Vercingétorix
Chapitre XIII - Gergovie.
8. Assaut de Gergovie et défaite des Romains.
Les douze mille hommes des trois légions s’ébranlèrent, au pas de course, du sommet de La Roche-Blanche, gravirent les pentes opposées et arrivèrent au pied du boulevard extérieur avant que Teutomat fût éveillé de sa sieste. Le mur était vide de défenseurs, ce fut un jeu de l’escalader. Les trois camps furent emportés. Teutomat n’eut que le temps de s’enfuir, le torse nu, et sur un cheval blessé. Mais, malgré l’ordre de César, quelques Romains musèrent un peu à piller sous les tentes des chefs gaulois.
Le proconsul s’approchait plus lentement. Il arrivait avec la Xe légion au pied de la montée. Quand il vit les soldats déjà débandés, quand il aperçut de plus près ces 150 pieds de roches aiguës ou glissantes qui portaient les murs de Gergovie, quand il comprit que Vercingétorix et les siens allaient paraître sur les remparts, il s’avoua l’imprudence des ordres qu’il avait donnés, il fit sonner aux trois légions le signal de la retraite, et il arrêta sur-le-champ les enseignes et les hommes de la Xe (au nord et au pied de La Roche-Blanche ?).
Mais il était trop tard : le son de la trompette s’assourdit dans les profondeurs de la vallée qui séparait La Roche-Blanche de Gergovie ; les légats et les tribuns ne furent pas écoutés ; les légionnaires étaient encore sous l’influence des excitations brûlantes du départ, et ils reprirent leur course, à travers les tentes gauloises, vers les murs et les portes de Gergovie.
Au moment où ils atteignirent le talus sur lequel était assis le rempart, les Gaulois n’étaient point encore de retour. Il n’y avait sur la muraille que quelques femmes, folles d’épouvante, qui hurlaient, et qui, la poitrine nue, les mains tendues et ouvertes, les cheveux épars, suppliaient les Romains de les épargner : les unes jetaient de l’argent et des étoffes pour les arrêter, les autres se faisaient descendre pour se livrer à eux. Les vieux centurions, songeant au butin de Gergovie, ne s’arrêtèrent pas à cette première proie. L. Fabius, porté à la courte échelle par trois hommes de son manipule, arriva le premier au sommet des remparts, comme il l’avait juré, et d’autres, aidés par lui, montèrent à leur tour. M. Pétronius, en bas, s’acharnait, à la tête des siens, contre une porte qu’il voulait briser. Gergovie allait être entamée : déjà s’entendait par toute la ville la sinistre clameur des cités prises d’assaut, la course précipitée des fuyards qui gagnaient les portes libres.
Subitement, la scène changea. Les femmes, se retournant vers Gergovie, agitent et montrent leurs cheveux dénoués, soulèvent leurs enfants, les présentent dans un cri d’appel et de courage. Ce sont les Gaulois qui apparaissent, accourus au bruit et à la nouvelle, qui arrivent au galop de leurs chevaux, et qui, sautant en bas de leur monture, prennent la position de combat, derrière le parapet du rempart et autour des portes. Puis, après les cavaliers, les fantassins surviennent ; chaque minute amène de nouveaux combattants ; les assiégés ouvrent les portes, et la véritable bataille s’engage.
Les Gaulois avaient pour eux le nombre, l’extraordinaire avantage de la situation, la vigueur toute fraîche des corps reposés. Les Romains étaient essoufflés par la course, la montée et l’effort. En un instant, César voit ses légions disloquées, et leurs fragments environnés par l’ennemi qui déborde de toutes parts. Elles allaient être prises entre le mur de la ville et le boulevard extérieur comme dans une souricière. — Il fit alors avancer ses deux réserves. Des cohortes de la XIIIe et Sextius reçurent l’ordre de sortir du petit camp et de remplacer la Xe dans le vallon où celle-ci s’était tenue jusque-là : mais il les écarta plus à gauche, de manière à menacer le flanc droit de l’ennemi, s’il s’aventurait vers le bas. Le proconsul et la Xe se portèrent en avant, commencèrent à leur tour l’escalade de la montagne, puis s’arrêtèrent (sur la croupe en avant et au sud-est du village de Gergovie ?), à un endroit d’où l’on pût suivre les moindres détails de la partie qui se livrait sur les flancs de la cité.
Le combat faisait rage sur les murs et autour des portes ; les corps des combattants s’enchevêtraient ; les Romains ne faiblissaient pas. Soudain, une dernière fois, la scène changea. Les Éduens, venus du grand camp par un long détour, débouchèrent (vers la ferme de Gergovie ?) sur la droite des légionnaires. C’était un secours : il n’y avait pas à en douter, les nouveaux venus avaient le bras droit découvert, signe qu’ils appartenaient aux Gaulois auxiliaires. Mais les Romains en étaient à cette exaltation de la bataille, où l’homme ne sait plus ni regarder ni réfléchir, où la force de sa vue et de sa pensée se limite au sol qu’il piétine et à l’adversaire qu’il étreint : et voyant vaguement des Gaulois arriver, ils s’imaginèrent que c’était un nouveau flot d’ennemis qui s’abattait sur eux et que le bras nu n’était qu’un stratagème. — Ainsi, les deux ruses imaginées par César tournaient au profit de son adversaire : la diversion faite par les Éduens démoralisait ses propres troupes, et sa dernière légion, perdue au loin dans les bois de l’Auzon, lui manquait au moment décisif.
La débandade commença. L. Fabius et ses camarades furent tués sur les remparts, et leurs corps jetés d’en haut. M. Pétronius, à lui seul, malgré ses blessures, arrêtait les Gaulois à la sortie d’une porte : ce qui donna le temps aux hommes de son manipule de se mettre à l’abri. Quand ils furent disparus tous deux, les assiégés eurent facilement raison du reste : 46 centurions, un quart exactement de ceux qui étaient engagés, furent massacrés ; la VIIIe légion, la plus compromise, fut décimée ; les survivants n’eurent que le temps de se précipiter du haut du boulevard.
César, à la vue de la défaite, avait échelonné ses deux légions de réserve sur la ligne de combat : la Xe, plus près encore de la bataille, mais sur un terrain plus uni (le village de Gergovie ?), où elle put se former en rangs réguliers ; derrière elle, la XIIIe s’approcha pour la soutenir (sur la croupe que la Xe venait de quitter ?).
Les fuyards arrivèrent, puis l’ennemi, et la Xe légion eut, à son tour, à recevoir le choc des poursuivants. Elle les arrêta un instant, puis elle dut se replier sur celle de Sextius, et toutes deux, avec les débris des trois autres, regagnèrent la plaine (en avant de Donnezat ?), harcelées sans relâche par l’ennemi.
Là, elles purent enfin se ranger en ordre de bataille, à portée de nouveaux secours, à l’abri des machines et de leur camp, et elles attendirent, de pied ferme, une dernière attaque. Sur ce terrain plus plat, formées en lignes pressées, elles allaient reprendre leurs avantages.
Mais Vercingétorix, d’un ordre, arrêta toutes ses troupes au pied de la montagne, et les fit rentrer dans leurs lignes reconquises.
9. Départ de César ; jugement sur cette campagne.
Même après ce désastre, et devant ces ravins où avaient roulé les cadavres de près de sept cents de ses meilleurs soldats. César redouta de désespérer. S’attendait-il, de la part des Gaulois, à quelqu’une de ces imprudences où la joie de la victoire entraînait leur fougue naturelle ? Voulut-il seulement, comme il l’écrivit, rendre du cœur à ses soldats ? Toujours est-il que le lendemain, il fil sortir son armée et former le front de bataille (sur le Puy de Marinant ?). Vercingétorix ne quitta pas sa montagne, et se borna à envoyer quelques cavaliers, qu’il laissa battre.
Le jour suivant, César offrit encore le combat. Personne, semble-t-il, ne sortit de Gergovie.
Il leva alors son camp et reprit la route du Nord (début de juin ?).
La défaite qu’il venait de subir n’était pas due seulement à la faiblesse de ses effectifs et de ses positions. Elle était la conclusion de cet entêtement continu qui l’avait arrêté pendant un mois devant une ville imprenable, usant les forces de ses soldats dans l’illusion avant de les briser contre des murailles. Le lendemain de la bataille, il leur avait fait de cruels reproches : ils les méritaient moins que lui-même. Si, la veille, ils ne s’étaient point arrêtés à temps, n’était-ce pas la faute de leur proconsul, qui n’avait cessé de leur inspirer le désir d’un coup de main ? et, s’il avait donné le signal de la retraite, c’était après avoir imprimé l’élan de l’escalade.
Depuis la fin d’Avaricum, le mérite de César s’était obscurci, la valeur de Vercingétorix n’avait fait que s’accroître. Le roi des Arvernes n’avait attaqué les Romains qu’à l’endroit précis où il pouvait les battre. Sous les regards de ses dieux, il leur avait immolé des centaines de victimes au pied des remparts de sa ville natale. Durant ces longs jours d’incertitudes et de peines, il avait su imposer à ses soldats le calme devant l’ennemi et la fatigue des viles besognes. Jules César, l’homme du commandement froid et impeccable, avait vu ses propres centurions refusant d’écouter leurs chefs et n’obéissant qu’à un désir de combattre ; et Vercingétorix avait arrêté d’un mot, aux approches du camp romain, la course victorieuse de ses Gaulois.
À suivre...