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28 mars 2012 3 28 /03 /mars /2012 05:58

            Vercingétorix

 

     Chapitre X - L'empire Gaulois.

 

5. S’il y a eu des institutions fédérales.

 

La fédération de Gergovie comprenait une vingtaine de peuples unis pour faire la guerre en commun. C’était une ligue purement militaire. Aussi, chacune des nations conservait-elle, en dehors des lieux de guerre, sa pleine liberté. Vercingétorix n’est point intervenu dans les affaires particulières des peuples, pour modifier des coutumes ou contrôler le gouvernement. Il ne fut porté aucune atteinte à leur autonomie et à leur intégrité.

Même dans les camps, sur les flancs des villes assiégées, dans les marches militaires, les troupes de chaque nation se formaient à part, sous les ordres de son commandant national, roi, magistrat ou chef de guerre. Tout au plus Vercingétorix s’arrogea-t-il le droit de désigner les titulaires des commandements supérieurs : encore ne le fit-il que pour les corps d’armée qui se constituaient autour de lui ; dans la vallée de la Seine, ce sont les chefs des cités associées qui ont choisi eux-mêmes Camulogène pour général. Dans les contingents nationaux, chacune des tribus dont se composait le peuple avait ses enseignes propres. Les chefs de ces tribus ou les magistrats de ces peuples frappaient monnaie comme à l’ordinaire : il n’y a pas trace certaine de monnaies ni d’institutions fédérales. Le seul lien public des cités est l’obéissance à Vercingétorix.

Mais, dans les conditions présentes, l’union des peuples gaulois pouvait devenir autre chose qu’une conjuration militaire. Elle était le résultat d’un sentiment universel, du désir de la liberté de tous, d’un accord par amour de la Gaule, et une entente de ce genre ne va pas sans la mise en commun des traditions et des espérances. Un esprit collectif se dégagea d’aspirations semblables, il se forma des ferments d’une civilisation d’empire.

La ligue gauloise n’a laissé d’elle, en fait de souvenirs matériels, que les monnaies frappées par Vercingétorix et les autres chefs. On dut au reste en émettre beaucoup, et en peu de temps : l’or a joué un grand rôle dans toutes ces affaires, il fallait payer la plèbe pour s’assurer son courage, payer les grands pour s’acquérir leur fidélité. Les Gaulois ont été de tout temps d’actifs monnayeurs. Si peu explicites que soient ces monnaies, leurs images et leurs légendes, elles nous laissent vaguement entrevoir ce que pouvait devenir l’empire gaulois.

Il n’eût pas été obstinément fermé et hostile à la civilisation gréco-latine : on verra qu’il lui emprunta nombre de principes de la guerre savante, comme le machinisme dans la défense et l’attaque des places fortes, et le système de la castramétation quotidienne. Il eût accepté la suprématie intellectuelle des deux grands peuples voisins ; et même, entre la Grèce et Rome, comme Rome est devenue la plus proche et la plus utile, les Gaulois de maintenant préféraient son enseignement à celui des Hellènes : ils substituèrent, sur leurs monnaies, l’alphabet latin à l’alphabet grec, et c’est en lettres romaines que Vercingétorix fit graver son propre nom.

Nous possédons un peu plus d’une douzaine de pièces au nom de Vercingétorix. Il ne faut pas s’attendre à trouver en elles de ces monnaies de très bon aloi et de frappe élégante, semblables à celles qui ont fait la fortune de la Macédoine ou la gloire d’Athènes. S’il y en a qui sont en bel or jaune, d’autres renferment une proportion trop grande d’argent, et même, parfois, le métal est de qualité si médiocre qu’on a pu le prendre pour du cuivre. Si le poids moyen paraît avoir été de 7 grammes 45, il y a entre la plus lourde et la plus légère un écart de 30 centigrammes, ce qui est beaucoup. Les flans sont épais, les contours irréguliers ; on sent des pièces frappées à la hâte, sous la poussée de besoins urgents. Il y a cependant progrès, et progrès sensible, sur celles des générations qui ont suivi Luern et Bituit. Le dessin, si banal qu’il soit, a une netteté et une précision qui manquent aux types antérieurs ; les figures sont complètes, bien formées, et sobrement tracées dans un champ dégagé. Surtout, l’imitation des pièces grecques, tout en demeurant visible, n’est plus servile ni exclusive : l’esprit de la Gaule a aussi marqué son empreinte sur les monnaies de ce temps.

Sur les siennes, Vercingétorix a un type préféré : au droit, la tête imberbe d’un jeune dieu, dont un Apollon grec a fourni le modèle, mais où les Gaulois pouvaient voir l’image d’un de leurs grands dieux nationaux et peut-être même la figure idéalisée de leur nouveau chef ; au revers, non pas le Pégase exotique ou le bige classique des statères grecs, mais le cheval libre et galopant des plaines arvernes. Sur les monnaies d’autres chefs, apparaissent des symboles chers aux Gaulois, les images de ces animaux, de ces plantes ou de ces objets où ils avaient mis quelque chose de leur âme, et qui peuplaient les rêves de leur imagination ou les fables de leurs poètes. Ici, ce sont l’oiseau sacré quisanglier gaulois guide le cheval, et le lévrier, compagnon familier du coursier de bataille ; là, c’est la lyre qui célèbre les exploits ; et, surtout, c’est l’enseigne militaire au corps de sanglier ou le sanglier lui-même : le sanglier, l’adversaire traditionnel du chef gaulois, mais qui se réconcilie avec lui pour le précéder sur les sentiers de la guerre, et qui fournit aux tribus celtiques les espèces religieuses sous lesquelles elles vont combattre. L’homme et l’animal de la Gaule s’unissaient contre l’aigle, la louve et le soldat du peuple romain.

 

6. Espérances et ambitions d’un empire gaulois.

 

Cette lutte, les Gaulois confédérés ne l’entreprenaient pas seulement pour débarrasser de leurs ennemis les forêts et les campagnes de leur pays. Ils ne voulaient pas seulement rendre la liberté aux soixante peuples sur lesquels César, en 58 et 57, avait appesanti sa main. C’était l’union de toutes les cités de nom gaulois, entre le Rhin et les Pyrénées, qu’ils entrevoyaient dans une lointaine espérance. Leur conjuration devait avoir un lendemain de victoire. Elle inaugurait l’accord de toute la Gaule, elle faisait pressentir un empire ou un royaume de la Gaule : si César ne s’égare point, ces mots ont été prononcés par Vercingétorix ou par son entourage. Il a dû songer à une royauté des Gaules comme à une gloire possible. Certaines de ses opérations militaires, tout en étant très habiles contre les Romains, pouvaient devenir fort utiles à la formation de cet empire, comme la mainmise sur les Bituriges et les Éduens. Au loin, il ne perdait pas de vue qu’au sud des Cévennes et au pied des Alpes habitaient des Volques et des Allobroges, et que, s’ils obéissaient à Rome depuis soixante-dix ans, ils n’en étaient pas moins gaulois, et les anciens alliés des Arvernes au temps de Bituit. La pensée de les délivrer à leur tour a germé chez plus d’un conjuré : Gaulois de Toulouse, de Vienne ou de Gergovie, ne descendaient-ils pas tous d’un même dieu, n’étaient-ils pas parents ou frères ?

On ne comprendra jamais les ambitions et les rêves des chefs gaulois si l’on ne songe à cette parenté sainte que les druides leur avaient enseignée. Quand peuples celtiques veulent s’unir intimement, ils se disent consanguins ou frères : l’alliance politique que les Romains décoraient du nom d’amitié, les Gaulois l’appelaient fraternité, et c’était le signe public d’une commune filiation divine. — Cela, certes, n’empêchait point les haines et les luttes : les Gaulois flottèrent toujours entre la violence de leurs passions qui jetaient l’un contre l’autre, et la séduction de ce rève patriarcal qui les invitait à unir des mains fraternelles. C’était, en temps ordinaire, la race des frères ennemis ; mais, dans leurs moments d’enthousiasme, ils avaient sous leurs yeux, comme disait l’arverne Critogoat, la Gaule tout entière, foyer commun autour duquel circulaient des hommes de même sang.

Cette Gaule, ils ne l’ont pas vue seulement à travers l’espace, mais aussi à travers le temps. Comme corollaire à ce dogme de la fraternité gauloise s’était répandu celui de l’éternité et de la grandeur de la nation. Ils ont établi une solidarité puissante entre toutes les générations qui ont porté le nom gaulois, ils aimaient à parler de la gloire de leurs ancêtres, ils songeaient en combattant aux beaux exemples qu’ils laisseraient à la postérité de leur race. Les Celtes étaient disposés à se croire élus par la providence pour conquérir le monde : ces mêmes espérances de domination universelle que la force des choses a données au peuple romain, leur ont été suggérées par l’ardeur de leur tempérament et l’expansion de leur nature. Elles furent, chez eux, incroyablement tenaces. Plus d’un siècle après la perte définitive de la liberté, en 69 de notre ère, les druides, à la nouvelle que le Capitole brûlait, rappelaient la victoire de l’Allia, et prédisaient que l’empire des choses humaines était promis aux nations transalpines. Devant Avaricum emporté par César (ce qui fut la première des grandes défaites), Vercingétorix déclarait aux chefs qu’il allait réunir en une seule volonté la Gaule entière, et qu’à cette unanimité de la nation le monde lui-même ne pourrait résister. — À ce moment, la Gaule luttait péniblement pour ses places fortes, elle perdait l’une après l’autre les gloires de son passé, les légionnaires allaient gravir les pentes qui menaient à Gergovie, et elle parlait de s’unir pour conquérir la terre : prodige d’utopie d’une race qui vécut toujours dans les folles créations d’une imagination vagabonde ; émergeant à peine des flots de l’infini, elle se laissait encore ballotter par eux.

Mais, si Vercingétorix ne fut point exempt de ces rêveries, elles ne lui firent jamais oublier les réalités contingentes : au milieu des fantaisies de l’idéal gaulois, il s’appliquait à préparer la victoire avec la ferme précision d’une intelligence merveilleusement lucide.

 

À suivre...

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