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30 mai 2012 3 30 /05 /mai /2012 07:00

             Vercingétorix

 

     Chapitre XIII - Gergovie.

 

8. Assaut de Gergovie et défaite des Romains.

 

Les douze mille hommes des trois légions s’ébranlèrent, au pas de course, du sommet de La Roche-Blanche, gravirent les pentes opposées et arrivèrent au pied du boulevard extérieur avant que Teutomat fût éveillé de sa sieste. Le mur était vide de défenseurs, ce fut un jeu de l’escalader. Les trois camps furent emportés. Teutomat n’eut que le temps de s’enfuir, le torse nu, et sur un cheval blessé. Mais, malgré l’ordre de César, quelques Romains musèrent un peu à piller sous les tentes des chefs gaulois.

Le proconsul s’approchait plus lentement. Il arrivait avec la Xe légion au pied de la montée. Quand il vit les soldats déjà débandés, quand il aperçut de plus près ces 150 pieds de roches aiguës ou glissantes qui portaient les murs de Gergovie, quand il comprit que Vercingétorix et les siens allaient paraître sur les remparts, il s’avoua l’imprudence des ordres qu’il avait donnés, il fit sonner aux trois légions le signal de la retraite, et il arrêta sur-le-champ les enseignes et les hommes de la Xe (au nord et au pied de La Roche-Blanche ?).

Mais il était trop tard : le son de la trompette s’assourdit dans les profondeurs de la vallée qui séparait La Roche-Blanche de Gergovie ; les légats et les tribuns ne furent pas écoutés ; les légionnaires étaient encore sous l’influence des excitations brûlantes du départ, et ils reprirent leur course, à travers les tentes gauloises, vers les murs et les portes de Gergovie.

Au moment où ils atteignirent le talus sur lequel était assis le rempart, les Gaulois n’étaient point encore de retour. Il n’y avait sur la muraille que quelques femmes, folles d’épouvante, qui hurlaient, et qui, la poitrine nue, les mains tendues et ouvertes, les cheveux épars, suppliaient les Romains de les épargner : les unes jetaient de l’argent et des étoffes pour les arrêter, les autres se faisaient descendre pour se livrer à eux. Les vieux centurions, songeant au butin de Gergovie, ne s’arrêtèrent pas à cette première proie. L. Fabius, porté à la courte échelle par trois hommes de son manipule, arriva le premier au sommet des remparts, comme il l’avait juré, et d’autres, aidés par lui, montèrent à leur tour. M. Pétronius, en bas, s’acharnait, à la tête des siens, contre une porte qu’il voulait briser. Gergovie allait être entamée : déjà s’entendait par toute la ville la sinistre clameur des cités prises d’assaut, la course précipitée des fuyards qui gagnaient les portes libres.

Subitement, la scène changea. Les femmes, se retournant vers Gergovie, agitent et montrent leurs cheveux dénoués, soulèvent leurs enfants, les présentent dans un cri d’appel et de courage. Ce sont les Gaulois qui apparaissent, accourus au bruit et à la nouvelle, qui arrivent au galop de leurs chevaux, et qui, sautant en bas de leur monture, prennent la position de combat, derrière le parapet du rempart et autour des portes. Puis, après les cavaliers, les fantassins surviennent ; chaque minute amène de nouveaux combattants ; les assiégés ouvrent les portes, et la véritable bataille s’engage.

Les Gaulois avaient pour eux le nombre, l’extraordinaire avantage de la situation, la vigueur toute fraîche des corps reposés. Les Romains étaient essoufflés par la course, la montée et l’effort. En un instant, César voit ses légions disloquées, et leurs fragments environnés par l’ennemi qui déborde de toutes parts. Elles allaient être prises entre le mur de la ville et le boulevard extérieur comme dans une souricière. — Il fit alors avancer ses deux réserves. Des cohortes de la XIIIe et Sextius reçurent l’ordre de sortir du petit camp et de remplacer la Xe dans le vallon où celle-ci s’était tenue jusque-là : mais il les écarta plus à gauche, de manière à menacer le flanc droit de l’ennemi, s’il s’aventurait vers le bas. Le proconsul et la Xe se portèrent en avant, commencèrent à leur tour l’escalade de la montagne, puis s’arrêtèrent (sur la croupe en avant et au sud-est du village de Gergovie ?), à un endroit d’où l’on pût suivre les moindres détails de la partie qui se livrait sur les flancs de la cité.

Le combat faisait rage sur les murs et autour des portes ; les corps des combattants s’enchevêtraient ; les Romains ne faiblissaient pas. Soudain, une dernière fois, la scène changea. Les Éduens, venus du grand camp par un long détour, débouchèrent (vers la ferme de Gergovie ?) sur la droite des légionnaires. C’était un secours : il n’y avait pas à en douter, les nouveaux venus avaient le bras droit découvert, signe qu’ils appartenaient aux Gaulois auxiliaires. Mais les Romains en étaient à cette exaltation de la bataille, où l’homme ne sait plus ni regarder ni réfléchir, où la force de sa vue et de sa pensée se limite au sol qu’il piétine et à l’adversaire qu’il étreint : et voyant vaguement des Gaulois arriver, ils s’imaginèrent que c’était un nouveau flot d’ennemis qui s’abattait sur eux et que le bras nu n’était qu’un stratagème. — Ainsi, les deux ruses imaginées par César tournaient au profit de son adversaire : la diversion faite par les Éduens démoralisait ses propres troupes, et sa dernière légion, perdue au loin dans les bois de l’Auzon, lui manquait au moment décisif.

La débandade commença. L. Fabius et ses camarades furent tués sur les remparts, et leurs121.jpg corps jetés d’en haut. M. Pétronius, à lui seul, malgré ses blessures, arrêtait les Gaulois à la sortie d’une porte : ce qui donna le temps aux hommes de son manipule de se mettre à l’abri. Quand ils furent disparus tous deux, les assiégés eurent facilement raison du reste : 46 centurions, un quart exactement de ceux qui étaient engagés, furent massacrés ; la VIIIe légion, la plus compromise, fut décimée ; les survivants n’eurent que le temps de se précipiter du haut du boulevard.

César, à la vue de la défaite, avait échelonné ses deux légions de réserve sur la ligne de combat : la Xe, plus près encore de la bataille, mais sur un terrain plus uni (le village de Gergovie ?), où elle put se former en rangs réguliers ; derrière elle, la XIIIe s’approcha pour la soutenir (sur la croupe que la Xe venait de quitter ?).

Les fuyards arrivèrent, puis l’ennemi, et la Xe légion eut, à son tour, à recevoir le choc des poursuivants. Elle les arrêta un instant, puis elle dut se replier sur celle de Sextius, et toutes deux, avec les débris des trois autres, regagnèrent la plaine (en avant de Donnezat ?), harcelées sans relâche par l’ennemi.

Là, elles purent enfin se ranger en ordre de bataille, à portée de nouveaux secours, à l’abri des machines et de leur camp, et elles attendirent, de pied ferme, une dernière attaque. Sur ce terrain plus plat, formées en lignes pressées, elles allaient reprendre leurs avantages.

Mais Vercingétorix, d’un ordre, arrêta toutes ses troupes au pied de la montagne, et les fit rentrer dans leurs lignes reconquises.

 

9. Départ de César ; jugement sur cette campagne.

 

Même après ce désastre, et devant ces ravins où avaient roulé les cadavres de près de sept cents de ses meilleurs soldats. César redouta de désespérer. S’attendait-il, de la part des Gaulois, à quelqu’une de ces imprudences où la joie de la victoire entraînait leur fougue naturelle ? Voulut-il seulement, comme il l’écrivit, rendre du cœur à ses soldats ? Toujours est-il que le lendemain, il fil sortir son armée et former le front de bataille (sur le Puy de Marinant ?). Vercingétorix ne quitta pas sa montagne, et se borna à envoyer quelques cavaliers, qu’il laissa battre.

Le jour suivant, César offrit encore le combat. Personne, semble-t-il, ne sortit de Gergovie.

Il leva alors son camp et reprit la route du Nord (début de juin ?).

La défaite qu’il venait de subir n’était pas due seulement à la faiblesse de ses effectifs et de ses positions. Elle était la conclusion de cet entêtement continu qui l’avait arrêté pendant un mois devant une ville imprenable, usant les forces de ses soldats dans l’illusion avant de les briser contre des murailles. Le lendemain de la bataille, il leur avait fait de cruels reproches : ils les méritaient moins que lui-même. Si, la veille, ils ne s’étaient point arrêtés à temps, n’était-ce pas la faute de leur proconsul, qui n’avait cessé de leur inspirer le désir d’un coup de main ? et, s’il avait donné le signal de la retraite, c’était après avoir imprimé l’élan de l’escalade.

Depuis la fin d’Avaricum, le mérite de César s’était obscurci, la valeur de Vercingétorix n’avait fait que s’accroître. Le roi des Arvernes n’avait attaqué les Romains qu’à l’endroit précis où il pouvait les battre. Sous les regards de ses dieux, il leur avait immolé des centaines de victimes au pied des remparts de sa ville natale. Durant ces longs jours d’incertitudes et de peines, il avait su imposer à ses soldats le calme devant l’ennemi et la fatigue des viles besognes. Jules César, l’homme du commandement froid et impeccable, avait vu ses propres centurions refusant d’écouter leurs chefs et n’obéissant qu’à un désir de combattre ; et Vercingétorix avait arrêté d’un mot, aux approches du camp romain, la course victorieuse de ses Gaulois.

 

À suivre...

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26 mai 2012 6 26 /05 /mai /2012 11:00

             Vercingétorix

 

     Chapitre XIII - Gergovie.

 

7. Nouveau système de défense des Gaulois : César prépare l’assaut.

 

Les deux adversaires se retrouvaient dans leurs positions de l’avant-veille. Mais l’armée romaine était harassée par la marche ou les combats ; les communications avec Nevers étaient moins faciles, et les vivres plus rares. Les Éduens envoyèrent des députés faire amende honorable, et César les reçut avec une parfaite bonne grâce : mais il ne fut point leur dupe, et savait que c’était seulement partie remise.

Il comprit enfin qu’il fallait arrêter le siège, abandonner Gergovie, gagner Nevers et Sens, rejoindre Labienus tant que les routes étaient libres encore. Et cependant, il ne put se résigner à donner le signal d’un départ qui ressemblait à une fuite, à quitter des yeux une proie qu’il convoitait depuis tant de semaines. Il commit une dernière faute, en rêvant jusqu’à la fin que sa Fortune lui fournirait une revanche, lui apporterait la chance d’un coup de main. Dans ces journées où il sent que la défaite le guette. César a perdu sa netteté d’esprit et son ferme bon sens : la vue de cette montagne et de cette armée proches et invincibles l’agace et l’exaspère, et ses soldats, comme lui, s’énervent à ne pouvoir escalader ces roches et mutiler ces visages. Il leur paraît à tous que la majesté du peuple romain est compromise, s’ils s’éloignent sans avoir fait quelque chose de bien.

Un jour, Jules César eut la surprise joyeuse de se voir offerte l’occasion cherchée.

Vercingétorix avait lieu de croire que le proconsul voulait continuer l’investissement de la ville en prolongeant ses lignes au nord-ouest de La Roche-Blanche, par-dessus le col des Goules ou les hauteurs de Risolles (entre Opme et le plateau). C’était du reste ce que les Romains avaient de mieux à faire : car, de là, ils domineraient les vallons du Nord, les seuls où les Gaulois pussent encore fourrager, et ils seraient maîtres d’une autre des routes, et des moins difficiles, qui conduisaient à Gergovie. Jusqu’ici, comme on l’a vu, Vercingétorix s’en était remis, pour la défense de la ville sur ce point, à l’étroitesse de l’isthme, aux dangers des ravins, à l’épaisseur des bois qui hérissaient cette croupe, et il n’avait tout au plus fait occuper par ses hommes que le versant du col qui faisait face au petit camp de César. Mais, depuis la mésaventure de La Roche-Blanche, il se méfiait des bois et des embûches ; il ne voulut pas risquer de perdre ces hauteurs d’avant-garde avec la même facilité que celle des bords de l’Auzon ; et dès le retour de César, il employa son armée à fortifier le massif de Risolles (le long du chemin d’Opme au plateau). Si le proconsul avait eu l’intention de s’y installer, ce qui est fort possible, son adversaire l’avait devancé. Tandis que le Romain étendait sa ligne d’attaque, le Gaulois allongeait sa ligne de défense. L’élève en poliorcétique devenait digne du maître.

Mais, pour construire ce nouveau boulevard, Vercingétorix avait dû dégarnir de troupes les pentes gergoviennes qui faisaient face, au Nord, à La Roche-Blanche. César, en tournée d’inspection sur le petit camp, remarqua l’absence de cette armée qui, quelques jours auparavant, semblait tapisser la montagne. Il s’étonna, interrogea les transfuges qui affluaient autour de lui, et apprit d’eux la cause de ce changement.

De ce qu’il sut alors, le proconsul pouvait tirer deux conclusions : l’une, qu’il ne prolongerait ses lignes de blocus qu’au prix de nouveaux combats ; l’autre, qu’il fallait profiter de la dispersion des Gaulois pour tenter l’escalade. Il décida qu’elle aurait lieu le lendemain. C’était la dernière de ses espérances qu’il engageait.

Pendant la nuit, il prépara tout en vue de confirmer Vercingétorix dans la crainte d’une attaque sur ce massif de Risolles que le Gaulois se hâtait de fortifier. Ce fut, dans le grand camp (?) romain, un branle-bas général : des escadrons sortent en tumulte, se dispersent de côté et d’autre, pour remonter ensuite le vallon vers l’Ouest dans la direction des hauteurs de Risolles (vers le sommet coté 723). Au petit jour, une file de cavaliers, nombreux, casques en tête, s’engagent dans le même sens (par la vallée de l’Auzon et le ravin d’Opme) : ce sont, il est vrai, de simples muletiers, déguisés en soldats, tandis que leurs bêtes, dégarnies des bâts, ont été travesties en chevaux de guerre : mais de Gergovie nul ne peut voir la supercherie, et du reste, il y a, à côté de ces soldats d’emprunt, quelques vrais cavaliers qui ont ordre de se montrer le plus près possible de l’ennemi. Enfin, c’est une légion entière qui s’avance sur le flanc des hauteurs (par le131.jpg versant Nord de La Roche-Blanche et le pied du Puy de Jussat ?). Tout ce monde, s’enfonçant dans la vallée par de longs circuits ou des sentiers divers, se dirige également vers les collines où travaillaient les Gaulois. Brusquement, la légion pénètre dans un bois, au pied des hauteurs, et y demeure cachée (entre Jussat et Chanonat ?). Vercingétorix, qui suit ces va-et-vient, ne doute plus que l’attaque ne soit prochaine sur le point menacé, et rappelle le reste de ses troupes des trois camps qui faisaient face à César : il n’y laisse que quelques traînards, comme le roi Teutomat, et on était si tranquille de ce côté que le chef agenais, en méridional qu’il était, ne renonça pas à faire sa sieste ce jour-là.

Le proconsul, voyant les Gaulois partis, prit ses dispositions pour l’assaut décisif de Gergovie. Par les couloirs qui réunissaient les deux camps, les soldats romains sont venus à La Roche-Blanche, en petits groupes, enseignes baissées, panaches couverts. César a maintenant sous ses ordres cinq légions presque entières, et il ne reste dans le grand camp que les Éduens.

Ceux-ci feront diversion à droite en gravissant lentement la montagne par les sentiers de l’Est ou du Nord. La XIIIe légion, avec le légat T. Sextius, se tiendra en réserve à La Roche-Blanche ; la légion favorite de César, la Xe, et le proconsul au milieu d’elle, demeurera en avant du petit camp, en arrière des combattants, pour les soutenir et donner la main aux différents corps. Enfin les trois autres, vieilles troupes aguerries (la VIIIe, et sans doute la IXe et la XIe), auront la gloire de monter à l’assaut : il y a dans leurs rangs les plus robustes, les plus têtus, les plus bravaches des centurions, ceux sur lesquels César peut le plus compter à l’heure des casse-cous : L. Fabius, de la VIIIe, qui vient de jurer qu’il monterait le premier sur le rempart gaulois ; M. Pétronius, lui aussi de la VIIIe, un des sous-officiers les plus souples et les plus solides de toute l’armée.

Quelques mots encore furent adressés par le proconsul aux légats de ces trois légions. Que le soldat ne perde pas de temps à tuer ou à piller. Il s’agit de courir et de grimper, et non pas de se battre. Pas de combat : mais de la vitesse, du jarret, et un coup de main. Puis le signal fut donné, vers midi.

 

 

À suivre...

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23 mai 2012 3 23 /05 /mai /2012 06:41

             Vercingétorix

 

     Chapitre XIII - Gergovie.

 

5. Installation de César ; premiers combats ; les Romains occupent La Roche-Blanche.

 

Le jour même de son arrivée, Jules César eut à livrer un léger combat de cavalerie, dont il ne nous dit pas quelle fut l’issue. Ce qui prouve qu’il ne tourna pas à son avantage, et ce fut un mauvais présage.

Son camp fut établi le moins mal possible, sur un des mamelons qui bombent les basses terres, entre le lac de Sarlièves et le cours de l’Auzon (sur la colline au nord-est du Petit Orcet). César trouvait là de l’eau, un large espace pour sa cavalerie, il était à une demi-lieue, à vol d’oiseau, des regards des Gaulois, et, s’ils voyaient quelque chose dans son127 camp, ils le voyaient fort vaguement. Il était enfin maître de la route du Nord, par où les Éduens allaient le ravitailler. Seulement, la position qu’il avait dû choisir était assez médiocre, et se défendit surtout par les retranchements élevés de main d’homme.

Tout de suite, César éprouva de forts ennuis. Vercingétorix tenait son armée bride en main : jamais il n’en fut plus maître que devant Gergovie. Elle comprit que la partie était sérieuse, et elle ne fit ni faux pas ni écart. Plus d’assemblées tumultueuses, plus de ces délibérations agitées où s’émoussait la force du commandement. Sur ce sol familier de la cité de ses ancêtres, auprès de ces remparts et de ces monts dont il était le souverain, Vercingétorix put parler en prince absolu à tous les Gaulois. Cette fois enfin, il apparut comme roi. Il avait réduit son conseil aux chefs des cités alliées, une vingtaine d’hommes seulement, qui se sentaient responsables du salut de tous ; il les réunissait chaque matin, au lever du soleil, non pas pour discuter longuement avec eux, mais pour entendre leurs rapports et donner ses ordres, et pour arrêter ensemble le plan des opérations de la journée.

Presque tous les jours, Vercingétorix leur taillait une besogne à faire. Il envoyait dans la plaine, autour du camp de César, des escadrons de cavalerie et ses nouveaux détachements d’archers. Le proconsul était obligé de faire sortir ses hommes, et ils étaient sans doute souvent battus, puisqu’il ne nous dit pas qu’ils furent jamais vainqueurs : si parfois les Gaulois étaient serrés de trop près, ils n’avaient aucune peine à se replier à l’abri sur leurs rochers, loin de la portée des frondes et des javelots. Vercingétorix se tenait non loin de là, regardant combattre les siens, appréciant leur valeur, jugeant ce qu’il pouvait demander à chacune de ses troupes. Il les exerçait ainsi, plutôt encore qu’il ne les exposait, et les abords du camp romain étaient transformés par lui en un champ de manège.

La situation devenait humiliante pour César. Coûte que coûte il devait se dégager, tenter quelque chose du côté de cette masse de hauteurs qui commandaient son camp.

La plus rapprochée de lui et la plus éloignée de Gergovie était celle de La Roche-Blanche. Bien isolée, escarpée de toutes parts, elle était un excellent poste d’observation et de retraite, comme une petite citadelle en face de la grande : elle dominait à la fois les ravins méridionaux de Gergovie, où étaient campés les Gaulois, et la vallée de l’Auzon, qui leur fournissait leurs principales provisions d’eau et de fourrage. La Roche-Blanche avait une bonne redoute : mais la garnison était de médiocre importance, et campée tout entière du côté de l’Est, où était César ; sur les autres points, les Gaulois se croyaient, suivant leur erreur habituelle, gardés par les bois et les fourrés qui garnissaient les flancs de la colline. Ils ne se sont jamais, dans ce siège et dans cette campagne, défiés des embûches qu’abritent les forêts.

Une nuit, César envoya par la gauche, dans les bois de La Roche-Blanche, les meilleurs de ses légionnaires. Le matin, il commença lui-même l’escalade à droite, à découvert, avec d’autres troupes : les Gaulois ne s’occupèrent que de cette attaque. Pendant ce temps, rampant à travers les taillis, les soldats de l’embuscade arrivaient et fondaient sur eux par derrière. La garnison fut culbutée, avant qu’un secours ait pu descendre de Gergovie.

La Roche-Blanche était séparée du camp romain par un vallon de plus de deux kilomètres. Rien n’était plus facile aux Gaulois que d’isoler les deux positions. Mais César installa sur la colline deux légions ; il en fit son petit camp. De l’un à l’autre poste, il fit creuser, parallèlement à l’Auzon, deux tranchées larges de six pieds chacune : une route à demi souterraine relia ainsi ses deux camps, et pouvait en quelques minutes amener les légions d’un point à l’autre.

Une petite ville romaine commençait donc à s’élever au pied de Gergovie. César se décidait, la chose était visible, pour le système de la circonvallation. Il avait achevé le premier secteur de la ligne d’investissement : depuis le lac de Sarlièves jusqu’à La Roche-Blanche, la montagne gauloise était bloquée au Sud-Est par des ouvrages continus. — Mais c’était un quart à peine de sa périphérie, et le plus facile à fermer. César aurait-il le temps, la patience et les hommes pour continuer l’œuvre sur tous les côtés ?

En tout cas, il avait besoin, pour cela, de ramener à lui toutes ses légions, tous ses auxiliaires, de s’assurer d’immenses convois de vivres et de machines. Or, au moment où la première tâche sérieuse du siège était terminée, le service des étapes était désorganisé par la révolte du contingent éduen.

 

6. Première défection des Éduens.

 

César avait décidément commis une faute en réconciliant les deux partis éduens : s’il les avait laissés se battre, il aurait été certain d’en avoir un pour allié. Puis, entre les candidats, il avait eu l’imprudence de choisir le plus jeune. À peine fut-il arrivé et occupé devant Gergovie, que le vergobret Convictolitav, qui lui devait le pouvoir, se déclara contre le peuple romain, et entraîna avec lui l’élite de la jeunesse.

Le proconsul a écrit qu’il avait été acheté par Vercingétorix, et qu’il partagea avec ses complices l’or de la trahison. Mais le vergobret alléguait de très bonnes raisons pour juger le métal arverne plus généreux que la protection romaine. — L’arbitrage de César, dans l’affaire de l’élection, n’était-il pas un outrage au droit et aux lois éduennes ? Le pays, depuis six ans que durait la guerre, s’épuisait pour lui de grains et d’hommes. Nevers était devenu un vaste campement romain. Plus de dix mille Éduens étaient ou allaient être à la merci du proconsul ; devant Gergovie, les plus nobles de leurs cavaliers lui servaient d’otages. Les négociants italiens s’étaient installés aux bons endroits, à Nevers, à Bibracte, à Chalon, et de là pressuraient le pays et monopolisaient les grandes entreprises.

Il n’était point nécessaire des statères d’or de Vercingétorix pour que l’aristocratie éduenne s’aperçût de ces vérités. Mais la multitude s’en rendait moins compte, et ne paraissait pas désireuse de suivre ses chefs contre Jules César. On eut recours à une ruse assez grossière pour la décider.

Un des chefs du complot, Litavicc, fut mis à la tête des dix mille hommes qui étaient prêts pour rejoindre le camp romain. Ses frères prirent les devants pour débaucher les cavaliers qui combattaient devant Gergovie. Litavicc partit avec ses hommes, sans leur rien dire : il escortait un immense convoi de vivres et de bagages destinés à l’armée proconsulaire ; des Italiens, qui se rendaient auprès de César, se placèrent sous sa sauvegarde. Ni Romains ni Gaulois ne se doutèrent qu’ils allaient à la trahison.

À trente milles environ de Gergovie (au passage de l’Allier à Vichy ?), Litavicc s’arrêta plus longuement, et, les larmes aux yeux, annonça aux Éduens que leurs amis, leurs parents ou leurs patrons, ses frères tout comme les autres, avaient été exécutés par ordre de Jules César. Cette race d’hommes, écrit l’auteur des Commentaires, est ainsi faite qu’elle accepte pour vérité la plus fantaisiste rumeur. La foule se hâte de croire Litavicc. Sur un signe de son chef, elle massacre les Italiens et pille le convoi. En quelques heures, la révolte gagnait tout le pays éduen, et partout s’y renouvelaient les scènes du jour de Génabum : les citoyens romains égorgés, expulsés ou réduits en esclavage, et leurs biens saccagés. Alors, excitée par l’appât du butin et la complicité du vergobret, la plèbe accepta de combattre César. Mais les Éduens n’osèrent pas encore toucher à Nevers.

Le coup fait, l’armée de Litavicc reprit sa route, et atteignit Randan, à 25 milles du camp de César. Les Romains, déjà coupés de Nevers, allaient être pris entre les nouveaux venus et l’armée de Vercingétorix.

Mais les chefs de la cavalerie éduenne qui servaient près de César, Eporédorix et Viridomar, jugèrent qu’il n’était pas encore temps pour eux de trahir : peut-être furent-ils jaloux de l’initiative prise par Litavicc. Ils refusèrent d’écouter ses frères, et l’un des deux dénonça le complot au proconsul.

César raconte qu’en apprenant ces nouvelles au milieu de la nuit, il éprouva une profonde angoisse. Mais elle fut courte, et il se sauva, comme déjà si souvent, par la rapidité de ses décisions et de ses actes. Les frères de Litavicc s’enfuirent dans Gergovie, les autres Éduens protestèrent une fois de plus de leur dévouement. Le matin, toute la cavalerie, quatre légions, sans bagages, armés à la légère, partirent avec César sur la route du Nord. Il ne laissa devant Gergovie que deux légions, sous les ordres de son légat C. Fabius : il ne se donna même pas le temps de concentrer les troupes dont il lui confiait la garde. Avant tout, il avait résolu d’arrêter les Éduens, le plus loin possible, et de les arrêter de gré ou de force.

Ce fut moins une marche qu’une course échevelée. Le soleil était encore fort haut, que les Romains avaient parcouru les 25 milles qui les séparaient de Litavicc.

César, bien entendu, ne voulait risquer une bataille qu’à la dernière extrémité. À l’approche des Éduens, il commanda halte à ses légions, et fit avancer sous les regards de l’ennemi, l’arme au repos, les cavaliers de son escorte, et, parmi eux, ces mêmes nobles éduens que Litavicc avait déclarés égorgés par son ordre.

L’effet de ce spectacle fut tel qu’il l’avait prévu. La foule des Éduens passa en un instant d’un sentiment à l’autre, se reconnut trompée par Litavicc, l’abandonna, et acclama César. La victoire était gagnée par le proconsul : il avait frappé un coup de théâtre, la versatilité gauloise fit le reste.

On ne sait trop ce qu’il advint de ces soldats éduens : en tout cas, ils furent mis quelque part en sûreté, sous les ordres de Cavarill et à la disposition de César, qui se fit gloire auprès de leur nation de ne les avoir point massacrés. Litavicc trouva moyen de s’échapper et de rejoindre Vercingétorix ; et c’est à cette occasion que les Romains admirèrent la puissance et la solidarité du clan gaulois : pas un des clients de Litavicc ne refusa de le suivre dans celle extrémité.

César accorda trois heures de repos à ses soldats, à l’entrée de la nuit. Puis il reprit la route de Gergovie. Presque à moitié chemin, il reçut de ses camps et de Fabius de désastreuses nouvelles.

À peine s’était-il éloigné que les troupes de Vercingétorix s’étaient précipitées de la montagne contre les positions romaines. Toute la ligne des camps avait été attaquée, non pas dans une folle tentative d’assaut, mais prudemment, sous la protection de décharges continues de flèches et de traits de tout genre. Il avait fallu que Fabius mit en branle son artillerie, qui avait seule sauvé la situation. Le jour durant, aucun légionnaire n’avait pu quitter les retranchements, trop étendus pour leur petit nombre, alors que les Gaulois lançaient sans cesse des troupes fraîches. Beaucoup de Romains étaient blessés. Le soir, Fabius avait fait ajouter des parapets blindés aux remparts et condamner toutes les portes, sauf deux : car il s’attendait, pour le lendemain, à une nouvelle attaque.

César fit doubler le pas à ses soldats, et put rejoindre Fabius avant le lever du soleil. Il y avait vingt-quatre heures qu’il était parti ; ses soldats avaient fait 75 kilomètres, 50 milles : ce fut leur plus belle marche. Et cette expédition d’un jour, entre Litavicc et Vercingétorix, rappelait aux Romains leur campagne du Métaure, entre Hasdrubal et Hannibal.

Seulement Vercingétorix, à la différence d’Hannibal, refusa de reconnaître son mauvais destin : il se borna, quand il vit César de retour, à ne point bouger de Gergovie.

 

À suivre...

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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 10:06

             Vercingétorix

 

     Chapitre XIII - Gergovie.

 

3. Passage de l’Allier et arrivée devant Gergovie.

 

C’était la reprise des opérations commencées à Génabum, continuées à Avaricum, la suite de la campagne contre les capitales de la révolte. Puisque Vercingétorix se dérobait aux batailles rangées, on l’obligerait tout au moins à la guerre de sièges.

Mais, depuis près d’un mois que Bourges était tombé, les conditions de la guerre étaient devenues moins bonnes pour César. Son armée s’était affaiblie de deux légions, il avait dû laisser à Labienus quelques-unes de ses meilleures troupes. Entre lui et son légat allaient s’interposer le territoire des Éduens et l’hypocrisie publique de leur peuple : qu’un malheur arrivât, et ils le couperaient facilement de Nevers et de Sens, le bloqueraient dans le cul-de-sac de la Basse Auvergne. Enfin, pendant qu’il perdait son temps à Decize, Vercingétorix, laissé maître de ses mouvements, avait réoccupé derrière lui les coteaux bituriges, et maintenant il attendait les Romains sur la rive gauche de l’Allier. Lorsque César déboucha dans la large vallée de la rivière (à l’ouest de Saint-Pierre-le-Moutier ?), il trouva que les ponts avaient été coupés, et il aperçut, campée sur les hauteurs de la rive opposée, l’armée de Vercingétorix.

César reprit sa route vers le Sud, suivant la rive ; mais Vercingétorix se maintenait à portée du regard, et quand le proconsul s’arrêta, le Gaulois dressa son camp presque en face. Les éclaireurs romains, lancés le plus loin possible, reconnurent que partout, en amont, les ponts étaient détruits ; la fonte des neiges rendait les gués impraticables ; on ne pouvait faire travailler les pontonniers sous la menace des ennemis, d’autant plus que la rive occupée par eux surplombait l’Allier, que celle que suivait César était basse et découverte. Il lui fallait pourtant se hâter, s’il ne voulait pas s’immobiliser jusqu’à la canicule devant ces eaux profondes : car s’aventurer dans les défilés du haut pays pour passer le fleuve près de Gergovie, c’eût été exposer les siens à d’inutiles sacrifices. Il ne restait donc au proconsul qu’à recourir à un stratagème, d’ailleurs banal.

Vercingétorix avait laissé subsister les pilotis du pont de Moulins (?), qui est le principal passage de l’Allier, à l’endroit où cette rivière sort du pays arverne pour entrer chez les Éduens : sur la rive droite, un taillis épais ; sur la rive gauche, des hauteurs boisées. César campa la nuit suivante dans ce taillis, hors de la vue de l’ennemi, et commença à faire couper les poutres nécessaires à la construction d’un pont. Le matin, les bagages et les deux tiers de l’armée sortirent du bois, mais étendus en longue file et disposés de manière à faire croire à l’ennemi que toutes les troupes romaines continuaient leur marche vers le Sud : et Vercingétorix à son tour détala sur leur flanc. César était resté dans le bois avec ses deux meilleures légions : quand, après quelques heures, il jugea les siens et leurs adversaires à une bonne étape de distance, il sortit du fourré, étaya son tablier de charpente sur les pilotis restés en place, lança sur le pont ses deux légions au pas de course, et les fît camper, bien à l’abri, sur la hauteur voisine. Plusieurs heures après, le reste de l’armée, ayant rétrogradé pendant la nuit, traversa la rivière à son tour, et rejoignit le nouveau campement de la rive gauche.

Vercingétorix ne revint point sur ses pas : s’il l’avait fait, il n’eût pas évité la bataille, et il la cherchait moins que jamais. Il avait sur César l’avance d’une étape. Il se replia vers le Sud à marches forcées.

César le suivit, pas assez vite pour pouvoir l’atteindre : il lui fallut encore cinq jours pour faire les vingt-cinq lieues qui le séparaient du but de la campagne ; et quand, de la plaine de Montferrand, les Romains aperçurent enfin la montagne de Gergovie, ils virent se dessiner peu à peu un terrible spectacle, dit César : vers le ciel, les remparts solides de la cité ; le long des flancs, sur les escarpements de toutes les roches, dans les replis de tous les ravins, le sol disparaissait sous des Gaulois en armes. Vercingétorix avait pris les devants, et entouré d’une muraille d’hommes la muraille de pierre de la ville sacrée des Arvernes.

 

4. Situation de Gergovie ; comment elle fut défendue ; comment on pouvait l’attaquer.

 

Le massif de Gergovie s’étend de l’Est à l’Ouest sur une largeur de près de six kilomètres. Il ferme au Midi la longue et étroite plaine de la Limagne ; il se dresse à l’endroit où les routes qui vont vers le Sud commencent à gravir des pentes plus rudes, et où la vallée de l’Allier s’engage dans de tortueux défilés. Du sommet, par le mois de mai où le siège commença, le regard s’étend sur deux paysages et comme sur deux mondes différents : au Nord, c’est la plaine unie et verdissante, avec l’éternelle buée violette qui l’enveloppe doucement ; au Sud, à l’Est et à l’Ouest, c’est un inextricable fouillis de montagnes, d’où se détachent les sommets dominants des Puys : Gergovie est la citadelle avancée qui garde les sentiers du haut pays et qui surveille les routes et les moissons d’en bas.

Cet horizon renfermait alors les choses les plus saintes du pays arverne : les sources limpides sourdaient des flancs basaltiques et des ravins calcaires du mont gergovien ; deux cours d’eau, l’Auzon au Sud, l’Artières et le Clémensat au Nord, limitaient la montagne et la séparaient sur ces points du reste du monde. À sa base, vers le Levant, le lac de Sarlièves était peut-être le dépôt inviolable des trésors voués aux dieux. Du côté de la plaine un bois sacré couvrait les abords de la colline où devait s’élever Clermont. À l’abri des remparts qui entouraient le sommet, les Gaulois avaient réuni tout ce qu’ils avaient de plus cher, êtres et choses, biens, femmes et enfants, ramenés et transportés à la hâte des fermes de la plaine ou des châteaux de la montagne : Gergovie devenait l’asile des derniers amours et des dernières libertés du peuple arverne. Enfin, au Couchant, se dressait le sommet du Puy de Dôme, la résidence préférée de son plus grand dieu : c’était sous les regards de Tentâtes qu’il allait combattre pour ses autels et pour ses foyers.

À Gergovie, la résistance gauloise trouva, avec le courage que donnent les plus nobles passions, la force d’une position naturelle à peu près inexpugnable. Vercingétorix avait eu raison de ne point craindre d’y laisser venir César.

La montagne s’élève de 703 à 744 mètres au-dessus de la mer, 300 mètres au-dessus de la123.png vallée de l’Auzon, qui coule à 2500 mètres, à vol d’oiseau, du point le plus haut du massif. Le sommet, aplati, présente une esplanade régulière, de la forme d’un trapèze, large de 500 mètres du Nord au Sud, longue de 1 500 mètres de l’Est à l’Ouest, et très suffisamment nivelée sur toute sa surface. La périphérie de ce plateau est d’environ 4 kilomètres, la surface approximative, de 75 hectares. Les limites en sont partout très nettement indiquées par une retombée de la terrasse du sommet, parfois presque aussi nette que l’angle saillant d’une muraille. C’était sur ce plateau que la ville gauloise était assise : elle avait à la fois l’aire vaste et égalisée d’une grande cité de plaine et la hauteur abrupte d’un refuge de montagne.

Les remparts suivaient le rebord du plateau ; ils n’étaient en réalité que le prolongement artificiel des flancs rocheux qui le soutenaient. Du pied même de la muraille, les coulées de basalte descendaient en pentes très rapides : 200 mètres d’inclinaison pour 1 kilomètre, 300 mètres pour 1 200 pas. Mais il y a, à cet égard, une différence sensible entre les deux versants. Au Nord, du côté de la plaine et de l’Artières, et à l’Est, du côté de la route, c’est la taille presque à pic, et interrompue par de profonds ravins : l’escalade est sur ce point fort dangereuse. Au Sud, où la montagne se prolonge vers l’Auzon par une série d’éperons, de plateaux en contrebas et de collines en avant-corps, à l’Ouest également, où elle se rattache à la chaîne des Puys par un col étroit, mais aplani et élevé, il est facile d aborder Gergovie par une montée lente et sinueuse qui adoucit les rampes, et il n’est pas impossible, pour peu qu’on ait le pied solide et le regard juste, de les escalader rapidement.

Ainsi, au Nord et à l’Est, Gergovie se défendrait presque d’elle-même. À l’Ouest, par où l’attaque était très faisable, les Gaulois se fièrent, pour l’empêcher, aux bois épais qui obstruaient les abords des remparts et qui couvraient le col des Goules et les hauteurs de Risolles (entre le village d’Opme et le plateau de Gergovie). La ville ne paraissait abordable, avec quelque chance de succès, que par le Sud.

Ce fut donc sur le versant méridional que Vercingétorix étagea toute son armée. Il ne commit point la faute de l’enfermer dans Gergovie. De ce côté, en avant et au bas du plateau, le flanc de la montagne présente une sorte de palier naturel qui interrompt les pentes : Vercingétorix fit de ce vaste gradin un boulevard militaire ; il le ferma, au rebord extérieur, par un mur d’énormes rochers, haut de six pieds. Ainsi la montée était coupée au point même où elle devenait plus facile ; l’élan des assaillants serait brisé à l’instant où il allait aboutir. — En avant de ce mur, les pentes restaient désertes. En arrière, sur les terrasses légèrement inclinées qui s’étendaient jusqu’aux remparts de la forteresse, furent massées le gros des troupes gauloises. Elles étaient, comme à l’ordinaire, disposées par nations. Mais on les avait groupées en trois camps, rapprochés les uns des autres, et c’était un ensemble imposant que celui de cette armée entassée sur la montagne, pressée autour de la tente de Vercingétorix. Gergovie, placée en arrière, semblait le réduit de la défense. — Enfin, en dehors du puy gergovien proprement dit, les hauteurs auxiliaires furent occupées par des avant-postes : par exemple la colline de La Roche-Blanche, qui commandait le vallon de l’Auzon. Mais Vercingétorix eut le tort de n’attacher qu’une importance médiocre à ces défenses d’avant-garde et de réserver tous ses efforts à Gergovie et à ses abords immédiats : peut-être était-il décidé à ne disséminer ni ses troupes ni ses points de résistance.

César avait presque espéré se rendre maître de Gergovie par un coup de main : ce qui témoignait chez lui ou de l’ignorance des lieux ou d’une confiance sans limite. Mais, quand il eut reconnu la montagne, et qu’il n’eut aperçu partout que des bois, des rochers, des remparts et des hommes, il s’avoua l’illusion qu’il s’était faite, et il ne songea plus qu’à un siège en règle.

Ce siège même était-il possible ? Les ingénieurs qui avaient fixé les lois de la poliorcétique et défini les systèmes d’attaque, avaient-ils prévu une place de ce genre, à la fois murée, plantée sur des parois abruptes, et hérissée de contreforts ? Les règles ordinaires de l’art classique se trouvaient presque en défaut. — L’attaque de force, comme à Avaricum ? à la rigueur, on pouvait bâtir une terrasse sur le col des Goules et de Risolles : mais quelle hauteur ne devrait-elle pas avoir pour atteindre le rebord du plateau, qui dominait le col de 40 mètres ? et comment faire travailler les hommes sur cet isthme étroit, flanqué de deux dangereux ravins ? Le blocus ? il fallait établir une ligne de circonvallation de vingt kilomètres, à travers un terrain des plus accidentés, tantôt le long de vallées boisées, tantôt sur des roches à pic, et toujours sous la menace des montagnes voisines. — Pour l’un et l’autre de ces systèmes, on avait d’ailleurs besoin de deux ou trois fois plus d’hommes que n’en comptaient les six légions amenées devant Gergovie. — Quelle que fût enfin la résolution à prendre. César devait d’abord asseoir son camp, et il n’avait même pas sous les yeux un emplacement convenable. Où qu’il le posât, à moins que ce ne fût trop loin de Gergovie, les regards ennemis plongeraient dans les rues, devineraient les mouvements, n’ignoreraient que ce qui se passe sous la tente ; pour lui, il était condamné à ne rien voir de ce que les autres préparaient, à ne rien savoir d’eux que par de douteux transfuges. — Le mieux qu’il pût faire, sa reconnaissance achevée, était ou d’appeler Labienus ou de partir pour le rejoindre.

Il demeura seul, espérant un de ces succès d’audace que ne lui ménageait pas sa Fortune.

 

À suivre...

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16 mai 2012 3 16 /05 /mai /2012 06:29

            Vercingétorix

 

     Chapitre XIII - Georgovie.

 

1. Prestige et tactique de Vercingétorix après la perte d’Avaricum.

 

La ruine d’Avaricum était la plus grande infortune que la Gaule eût subie depuis l’arrivée de César : des trois grandes villes dont elle était le plus fière, Bibracte, Gergovie, Avaricum, une déjà disparaissait, et les Romains menaçaient la seconde. De la part de cette race qu’on disait impulsive et frivole, le vainqueur pouvait espérer un irrémédiable désespoir.

Mais jamais Vercingétorix n’eut l’esprit plus net et la volonté plus ferme que dans les heures qui suivirent le désastre.

Il était à craindre que la brusque venue des fugitifs, la misère de leur extérieur, les lamentations qui allaient les accueillir, tout cet attirail imprévu de la défaite, n’amenassent chez les Gaulois l’abattement ou la colère, et ces sourdes malédictions qui présagent la révolte. Aussi, le long de la route qui conduisait d’Avaricum au camp gaulois, le roi des Arvernes avait échelonné les chefs des cités alliées et quelques gens de confiance tirés de son clan : lorsque, après la tombée du jour, les fugitifs se présentèrent, ils furent cueillis plutôt que recueillis, séparés aussitôt, groupés par nations, et acheminés vers l’endroit où campaient les hommes de leurs pays ; là, ils reçurent des vêtements et des armes, ils perdirent la mine de vaincus pour prendre celle de combattants. Tout cela se fit dans le silence de la pleine nuit, et le bruit de la chute d’Avaricum s’amortit rapidement en approchant des lignes gauloises.

Au matin, Vercingétorix convoqua son conseil. Il y arriva aussi calme qu’après une victoire, passant comme à l’ordinaire sous les yeux de tous, et ses regards ne fuyant pas les regards de la foule. Les Gaulois aimèrent tout d’abord cette paisible bravade. Et, quand il parla ensuite devant les chefs, son langage ne démentit pas l’assurance de son allure.

Au lieu de gémir, il accusa : — Tout ce qui arrivait, ne l’avait-il pas prévu, depuis le jour où, malgré lui, la faiblesse imprudente des Bituriges et des autres avait sauvé Avaricum ? Les Gaulois ne savaient-ils pas depuis longtemps qu’ils n’entendaient rien à la science compliquée des forteresses ? — Mais Vercingétorix ne voulut pas récriminer longtemps : C’était aux succès de l’avenir qu’ils devaient tous songer, et ces succès, il les avait préparés, il y touchait, il les voyait presque. — Alors, comme le jour où il avait été accusé de trahison, il lança ses auditeurs dans l’espérance : il montra les autres nations travaillées par ses émissaires, prêtes à se joindre à lui ; il s’exalta enfin à la vision des peuples celtiques, unis par des liens fraternels, et défiant ainsi le reste du monde. Et ce fut devant ce mirage d’une Gaule conquérante que s’inaugura le lendemain de la première grande défaite.

Avec de telles paroles, il fit croire aux siens ce qu’il voulut. Aussi bien, ce qu’il venait de dire de ses prévisions sur Avaricum était la vérité pure ; et ce qu’il avait ajouté de ses espérances sur le reste de la Gaule reposait sur de réelles et sérieuses négociations. On reconnut vite l’un et l’autre, et de toutes parts on célébra et on acclama sa prévoyance. Ce jour-là, où César s’était peut-être figuré les Gaulois brisant le chef qui n’avait pu vaincre, le Romain les vit au contraire groupés autour de lui avec une telle confiance qu’il ne put s’empêcher d’admirer et presque d’envier son rival. Alors que les revers, écrivait-il, diminuent d’ordinaire l’autorité des chefs, ils ne firent que grandir chaque jour l’ascendant de Vercingétorix.

Le roi ne se borna pas à ce succès moral. Il voulut et il fit que les leçons du passé et l’élan de leurs espérances obligeassent ses soldats à peiner et à s’instruire plus encore. Il s’attachait sans relâche à en faire des travailleurs à la façon des légionnaires, à donner à son armée, outre l’audace irrésistible des escadrons, la supériorité calculée des armes savantes. Déjà il avait réussi à former une infanterie légère, semblable à celle des Germains, dont les hommes étaient capables de bien combattre, dissimulés en tirailleurs dans les rangs des chevaux : désormais, les fantassins de Vercingétorix ne seront plus une quantité négligeable. Le lendemain même de la prise d’Avaricum, il avait envoyé des courriers aux nations fédérées, pour obtenir d’elles un supplément d’effectif ; et, comme la précision est la meilleure manière de commander, il avait indiqué un chiffre et une date. Il insista pour qu’on lui envoyât tous les archers disponibles : il n’en manquait pas dans cette Gaule qui fut toujours en Occident le pays classique des tireurs d’arc, mais peut-être, en ce temps-là, les armes de jet servaient-elles plutôt à la chasse que sur les champs de bataille. Vercingétorix espérait, avec raison, que les flèches neutraliseraient les javelots romains, et reculeraient de son armée ce contact immédiat avec les légionnaires qui était toujours sa principale crainte. Dans les places fortes qu’on ne devait pas démanteler, comme Gergovie, il fit tout préparer en vue d’un siège, pour le jour où, pressé par César, il se déciderait à y abriter son peuple et ses alliés ; il y fit élever des boulevards extérieurs, entasser des vivres et des armes de toute sorte.

Enfin, lorsque arriva la seconde nuit après la fin du siège, César apprit la plus surprenante des nouvelles : les Gaulois remuaient les terres autour de leur camp, l’entouraient de fossés et de talus ; ils le fortifiaient à la manière romaine. Tous les soirs désormais, une ville gauloise se dresserait en face de cette ville armée qu’était le camp légionnaire. Pour les Romains, qui se regardaient comme d’inimitables bâtisseurs de camps, qui avaient dominé le monde le jour où ils avaient appliqué cette science à l’ambition de la conquête, il semblait qu’une nouvelle nation voulût leur disputer la primauté militaire dont ils étaient le plus sûrs. Faut-il, disait César, peut-être pour tranquilliser ses soldats, faut-il que ces Gaulois impatients, indociles et paresseux, soient brisés dans leur orgueil : les voici qui s’astreignent à une besogne de terrassiers, à obéir sans murmure, à travailler sans négligence. En conscience, c’était alors qu’il les redoutait le plus. Vercingétorix les façonnait à sa guise, et les journées d’Avaricum furent celles de ses plus beaux triomphes sur les hommes.

 

2. Séjour de César chez les Éduens ; préparatifs de la nouvelle campagne.

 

Le long repos que prenait César à Avaricum, sous les premières chaleurs du printemps, était gâté par toutes ces surprises. Il y avait trouvé des vivres et des grains en abondance, son armée s’était refaite de la fatigue et des privations. Mais il s’apercevait que les plus grandes difficultés commençaient à peine. C’eût été une plaisanterie de dire que Vercingétorix avait été vaincu : jamais il n’avait combattu face à César. L’armée gauloise demeurait inviolable derrière ses marécages et ses forêts, plus que jamais dans la main de son chef, et aussi décidée que lui à ne répondre à aucune provocation pour descendre en champ clos. Les suppléments demandés, parvenus au jour indiqué, la complétèrent rapidement, et elle reçut même des renforts inattendus et puissants : Teutomat, le roi des Nitiobroges, arriva de la Garonne avec de nombreux escadrons formés par la cavalerie de son peuple, et avec d’autres, amenés de plus loin, qu’il avait levés ou soudoyés chez les nations de l’Aquitaine, gens de la Gascogne ou des Pyrénées. César était impuissant à barrer la route à ces détachements qui, presque à sa vue, s’en allaient rejoindre le camp de ses adversaires. Les messagers de Vercingétorix, eux aussi, partaient et revenaient à leur gré. Du Nord de la Gaule, le Romain apprenait de mauvaises nouvelles : les peuples belges étaient de plus en plus inquiétants, et le plus grand remueur d’entre eux, celui des Bellovaques, avait refusé l’obéissance à César : si ce dernier ne voulait pas voir de nouveaux ennemis déboucher par les forêts carnutes, il fallait que, de Sens, Labienus prît une vigoureuse initiative. Enfin, au moment où il préparait une double expédition, voici que se posa, plus pressante que jamais, la question éduenne.

Car Vercingétorix, parallèlement aux opérations militaires, conduisait en secret, sans arrêt et sans contrôle, une vaste campagne diplomatique ; dans la Gaule entière, et surtout à Bibracte, ses émissaires, ses amis ou ses hôtes intriguaient, promettaient ou achetaient : ils redoublèrent de zèle pendant et après le siège d’Avaricum. Justement, la situation politique, chez les Éduens, leur devenait favorable.

Les deux partis qui se disputaient le pouvoir, à l’élection du printemps, avaient désigné chacun un vergobret de leur choix : les uns avaient élu Cot, le frère du vergobret sortant, qui représentait un des clans les plus anciens et les plus nombreux de la cité ; les autres avaient préféré un jeune homme plus populaire et moins noble, Convictolitav ; et les deux partis en présence, chefs et clientèles, s’apprêtaient à la guerre civile. Les Éduens, désireux pourtant de l’éviter, envoyèrent une députation de chefs pour solliciter l’arbitrage de César.

Ce que César avait de mieux à faire, c’était de les laisser s’entre-déchirer. Les Romains n’avaient rien de bon à attendre de la nation éduenne, le jour où elle obéirait toute à un seul magistrat ; et, s’il donnait raison à l’un des deux partis, l’autre donnerait raison à Vercingétorix. Puis, il était temps de se remettre en campagne : la belle saison était venue, son armée était reposée. Le proconsul avait résolu de marcher droit à Vercingétorix, toujours immobile dans son camp ; il voulait essayer une fois encore d’attirer hors de ses lignes cet imperturbable temporisateur. À défaut, il tenterait de l’investir : car il ne pouvait guère marcher sur Gergovie sans avoir entamé ses adversaires, aussi dangereux s’ils restaient derrière que s’ils prenaient les devants. Mais pour peu que César s’écartât vers l’Est, les Gaulois réussiraient bientôt à, s’échapper, et il les retrouverait, intacts, par-devant lui.

Le proconsul eut tort de préférer intervenir dans les démêlés du peuple éduen. Comme, suivant la loi de cette nation, il était interdit au vergobret de franchir la frontière, il se décida à se rendre lui-même dans le pays, et il donna rendez-vous à Decize aux deux partis opposés : cette petite ville avait l’avantage d’être sur la route directe de Bourges au Mont Beuvray, et les ponts qu’elle occupait sur la Loire étaient le carrefour des principaux chemins des montagnes et des vallées éduennes.

César amena sans peine toute son armée dans le pays éduen, à Nevers et à Decize : à deux120.jpg jours de marche au sud-est d’Avaricum, il rencontra Gorgobina et les Boïens, et ce fut dans un pays ami qu’il franchit l’Allier et la Loire. Peut-être, en même temps, rappela-t-il à Nevers Labienus et ses deux légions pour leur donner des instructions nouvelles.

À Decize, ce ne furent pas seulement tous les sénateurs que trouva Jules César, mais leurs hommes, leurs clients, et la nation éduenne presque entière. Quand les passions politiques étaient en jeu, les Gaulois descendaient tous sur la place publique. On eut, dans cette bourgade barbare, le curieux spectacle d’un peuple celtique pêle-mêle avec des légions romaines.

César fit l’enquête sur les élections avec le scrupule qu’aurait eu le plus consciencieux des druides. En quoi encore il eut tort. Car les Éduens ne pouvaient regarder sa diligence que comme une indiscrète curiosité, et le proconsul n’avait chance de profiter de son rôle d’arbitre qu’en y cherchant son intérêt. Il trouva qu’au fond l’élection de Cot était des plus vicieuses : il avait été simplement proclamé par le vergobret sortant, qui était son frère Valétiac, mais c’était la seule chose légale ; car la proclamation avait été faite en secret, en présence de quelques amis, sans l’appareil religieux consacré, à un moment quelconque et dans un lieu profane. De plus, la loi éduenne, qui se défiait des tyrannies de clans, défendait qu’une même famille fournît à la fois deux de ses membres aux conseils du gouvernement : avec l’élection de Cot succédant à son frère, c’était une dynastie qui commençait. César avait peut-être là un motif de le préférer. Mais il voulut se faire jusqu’au bout le défenseur de la légitimité : le jeune Convictolitav avait été élu régulièrement, au jour solennel et dans l’enceinte consacrée ; à défaut d’un magistrat, les druides, suivant la coutume, avaient présidé à l’élection. Le proconsul décréta qu’il était le vrai vergobret, força son rival à quitter le pouvoir, réconcilia plus ou moins les deux partis, et les pria de s’unir dans une commune fidélité au peuple romain. L’événement allait montrer que l’union se ferait plus facilement contre lui que sous son patronage.

Les préparatifs de la nouvelle campagne s’achevèrent pendant ce temps. César confia à Labienus l’expédition du Nord, devenue nécessaire ; il lui donna quatre légions, et entre autres deux des plus anciennes, la VIIe et la XIIe, et il y ajouta un contingent de cavalerie. — Car cette fois, César allait avoir à son service, ce qui lui avait manqué au début de l’année, d’assez nombreux effectifs de cavaliers. Quelles que fussent leurs intentions secrètes, les Éduens furent obligés de marcher : en échange de la paix qu’il leur avait rendue, des récompenses qu’il leur promettait, César exigea d’eux un concours immédiat, et l’appui effectif de leurs meilleures troupes. Outre les hommes qu’il confia à Labienus, il désigna, pour l’escorter sur-le-champ, quelques escadrons disponibles, livrés par la meilleure noblesse et commandés par Éporédorix et Viridomar, tous excellents cavaliers et otages plus utiles encore. Le reste des troupes éduennes, dont dix mille fantassins, devaient suivre à bref délai : César leur destinait la mission peu dangereuse de protéger les étapes et d’assurer le ravitaillement. De plus, comme il allait s’enfoncer vers le Sud, et que Sens serait bientôt trop éloigné de lui pour lui servir de dépôt, il en établit un second chez les Éduens mêmes, à Nevers, près du confluent de la Loire et de l’Allier, à égale distance de Gergovie où il se rendait, et de Sens où campait Labienus. Il y laissa tous les otages de la Gaule, de vastes approvisionnements en blé, le trésor proconsulaire, ses bagages propres, ceux de l’armée, sans parler des marchands italiens qui suivaient toujours la piste des armées romaines ; il y fit installer les chevaux de remonte que ses agents avaient récemment achetés en nombre dans les marchés d’Espagne et d’Italie.

Ces précautions prises en cas de retraite. César et son armée quittèrent Nevers et Decize pour se diriger vers l’Auvergne. Comme Gergovie et la Limagne se trouvaient sur la rive gauche de l’Allier, le proconsul gagna le bord de cette rivière, pour la franchir sur le pont qu’il avait traversé quelques jours auparavant (vers le 1er mai).

 

À suivre...

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12 mai 2012 6 12 /05 /mai /2012 07:35

             Vercingétorix

 

     Chapitre XII - Avaricum

 

11. Prise de la ville.

 

Les défenseurs de Bourges comprirent qu’ils n’avaient plus à choisir qu’entre la fuite et la mort. Vercingétorix lui-même leur donna l’ordre, le lendemain du combat, de quitter la ville et de le rejoindre. C’était chose assez facile. Son camp était toujours sur la route de Sancerre, à dix-huit kilomètres de là, et il avait eu soin de distribuer des postes presque aux abords d’Avaricum. César n’avait jamais tenté de bloquer la cité sur ce point ; il était séparé par des rivières et des marécages du chemin que devaient prendre les fugitifs. S’ils avaient un peu d’avance, ils lui échapperaient.

Il n’en fut pas ainsi. La nuit vint, les Gaulois se mirent à préparer le départ en silence. Mais une longue lamentation s’éleva, celle des femmes qui accoururent, sachant et pleurant le sort qui les attendait, elles et leurs enfants. Les soldats refusèrent de s’apitoyer ; les malheureuses hurlèrent, à dessein et au point d’avertir les assiégeants. Il fallut rester.

Le jour qui se leva fut donc le dernier du siège. Les dégâts du combat précédent avaient été réparés. Sur l’esplanade de la terrasse, les mantelets vinrent de nouveau s’allonger près des remparts, et une des deux tours romaines s’approcha d’une tour de l’enceinte. En ce moment, un ouragan de pluie et de vent s’abattit sur les hommes : les sentinelles gauloises se mirent à l’abri ; les légionnaires, sur l’ordre de César, ralentirent leur travail, et se réfugièrent dans les baraquements qui précédaient le camp romain. Ce ne fut qu’une ruse pour achever d’égarer l’ennemi. Le proconsul se hâta d’expliquer ce qu’il y avait à faire, et d’énumérer les récompenses traditionnelles promises aux premiers à l’escalade. Puis il donna le signal de l’assaut.106.jpg

Les légionnaires furent en un clin d’œil à l’autre bout de la terrasse, au pied des parapets ennemis, et n’eurent point de peine à escalader la muraille dégarnie. Pendant ce temps, la tour romaine lançait un pont mouvant, et, comme à l’abordage, agrippait la tour ennemie, qui fut occupée en un instant. Au bruit de la tempête, les Romains balayèrent rapidement tout le secteur de l’enceinte que bordait leur terrassement.

Malgré son épouvante, l’ennemi ne perdit pas tout courage. Il se replia dans les rues, se forma en carrés dans les carrefours et sur la place publique, et il espéra une bataille.

Mais les Romains étaient trop prudents pour s’engager dans le dédale des rues tournantes, étroites et montantes ; ils se bornèrent à s’étendre sur les remparts, et leurs armes couronnèrent bientôt toute la muraille. Les Gaulois, voyant leur retraite presque coupée, craignant d’être pris sans combat comme dans un étau, jetèrent enfin leurs armes et se précipitèrent vers les portes du Nord, du côté où était Vercingétorix. César avait pris les devants, envoyé sur ce point ses cavaliers. Ce fut ainsi qu’à Génabum. Seuls, les lâches de la première heure, huit cents tout au plus, purent gagner la campagne. Les autres s’entassaient aux portes trop étroites, lorsque les soldats de César arrivèrent par les rues, tandis que ses cavaliers attendaient au dehors. Le massacre commença : il fallait bien, comme l’écrivit le proconsul deux ans plus tard, que les légionnaires tirassent bonne vengeance du sang de Génabum et des fatigues du siège, et leur général laissa faire. Ils ne songèrent pas à piller, tant ils eurent à tuer : ils parvinrent enfin à les égorger tous, quarante milliers d’êtres, hommes et vieillards, femmes et enfants. Le sac de la ville n’eut lieu qu’après.

Puis César, entré à son tour, s’installa avec ses légionnaires et ses Germains sur les ruines ensanglantées.

 

12. Résumé de cette seconde campagne.

 

On était dans les premiers jours d’avril. Il avait mis cinq semaines de fatigues continues pour conquérir la route de Sens à Orléans et à Bourges, et il l’avait plutôt parcourue qu’il ne l’avait occupée ; pas une seule fois, il n’avait sérieusement atteint ni vaincu Vercingétorix lui-même.

Mais après tout il n’avait fait que remporter des victoires. Il avait pris quatre villes, marqué son chemin de milliers de cadavres ennemis, rempli sa caisse questorienne des trésors enlevés aux temples, réduit à rien deux des illustres résidences de la Gaule, Génabum et Avaricum.

Il ne lui restait plus, des grandes villes soulevées, que Gergovie à frapper. Les peuples du Nord n’avaient point encore bougé. Les Éduens ne l’avaient point encore trahi. Il pouvait se reposer dans Avaricum avant de reprendre sa marche vers le Sud.

 

À suivre

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9 mai 2012 3 09 /05 /mai /2012 07:26

             Vercingétorix

 

     Chapitre XII - Avaricum.

 

8. César en face du camp gaulois. 

 

Un jour, il lui fut permis de faire sur cette armée impatiente une dangereuse expérience. Il arriva qu’elle vit de très près les légions, et qu’elle ne put les combattre. Il quitta le soir son camp à la tête de tous ses escadrons et de son infanterie légère, sans laisser d’autre ordre que celui de ne pas combattre, sans désigner de chef pour commander à sa place : il partit, sous prétexte de tendre pour le lendemain une embuscade aux fourrageurs romains. César apprit ce mouvement par quelque captif gaulois, peut-être par une indication voulue de Vercingétorix lui-même : il se mit en route au milieu de la nuit, pour essayer de surprendre, avec ses légions marchant en silence, le camp ennemi abandonné par son chef.

Mais des éclaireurs avaient été disposés par Vercingétorix sur la route que César était obligé de prendre. Les Gaulois du camp furent immédiatement prévenus et eurent le temps de se mettre en état de défense, s’ils ne l’étaient pas déjà : Les gens de guerre s’établirent sur un plateau vaste et découvert, dominant la route d’une assez forte hauteur, et entouré de presque tous les côtés par un marais profond et dangereux, large de cinquante pieds ; au loin, dans l’épaisseur des bois, on avait dissimulé les bagages et les chariots ; sur le devant, les ponts étaient coupés, et à tous les gués ou passages veillaient des troupes de garde.

César déboucha le matin au pied de la hauteur. Il avait fait mettre sac à terre et préparer les armes. Mais alors il aperçut, sur le plateau, l’infanterie gauloise en rang de bataille, chaque cité sous ses chefs, chaque tribu sous ses étendards. Si Vercingétorix n’était pas au milieu d’elle, son esprit de confiance l’animait. Elle attendait de pied ferme.

Ce fut un moment étrange. César avait arrêté ses hommes au bord du marais. Il y avait à peine, entre les deux troupes, la portée d’un javelot. Mais personne ne commença la bataille. Les légions furent les premières impatientes ; elles réclamaient le signal : César leur fit comprendre qu’elles allaient à leur perte sur ce sol fangeux et dans cette montée à découvert. Les Gaulois étaient prêts à les recevoir. Si Vercingétorix avait confié à un seul chef le soin de commander en son absence, nul doute que, pour complaire à la foule, il n’eût engagé le combat. Mais faute d’ordre nouveau, ils obéirent à leur roi absent, et ne touchèrent pas à l’ennemi qu’il refusait de leur donner. Une résignation de ce genre valait, pour la Gaule, une victoire. César battit en retraite, consolant ses soldats ; il regagna son camp le jour même, et fit reprendre les travaux de la terrasse.

 

9. Vercingétorix accusé de trahison.

 

Cette leçon de patience faillit coûter cher à Vercingétorix. Quand il revint au camp, il entendit de toutes parts crier à la trahison et, le conseil des chefs réuni, l’accusation fut précisée. Le camp gaulois rapproché des lignes romaines, puis laissé sans chef et sans cavalerie. César immédiatement prévenu et accourant avec ses troupes : il n’en fallait pas davantage pour convaincre ces hommes énervés et vibrants que leur général voulait les livrer au proconsul, et recevoir de lui en récompense la royauté de la Gaule, devenue vassale du peuple romain.

À son tour, Vercingétorix parla. — Il expliqua avec soin toutes les marches faites depuis Noviodunum, et dont aucune n’avait abouti à une défaite. Puis, il fouailla vigoureusement ses hommes, en leur reprochant de ne vouloir se battre que par ennui de la fatigue ; s’il n’avait délégué à personne l’autorité suprême, c’était précisément parce qu’il craignait que son lieutenant ne se laissât entraîner au combat : car, d’une bataille, il ne voulait et ne voudrait, jamais, et à aucun prix. Enfin il montra l’humiliation des Romains, reculant devant le camp gaulois ; il s’étendit longuement sur leur misère ; il fit venir de prétendus fugitifs pour attester qu’ils n’avaient ni pain ni viande ; il dépeignit cette glorieuse armée de César, rongée par la famine, se dissolvant sans combat, s’enfuyant sans défaite ; et il affirma que, grâce à ses émissaires, les nations gauloises étaient prêtes à en attendre et repousser les débris. Voilà ce qu’il avait fait, dans l’intérêt de la Gaule, et de la Gaule seule : car, pour lui, il était prêt à quitter le pouvoir suprême. — Les Gaulois ne demandaient qu’à changer d’avis : ils suivaient toujours l’impulsion du dernier qui leur parlait bien. Le discours de Vercingétorix à peine fini, l’orateur fut acclamé, et le bruit des armes se mêla aux cris de la foule accourue. Aucune voix discordante ne se fit entendre : « il n’y avait pas de plus grand chef que lui, et il était impossible de mieux manœuvrer ». Et, comme ces grands enfants étaient toujours prêts à prendre leurs rêves pour des réalités, ils crurent en ce moment si bien à la victoire, qu’ils ne purent supporter l’idée que les Bituriges en auraient seuls le mérite : ils décidèrent que dix mille hommes, empruntés aux différents peuples, seraient introduits dans Avaricum pour partager la gloire de ses défenseurs. C’est du moins ce qu’ils disaient et ce que Vercingétorix leur laissa dire. Mais l’habile homme n’ignorait pas que les assiégés avaient besoin de ce secours, et plus encore de celui des dieux.

 

10. Défense d'Avaricum ; combats autour de la terrasse.

 

La terrasse s’approchait de plus en plus des remparts, en dépit de l’ingénieuse résistance des Bituriges. L’arrivée de ces renforts, peut-être aussi de quelques ingénieurs transfuges, en tout cas les conseils ou les ordres de Vercingétorix, les décidèrent aux tentatives les plus hardies. Ce ne fut plus seulement la banalité des sorties et des combats, des torches jetées sur la terrasse, de la surprise des attaques nocturnes : les Gaulois déployèrent encore, au grand étonnement de César, toutes les ressources d’une imagination savante, comme si, dans l’intervalle des combats, ils avaient pris les leçons de maîtres grecs. Car, disait le proconsul, c’est une race si habile, toujours prête à faire ce qu’on lui enseigne et à imiter ce qu’on lui montre !

Les murailles de la ville, faites à la fois d’énormes madriers et de blocs de grand appareil, résistaient au feu et au choc. César avait essayé pourtant de faire donner contre elles, aux points faibles, la faux d’arrachement : mais alors des cordages, descendant du parapet, s’enroulaient autour d’elle, et, ramenés aussitôt par un treuil, la détournaient et l’enlevaient. Le proconsul avait tenté d’arriver à l’enceinte à l’aide des tranchées habituelles : des blocs de pierre, des pieux aiguisés et durcis au feu, de la poix bouillante, les rendirent vite impraticables.

Les Romains n’avaient d’espoir que dans leur terrasse. Mais les Bituriges, auxquels l’exploitation des mines de fer donnait la pratique des travaux souterrains, creusaient les galeries sous les fondations de la jetée. Menacée par-dessous, elle le fut aussi par en haut. Quand le cavalier se trouva rapproché des murs, et presque à leur hauteur, il fut dominé par une série de tours nouvelles, construites par l’ennemi sur le terre-plein du rempart, réunies peut-être entre elles par des ponts volants, et protégées contre l’incendie par un revêtement de cuirs. Enfin, quand les deux énormes tours romaines se dressèrent devant elles, les tours gauloises grandirent aussi, et chaque jour d’une hauteur égale à celle des charpentes que les ennemis ajoutaient aux leurs. Trois ans plus tard, les Marseillais, passés maîtres pourtant dans la science des places fortes, devaient faire à peine mieux que les Bituriges.

Mais les Romains supportèrent tout, les travaux les plus fatigants, les combats de nuit et de jour, des temps affreux, un froid persistant et des pluies continues, la famine, l’incertitude où les tenait la conduite de Vercingétorix, la déconvenue qui résultait de tant d’ouvrages à refaire : il ne fut pas prononcé, dans le camp de César, une parole indigne de la majesté du peuple romain.

Enfin la terrasse fut achevée, toucha presque la muraille ennemie ; les deux tours furent approchées, chacune d’une porte : on était au vingt - cinquième jour du siège. Tout allait être prêt pour l’attaque.

Ce jour-là, peu avant minuit, les soldats des deux légions de garde travaillaient encore sur la chaussée : César, à son habitude, veillait au milieu d’eux, courageux et familier, pressant la besogne. Tout à coup, jaillit de la terrasse une colonne de fumée : les Gaulois avaient réussi, à l’aide d’une mine, à y mettre le feu. Au même moment, répondant à ce signal, des cris retentissent sur tout le rempart, qui se couvre d’ennemis en un clin d’oeil ; à droite et à gauche des ouvrages romains, les portes d’Avaricum sont ouvertes, et d’autres adversaires apparaissent, allant droit aux deux tours d’attaque. D’en face, sur leurs flancs, sous leur base même, la terrasse et ses tours sont assaillies, menacées par les torches et les projectiles enflammés. — Il y eut chez les légionnaires un court moment de désordre et d’hésitation. Mais ils ne tardèrent pas à se répartir les points à défendre, tandis que, du camp réveillé, les secours arrivaient.

Le principal danger était que les deux grandes tours ne fussent atteintes. On les ramena, et on coupa derrière elles les charpentes de la jetée pour faire la part des flammes. Mais les mantelets qui abritaient les abords des tours furent brûlés, les cabanes blindées furent abîmées, les légionnaires durent combattre à découvert sous le feu des tours d’Avaricum. Tandis que les uns luttaient contre l’incendie, les autres refoulaient l’ennemi vers les portes, et les artilleurs purent enfin diriger leurs batteries contre les assaillants.

Le combat fit rage toute la nuit : pas un instant, les Gaulois ne lâchèrent pied, et il y eut peut-être chez eux, au matin, à la vue des ruines qu’ils avaient faites, une recrudescence110 de courage et d’espérance. C’était, pensaient-ils, le salut de la Gaule qu’ils avaient dans leurs mains, en cet instant précis : des milliers d’hommes attendaient dans Avaricum, au pied des remparts, que leur tour de combattre fût venu, et pas un d’eux ne tardait à prendre son poste de mort. J’ai vu ce jour-là, dit César, une chose mémorable. Un Gaulois, posté devant une porte, lançait sur le foyer qui menaçait une tour romaine des boules de suif et de poix, qu’on lui passait à la chaîne quand un trait lancé par une machine le traverse et le tue ; un de ses voisins enjambe le corps et prend sa place ; il tombe à son tour, atteint de même ; un troisième lui succède, puis un quatrième, et ainsi de suite jusqu’à la fin du combat : pas une fois le poste ne demeura inoccupé.

À la fin, les Gaulois durent céder, rentrer dans la ville et fermer les portes ; et les légions, ayant achevé de noyer l’incendie, se mirent à refaire les mantelets et à combler la brèche de la terrasse.

 

À suivre...

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5 mai 2012 6 05 /05 /mai /2012 09:24

                                                     Vercingétorix

 

      Chapitre XII - Avaricum.

 

6. Avaricum : site de la place ; comment on pouvait l’attaquer ; la terrasse. 

 

La ville de Bourges était bâtie sur une colline qui s’élevait à vingt-cinq ou trente mètres tout au plus au-dessus du niveau de la plaine, et au point de rencontre de cinq rivières, dont les deux principales étaient l’Yèvre et l’Auron. Autrefois comme aujourd’hui, ces ruisseaux s’épandaient en un grand nombre de bras et de canaux, qui débordaient, en temps d’hiver et de pluie, en un marais continu : les trois quarts de l’enceinte, à l’Est, au Nord et à l’Ouest, émergeaient d’ordinaire d’un large marécage, à travers lequel couraient seulement les longs ponts des routes d’Orléans et de Sancerre. Sur un seul point, au Sud-Est, par où venait la route des pays boïen et éduen, la ville tenait à la terre ferme par un col étroit et surbaissé, mesurant 500 mètres tout au plus, à peine aussi large que la cité elle-même : c’est l’emplacement que dominent aujourd’hui la place Séraucourt et la rue de Dun-sur-Auron ; mais jadis le sol était, sur ce point, de beaucoup en contrebas, de manière à faire saillir davantage la ville et ses remparts, qui commençaient à la hauteur de l’Esplanade. Enfin, plus au Sud-Est encore, le terrain se relevait lentement dans la direction du faubourg du Château et de la Caserne d’artillerie.

César, ayant reconnu la ville et ses abords, jugea aussitôt qu’il était impossible de l’investir par la ligne d’un blocus continu : la surface entourée et occupée par les marécages était trop vaste, le sol trop bas, le terrain trop mobile. Il n’avait qu’une seule manière de s’en rendre maître : l’attaque de front (oppugnatio).

Pour forcer une place de ce genre, bâtie sur une hauteur et pourvue de murailles épaisses et solides, il fallait que les soldats pussent combattre autrement qu’au pied des remparts, autour des portes, sous la menace plongeante du feu, des traits et des pierres de l’ennemi ; il était bon qu’ils fussent, autant que possible, de niveau avec les défenseurs des murailles et des tours. À cet effet, on construisait, en face d’un secteur déterminé de l’enceinte assiégée, une énorme terrasse quadrangulaire : les flancs en dominaient à leur tour les portes de la cité ; la plate-forme en était souvent de plain-pied, sinon avec le parapet, du moins avec le terre-plein du mur opposé ; par-dessus, on élevait encore des tours, au moins égales en hauteur à celles qui leur faisaient face. Ainsi, on supprimait les inégalités qui résultaient du terrain et des bâtisses ; on dressait muraille contre muraille, tours contre tours, et presque ville contre ville. — Mais la terrasse des assiégeants avait, sur les remparts des assiégés, l’avantage d’être plus profonde, et de s’unir directement au sol qu’elle prolongeait : si bien que les soldats s’y relevaient et s’y succédaient avec la même rapidité que sur un champ de bataille aplani. En outre, les tours de bois qui la garnissaient avaient cette supériorité sur celles de l’enceinte que ces dernières étaient immobiles et ne pouvaient éviter l’attaque, tandis que celles-là, montées sur roues ou sur rouleaux, avançaient et reculaient, obéissant au commandement comme une machine de guerre. — Le jour où une ville assiégée voyait s’achever en face d’elle la terrasse ennemie, elle n’avait plus qu’à se résigner à la défaite. Tout l’effort de ses défenseurs consistait à empêcher ou à retarder la construction de ce redoutable cavalier.

César dressa son camp sur le terrain du Château et la route de Moulins, à quatre ou cinq112.JPG cents mètres de la ville, et ordonna la construction d’une terrasse en face des remparts, sur le col qui joignait l’emplacement de ce camp à la colline d’Avaricum et que longeaient les marais de l’Yèvre et de l’Yévrelle au Nord-Est, ceux de l’Auron au Sud-Ouest. Il s’agissait d’une bâtisse colossale, qui par endroits devait atteindre une hauteur de 80 pieds, qui mesurerait 330 pieds de large, sur une longueur égale ou supérieure. On avait besoin d’au moins 280.000 mètres cubes de matériaux : clayonnages et terres pour former le terre-plein central, poutres et madriers pour construire sur chaque flanc un large viaduc stable et solide sur lequel s’avancerait une tour. Mais il fallait aussi construire ces deux tours, César n’en ayant pas de disponibles ; et il fallait enfin, et tout de suite, établir au pied du rempart ennemi des baraquements couverts et blindés pour protéger les travailleurs. En mettant les choses au mieux, c’était une tâche de trois semaines qui commençait pour les huit légions.

 

7. Opérations de Vercingétorix et misère de l’armée romaine.

 

Vercingétorix avait suivi lentement César, en évoluant sur ses flancs en étapes beaucoup plus courtes. Après l'avoir presque touché, il avait peu à peu ramené à seize milles (25 kilomètres) la distance qui le séparait du proconsul. Il habituait ainsi ses soldats à refréner leur impatience de combattre.

Quand César eut assis son camp devant Avaricum, Vercingétorix établit le sien, à cette même distance de seize milles, au Nord-Est, non loin de la route de Bourges à Sancerre (entre Morogues et Humbligny ?) ; tandis que son adversaire avait pris position sur les chemins du Sud, par où les Gaulois étaient venus, il avait ressaisi derrière lui ceux du Nord, d’où les Romains arrivaient ; le cours de l’Yèvre séparait à peu près complètement les deux zones d’occupation. On eût dit que Vercingétorix tenait à demeurer en relations faciles avec la Gaule du Nord, soit pour y multiplier ses messages, soit pour fermer la route aux convois de Labienus ou à la retraite de César.

Dans cette dernière marche en chassé-croisé, les Gaulois et leur chef venaient de se montrer habiles et prudents. Ils le furent encore dans le choix de remplacement de leur camp : ils le dressèrent à l’abri des forêts et des marécages, bien protégé contre toute surprise. Enfin, à travers les marais de Bourges, ils étaient en rapport constant avec les assiégés, et Vercingétorix, de sa tente, commandait lui-même les manœuvres de la défense. Il avait d’excellents éclaireurs, qu’il avait dispersés dans la campagne, même au sud de l’Yèvre, tout autour de César. Rien de ce qui se faisait, à Avaricum ou aux abords du camp romain ne lui échappait : son service d’informations était si impeccable que César en fut étonné. Sous l’action pressante de leur chef, les Gaulois se formaient rapidement aux leçons des tacticiens romains.

La situation de César fut bientôt compromise. Sans doute il s’était mis enfin, par les routes de Nevers et de Moulins, en communication directe avec les Boïens et les Éduens, et il s’empressa de leur demander les convois de grains dont il avait grand besoin. Mais le pays boïen était pauvre et s’épuisa vite ; les Éduens, de plus en plus mal disposés, envoyèrent le moins qu’ils purent, et César avait quarante mille hommes à nourrir. Il essaya bien de fourrager au loin, mais Vercingétorix l’épiait, et le proconsul avait beau changer sans cesse les heures et les routes des expéditions ; les cavaliers gaulois se trouvaient toujours sur les points où arrivaient les Romains, et c’était chaque fois, pour César, une défaite de plus. De Labienus, il ne venait rien. César avait trop peu de cavalerie pour empêcher ses adversaires de communiquer librement avec Avaricum. Il ne tarda pas à paraître lui-même l’assiégé.

Alors arrivèrent de cruelles journées. Le pain manqua longtemps. Il fallut aller chercher des bestiaux à des distances énormes. Mais pas un légionnaire ne murmura. On en vint aux pires souffrances de la faim. César eut pitié des siens ; il se rendit dans les chantiers de la terrasse, et il offrit aux légions, à l’une après l’autre, de lever le siège. Mais les hommes s’indignèrent : César ne les avait point habitués à abandonner une tâche commencée, et les victimes romaines de Génabum n’avaient pas encore reçu toutes les offrandes réclamées par leurs Mânes. Et le travail continua : la terrasse se dressait lentement ; les deux tours, en même temps, s’élevaient et s’avançaient, comme surgissant de terre.

L’armée de Vercingétorix, elle aussi, souffrait de la disette de fourrage, et, de plus, elle s’irritait de l’inaction : elle était incapable de cette laborieuse impassibilité des légionnaires. Sur l’avis des chefs, le roi la rapprocha de la ville et de César, et déplaça son camp vers le Sud (entre Les Aix et Rians ?), le posant toujours sous la protection des marécages, et toujours en rapport avec Avaricum. Mais il se refusa quand même à combattre.

 

À suivre...

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1 mai 2012 2 01 /05 /mai /2012 09:14

           Vercingétorix

 

     Chapitre XII - Avaricum.

 

3. Prise de Vellaunodunum et de Génabum.

 

Le lendemain de son départ, il fut en vue de la première ville forte ennemie, Vellaunodunum (Montargis ?), qui gardait, sur le territoire sénon et dans la vallée du Loing, les routes d’entre Seine et Loire : petite ville sans doute, sur une hauteur insignifiante, mais ayant de bonnes murailles et pas mal de défenseurs. Car il fallut s’arrêter, décider le blocus, tracer une ligne d’investissement : cela prit deux jours. Le troisième, des parlementaires offrirent de capituler. On leur demanda de livrer les armes, les chevaux, six cents otages ; et, comme le temps pressait. César laissa dans la place son légat C. Trébonius pour veiller à ce que ces conditions fussent exécutées. Par la prise de Vellaunodunum, le quartier général de Sens se trouva complètement dégagé.

Au delà de Montargis, César abandonna tout à fait la direction du Sud, et il obliqua droit vers l’Ouest pour attaquer les Carnutes et gagner la Loire à Génabum (Orléans).

Celte fois, c’était une affaire d’importance. Génabum était la principale ville du peuple carnute, qui avait fait le signal de la révolte ; elle s’était souillée la première du sang romain ; sa situation militaire et commerciale donnait à la marche de César un motif de plus qu’une légitime vengeance. Mais les difficultés matérielles furent réduites à rien. Génabum était moins une place forte qu’un grand marché : elle était en plaine, son assiette était médiocre, un pont, sur la Loire, compliquait la défense. De plus, les gens de guerre carnutes étaient loin en ce moment ; ils croyaient que César allait être arrêté longtemps chez les Sénons de Vellaunodunum. Ils commençaient à peine à se rassembler pour tenir la ville quand les Romains, après deux jours de marche, parurent, sur le soir, aux portes de Génabum.

César établit son camp devant la ville, décida et prépara l’assaut pour le lendemain. Comme il connaissait le trouble de ses adversaires, il fit veiller deux légions sous les armes, pour s’opposer à toute tentative de fuite. César et les soldats avaient sans doute le cœur à la besogne : il leur fallait, au plus tôt et sans en perdre une seule, les victimes expiatoires exigées par les Mânes de Cita.

Un peu avant minuit, en silence, les Gaulois sortirent par la porte qui regardait la Loire : le pont était petit, il menait à une longue et étroite chaussée qui dominait les marais du Val ; il y eut vite un terrible encombrement. César prévenu fit mettre le feu aux autres portes, les deux légions de veille pénétrèrent dans la ville, et se précipitèrent, en la traversant, sur les derrières de la foule entassée aux abords du fleuve ; toute cette masse, à quelques têtes près, fut cernée et prise sans combat : superbe gain d’esclaves pour le peuple romain. Puis Génabum fut pillé par les soldats et pour leur compte. Enfin on y mit le feu, et, quittant la ville en flammes, César fit passer la Loire à son armée.

Il obliqua vers le Sud-Est dans la direction de Bourges. Encore une rude journée de marche à travers les landes fangeuses de la Sologne, et on atteignit les premiers coteaux du pays des Bituriges. Presque à la limite de leur territoire, se trouvait leur citadelle avancée, Noviodunum (près de Neuvy-sur-Baranjon ?). Un troisième siège commença, qui fut à peu près la répétition du premier. Â peine les travaux d’approche mis en train, une députation offrit de se rendre, et reçut de César la réponse traditionnelle : qu’on livre les armes, les chevaux, des otages. Les Bituriges acceptèrent ; un premier, détachement d’otages arriva au camp romain ; des légionnaires avec leurs centurions entrèrent dans la place pour prendre livraison des armes et des chevaux. Tout à coup, à l’horizon, vers le Sud, apparut un groupe de cavaliers gaulois : c’était l’avant-garde de Vercingétorix.

 

4. Premier combat, devant Noviodunum.

 

Cette fois, non pas encore les deux chefs, mais les deux principales armées se trouvaient en présence. Le roi des Arvernes, à la nouvelle que César s’approchait, avait quitté le siège de Gorgobina. — Peut-être aurait-il dû persister encore, obliger les Romains à s’aventurer plus bas dans le Midi ; mais il lui fallait compter avec ses hommes, désireux de voir enfin l’ennemi, et il les mena vers le Nord, au-devant de César, qu’ils rencontrèrent sous les murs de Noviodunum.

Les assiégés crurent qu’ils allaient être utilement secourus : quelques hommes décidés appelèrent la foule, firent prendre les armes et fermer les portes ; les murailles se garnirent de défenseurs. Mais les centurions et les soldats romains qui se trouvaient dans la ville mirent l’épée à la main, enfoncèrent les battants, et regagnèrent le camp tous sains et saufs. Le siège n’en était pas moins à recommencer.

César s’occupa d’abord de ceux du dehors. La cavalerie romaine sortit du camp, entama le combat, et, comme plus d’une fois, dut plier sous l’effort des cavaliers gaulois. Alors le général lança, pour la soutenir, son escadron germain, qui partit à bride abattue. Les Gaulois, déjà ébranlés par la première lutte, ne purent soutenir le nouveau choc, perdirent beaucoup de monde et se retirèrent en désordre vers le gros de l’armée. Dans cette première rencontre entre les hommes de César et ceux de Vercingétorix, il n’y eut d’engagé que de la cavalerie, et, vainqueurs des Romains, les Celtes furent vaincus par les Germains.

L’affaire de Noviodunum fut ensuite réglée en un tour de main. Les gens du bourg, fort effrayés, s’en chargèrent eux-mêmes. Ils rejetèrent la faute sur quelques exaltés, les conduisirent à César et livrèrent la place.

Le chemin paraissant libre vers le Sud, César reprit sa marche et se dirigea vers Avaricum, la ville principale des Bituriges, qui était à moins de 30 kilomètres de là. Il ne s’agissait plus pour lui de délivrer Gorgobina, mais de continuer le châtiment des coupables. L’armée avait quitté la triste et marécageuse Sologne, les sentiers devenaient plus faciles, le pays était plus fertile et plus gai, les prairies plus vertes à l’approche du printemps ; sur les grasses terres du Berry, de gros villages et de belles fermes apparaissaient de toutes partis. Mais César allait avoir devant lui deux ennemis de plus, la cavalerie gauloise et l’incendie.

 

5. Vercingétorix décide les Gaulois à incendier le pays.

 

Cette première rencontre, si peu importante qu’elle fût, permit à Vercingétorix de107.jpg montrer à ses soldats ce dont il avait été, dès le début, profondément convaincu : l’erreur qu’ils commettraient en acceptant une bataille, même de cavalerie. La chute rapide des trois places fortes lui avait rappelé que toute citadelle qui n’est protégée que par ses murailles doit succomber, surtout quand elle est menacée par ces deux formidables engins d’attaque : l’artillerie grecque et la solidité légionnaire. Enfin, il se rendait compte d’un des principes essentiels de l’art militaire : ne pas multiplier les petites garnisons, si l’on veut éviter les grandes pertes. Il considéra dès lors comme un devoir de refuser à César les avantages et des assauts et des combats, de ne lui laisser que l’alternative des marches harassantes et d’un long stationnement auprès de rochers inabordables.

Au premier conseil qu’il tint après le combat, et peut-être le jour même, il exposa enfin son plan favori. — César nous donne dans ses Commentaires le discours que le roi prononça devant ses officiers. Je ne crois pas qu’il soit mot pour mot l’œuvre de Vercingétorix, mais je ne crois pas davantage qu’il ait été fabriqué de toutes pièces. César fut toujours au courant de ce qui se passa et se dit dans le conseil des chefs ; il ignora parfois les actes et les marches de Vercingétorix ; il sut fort bien le détail des délibérations auxquelles présida son adversaire : c’était un jeu pour lui, entre tant de chefs bavards et jaloux, d’en trouver un qui lui fît passer une relation fidèle. Voici ce que dit, d’après César, le général gaulois : si les paroles ne sont pas de Vercingétorix, elles expriment exactement ce qu’il voulait faire et ce qu’il fît.

— Il faut désormais conduire la guerre tout autrement que nous ne l'avons fait jusqu’ici. Notre but unique doit être maintenant de couper aux Romains le fourrage et les vivres.

— Rien de plus facile pour nous. Nous avons beaucoup de cavalerie. La saison nous est favorable : car le fourrage n’est pas bon à faucher, il faut que les ennemis envoient des escouades de côté et d’autre pour piller les greniers des fermes. Nos cavaliers pourront détruire chaque jour, sans laisser échapper un seul homme, tous ces détachements isolés.

— Mais il y a plus. Que chacun de nous, dans l’intérêt de tous, oublie ses intérêts domestiques : brûlons nous-mêmes tous nos villages ouverts, brûlons toutes nos fermes, partout où les Romains, dans leur marche, pourront avoir la tentation de fourrager. Nous autres, nous ne manquerons de rien ; nous sommes nourris par ceux chez lesquels nous combattons : aux Romains, il ne restera que le choix entre mourir de faim ou courir à leur perte en s’éloignant de leur camp. Au reste, peu importe qu’on les tue ou qu’on se borne à leur enlever les bagages : sans bagages, point de guerre possible.

— Enfin, ce sont les villes fortifiées elles-mêmes qu’il faut livrer aux flammes, à l’exception de celles que la force de leurs remparts et l’avantage de leur assiette rendent inexpugnables. Si vous les laissez toutes debout, vos forces s’égrèneront, chacun refusant de suivre l’armée pour s’abriter derrière les murs de sa cité ; et quand les Romains en deviendront les maîtres, ils y trouveront les vivres dont ils ont besoin et le butin qu’ils convoitent.

— Tout cela vous paraît de trop durs sacrifices ? ce sont des douleurs tout autrement terribles, de voir vos femmes et vos enfants réservés à l’esclavage, et vous-mêmes à la mort. Car c’est votre lot si vous êtes vaincus.

Tous ces arguments étaient la vérité même, et le dernier n’était pas seulement le cri pathétique de l’orateur, mais une allusion émouvante au sort de Génabum. Vercingétorix rappelait ce qu’il fallait attendre de la clémence de César à ceux qui avaient oublié l’exécution d’Acco et le massacre du sénat vénète.

Les auditeurs comprirent qu’il fallait obéir, et le plan du chef fut accepté sans opposition. — Une seule question fut posée. Qu’allait-on faire d’Avaricum ?

Avaricum, grande ville fortifiée, n’était cependant pas une de ces places que Vercingétorix venait de qualifier d’inexpugnables. Elle était assise sur une hauteur fort peu importante : à la différence de Gergovie et de Bibracte, plantées sur des plateaux presque inaccessibles, c’était une cité de coteau, comme celles que les Romains bâtiront plus tard pour les Gaulois. En revanche, elle était précisément une des trois ou quatre villes de la Gaule qui offraient un butin d’une incomparable richesse ; avec ses carrefours, ses rues, son forum, ses constructions ramassées, elle présentait un aspect moderne au regard des laides bourgades perdues dans les montagnes, que leurs grands espaces vides faisaient ressembler plus à des champs de foire qu’à des résidences humaines : elle avait environ deux kilomètres de tour, pouvait loger quarante mille hommes. Sans doute des trésors s’y étaient accumulés, depuis les temps lointains où les chefs bituriges couraient le monde et commandaient à la Gaule. Pour les gens du Berry, elle était un ornement et une forteresse ; pour les Gaulois, une très belle chose, et peut-être le sanctuaire des gloires d’autrefois.

Les Bituriges ne purent consentir à la voir disparaître, incendiée de leurs propres mains. Vercingétorix insista. Ils se jetèrent aux pieds des autres chefs, attestèrent qu’ils sauraient la défendre : les Gaulois se laissèrent fléchir, Vercingétorix demeura insensible. Alors ce fut, dans tout le conseil et peut-être dans tout le camp, une longue traînée de prières et de plaintes. Vercingétorix céda, tout en affirmant encore que l’on commettait une faute. Les Bituriges envoyèrent une garnison d’élite pour occuper la ville. Puis les ordres d’incendie furent donnés, et l’armée gauloise s’écarta, laissant passer César.

César, au lieu de cette marche facile qu’il attendait entra comme dans une fournaise. Le même jour, plus de vingt foyers d’incendies s’allumèrent autour de lui : c’étaient vingt villages des Bituriges qui flambaient, et au loin l’horizon s’empourpra des flammes qui brûlaient chez les Carnutes et les cités voisines. Les légions se sentirent impuissantes, un cercle de feu et d’ennemis les étouffait. Les troupes qui allaient au fourrage revenaient mutilées par l’adversaire. Les Gaulois étaient insaisissables et meurtriers partout.

Mais les Romains arrivèrent bientôt devant Avaricum, et les légions eurent en face d’elles des murailles intactes et des ennemis qui les attendaient.

 

À suivre...

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21 avril 2012 6 21 /04 /avril /2012 05:49

             Vercingétorix

 

     Chapitre XII - Avaricum.

 

1. Préparatifs de César.

 

Dès son arrivée chez les Lingons, César appela à lui toutes ses troupes : aux deux légions qu’il trouva sur sa route, aux recrues qu’il amenait, vinrent se joindre les six légions de Sens et les deux légions qui surveillaient les Trévires. La concentration achevée dans la vallée de la Seine, il s’achemina vers Sens avec toute son armée, et se proposa de passer la fin de l’hiver pour préparer la campagne.

Du côté de la Province il était désormais tranquille. Brutus revint auprès de lui. Mais le proconsul laissait au sud des Cévennes et du Rhône 22 cohortes (plus de 12.000 hommes), levées dans le pays même, disposées aux meilleurs endroits, et confiées à son petit cousin et légat, Lucius César ; il pouvait également compter, pour défendre le Midi, sur le zèle des principales nations, les Helviens et les Allobroges ; la tâche de L. César était facilitée par le dévouement du chef helvien Caïus Valerius Domnotaurus, citoyen romain de naissance, et l’un des Gaulois les plus considérés de la Province : si les Arvernes étaient tentés de reprendre la route balayée par César, la vallée de l’Ardèche était bien gardée.

En revanche, à Sens, même avec ses 80.000 hommes, César était gêné. Ses adversaires le serraient de près : à 80 kilomètres de là, les Sénons, exclus de leur ville principale, occupaient Vellaunodunum (Montargis ?). Pour se donner de l’air, il lui fallait de la cavalerie. C’était ce qui lui manquait le plus.

Les escadrons qu’il avait amenés de Vienne, ceux des Espagnols auxiliaires ou de ses officiers d’état-major, étaient insuffisants comme nombre et comme valeur. Il aurait eu besoin de ces belles troupes éduennes, de ces milliers de cavaliers qui, depuis six ans, avaient frayé aux Romains les grandes routes de l’Occident. Mais les Éduens étaient chez eux, fort occupés en ce moment par l’élection du vergobret : et n’étant point d’accord, ils se préparaient à la guerre civile. Au reste, leurs chefs étaient de plus en plus travaillés par les émissaires de Vercingétorix, et ils étaient experts en trahison : dans la guerre des Helvètes, ils avaient lâché pied à dessein ; avant la seconde guerre de Bretagne, ils avaient failli déserter ; peu de jours auparavant. César avait craint d’être enlevé par eux. Il attendit, pour leur demander un concours efficace, qu’une victoire romaine les eût rendus de nouveau souples et fidèles.

Faute de Gaulois, il eut recours à des Germains. L’année précédente, il s’était aperçu de ce qu’ils valaient : deux mille Sicambres avaient été sur le point de faire main basse sur un camp romain. Les Gaulois les redoutaient fort : c’étaient des escadrons germains qui les avaient écrasés sous les ordres d’Arioviste. Les tribus du Rhin avaient, sans doute, une vilaine race de chevaux, et se souciaient assez peu des bêtes magnifiques qui passionnaient leurs voisins : les leurs étaient laides, sans forme, mais soigneusement dressées et d’une endurance indéfinie. Au moment du combat, les Germains sautaient souvent à terre, pour lutter de plus près ; leurs montures demeuraient immobiles, les attendaient sans broncher, et ne repartaient que quand les cavaliers s’enlevaient sur les103.jpg croupes : une troupe de ce genre avait, chose précieuse dans une guerre d’escarmouches, toute la valeur d’une infanterie montée. Les hommes, eux, étaient encore de purs sauvages : ils chevauchaient sans selles, étaient incapables de réfléchir et de craindre, ne s’arrêtaient ni devant les traits, ni devant les forêts ou les marécages, et, surtout, ne se résignaient jamais à reculer devant une troupe de cavaliers gaulois bien harnachés, si forte qu’elle parût, si peu nombreux qu’ils fussent eux-mêmes. César savait bien ce qu’il faisait quand il décida d’en grouper et d’en équiper, tout de suite, environ quatre cents, en attendant qu’il pût s’en procurer davantage.

Ce fut le premier démenti qu’il infligea à sa politique gallo-romaine. II y avait six ans qu’au nom de la liberté des Gaules il était venu rejeter les Germains au delà du Rhin : maintenant il leur ouvrait les rangs de l’armée romaine, et cette fatale catastrophe de l’invasion germanique qu’il a cru conjurer par des victoires, il l’a préparée, lui le premier, par des achats d’hommes.

La Germanie lui rendait alors un autre service. Il était à craindre pour César que les Belges ne s’insurgeassent à leur tour : il venait de rappeler les deux légions campées dans leur pays, aux frontières de ces Trévires qui étaient le plus récemment soumis de leurs peuples et le plus rebelle à toute obéissance. Mais, les légions parties, les Germains s’avancèrent, et se mirent à inquiéter les Trévires, sinon avec l’assentiment, du moins au profit de César : ceux-ci ne bougeront plus de toute l’année. Comme le dira Lucain, le Rhin est de nouveau ouvert aux nations : mais c’est pour que le peuple romain puisse reconquérir la Gaule.

Le proconsul pouvait donc ne plus songer qu’aux ennemis du Centre, à Vercingétorix, à ses Carnutes et à ses Arvernes. Seulement, il voulait attendre, pour se mettre en route, la fin de l’hiver : les chemins étaient pénibles, les greniers de Génabum appartenaient à l’ennemi, le fourrage poussait à peine ; puis, s’il s’avançait trop vers le Sud, les Éduens n’avaient qu’à trahir, à se rabattre derrière lui, pour l’enfermer avec ses légions. — La crainte ou l’espérance de la trahison éduenne pesa toujours sur les décisions du proconsul ou de son adversaire.

 

2. Vercingétorix attaque les Boïens ;  plan de César.

 

Vercingétorix imposa un parti à César. — L’effectif total de son armée devait atteindre cent mille hommes, le double de l’armée proconsulaire ; il avait, je crois, six à sept mille cavaliers, trois à quatre fois plus que son rival. Mais, si nombreux que fussent les Gaulois, ils ne manquaient ni de vivres ni de fourrages ; et ils avaient moins besoin de bonnes routes que les légionnaires de César. Leur chef n’avait pas fourni, comme le proconsul, trois cents lieues de course. Hommes et roi étaient en mesure d’agir, et sans doute impatients de commencer.

Quand Vercingétorix vit qu’il n’avait dans le Velay qu’un fantôme d’armée, il revint dans le pays. Le brusque retour de César à Sens fut une surprise pour lui, mais ne changea pas sa tactique. Que les légions fussent commandées ou non par le proconsul, il ne voulait pas aller à elles. Sa pensée, sur ce point, fut faite dès le premier jour et ne varia jamais : il fallait les rencontrer le plus tard possible, les heurter le moins possible. — Il reprit, à peu de chose près, la même opération qu’avant l’arrivée de César. En février, pour isoler les Éduens, il avait menacé les Bituriges, leurs alliés sur la Loire ; en mars, pour achever de les molester, il attaqua les Boïens, leurs sujets de la région bourbonnaise.

Les principales routes qui conduisaient chez les Éduens traversaient le Bourbonnais et le Nivernais, d’où les vallées de la Nièvre, de l’Aron, de l’Arroux et de la Bourbince remontaient dans leur haut pays, les massifs du Morvan et du Charolais. Mais elles étaient bien gardées contre leurs ennemis héréditaires, les Arvernes. Sur la rive droite de la Loire, ils avaient leurs places de Noviodunum et de Décétia (Nevers et Decize) ; dans l’entredeux qui sépare la Loire et l’Allier, et sur les deux rives de cette dernière rivière, ils étaient protégés par les Boïens, leurs sujets de fraîche date. — Ces Boïens venaient de la forêt Hercynienne et des extrémités du monde celtique ; ils avaient suivi les Helvètes dans leur migration ; César les avait pris ; et, ne sachant qu’en faire, comme ils étaient fort braves, il en avait fait cadeau au peuple éduen. Celui-ci avait, sur les bords de la Loire et de l’Allier, d’assez vilaines terres, boisées ou marécageuses, vaste marche déserte à la frontière des Bituriges et des Arvernes, il les donna aux Boïens, qui purent enfin s’installer chez eux après avoir vagabondé dans le monde. Fort libéralement traités par leurs nouveaux patrons, ils se montrèrent clients fidèles, et le pays devint, avec eux, le confin militaire des Éduens vers le Sud-Ouest. Il y avait là quelques milliers de soldats, très courageux, rudes paysans dans un rude pays, attachés à leurs traditions et à leurs dieux, un des coins les plus farouches de la Gaule. Leur principale forteresse, Gorgobina (La Guerche ?), se trouvait à la lisière de leur domaine, sur la gauche et non loin de l’Allier et de la Loire ; c’était, du côté biturige, un avant-poste du territoire éduen.

Vercingétorix vint assiéger Gorgobina. — Jules César, par là même, se trouvait obligé de la secourir : qu’il le voulût ou non, il lui fallait s’engager vers le Sud. Car, si Gorgobina succombait, les Éduens se croiraient abandonnés, et la Gaule dirait que l’appui de César n’était qu’une duperie, et sa force, une illusion.

D’autre part cependant, l’importance de la place n’était point telle qu’il fallût tout risquer pour s’en rapprocher : les bourrasques de mars, le manque de vivres, les surprises par derrière. — César (et ce fut par là qu’il trompa l’espérance de Vercingétorix) se résolut de marcher vers le pays boïen, non pas en droite ligne, mais en lignes brisées, de manière à pouvoir, en route, surprendre de droite et de gauche quelques villes ennemies chez des peuples différents, Sénons, Carnutes et Bituriges : et ainsi, tout en assurant sa retraite, tout en donnant de l’espace et du jeu à ses troupes, il ferait main basse sur quelques greniers et frapperait quelque grand coup sur l’imagination gauloise. La route directe de Sens à Gorgobina était droit vers le Sud : César dirigea ses légions vers le Sud-Ouest, par les plateaux du Gâtinais. Vercingétorix pouvait donc craindre d’être pris à revers : le proconsul refaisait contre lui la manœuvre des Cévennes et espérait un résultat semblable. De même qu’il avait ravagé les terres des Arvernes, il allait dévaster celles des Carnutes et des Bituriges, et sans doute obliger une seconde fois Vercingétorix à reculer et à lâcher les Éduens.

Sa résolution prise, César fit dire aux Boïens de résister jusqu’à son arrivée ; il avertit les Éduens d’avoir à lui fournir des vivres. Puis, laissant à Sens deux légions, les bagages de toute l’armée, et sans doute aussi l’inestimable Labienus, il partit un matin, de bonne heure, avec les huit autres légions et sa garde de cavaliers germains, à la conquête de la Gaule soulevée (début de mars).

 

À suivre...         

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