Peut-on parler de panthéon celtique ? À première vue, il semble difficile d'établir un système unifié des croyances et des dieux chez les Celtes tant les théonymes se révèlent divers. La seule référence solide que nous ayons en matière de divinités celtes demeure César, dans sa Guerre des Gaules. Les dieux Gaulois étaient fort nombreux (il a été recensé près de quatre cents noms, mais tout laisse à penser qu'il ne s'agit là que de la partie émergé de l'iceberg !), puisque chaque tribu vénéraient plusieurs dieux locaux. On connaît cependant un grand nombre de divinités adorées dans toute la Gaule et la Bretagne insulaire (parfois sous des noms différents, ce qui explique en partie la multiplicité des théonymes), qui trouvent tous leur équivalent dans la mythologie irlandaise. Une évidence en tous cas; le panthéon celtique est fidèle à la trifonctionnalité (sacerdotale, guerrière et productrice) mise en évidence par Georges Dumézil.
Les dieux selon la typologie de César
Selon César, Mercure est le plus grand des dieux, «inventeur de tous les arts», «celui qui indique la route à suivre et guide le voyageur», celui en dernier lieu qui garantie la fortune. Jupiter «gouverne les cieux», Mars «régit les guerres» et reçoit le butin. Apollon «éloigne les maladies» et Minerve enfin «enseigne les principes des arts manuels». Christian-Joseph Guyonvarc'h constate qu'appliqués au domaine celtique, les «cinq dieux énumérés par César forment tout le panthéon» ce que vient corroborer Yvan Guéhennec[1]: «Pour définir le panthéon celtique, il faut s'en tenir aux noms principaux des divinités car celles-ci, selon les lieux et les périodes, peuvent porter différents théonymes. C'est pour cela qu'une divinité celte et indo-européenne se reconnaît davantage par sa fonction que par le nom qu'on lui attribue».
Quels sont, selon ces critères, les cinq principaux dieux que les Celtes honoraient ?
Mercure-Lug, le dieu polytechnicien
En Gaule, Lug (ou Lugus) apparaît peu dans l'épigraphie. L'inscription «Lvgoves» (de Lugos) a été retrouvée dans les Alpes suisses et «Lvgovibvs» en Espagne.Mais c'est surtout dans le nom des villes que la Gaule conserve son souvenir : la toponymie demeure le reflet des croyances. Ainsi, Lugdunum, l'actuelle ville de Lyon, signifie-t-elle «la forteresse de Lug». La légende rapporte en effet qu'elle fut fondée sur l'emplacement désignée par un vol de corbeaux, animaux de Lug. Sous Auguste, la forteresse de Lug devient la capitale des Gaules. En Irlande, Lug est fêté le 1et août lors de la Lugnasad («assemblée de Lug»). Au Pays de Galles, il s'apparente à un héros divin de la littérature des Mabinogi, Lleu Llaw Gyffes, c'est à dire Lleu «à la main prompte». Lug y est en effet désigné par le qualificatif de Lamh-Fadha, signifiant «au long bras». Cette référence commune à la main prompte ou au long bras prouve que les Celtes d'Irlande et ceux du Pays de Galles honoraient une même divinité, capable de frapper à distance.
Que ce soit en Gaule, en Irlande ou au Pays de Galles, Lug possède la caractéristique d'être une divinité complète. Dans le Cath Maighe Tuiread, un cycle mythologique de l'Irlande, il est désigné sous le nom de Samildanach, c'est à dire «le polyvalent» ou «le polytechnicien». Ce dieu possède tous les arts, toutes les techniques dont il est l'inventeur. Dieu primordial, il est le chef des Tuatha Dé Danann (les dieux des quatre îles du Nord du monde), hors classe et hors fonction puisqu'il transcende précisément toutes le fonctions. Il est le Lumineux (c'est la signification de son nom) et, par conséquent, un dieu solaire. Son épouse Eithné incarne la souveraineté, et sa mère adoptive, Tailtiu, désigne la terre d'Irlande. Quand à sa mère de chair, Eriu, elle est de la race des Fomoires, créatures monstrueuses et belliqueuses attachées aux temps archaïques de l'ïle.
Jupiter-Dagda, le dieu bon et père de la tribu
Le Dagda est le maître des cieux, une sorte de père de la tribu. En Irlande, ce «dieu bon», est également connu sous les noms d'Eochaid Ollathir («le père puissant») ou de Ruadh Rofhessa («rouge de la science parfaite»). Comme le note Christian-Joseph Guyonvarc'h, le Dagda est tout ce qui est à la fois clair, doux réglé et ordonné. Il est le dieu de l'amitié, du savoir, de la sagesse (c'est le dieu druide), du temps chronologique et atmosphérique. Il est aussi le maître des éléments. Dans la division dumézilienne (voir plus haut), il assura la fonction sacerdotale.
En Gaule, le Dagda apparaît notamment sous le nom de Sucellos, le dieu au maillet, lié à la nature nourricière. Représenté sous les traits d'un homme d'âge mûr, barbu, vêtu à la gauloise, d'une tunique moulante à manches longues, d'un gros manteau, parfois de braies et chaussé de sandales ou de bottines. Il est parfois accompagné d'un chien, de tonneaux, d'amphores ou d'une corbeille de fruits. Son maillet rappelle la massue du dieu bon, qui a la propriété de tuer par un bout et de ressusciter par l'autre. C'est peut-être également un symbole des activités manuelles puisque Sucellos est honnoré par les bûcherons, les tonneliers, les carriers, les constructeurs de radeaux. Il est particulièrement apprécié dans la patie orientale de la Gaule, en Rhénanie, mais aussi en Narbonnaise (sud-est du pays) où il est parfois assimilé au dieu latin de la végétation Silvain.
Taranis
Taranis et Teutates sont d'autres divinités gauloises se rattachant au Dagda. César l'associait pour sa part à Dis Pater, dieu du monde souterrain.
Son épouse, Morrigan («grande reine»), est la déesse de la guerre.
À suivre...
[1] dans : Aux sources de la tradition celtique
Source : Religion & Histoire N° 34