La bataille d’Alésia n’est pas terminée ! La récente ouverture en Bourgogne, au pied du mont Auxois, du nouveau Muséoparc Alésia, à Alise-Sainte-Reine ranime à propos de l’emplacement su site une controverse qu’on croyait éteinte depuis belle lurette. Où diable l’oppidum des Mandubiens perchait-il ? Jules César, avec son habituelle désinvolture géographique, nous a laissé dans le flou.
Vers 1860, l’empereur Napoléon III passionné d’histoire et d’archéologie charge le colonel Stoffel – son aide de camp et archéologue favori – d’entreprendre la première fouille systématique d’Alise-Sainte-Reine. Alise avait toujours été considérée comme l’antique Alésia : des moines l’avaient noté dès le IXe siècle, sur la foi de la tradition orale. Et l’on avait glané tant de vestiges sur la colline, du XVIIe siècle au début du XIXe – dont, en 1839, la superbe inscription en gaulois portant l’indication « in Alisiia » - que le doute n’était pas de mise. Une savante « Commission de de la topographie des Gaules », créée tout spécialement, s’était même assurée que le site d’Alaise (à l’est d’Arc-et-Senans, dans le Doubs) n’était pas un concurrent sérieux, malgré les armes de bronze qu’on y avait trouvées.
Pourtant la contradiction est toujours active. Les ennemis politique de Napoléon III veulent lui donner tord, et comme celui-ci finance dès 1862 un petit musée, les villages qui prétendent eux aussi abriter l’antique champ de bataille, crient à l’imposture. On affirme par exemple, que les très nombreuses armes et monnaies trouvées à Alise, ont été cachées là tout exprès. Cette accusation ne tient pas car à l’époque des premières découvertes, les connaissances du monde gaulois étaient très faibles, et même parfois, -concernant leur usage du fer par exemple – inexactes. Or, d’éventuels faussaires n’auraient pas manqué de commettre quelques anachronismes. De plus, l’étude minutieuse des notes et plans des fouilles, qu’on a longtemps cru perdu après la chute du régime, a permis de confirmer l’honnêteté et la rigueur scientifique des archéologues impériaux…
Une quarantaine de contre-propositions n’en ont pas moins été avancées au fil du temps, fondées sur des similitudes de topographie et/ou de toponymie : Alaise, Salins-les-Bains, Izernore en Savoie, Mandeure dans le Doubs, Novalaise dans l’Ain, Guillon dans l’Yonne, etc… Aujourd’hui encore, les tenants d’une hypothèse jurassienne, à Chaux-des-Crotenay, se font entendre. Mais après tout, et c’est pour cela qu’il est indispensable d’accepter la critique, la contradiction et de laisser la liberté de faire des recherches historiques quelque soit le sujet ; peut-être trouvera-t-on un jour la preuve irréfutable qu’Alise-Sainte-Reine n’est pas Alésia.
Cela serait tout de même une sacrée surprise, car en deux grandes campagnes de fouilles espacées de plus d’un siècle, on a découvert à Alise le plus gros arsenal militaire romain et (surtout) celtique jamais découvert sur un champ de bataille. Des centaines de fers de lance, des dizaines d’épées, de glaives, de casques, d’umbos, d’innombrables pointes de flèches, traits de balistes et boulets, sans oublier les clous des semelles des légionnaires, les chausse-trapes, et les redoutables aiguillons piqués dans le sol. On a même trouvé un lambeau de tente de cuir, préservé par miracle au fond d’un fossé humide. La photographie aérienne, elle a permis de retracer presque entièrement la double ligne fortifiée de César, respectivement 15 et 21 kilomètres de long, avec ses tranchées, ses portes, ses postes fortifiés, ses campements et ses tours de bois dont restent les trous de poteaux. Les grandes sécheresses de 1976 ou 2003 ont rendu service dans ce domaine : le blé jaunit toujours moins vite sur un fossé comblé. Quant aux quelques zones encore invisibles, elles devraient être bientôt révélées grâce à la télédétection par laser, un système qui ignore les pentes et les étendues boisées.
Il est important de rappeler que César ne réalisa de tels ouvrages qu’à Alésia, sachant qu’il allait être pris en tenaille. Un dernier élément complète les indices favorables à Alise-Sainte-Reine : + de 700 pièces de monnaies ont été découvertes dans et autour de l’oppidum. Les archéologues y reconnaissent d’une part la solde des légionnaires, de l’autre le trésor de guerre gaulois. Parmi les pièces provenant de différentes tribus gauloises, on a retrouvé des pièces d’une grande rareté : il s’agit de monnaie de siège, de celles que l’on émet dans l’urgence, sur du métal de moindre valeur, avec probablement la promesse de les échanger si l’aventure tourne bien. Celle-ci sont à l’effigie de Vercingétorix, frappées sur du bronze avec un coin prévu pour l’or. Un coin[1] qui suit le chef partout où il va !
[1] L’interprétation des trouvailles d’Alise-Sainte-Reine par Jean-Baptiste Colbert-de-Beaulieu
L'examen des faciès permet certaines datations et peut être appliqué rétrospectivement aux trésors les mieux connus. Le cas d'Alésia fournit un exemple parlant. Les découvertes numismatiques faites lors des fouilles d'Alise-Sainte-Reine sous Napoléon III (474 monnaies gauloises trouvées dans les fossés de Grésigny, dont 134 d'argent) purent être comparées à d'autres faciès, notamment celui du trésor de Villette (commune de Saint-Laurent-du-Pont, Isère) découvert en 1919 et dont la date d'enfouissement est postérieure à 43 av. J.-C. Les deux faciès étant quasiment identiques, démonstration fut faite que les trouvailles d'Alésia étaient cohérentes et authentiques, contrairement à ce qu'affirmaient bien des détracteurs du site d'Alise, car il était impossible aux fouilleurs du Second Empire de créer un faux en anticipant d'un siècle sur la méthodologie numismatique. Il s'agissait d'un élément de poids dans la localisation du siège d'Alésia. L'étude des coins (monétaires) révéla aussi qu'à Alise des bronzes de Vercingétorix furent frappés en utilisant le coin destiné aux monnaies d'or, cas exceptionnel que Colbert de Beaulieu interpréta comme un symptôme de la situation de crise que fut le siège.