les nuages en haut, Quand les sources de l’abîme jaillirent, Quand il assigna à la mer une limite que Ses eaux ne devaient pas franchir, Quand Il traça les fondements de la terre, J’étais à Ses côtés, son ouvrière, J’étais toute allégresse, jour après jours, M’égayant devant Lui sans cesse, M’égayant sur le sol fertile de sa terre, Trouvant ma joie dans les fils des hommes. »
La doctrine du premier arianisme ne conteste pas la Trinité, comme on le croit souvent, mais seulement la consubstantialité et l’« égalité » du Père et du Fils ; il est subordinatialiste, c’est-à-dire que le Fils est soumis au Père. Dans la Thalie, une des rares œuvres qui nous soient parvenues, Arius explique que « le Fils n’a rien de propre à Dieu selon la substance qui lui est originelle, car il n’est pas égal à lui, ni même consubstantiel ». À la différence des patripassiens ou des modalistes ; Arius considère le Christ comme un Dieu, mais subalterne et changeant. Disciple du martyr saint Lucien d’Antioche, né à Samosate en 240, qui prônait une lecture très « historique » des Evangiles, il applique une grille critique aux actes de Jésus, voyant des contradictions dans ses actes et dans ses paroles et en tirant la conclusion que le Christ ne peut être le Dieu unique et tout-puissant. D’autre part, il intègre l’Incarnation dans cette logique de l’« infériorité » de Jésus : c’est parce qu’il était seulement le Verbe et non pas Dieu qu’il a pu s’unir à la chair. Du reste Arius et ses successeurs contestent à la fois la nature divine complète du Christ et sa nature humaine. Citons l’évêque arien Eudoxe de Constantinople (v.300-370), qui insiste lourdement sur ce point : « Nous croyons que l’unique Seigneur, le Fils, qui s’est fait chair, non pas homme, car il n’a pas assumé une âme humaine, mais il s’est fait chair, de telle sorte que Dieu nous fut révélé, à nous les hommes, à travers la chair comme à travers un voile, non pas deux natures, puisqu’il n’était pas totalement homme, mais Dieu dans la chair. » Ce texte parmi tant d’autres montre que l’arianisme est bien une solution de compromis : pour maintenir un monothéisme absolu sans pour autant abandonner la Trinité, il réduit à la fois la divinité du Christ et son humanité. Les conséquences de la formulation d’Arius contre Alexandre furent prévisibles : la condamnation d’Arius avec déposition. Alexandre fut secondé puis remplacé dans sa lutte par Athanase (298-373), inlassable pourfendeur de l’arianisme. Pourtant, il fallut attendre près de quatre siècles avant d’en venir à bout.
Source : Histoire des hérésies, Pierre de Meuse. Éd. Trajectoire