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12 septembre 2012 3 12 /09 /septembre /2012 16:50

              Vercingétorix

 

     Chapitre XVII - Alésia.

 

6. Des intentions de César.

 

Assiégeant du côté d’Alésia, César allait être assiégé du côté de la Gaule ; et, le jour de l’attaque, une double masse d’assaillants marcheraient sur ses lignes, du dedans et du dehors.

Il n’eût point mérité le blâme s’il avait cru plus sage de se retirer. Mais il est probable que la pensée d’un départ ne lui vint pas à l’esprit. Sa nature lui faisait aimer les situations étranges et les périls peu communs ; elle l’entraînait à ces coups d’audace et à ces extravagances d’espoir, où il prétendait que sa Fortune l’accompagnait toujours. Au moment de son humiliante retraite sur Genève, elle lui était revenue à l’improviste : il la forcerait bien à rester avec lui.

Puis, il avait enfin la joie de bloquer Vercingétorix. Il était pour la première fois en arrêt devant son insaisissable ennemi, le seul homme qui l’eût vaincu, qui l’eût fait douter un instant de sa destinée : le roi des Arvernes, à lui seul, était plus redoutable que deux armées gauloises. Ce n’est pas rabaisser César que de supposer chez lui, à ce moment de sa vie, une haine personnelle contre le chef qu’il combattait : haine au surplus faite de larges sentiments, la colère de l’ambitieux retardé, la rivalité de l’homme de guerre, la jalousie de l’amoureux de gloire, la rancune enfin du conquérant à qui on dispute sa conquête la veille même du triomphe.

Pour immobiliser César, Vercingétorix était resté dans Alésia, au risque de mourir de faim. Pour prendre son adversaire, le proconsul n’hésita pas à demeurer dans ses lignes, au risque d’être pris lui-même ou de mourir de la même manière. La lutte ressemblait par instants à un combat singulier, comme la guerre punique avait paru à la fin un duel entre Hannibal et Scipion.

 

 

7. Construction de la double ligne d’investissement.

 

Le but de César fut de bâtir autour de Vercingétorix une vaste cité de défense, une sorte de couronne retranchée, faisant front sur le dedans et sur le dehors, large en moyenne de 2.000 pieds (?), longue de 11 milles sur son pourtour intérieur, de 14 sur son pourtour extérieur. Les camps et les redoutes achevés, il fallait les enfermer dans deux enceintes continues, l’une regardant Alésia, l’autre tournée vers la Gaule. — On s’occupa d’abord de la première, les Gaulois n’étant pas encore près d’arriver.

La bordure de la cité de César fut marquée, sur le front de la ville, par le fossé traditionnel, mais de dimensions et de forme inusitées : large de 20 pieds, profond de 9 (?), taillé à pic sur les parois, pouvant défier longtemps le saut, l’escalade et le comblement. — Il fallut du temps et des hommes pour remuer ces trois à quatre cent mille mètres cubes, et les légions, outre cette besogne, avaient à s’approvisionner de bois pour les constructions et de blé pour les provisions : les soldats se trouvèrent forcément disséminés en nombreuses et petites escouades, souvent envoyées fort loin dans la campagne. Les Gaulois se décidèrent alors à faire quelques sorties, vives et nombreuses, pour troubler les travailleurs. Mais ils durent y renoncer bientôt. Car César, n’ayant pas assez de soldats pour protéger toute la surface délimitée par ses lignes, remplaça les hommes par des pièges presque aussi redoutables. — Derrière le grand fossé, sur une profondeur de quatre cents pieds, pour retarder et reculer les approches de ses ouvrages essentiels, il entassa tout ce que l’imagination et la science de ses ingénieurs lui fournirent comme instruments de défense automatique.

En venant d’Alésia, c’était d’abord un vaste champ d’aiguillons invisibles et pénétrants, c’est-à-dire de dards de fer recourbés en hameçon- et rivés dans des pieux d’un pied de long qu’on avait plantés et cachés dans le sol. — Après le piège de fer, le piège de bois. Venaient ensuite, à trois pieds de distance l’une de l’autre, huit rangées en quinconce de trous de loups, en forme d’entonnoirs, profonds de trois pieds ; de ces fossés émergeaient, à quatre doigts à peine de la surface du sol, des pieux arrondis, gros comme la cuisse, aiguisés et durcis au feu, immobiles, inébranlables, enfoncés dans un pied de terre fortement foulée : le tout, dissimulé par des claies et des branchages. — Enfin, à ceux qui résisteraient à la piqûre ou qui échapperaient au pal, était réservé un danger plus sérieux encore. Dans des tranchées profondes de cinq pieds, on avait disposé, en les liant solidement par le bas, cinq rangs de troncs d’arbres et de grosses branches, pourvus de tous leurs rameaux ; le gros de ces faisceaux était caché dans le sol, mais les tiges extrêmes, écorcées et apointées, restaient en dehors et se présentaient en abatis : et c’était un fouillis inextricable et indéracinable, où les hommes s’entravaient comme dans un buisson de ronces de fer.

Ce dernier piège était le plus ingénieux et le plus à craindre. Les autres, chausse-trapes ou trous de loups, n’étaient que des perfectionnements d’anciens types fort connus. Le système des ronces artificielles était plus nouveau, et sans doute inspiré de ces palissades en ronceraies qui protégeaient les peuples de la Belgique contre les incursions des cavaleries ennemies. César était toujours prêt à profiter des leçons que lui donnaient ses adversaires, même les plus barbares.

A la suite de cette triple forêt de pièges, à 400 pieds du fossé extérieur, apparaissaient les lignes régulières des défenses classiques : un nouveau fossé, large de 15 pieds, profond de 8 à 9 (?), un fossé encore de dimensions égales, mais où on avait dérivé, dans les parties basses, les eaux d’une des rivières voisines (l’Ozerain ?).

Enfin, dominant toutes les autres défenses d’une hauteur de 12 pieds, les appuyant de la portée de ses machines, le retranchement romain surgissait en ‘une masse formidable. La base en était une terrasse large et compacte ; du sommet de cette levée émergeaient une fraise de branches d’arbres, dures et aiguisées, plantées en avant comme des ramures de cerfs, hérissées contre les escalades du dehors. Par-dessus le remblai s’alignait une palissade de pieux entrelacés, protégée au devant par une cuirasse de joncs et d’osiers, et garnie dans le haut de pointes de bois ou de fer, véritable parapet à merlons et créneaux, derrière lequel les légionnaires pouvaient s’abriter ou combattre. Enfin s’élevaient, plus haut encore, et tous les 80 pieds, des tours de bois.

Qu’on se représente cette monstrueuse muraille, faite ou armée de terre, de fer, de bois et d’osier, s’allongeant sur quatre lieues de tour, étendue sur toute la plaine, franchissant les rivières, escaladant les coteaux, suivant le rebord des plateaux, surplombant les roches escarpées, redescendant et remontant quatre fois, dominant les crêtes des monts de Bussy et de Flavigny, à cheval sur la croupe du Mont Pévenel, en contrebas du Mont Réa, et étreignant la montagne d’Alésia d’une ceinture continue. On avait bâti à Vercingétorix une prison digne de lui.siege-alesia.jpg

Du côté de la Gaule, César disposa ensuite une muraille parallèle à la première, en profitant de tous les avantages du terrain ; il la fit précéder, partout où il fut utile, de fossés et de défenses semblables. Quel que fût le nombre des ennemis qui arriveraient, il y aurait, sinon des coups d’épée, du moins des pièges pour tout le monde.

L’ensemble des camps, des redoutes, des lignes de contrevallation et de circonvallation fut divisé, à ce que je crois, en quatre secteurs, correspondant aux quatre camps, chacun occupé par deux légions et surveillé par deux légats. C. Antistius Réginus et C. Caninius Rébilus commandaient au Nord-Ouest, du côté du Mont Réa, qui était le point le plus faible ; Marc-Antoine et C. Trébonius commandaient à l’Ouest, dans la plaine des Laumes, qui était devenue la portion la mieux fortifiée. Deux légions (?), les deux excellents officiers C. Fabius et Décimus Brutus, Labienus enfin et César lui-même furent réservés pour les opérations d’ensemble ou les appuis décisifs.

Quand César eut achevé ses lignes du dehors après celles du dedans, il s’enferma, lui et ses troupes, dans la double enceinte circulaire qu’il avait fini de construire. Il s’approvisionna de blé et de fourrage pour trente jours. Il donna ordre à ses soldats d’éviter de sortir des lignes. Et il s’apprêta à subir ces souffrances de l’assiégé qu’il infligeait lui-même à Vercingétorix.

 

À suivre...

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5 septembre 2012 3 05 /09 /septembre /2012 06:54

            Vercingétorix

 

     Chapitre XVII - Alésia.

 

3. Commencement du blocus ; construction des camps et des redoutes romaines.

 

César reconnut, à l’examen, que la situation d’Alésia appelait le blocus, l’imposait presque comme la solution la plus certaine et la moins sanglante. Son premier mot fut pour dire aux soldats qu’il fallait travailler : il ne s’agissait point de brandir des épées, mais de remuer la terre à grandes pelletées.

Alors commença la plus énorme besogne de terrassement qu’un imperator eût, depuis Marius, ordonnée à des légionnaires, citoyens romains. Il fallait creuser et bâtir, tout autour de la montagne d’Alésia, sur un circuit de onze milles (seize kilomètres) : mais César avait sous ses ordres, pour mener l’œuvre à bonne fin, quarante mille hommes, la plupart vieux soldats aux muscles robustes et aux gestes exercés.

Sa première tâche fut de tracer et de fortifier les camps. Il en établit quatre (?), tous sur les hauteurs qui faisaient face à Alésia : deux (?) au Sud, sur la montagne de Flavigny, et c’est sur ce point sans doute que se trouvait le quartier général ; un au Nord-Est (?), sur la montagne de Bussy ; un quatrième enfin au Nord-Ouest, en contrebas du Mont Réa : ce dernier, où s’installèrent deux légions, fut le seul qui ne s’élevât pas à la même hauteur qu’Alésia ; car sur ce point, le sommet des collines extérieures était trop éloigné pour être compris dans la ligne de blocus : César se contenta de dresser le camp à mi-côte.

Pour relier ces camps et préparer la contrevallation, il décida de construire, sur la même ligne, une série de redoutes, distantes l’une de l’autre d’à peu près un demi-mille, et assez grandes pour abriter quatre cohortes, seize cents hommes : il y en eut vingt-trois, presque toute l’armée pouvait s’y tenir en position de combat ; la nuit, on y veillait sans relâche ; le jour, on y postait des garnisons, prêtes à sortir pour protéger les travailleurs.

Ce furent les premiers travaux. Alésia n’était pas bloquée, mais surveillée de très près. Les camps et les redoutes étaient les jalons qui marquaient l’enceinte dont elle allait être bientôt entièrement investie. Elle voyait surgir tout autour d’elle, à douze ou quinze cents mètres de ses murailles, une cité ennemie, qui avait déjà ses tours et ses citadelles, et qui ne tarderait pas à avoir ses remparts continus, enveloppant les siens propres.

 

4. Nouvelle défaite de la cavalerie gauloise dans la plaine des Laumes.

 

Le seul endroit où les Gaulois pussent entraver les terrassements romains avec quelque chance de succès était la plaine des Laumes. Sur ce point les légionnaires travaillèrent longtemps sans abri, hors de la protection de leurs collines, sur des espaces découverts et peu propres à recevoir des camps et des redoutes. Ce secteur des lignes d’attaque était, par sa position, le plus faible : c’était donc celui où il importait le plus à César de pouvoir agir à sa guise.

Aussi Gaulois et Romains s’appliquèrent-ils également à devenir ou à demeurer les maîtres de la plaine des Laumes. Vercingétorix y déploya ce qui lui restait d’escadrons, en nombre encore suffisant pour résister fermement aux ennemis ; et malgré le désastre des jours précédents, il ne parut pas que le courage de ses hommes fût ébranlé.

Une nouvelle bataille s’engagea entre la cavalerie gauloise et la cavalerie proconsulaire,153.jpg et l’affaire fut presque aussi chaude que la dernière. Les Romains faiblirent les premiers, et César craignit un instant que l’infanterie ennemie ne vînt à la rescousse. Il dut faire sortir ses propres légions pour que leur vue donnât du coeur aux siens, et il lança à leur secours la masse des cavaliers germains. Pour la troisième fois, ceux-ci sauvèrent l’honneur de l’armée. Les Romains furent raffermis, et les Gaulois tournèrent bride devant leurs sauvages ennemis.

Ils s’enfuirent par les vallons (surtout de l’Ozerain ?) jusque vers leur camp. Ils pensèrent se trouver pris entre les légions qui s’avançaient, les Germains qui galopaient, l’enceinte de leur boulevard, percée d’ouvertures trop étroites. Les uns s’écrasaient aux portes, les autres abandonnaient leurs chevaux pour franchir le fossé et escalader les murailles. Il y eut quelques minutes où les Germains purent se donner la joie d’un grand massacre. Les Gaulois du camp finirent par craindre pour eux-mêmes et se hâtèrent en hurlant vers les murs d’Alésia. Mais Vercingétorix les dompta une fois encore, rit fermer les portes de la cité, força ses hommes à barder leur camp, et abandonna ses chevaux et ses morts à la victoire germanique. César, de son côté, refusa de donner l’assaut.

 

5. Vercingétorix appelle la Gaule à son secours.

 

Le proconsul ne voulait réduire Alésia que par le blocus et la famine. L’expérience de Gergovie l’invitait à la prudence. La nouvelle victoire lui donnait l’espoir de réussir. Vercingétorix avait perdu la plaine des Laumes : sa première défaite l’avait contraint à se réfugier dans Alésia ; la deuxième allait l’y enfermer. César pouvait achever sans crainte la ligne de ses redoutes, et tracer ensuite celle de ses fossés, qui séparerait les Gaulois du reste du monde. Leur sort était fixé, et s’achèverait tôt ou tard dans la faim, la mort ou l’esclavage, si la Gaule ne les secourait pas.

Mais Vercingétorix retrouvait, dans ces moments de danger, ces décisions rapides et sûres qui faisaient alors de lui l’égal de César.

Quelques routes étaient encore libres (au Nord-Ouest ?). Il fallait prévenir la Gaule du danger que courait sa principale armée, des ordres que lui donnait son chef. On se rappelle que Vercingétorix, à l’assemblée du Mont Beuvray, n’avait pas réclamé de ses nouveaux alliés un seul fantassin, sauf les troupes envoyées dans le Sud. Il restait donc d’immenses réserves d’hommes qu’il avait le droit d’appeler à son secours et à la défense de la Gaule.

Un jour, peut-être le lendemain ou le soir de la défaite, il convoqua tous les cavaliers qui avaient survécu aux deux combats, l’élite de la noblesse et des chefs. Il leur donna l’ordre de quitter Alésia dans la nuit, de se rendre dans leurs tribus et leurs cités respectives, et d’y appeler aux armes tous les hommes valides. Il tiendrait trente jours encore, davantage même, s’il rationnait les assiégés plus étroitement, et il fixa le jour auquel il donnait rendez-vous à l’armée de secours. — Ce furent de solennels adieux, une triste adjuration du chef qui restait : ceux qu’il congédiait étaient ses obligés ou ses proches ; il avait parmi eux ses plus fidèles collaborateurs, tels que Lucter, l’homme peut-être qui après lui aimait le plus la liberté gauloise. Un instant, comme s’il s’abandonnait, Vercingétorix parut songer à lui-même autant qu’à la Gaule, il fit souvenir ceux qui partaient des services qu’il leur avait rendus, il s’irrita à la pensée du sort qui lui était réservé, à ces mortels supplices dont César lui ferait payer son dévouement à la cause de tous, et il fit appel à leur zèle et à leur activité : il suffisait de quelques jours de retard pour que 80.000 hommes, les meilleurs fantassins de la Gaule, mourussent avec lui. — Enfin il les renvoya à la nuit noire, et ils s’éloignèrent en silence d’Alésia pour gagner leurs cités lointaines.

Je m’étonne qu’on ait reproché à Vercingétorix de ne les avoir point suivis pour se mettre lui-même à la tête de l’armée de secours. Il resta au poste où il y avait le plus de dangers et le plus de devoirs. Lui seul était capable d’obliger son armée à souffrir et la ville à résister. Alésia abritait les troupes les plus solides de l’infanterie gauloise : c’étaient des hommes qui le suivaient depuis le premier jour de la guerre, qui l’avaient accompagné sur tous les champs de bataille, et qui pour la plupart étaient ses sujets en Auvergne ou les clients de sa nation : il devait demeurer près d’eux pour les réserver, les diriger et les protéger au besoin. Mais Alésia garda peut-être aussi les chefs les plus réfractaires à sa volonté, les nobles éduens ou arvernes : aux premières souffrances, le roi étant là, ils parleront de se rendre ; soyons sûr que, s’il avait été loin, ils n’auraient pas attendu ce jour-là, et que Vercingétorix, venu à leur secours, aurait trouvé César victorieux dans Alésia rendue. Sa présence dans la cité était la seule garantie qu’elle résisterait assez pour arrêter le proconsul et donner à la Gaule le temps de lever sa dernière armée.

Après le départ de ses compagnons, il prépara ses soldats aux souffrances de l’incertitude et de la faim. Il s’agissait de ménager le plus possible les ressources de la place et les forces des hommes jusqu’au jour où il les ferait marcher contre les légions à la rencontre de l’armée du dehors. Il évacua le boulevard extérieur, devenu inutile puisque César renonçait à l’assaut, et il ramena toutes ses troupes derrière les remparts : l’ancien camp ne servit plus que de dépôt d’artillerie. Il fit transporter tout le blé, sous peine de mort, dans des greniers dont il prit la garde ; il répartit le bétail par tête d’homme ; il se réserva de fixer rigoureusement la ration de blé quotidienne. Cent mille hommes, entassés sur cent hectares, s’arrangèrent pour y vivre cinq semaines, dans l’obéissance au chef et l’espoir du salut (début d’août ?).

 

À suivre...

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1 septembre 2012 6 01 /09 /septembre /2012 07:31

             Vercingétorix

 

     Chapitre XVII - Alésia.

 

1. Situation d’Alésia ; arrivée de César.

 

Tout concourut pour faire de la guerre d’Alésia l’épisode le plus grandiose de la vie de Vercingétorix, et l’acte décisif de la résistance de la Gaule au peuple romain : la gloire de cette cité, que les légendes populaires disaient inviolable, et où elles plaçaient le foyer de la race ; la présence, pour la défendre ou pour l’attaquer, de tous les chefs des tribus indépendantes et de toutes les légions du général conquérant ; enfin, l’immensité et l’aspect du champ de bataille.

Le pays que domine Alésia semblait désigné pour être le champ clos d’une de ces rencontres où se décident d’un coup la fortune des grands hommes et le sort des grands peuples. Il a la forme théâtrale qui convient au cadre des solennités historiques.

Le mont d’Alésia surgit de la plaine, complètement isolé des autres hauteurs, homogène, compact, sans contreforts ni caps avancés, couronné par une vaste plate-forme qui repose sur ses flancs inclinés comme un gigantesque entablement. À ses pieds, trois rivières sinueuses, la Brenne, l’Oze, l’Ozerain, lui forment, sur les neuf dixièmes de son pourtour, une ceinture d’eaux et de vallons. Au Levant, un col étroit est le seul trait d’union par lequel Alésia se relie aux terres voisines. À l’Ouest, s’étend devant elle la grande plaine des Laumes, large de 3.000, longue de 4.500 mètres. Enfin, au delà de ces ruisseaux et de cette plaine, l’horizon est fermé par un encadrement de montagnes qui s’élèvent à la même hauteur qu’Alésia, et qui lui font face de toutes parts : la tranchée qui les sépare d’elle ne s’élargit que pour laisser place aux vallées découvertes du Couchant. — On dirait un cirque construit pour le plaisir de géants : les collines de l’horizon présentent les gradins ; la plaine des Laumes forme l’arène ; Alésia, droite au milieu, fait songer à quelque autel colossal.

La ville, qui occupait tout le sommet de la montagne, était une de ces cités de refuge que, seules, Vercingétorix désirait épargner. Elle s’étendait sur plus de 2 kilomètres de long, et, par endroits, sur près de 800 mètres de large ; sa superficie était de presque un million de mètres carrés (97 hectares), supérieure à celles d’Avaricum et de ‘Gergovie même. Cent mille hommes et davantage pouvaient s’abriter derrière ses remparts ou sur les terrasses en contrebas du plateau.

Vercingétorix, qui laissait le moins possible au hasard, avait déjà tout préparé en vue d’un siège. — C’était du coté de l’Est que la ville était le moins forte : là, les flancs de la montagne ne tombaient pas dans la plaine, un seuil les unissait aux collines voisines, l’escalade était plus facile par une montée plus douce, et César, sans être trop téméraire, aurait pu songer à construire sur ce point une terrasse d’approche. Aussi Vercingétorix avait-il, à cet endroit, tout comme sur le versant le moins raide de Gergovie, établi une ligne de défenses avancées, formée de fossés et de murailles hautes de six pieds, et il fit camper sur ce boulevard la presque totalité de ses troupes. — Dans Alésia même, il avait assez de vivres, viande et blé, pour nourrir, un mois et davantage, la multitude de ses soldats et de ses fugitifs : car la tribu des Mandubiens s’y était réfugiée tout entière, hommes, femmes et enfants, et, ce qui était plus utile, de nombreux bestiaux avec elle. Il avait aussi accumulé de quoi construire un matériel d’artillerie et de siège, et attaquer le camp de César dans de meilleures conditions qu’à Gergovie.

Les précautions étaient si bien prises que, lorsque César arriva devant Alésia, le lendemain de sa victoire, les vaincus de la veille, si désespérés qu’il les supposât, se trouvaient déjà à l’abri d’un coup de main. L’élan du proconsul fut arrêté, ainsi que devant Gergovie.alesia2.jpg

 

2. Infériorité d’Alésia comme position militaire.

 

Mais la position d’Alésia ne valait pas, à beaucoup près, celle de la ville arverne. Elle avait autant de force en moins qu’elle offrait de plus comme spectacle. Cette plaine,, ces rivières, cet amphithéâtre de collines symétriques, cette grandeur paisible de la montagne isolée, tout ce qui faisait la beauté et l’unité de la scène, ne présentaient pas à la Gaule les mêmes sécurités que les âpres ravins et l’inextricable désordre des rochers de Gergovie.

D’abord, les collines environnantes, étant aussi hautes que celle d’Alésia, et terminées par des plateaux qui prolongeaient, au-dessus de la brèche des vallons, le plateau même de la ville, étaient d’excellents emplacements pour des camps romains. César n’avait que l’embarras du choix. À Gergovie, il avait campé misérablement au pied de la montagne : il allait ici planter ses tentes au même niveau que les remparts assiégés, et droit en face d’eux.

Puis, les rivières qui serpentaient autour du mont d’Alésia en fixaient exactement le contour ; leurs bords dessinaient un large vallon, un chemin de ronde : ils marquaient la ligne qu’on pouvait faire suivre à la terrasse et aux fossés d’une circonvallation continue. Cette route de blocus n’avait pu être tracée à Avaricum, bordé presque partout de vastes marécages, encore moins à Gergovie, où la base et les flancs de la montagne étaient coupés de ravins ou hérissés de croupes et de bois. La nature au contraire avait disposé Alésia comme pour être enclose sans peine.

Tandis que le plateau de Gergovie est flanqué de hauteurs d’avant-garde, qui peuvent abriter ou dissimuler une armée, user, briser ou diviser l’effort des assiégeants, former autant de redoutes faciles à défendre, les flancs d’Alésia s’élèvent toujours à découvert, montant en pentes plus ou moins rapides jusqu’aux rochers qui portent les remparts.

Enfin, Gergovie est à 744 mètres de hauteur, 300 mètres au-dessus du niveau de la vallée ; le sommet d’Alésia n’atteint que 498 mètres, et les rebords de son plateau sont rarement à 950 mètres au-dessus du fond des vallons. La ville de Gergovie reposait sur des assises basaltiques escarpées et glissantes ; sur près de la moitié de son circuit, on aborde Alésia par une montée facile, à travers des déblais de roches et de terres.

César aurait presque pu tenter l’escalade. Mais vraiment, à quoi bon risquer la vie de ses hommes, quand il n’avait, pour prendre Alésia et Vercingétorix, qu’à les enfermer et à attendre ?

Cependant, Vercingétorix n’eut point tort de s’y retirer et de lier sa destinée à celle de la vieille cité : vaincu à Dijon, il n’avait pas de meilleure décision à prendre. — On lui a reproché de n’avoir pas continué à battre la campagne, se bornant à harceler César : mais il avait perdu le gros de sa cavalerie, sa seule ressource en terrain découvert, et il s’exposait, en manœuvrant sous la menace des cavaliers germains, à sacrifier sans profit quelques milliers de ses fantassins. — On l’a raillé de s’être emmuré dans la ville. En quoi on se trompe, car il bâtit un boulevard extérieur semblable à celui de Gergovie, et mieux fait peut-être ; il le défendit tant qu’il lui fut utile, et il ne l’abandonna jamais à l’ennemi. — On l’a blâmé de n’avoir point fortifié les collines du pourtour de la plaine, de Flavigny, de Réa et de Bussy. Mais c’était là une besogne de quatre à cinq lieues, supérieure au temps que lui laissa César et aux forces malhabiles de ses quatre-vingt mille hommes. Et puis, disséminer ses troupes, c’était s’exposer à les perdre en détail. La défense d’une place forte antique gagnait souvent à être ramassée. — Il ne faut même pas l’accuser d’avoir choisi, en Alésia, un refuge moins sûr que Gergovie. Le mont d’Alise était ce que les abords du pays éduen lui offraient de mieux en ce genre, à proximité des terres lingones où s’était livrée la bataille. Ni lui ni personne ne pouvaient trouver dans cette région de hauteurs moyennes les inexpugnables avantages des massifs arvernes : Le seul tort de Vercingétorix a été d’attaquer César et de se laisser battre dans un pays médiocre pour la défensive.

 

À suivre...

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19 juillet 2012 4 19 /07 /juillet /2012 10:47

            Vercingétorix

 

Chapitre XVI - Défaite de la cavalerie gauloise.

 

6. Défaite de la cavalerie gauloise.

 

Sur les trois fronts de bataille, enveloppant l’armée presque entière de Jules César, les quinze mille cavaliers de Vercingétorix s’élancèrent dans un formidable ensemble.

Les cavaliers romains de l’avant-garde et de la gauche furent comme submergés et dissipés : le chef gaulois n’avait pas eu tort, la veille, de les juger médiocres. Mais derrière les chevaux ennemis, les Celtes aperçurent les cohortes romaines, enseignes en marche, hommes en rang de combat, que César détachait du carré et faisait avancer en ligne d’attaque : et sur leur front rigide, vaincus et vainqueurs arrêtèrent leur fuite ou leur poursuite.

Ce fut alors, entre les légionnaires et les Gaulois, une rencontre confuse et terrible, la mêlée la plus incertaine et la plus longue où César eût encore exposé ses cohortes. Les Romains, sentant qu’il y allait du salut de tous, sachant la retraite coupée et la fuite impossible, combattirent avec une énergie de désespérés. Leur chef donna dans l’action comme un centurion de la rue. Il perdit son épée, qu’un Arverne emporta pour l’offrir à ses dieux. Il faillit perdre plus encore, si du moins il faut croire et rapporter à cette bataille l’anecdote que le proconsul lui-même racontait dans son journal : un cavalier gaulois le saisit et l’enleva en croupe, et s'eût été la fin de César, si le Barbare, ignorant le prix de son butin, n’avait commis la maladresse de le laisser échapper. — Au moment oùromains-contre-celtes.jpg sa Fortune lui rendait la liberté, elle lui renvoyait la victoire.

À la droite des Romains, le spectacle était tout différent. Les Gaulois, à leur surprise et à leur colère, trouvèrent les Germains. Ceux-ci se ruaient sur leurs adversaires, pesant sur eux du poids de leurs corps et de leurs chevaux ; ils finirent par rompre les rangs opposés. Le cercle d’ennemis qui bloquait les légions fut brisé, les Gaulois reculèrent sur ce point. Les Germains se portèrent sur la colline, culbutèrent le poste ennemi, rejetèrent vers la rivière tous ceux qu’ils avaient vaincus, massacrant les hommes à plaisir. Enfin, ils apparurent sur le flanc des autres escadrons gaulois, qui s’escrimaient contre les légions romaines.

La vue inattendue des cavaliers germains victorieux changea en épouvante le courage des Gaulois. Ils comprirent qu’ils allaient être coupés et cernés par un ennemi implacable. La fuite commença de toutes parts, tandis que les Germains galopaient et tuaient sans relâche.

Tous les Gaulois ne montrèrent pas une égale bravoure. Les chefs éduens ne se firent pas tuer comme Camulogène. Ceux qui ne rejoignirent pas Vercingétorix se laissèrent prendre. On en amena trois à César, et des plus nobles : Cot, l’ancien rival de Convictolitav, Cavarill, le successeur de Litavicc, et Éporédorix l’ancien, qui, jadis battu par les Germains unis aux Séquanes, l’était cette fois par les Germains alliés de César. Et, voyant la facilité avec laquelle tous trois surent échapper au massacre, je me demande si le proconsul ne les a pas ménagés pour inspirer aux Éduens le désir de trahir de nouveau.

 

7. Retraite de Vercingétorix sur Alésia.

 

La cavalerie gauloise était définitivement vaincue. Ces troupes magnifiques en qui Vercingétorix avait mis le salut de la Gaule venaient de disparaître en quelques heures, et ce n’étaient point les Romains qui avaient eu raison d’elles. Comme aux temps des Teutons et d’Arioviste, l’inflexible intrépidité des cavaliers germains avait brisé la fougue désordonnée de la noblesse celtique.

Cette journée montrait une fois de plus ce qu’il y avait de sagesse dans l’esprit du roi des Arvernes. C’était la première fois qu’il connaissait une franche défaite, et il ne l’avait subie que pour avoir préféré les passions des siens aux conseils ordinaires de sa prudence. La mortelle folie des grandes batailles, comme il l’avait dit souvent, apparaissait aux yeux de tous les Gaulois ; même vaincu, Vercingétorix n’avait point tort.

Aussi, malgré l’étendue du désastre et malgré leur profond désespoir, les Gaulois gardèrent à leur chef leur docilité et leur confiance. Il prit sur-le-champ les précautions nécessaires pour sauver le reste de ses troupes. À la vue de la déroute, il ramena rapidement ses fantassins en arrière. Puis, faisant volte-face vers le Nord-Ouest, il commença sa marche de retraite (par les vallées de l’Ouche et de l’Oze ?). À moins de deux jours de marche (à 55 kilomètres), Alésia était prête à le recevoir, lui et son armée. Il se dirigea vers ce refuge, prenant lui-même la tête de son infanterie intacte : en toute hâte suivirent, sur son ordre, les trains d’équipage et les débris de la cavalerie.

Ses mesures furent prises assez promptement pour que la défaite ne se changeât pas en une panique irrémédiable. César, craignant peut-être quelque retour offensif, ne reprit la poursuite qu’après avoir mis ses bagages en sûreté sur une colline (Talant ?) et sous la sauvegarde de deux légions. Il ne put tuer à l’ennemi, dans le reste du jour, que trois mille hommes de l’arrière-garde. Pendant la nuit, les Romains perdirent le contact avec l’armée qui les précédait ; et quand, le jour suivant, qui était le lendemain de la bataille, ils débouchèrent dans la plaine que dominait Alésia, Vercingétorix attendait César avec ses troupes reformées.

Vers le même temps, les Allobroges se décidaient en faveur du peuple romain et fortifiaient eux-mêmes les rives du Rhône contre les menaces de l’invasion éduenne. Les Helviens, qui avaient pris l’offensive contre les Arvernes, étaient battus, et les Gaulois indépendants descendaient en nombre dans les vallées du Vivarais. — Mais ces victoires et ces défaites étaient également inutiles à César et à Vercingétorix. Ces lointaines rumeurs de guerre s’apaisent bientôt, et les destinées de la Gaule vont se décider sur un point unique, où toutes les nations se donnent rendez-vous (milieu de juillet ?).

 

À suivre...

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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 11:52

             Vercingétorix

 

     Chapitre XVI - Défaite de la cavalerie gauloise.

 

4. Pourquoi Vercingétorix se résolut à combattre. 

 

Les deux chefs se rencontraient une troisième fois, comme près d’Avaricum et comme devant Gergovie. Mais, dans la plaine de Dijon, Vercingétorix victorieux, à la tète de la noblesse de la Gaule entière, barrait la route à toutes les légions romaines, escortées d’escadrons germains. Le roi des Arvernes commandait à tout le nom celtique, et il avait devant lui les deux mortels ennemis de sa race.

Les deux armées se trouvaient dans la même position que lorsqu’elles avaient pris leur premier contact, sur la route d’Orléans à Bourges. Il fallait s’attendre à ce que Vercingétorix, qui était résolu à suivre la même tactique qu’au mois de mars, fit faire à ses troupes la même manoeuvre : se ranger pour laisser passer César, et l’accompagner en brûlant tout et en le guettant sans trêve.

 

Mais que s’agita-t-il alors dans l’esprit du chef ? Quelques jours auparavant, le dernier mot qu’il avait dit à l’assemblée de Bibracte était qu’il ne voulait pas tenter la fortune des combats et que l’incendie était le plus sûr moyen de vaincre. Il avait répété cette formule de bataille qui était son mot d’ordre invariable depuis le lever de la guerre ; il y était demeuré fidèle malgré tous et malgré tout, sous les murs d’Avaricum assiégé, le long des rivet de l’Allier, au pied de Gergovie délivrée, derrière les Romains en retraite : et voici que, — le premier jour qu’il rencontre à nouveau Jules César, au moment où il s’agit, plus que jamais, d’observer la tactique salutaire, quand sa formidable cavalerie va pouvoir ronger les légions pièce à pièce, comme les vagues de l’Océan effritent les rochers du rivage, — Vercingétorix donna le signal du combat. Son armée disposée en trois camps (au sud de l’Ouche ?), il réunit en un conseil de guerre les chefs des cavaliers, et, sans ambages, il annonça que le lendemain serait le jour, si longtemps attendu, de la grande victoire et de la liberté éternelle. — Les Romains, dit-il, battent en retraite. Mais César les ramènera, et en ramènera bien d’autres. Cet homme ne se lassera jamais de la guerre, si on ne lui inflige pas un affront irréparable. Au lieu de décimer les légions, il faut en finir avec elles. — Et Vercingétorix commanda nettement qu’on les attaquât dans leur marche. Il énuméra les conditions favorables aux Gaulois : ils avaient en face d’eux, non pas un front de bataille, mais un interminable convoi d’hommes et de bagages ; les troupes cheminaient en longue colonne, chaque légion séparée des autres par des trains d’équipage : il serait facile à des cavaliers gaulois de traverser et de retraverser cette file, d’achever l’isolement des cohortes, de faire main basse sur les bêtes et les voitures, les vivres et le butin. Si les légionnaires voulaient défendre leurs biens, ils n’auraient pas le temps de s’avancer pour se former en rangs de bataille : ils s’attarderaient à l’arrière, et c’en serait fait de toute résistance sérieuse. S’ils abandonnaient leurs bagages pour ne plus songer qu’à l’ordre de combat, ils resteraient dépouillés de leurs moyens d’existence et de leur prestige militaire. Quant à croire que les cavaliers romains sortissent du rang pour s’opposer à l’ennemi, les Gaulois savaient trop le peu qu’ils valaient pour avoir cette crainte. — Et enfin Vercingétorix rappela qu’il avait lui-même une infanterie solide et suffisante : il la rangerait en bataille devant les camps, prête à soutenir les combattants et à effrayer l’adversaire de ses cris et de sa vue.

C’est ainsi que parla le roi des Arvernes. César et Tite-Live sont formels sur ce point, qu’il voulut la bataille, qu’il l’ordonna, qu’il ne la subit pas des intrigues des chefs ou de la volonté populaire. Comment expliquer que cet homme, jusque-là tacticien sage et froid raisonneur, soit tout d’un coup devenu l’émule de ces meneurs d’escadrons dont il avait si souvent comprimé la fougue dangereuse ? — Il est permis de faire, en réponse à cette question, trois hypothèses.

Peut-être s’est-il simplement rallié à l’inévitable. Il se sentait moins le maître, depuis qu’il était à la tête de cette armée nouvelle, où dominait une noblesse rivale de sa nation, et où commandaient des chefs jaloux de son pouvoir. Les Éduens et les Séquanes se résigneraient-ils à dévaster leurs terres de la Saône, le plus fertile de leurs domaines, à incendier ces moissons, en ce moment près d’être coupées et leur principale espérance de l’année entière ? Il s’attendait à ce que cette brillante cavalerie, dont la moitié n’avait pas encore eu la gloire de combattre pour la Gaule, acceptât malaisément d’obscures et patientes manoeuvres : elle se ferait tôt ou tard entraîner à une rencontre, et sans doute dans des conditions plus mauvaises que celles qui s’offraient. Prévoyant qu’il faudrait se laisser imposer la bataille, Vercingétorix aima mieux la donner tout de suite, avec le geste du commandement.

Mais peut-être l’a-t-il désirée lui-même, dans une assurance réfléchie de la victoire. S’il n’avait pas eu l’intention de combattre bientôt, il n’aurait pas garni Alésia de vivres et de défenses, pour lui servir d’asile en cas de recul. Les circonstances étaient en effet fort avantageuses pour lui. D’un côté, la forteresse mandubienne prête à couvrir sa retraite. De l’autre, César, qui s’avançait sans crainte, dans un pays dont il se croyait sûr, ses légions échelonnées en colonne : l’ordre de marche le plus dangereux pour une armée qui approche de l’ennemi, celui qui avait permis à Ambiorix de vaincre Sabinus et Cotta, celui qui avait fait jadis espérer aux Nerviens la victoire sur le proconsul lui-même. En outre, Vercingétorix ignorait, semble-t-il, la présence des Germains, sans quoi il n’eût point parlé avec un tel mépris de la cavalerie de ses adversaires : venus du Nord-Est, l’arrivée des Barbares a pu échapper à ses éclaireurs. Il crut, en un mot, n’avoir affaire qu’à des légions, encombrées, démoralisées, disposées avec imprudence. Et il est certain que, si César n’avait pas changé son ordre de marche et s’il n’avait pas eu les Germains, il était presque aussi irrémédiablement perdu que Vercingétorix le faisait croire à ses hommes. — Enfin, qui sait si la vue de cette effrayante multitude de quinze mille cavaliers, n’attendant que son signal pour s’ébranler, n’a pas donné à l’Arverne l’illusion d’une force invincible ? Vercingétorix n’était qu’un jeune homme et qu’un Gaulois : il y avait deux saisons à peine que les devoirs du commandement l’obligeaient à la maîtrise de soi et aux décisions mûries. Un beau jour, l’impétuosité de son âge et de sa race a éclaté malgré lui, et a eu soudainement raison de cette froide discipline qu’il imposait à son âme.

Peut-être enfin n’a-t-il d’abord ni voulu ni ordonné la bataille telle qu’elle allait se dérouler. Ce qu’il a surtout demandé à ses chefs, c’est d’attaquer de flanc la colonne en marche, de la traverser et de revenir, de disperser et d’enlever les bagages, et rien que les bagages. Il semble même qu’il ait déconseillé l’attaque des légions, si elles abandonnaient leur convoi pour se masser en carré de bataille. — Mais, pour éviter un combat après avoir donné de tels ordres, il fallait arrêter dans leur élan quinze mille cavaliers gaulois, et ce n’était au pouvoir de personne au monde.

Et en définitive, ces trois hypothèses pour expliquer la bataille nous ramènent toujours à une même cause : c’est que la furie gauloise, contenue depuis six mois chez les soldats et chez le chef, devait être un jour plus forte que leur volonté à tous.

Il suffit en effet que Vercingétorix eût adressé un tel appel aux passions de ses hommes, pour que le combat fût résolu, sans contre-ordre possible. Les chefs gaulois, en Gravure-l'appel-de-Vercingétorixl’entendant, avaient retrouvé un roi de leur sang et de leur allure. Une vaste et joyeuse clameur s’éleva quand il eut fini de parler. Tous se déclarèrent prêts à faire leur devoir, et à jurer de vaincre. Ce serment ne fut pas la banale protestation des gens de guerre. Les dieux furent pris à témoin, la religion fournit à ces promesses, comme à celles de la conjuration pendant les mois d’hiver, les sanctions les plus redoutables et les formules les plus solennelles. Les quinze mille cavaliers furent convoqués, et tous jurèrent : Nul ne devait s’abriter sous un toit, nul ne devait s’approcher de sa femme, revoir ses enfants et ses père et mère, s’il n’avait traversé à cheval, deux fois, de part en part, la colonne de marche de l’armée romaine.

C’était exactement ce que Vercingétorix désirait d’eux. Mais après de telles paroles, quoi qu’il arrivât, les Gaulois ne renonceraient jamais au plaisir de la charge et à l’observation d’un serment.

 

5. Formation en bataille des deux armées.


Le lendemain matin, Vercingétorix disposa son armée avec le même soin que dans les campagnes précédentes. Devant ses trois camps, derrière une rivière (l’Ouche ?), il rangea en bataille son infanterie, protégée ainsi contre toute surprise : quelle que fût la fortune du combat, elle demeurerait intacte, et pour plus de sûreté, il s’éloigna d’elle le moins possible. De l’autre côté de la rivière, à gauche, sur une hauteur (Saint-Apollinaire, à l’est de Dijon ?), il plaça un fort détachement de cavaliers pour dominer la plaine, servant à la fois de vigie et de réserve. Au delà, vers le Nord-Est, dans les vastes espaces découverts par où s’avançait César (plaine de la Norges ?), il lança ses escadrons, groupés en trois corps : l’un devait faire face au front des troupes romaines et l’arrêter ; les deux autres devaient le dépasser, et se rabattre sur les flancs.

César, la veille, ne se doutait pas de l’approche de l’ennemi. Il paraît l’avoir ignorée encore de bon matin, et avoir fait prendre à ses légions le même ordre de marche que le jour précédent. Mais, quand on lui annonça l’ennemi, tout changea en un clin d’œil dans l’armée romaine.

César arrêta la marche, fit former les légions en un vaste carré (entre Varois et Quétigny ?), et placer les équipages derrière les rangs des soldats, au centre de la surface dont ils garnissaient le pourtour. Les bagages étaient désormais à l’abri, et les cohortes légionnaires, rapprochées le plus possible les unes des autres, couvertes et prêtes de tous côtés, présentaient une muraille d’hommes et de fers devant laquelle les chevaux se cabreraient aussi net que devant un rempart de pierres. Sur le front et sur le flanc des dix légions, César répartit ses cavaliers en trois corps : à sa gauche et par-devant, les Romains et autres ; à sa droite, qui était le plus menacée, et dominée par la colline, les escadrons germains, sa principale ressource.

Désormais, la surprise espérée par Vercingétorix était impossible. Ses cavaliers ne traverseraient même pas une fois les lignes ennemies. Mais les ordres étaient donnés. La lutte s’engagea.

 

À suivre...

 

À suivre...

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6 juillet 2012 5 06 /07 /juillet /2012 07:14

             Vercingétorix

 

     Chapitre XVI - Défaite de la cavalerie gauloise.

 

1. César appelle des Germains.

 

Pendant ce temps, César avait rétrogradé chez ses alliés de la vallée de la Marne ; réconforté par l’hospitalité des Lingons et des Rèmes, il se préparait pour une nouvelle campagne.

Il ne songeait plus à pénétrer dans la Gaule même, à la fois soulevée et dévastée : à quoi lui aurait servi de revivre devant Bibracte les journées de Gergovie ? pour faire besogne utile contre les coalisés, il aurait eu besoin de nouveaux renforts, et il ne pouvait en attendre ni de la Province envahie ni de l’Italie dont il allait être coupé.

L’essentiel lui parut de regagner la Narbonnaise, où son cousin L. César n’avait que 22 cohortes, soldats tirés de la Province même et qui pour la plupart n’avaient jamais vu l’ennemi. Car, s’il arrivait malheur à cette région, le proconsul se trouverait enfermé, loin de l’Italie, comme par un double écrou ; et, s’il réussissait à s’échapper des Gaulois, il n’éviterait sûrement pas les vengeances du sénat et de ses adversaires romains.

Dans la Province, c’était la possession des terres allobroges qui déciderait du salut de César ou de la victoire finale des Gaulois : Vienne et Genève, leurs principales cités, étaient les têtes des deux grandes voies alpestres, celles du Grand et du Petit Saint-Bernard ; et ces mêmes Allobroges, qui s’échelonnaient sur les deux rives du Rhône, depuis le confluent de la Saône jusqu’à celui de la Drôme, gardaient à leur merci la route des plus grandes villes méditerranéennes, Marseille et Narbonne. César résolut de se rendre d’abord dans leur pays, pour y combattre ou y devancer le lieutenant de Vercingétorix.

Il avait dix légions, mais leur effectif réduit devait comporter moins de 40.000 hommes, et qui venaient, de mars à juin, de fournir deux terribles campagnes. Les troupes auxiliaires, Crétois, Espagnols, Numides, Gaulois alliés, n’existaient à vrai dire plus. Il avait à peine un ou deux milliers de chevaux, que montaient ses officiers et ses hommes de réserve, vieux soldats émérites et rengagés. C’était une armée résistante et d’attaque, mais, en ce moment, elle vivait dans la tristesse et le découragement. Depuis sept ans, elle avait combattu au delà des Alpes, et elle reprenait en sens inverse, dépouillée de ses conquêtes et de son renom, cette route du Rhône d’où elle était partie si allègrement pour sa première victoire gauloise. Des étapes lugubres commenceraient bientôt en pays ennemi, et elle ne marcherait plus qu’à travers une nuée de cavaliers, incertaine du lendemain.

C’était cette cavalerie gauloise que César redoutait le plus, et ce cortège de famine et de misères qu’elle créait près d’elle autour des légions en route. Alors, pour protéger ses vieux soldats, il eut une seconde fois recours aux Barbares de la Germanie.

Dans la campagne de la fin de l’hiver, il avait eu avec lui 400 cavaliers germains, et on a 148vu les services qu’ils lui ont rendus sous les murs de Noviodunum. Cette fois encore, avant de se mettre en marche, il envoya ses agents acheter des hommes au delà du Rhin. Les tribus qu’il avait soumises, Miens et autres, ne demandaient pas mieux que d’oublier dans une bonne curée gauloise la honte du joug romain. Quelques milliers d’hommes répondirent à l’appel de César : effectif peu nombreux, mais qualité supérieure. Il y avait là de cette infanterie légère qui accompagnait les cavaliers sur le champ de bataille, et qui, tiraillant derrière les chevaux, frappait à l’improviste les hommes et les bêtes : on ne pouvait rien voir de plus agile et de plus rapide qu’un fantassin germain. Mais ce que César reçut de plus précieux, furent quelques escadrons, deux milliers d’hommes peut-être, de grands corps massifs, à l’audace aveugle, dont le choc suffisait à enfoncer un adversaire. Ils avaient de mauvais chevaux, qui ne valaient probablement rien dans les charges : le proconsul leur donna les excellentes montures de sa réserve et de son état-major, et il eut ainsi une belle et bonne troupe, à l’abri de laquelle les légions romaines pourraient cheminer avec plus de confiance : il avait suffi, dans une des dernières campagnes, de huit cents cavaliers germains pour mettre en déroute cinq mille soldats de la cavalerie gauloise.

De plus en plus, pour se défendre contre la Gaule, Jules César l’ouvrait aux Germains. Il répétait sur elle l’expérience qu’avaient faite les Séquanes. Forcé d’abandonner un butin et une gloire de sept ans, la colère a dû l’exaspérer, et peut-être, si le danger eut grandi pour Rome, la Gaule aurait-elle vu derrière elle un nouvel Arioviste, appelé par Jules César.

 

2. Retraite de César vers la province.

 

Les dix légions de César, appuyées de leurs cavaliers barbares, se mirent enfin en route vers les terres romaines. Elles descendirent du plateau de Langres et débouchèrent dans le versant du Rhône. — Jusqu’à Dijon, elles se trouveraient encore en pays ami : c’était aux Lingons qu’appartenait la région riche et fertile qui s’allongeait vers le Sud entre les montagnes du Couchant et les forêts ou les marécages des bords de la Saône. — Mais, au delà de Dijon, César arriverait sur des territoires ennemis : au sud de l’Ouche, c’était celui des Éduens ; sur la rive ultérieure de la Saône, c’était celui des Séquanes, l’un et l’autre peuples maintenant ralliés à la cause nationale. César aurait alors le choix entre deux routes. S’il allait à Vienne, par la vallée facile et connue de la rivière, il risquait d’être arrêté par les bourgades éduennes de Beaune, Chalon, Tournus, Mâcon, ou d’être assailli sur le flanc par les ennemis débordant des montagnes. S’il obliquait au Sud-Est pour gagner Genève par la Bresse et le Bugey, le chemin était plus rude, mais il ne rencontrerait, sur les terres séquanes, aucune place forte d’importance, il aurait l’avantage de s’écarter le plus vite possible des armées gauloises, et, une fois à Genève, il serait sur-le-champ en rapport avec l’Italie, grâce aux postes romains qui garnissaient les Alpes Pennines : que les Allobroges songeassent à trahir ou à obéir, il les aurait en tout cas sous la main, et il serait maître de sa ligne de retraite. — Il se décida donc à continuer sur Dijon, et, au delà, sur Genève.

Mais Vercingétorix ne lui laissa pas le temps de franchir la Saône et de pénétrer sur le territoire séquane.

 

3. Concentration de troupes gauloise à Alésia. Elles recontrent César près de Dijon.

 

La concentration de l’armée gauloise s’était faite, croit-on, à Alésia (Alise-Sainte-Reine en Auxois). Il y donna rendez-vous aux quinze mille cavaliers envoyés par les cités de toute la Gaule ; il y fut rejoint par les 80.000 fantassins qui avaient combattu avec lui autour de Gergovie.

Le choix de cette ville, comme centre de ralliement des Gaulois confédérés, n’était pas arbitraire. Ce n’était, il est vrai, que la place forte d’une petite tribu gauloise, les Mandubiens, clients sans doute de leur puissant voisin, le peuple éduen. Mais elle jouissait, auprès des Gaulois, d’un renom singulier. Ils la disaient fort ancienne, et de fondation divine ; ils la regardaient comme le foyer et la cité-mère de toute la Celtique ; et ils avaient pour elle le respect naïf que les peuples accordent aux choses antiques et aux gloires religieuses. Elle s’entourait de légendes semblables à celles qui firent la vogue d’Albe dans le Latium. Peut-être fut-elle, en effet, quelque vieux sanctuaire d’une fédération gauloise. — Si c’est là que l’armée de Vercingétorix s’est réunie contre César, son chef a pu désirer qu’elle y retrempât son courage et ses forces morales.

Mais, s’il la convoqua à Alésia, ce fut aussi parce que la situation de cette ville était excellente pour surveiller les manœuvres et les positions de César. Le sommet qu’elle occupait était le dernier que la Gaule insurgée possédât, dans le Nord, sur la ligne des montagnes centrales : le territoire des Mandubiens, dont elle était la forteresse et le centre, s’avançait en promontoire entre Dijon et Montbard, qui appartenaient également aux Lingons amis de Rome. Alésia était donc un avant-poste gardant le seuil du pays éduen et de la Gaule libre : dans sa lente retraite d’Auxerre à Langres et vers Dijon, César avait parcouru un demi-cercle autour de cette ville, et aucun de ses mouvements, si Vercingétorix était campé là, ne pouvait échapper aux éclaireurs ennemis.

Aussi, au moment où le proconsul apparaissait au nord de Dijon, Vercingétorix, traversant rapidement les coteaux de l’Auxois et la vallée de l’Ouche, se porta en face de lui. Les deux armées se trouvèrent brusquement campées à dix milles (quinze kilomètres) l’une de l’autre (près de Dijon ?).

 

À suivre...

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29 juin 2012 5 29 /06 /juin /2012 06:42

             Vercingétorix

 

     Chapitre XV - L'assemblée du Mont Beuvray.

 

3. Caractère du peuple et des chefs éduens.

 

C’est le plus singulier des peuples gaulois que les Éduens, qui partageaient avec les Arvernes, depuis trois quarts de siècle, l’attention du monde gréco-romain. Je cherche à dessiner les traits de leur caractère, et ils s’effacent dès que je crois les saisir. Humeur inconstante, âme inconsistante, race flexible et fugitive, habitants de plaines ouvertes et de noirs sommets, pays sans unité et volonté sans durée, les Éduens ont été impuissants à se maintenir comme nation. Alors que les Arvernes, les Bituriges, les Séquanes et tant d’autres ont affirmé pendant des siècles leur identité politique, les tribus et les terres éduennes se sont rapidement disjointes : Autun, Avallon, Moulins, Nevers, Charolles, Mâcon, Beaune, Chalon, toutes leurs villes sont allées à des destinées différentes et à des tempéraments personnels : les landes au Bourbonnais, le Morvan au Nivernais, et les vignobles à la Bourgogne. Attiré vers le Midi par les vins de ses coteaux, rappelé vers le Nord par les torrents de ses forêts, le peuple éduen hésita sans cesse entre Rome et la Gaule ; et après n’avoir jamais su, au temps de César, ce qu’il voulait faire, il finit par perdre la volonté de vivre.

Ce qui domina chez lui, ce fut le goût des choses de l’esprit. Il s’instruisit très vite. Il fut le premier à s’assimiler ces légendes mythologiques de la Grèce dont l’acceptation était, pour les Barbares, une façon de se convertir à la religion des peuples cultivés. Ses druides étaient peut-être ceux qui tenaient l’école la plus fréquentée. Autun fut, sous les empereurs, le rendez-vous de la jeunesse studieuse. Dix siècles plus tard, dans les temps de Cluny, la terre éduenne demeurait nourricière des vertus intellectuelles. Aujourd’hui encore, il semble qu’on respire à Autun un air de science et de travail, comme celui qui flotte dans les villes les plus instruites du Midi, Nîmes ou Montpellier.

Mais les vertus morales étaient médiocres chez les Éduens du temps de la liberté. Ils n’ont eu alors qu’un seul homme de caractère : Sur, qui demeura patriote jusqu’à la dernière heure, et qui, Vercingétorix battu, rejoignit les Trévires pour lutter encore contre le peuple romain. Mais aucun de ses compatriotes ne m’intéresse. Dumnorix, le mieux trempé de tous, fit de beaux projets, les réserva toujours, et, en définitive, combattit quatre ans aux côtés de César tout en rêvant de délivrer la Gaule. Son frère Diviciac est l’intendant intelligent et plat de la politique romaine. Quant aux chefs de 52, on vient d’en voir quelques-uns à l’œuvre. Convictolitav se fait nommer vergobret par César, le renie, revient à lui, le trahit encore. Litavicc se fait confier une armée pour aider les Romains, et tente de la débaucher d’une manière si maladroite qu’il ne rend service à personne. Viridomar et Éporédorix sont de jeunes gredins sur lesquels César conserva de trop longues illusions : il les a comblés d’honneurs et de richesses ; pendant le siège de Gergovie, ils dénoncent au proconsul et font échouer la tentative de leur compatriote Litavicc ; pendant la retraite, ils quittent César en protestant de leur amitié, et ils vont massacrer les Romains à Nevers. Ces gens-là, du premier jour jusqu’au dernier, n’eurent jamais le franc courage de leur trahison : César, qui connaissait la perfidie éduenne, nous la montre faite surtout de promesses éludées, de lenteurs calculées, de démonstrations et de reculades. J’aime mieux le brutale volte-face de Comm, enthousiaste de César, puis enragé contre lui. J’aime mieux même la fidélité des Rèmes et des Lingons au peuple romain, servile obstination où il entrait après tout le respect de la parole humaine. Mais ces chefs éduens, qui n’embrassaient une cause que pour en regretter une autre, étaient toujours traîtres à la trahison même.

Des autres chefs, Cot, le rival de Convictolitav, devenu le chef de la cavalerie, Éporédorix l’ancien, Cavarill, le chef de l’infanterie après Litavicc, nous ne savons qu’une chose, c’est qu’ils apparurent sur les champs de bataille pour se faire vaincre. Car les Éduens, malgré le renom de leur cavalerie, furent d’assez piètres combattants. Ils n’ont à leur actif aucune grande victoire. Quand César vint en Gaule, il les trouva écrasés sous les défaites que leur avaient infligées les Séquanes et les Germains. Dumnorix, en 88, se laissa mettre en fuite par les Helvètes. Depuis cinq mois, les Éduens avaient paru quatre à cinq fois sur le théâtre de la guerre : en février, ils n’avaient pas osé franchir la Loire pour secourir les Bituriges ; dans la campagne de Gergovie, les soldats de Litavicc avaient abandonné leur chef, et les auxiliaires éduens de César ne s’étaient présentés sur le flanc de la VIIIe légion que pour achever de l’affoler ; Litavicc, chargé par Vercingétorix de devancer les Romains, ne se retourne pas à temps pour les arrêter ; et, lors de cette même retraite, Viridomar et Éporédorix n’ont pu ni leur tuer un homme ni leur couper les vivres. Je ne crois pas que le courage ait manqué à tous ces chefs : mais ils n’ont jamais appris l’art de se battre et de forcer la chance.

Voilà le peuple et les hommes dont Vercingétorix vient enfin d’entraîner l’adhésion. Le roi des Arvernes a grossi son armée d’auxiliaires incommodes et son conseil d’opposants coutumiers de trahisons.

 

4. Vercingétorix à Bibracte ; conseil de toute la Gaule.

 

Il s’en aperçut aussitôt. Alors qu’il lui aurait fallu continuer la campagne sans se donner un jour de repos, pousser rapidement aux Lingons pour briser leur résistance, couper les routes du plateau de Langres, presser César par le fer et le feu, Vercingétorix fut au contraire obligé de suspendre les opérations, de discuter, parlementer, faire le métier d’orateur et de sénateur. Comme s’ils voulaient permettre à l’armée romaine de se reposer, les Gaulois se mirent, à l’instigation des Éduens, à délibérer longuement.

La première députation des Éduens à Vercingétorix avait été pour lui offrir l’alliance. La seconde fut pour l’inviter à se rendre auprès d’eux et à leur soumettre son plan de campagne. C’était lui rappeler qu’un roi arverne devait traiter d’égal à égal le vergobret éduen.

Il fallait ménager ces alliés nouveaux et ombrageux ; toute chicane eût fait perdre du123 temps. Le Mont Beuvray était après tout plus près que Gergovie des routes dont s’approchait César : Vercingétorix sacrifia son amour-propre aux intérêts de la Gaule, et il monta à Bibracte.

Les négociations commencèrent entre lui et les chefs éduens, dont les plus intraitables furent, comme à l’ordinaire, les plus récents renégats, Viridomar et Éporédorix. Les nobles de Bibracte annoncèrent et affirmèrent leurs prétentions à prendre le pouvoir suprême : un Arverne l’avait exercé pendant six mois, qu’il passât la main à un Éduen.

La demande était fantaisiste : les Éduens voulaient le profit alors que d’autres avaient eu la peine. Elle était dangereuse : ces aspirants au commandement en chef, Litavicc, Viridomar, Éporédorix, Cavarill, n’avaient jamais été que des sous-ordres de César, et, les jours précédents, au lieu d’arrêter le proconsul, ils l’avaient lâchement laissé passer. Vercingétorix refusa de tels successeurs.

Il ne s’opposa pas cependant à ce que ses pouvoirs fussent soumis à la réélection. L’arrivée de nouveaux membres à la ligue nécessitait une sanction nouvelle. Vercingétorix accepta qu’une assemblée de tous les chefs fût convoquée, et qu’elle se réunît à Bibracte. C’était un retard de plus, et une autre concession à la gloriole de ses alliés.

De toutes les tribus et de toutes les cités belges et celtiques, on se rendit en masse dans la ville éduenne. Elle devint pour quelques jours la tête et la citadelle de la Gaule entière. À l’ombre touffue des hêtres séculaires, les cortèges étincelants et chamarrés des cavaliers gaulois serpentèrent sur les vieux sentiers de la montagne, et la cité, abandonnée d’ordinaire aux marteaux des forgerons et aux fumées des émailleurs, retentit des rauques éclats de voix et des rudes clameurs des discussions politiques.

Mais, au milieu de cette foule, Vercingétorix prit sa revanche de l’astuce éduenne. Les intrigues des chefs se rompirent dans ces agitations passionnées. Il dut être impossible d’ouvrir une délibération régulière : les nouveaux venus ne pensaient sans doute qu’à acclamer l’homme qui avait vaincu César, à admirer sa haute taille, la fierté de son regard, l’auréole de sa gloire récente. Il fallut laisser à cette multitude armée, comme dans les jours héroïques des longues équipées, le soin de choisir son chef de guerre. L’enthousiasme populaire étouffa tous les égoïsmes, et, le jour de l’élection, le nom de Vercingétorix sortit d’une clameur unanime.

De nouveau, mais cette fois au nom de toute la Gaule, Vercingétorix recevait le commandement suprême. L’unité nationale était consommée ; et elle l’était, ainsi qu’au temps de Bituit et de Celtill, sous les auspices d’un Arverne comme chef. Peut-être même prononça-t-on un autre titre que celui de chef, et entendit-on parler de Vercingétorix roi des Gaulois.

Mais, à ce moment précis où l’unité était fondée et où l’autorité de Vercingétorix paraissait la plus forte, s’annoncèrent aussi les rivalités qui devaient ruiner l’une et l’autre. En voyant grandir au-dessus de lui et sur son propre sol la puissance rivale, le sénat de Bibracte se sentit profondément blessé. En entendant Vercingétorix leur donner des ordres, Éporédorix et Viridomar froncèrent les sourcils. Les Éduens sentaient déjà qu’ils regrettaient César et souhaitèrent son pardon.

 

5. Plans de Vercingétorix : il continue sa tactique.

 

Une fois proclamé, Vercingétorix imposa sa volonté avec sa précision et sa fermeté habituelles. Il refit après l’assemblée de Bibracte ce qu’il avait fait après celle de Gergovie : sauf, par malheur, l’exécution de quelques chefs.

Il commanda des otages et fixa les contingents. Tout ce qui restait de cavaliers disponibles en Gaule, quinze mille, devaient se concentrer au plus tôt dans le pays éduen : la tactique qu’il comptait suivre ne pouvait réussir qu’avec une cavalerie fort nombreuse.  Il ne voulut pas, auprès de lui, un supplément d’infanterie : il avait environ 80.000 fantassins, fournis par les Arvernes ses sujets ou par ses alliés de la première heure, suffisamment dégrossis par cinq mois de marches, de combats, de terrassements et d’obéissance ; il n’avait pas le temps d’en former d’autres, et des recrues l’embarrasseraient. Des ordres furent sans doute donnés pour mettre en état de défense quelques grandes villes fortes, que l’on devait conserver comme refuges.

Le plan de campagne de Vercingétorix ne fut autre que celui de février, mais élargi avec audace et intelligence. En hiver, il fallait retenir César dans la Province : maintenant il faut l’y renvoyer, le plus maltraité possible, et, si faire se peut, le renvoyer en Italie même.

Les Gaulois envahiront la Narbonnaise sur tous les points à la fois, de manière à ce que César soit obligé, ou de la défendre en personne, ou de l’abandonner toute entière. Il ne s’agit plus seulement de la menacer de biais par l’Ouest, comme l’avait déjà fait Lucter, mais de se déverser en masse sur elle par-dessus les Cévennes. Les Rutènes et les Cadurques prendront leur route, plus à l’est de celle qu’ils ont déjà suivie, le long des Causses et de l’Aigoual, et inquiéteront directement Narbonne, Béziers, Nîmes et les rivages de la Méditerranée elle-même. Les tribus du Gévaudan et du Velay n’auront qu’à suivre le chemin de César pour descendre chez les Helviens, gagner l’Ardèche et le Rhône. Enfin, les Éduens du Sud et leurs clients les Ségusiaves du Forez, au nombre de dix mille fantassins, flanqués de 800 cavaliers que leur adjoint Vercingétorix, déboucheront par la vallée du Gier ou la plaine des Dombes en face de Vienne, la grande cité gallo-romaine des Allobroges.

C’est à cette dernière expédition que Vercingétorix tenait le plus, et avec infiniment de raison. Que César retournât vers la Province ou qu’il s’enfuit en Italie, il lui fallait passer par Vienne ou par Genève, villes allobroges. Si les insurgés parvenaient à occuper ou à soulever le pays, le proconsul aurait devant lui une double ligne de dangers, celle de la Saône, rivière éduenne, celle du Rhône, fleuve des Allobroges. Aussi le roi arverne mit-il tout en œuvre pour s’assurer l’appui de ce grand peuple. Il envoya à ses chefs messages sur messages, il les accabla d’offres et de tentations. Il leur rappela sans doute ces liens d’amitié et de fraternité de guerre qui les avaient unis à Bituit et aux Arvernes ; il exploita les rancunes que les Allobroges conservaient contre Rome et ses magistrats : il y avait dix ans à peine, n’avaient-ils pas soutenu (en 61) une guerre ardente contre l’un d’eux, la troisième depuis trop quarts de siècle ? Il leur montra que le temps de la revanche, pour eux comme pour les autres, était venu, et qu’une fois les Celtes victorieux, les Allobroges recouvreraient, avec l’appui des Arvernes, l’hégémonie de la Gaule au sud des Cévennes.

Sur toute cette ligne d’invasion, dans toutes ces combinaisons militaires et politiques, Vercingétorix préparait les solutions les meilleures. Il montra la même prévoyance dans son plan d’attaque de l’armée proconsulaire.

Quel que fût le dessein de Jules César, disait Vercingétorix aux chefs de son entourage, celui des Gaulois devait être fixé d’avance. Peu importait la route qu’il prendrait. Il fallait s’en tenir, contre lui, à la tactique de la campagne d’Avaricum. Aucune autre ne valait celle-là ; incendier les fermes, détruire les greniers, enlever les convois, harceler les soldats en marche, massacrer les fourrageurs : que les quinze mille cavaliers se résignent à cette tâche, et les dix légions seront réduites sans coup férir. Vercingétorix continuait à réclamer de ses Gaulois le courage d’un double sacrifice : voir brûler leurs biens sans une plainte, voir passer l’ennemi sans le combattre. Car avant tout, disait et répétait le chef arverne, il faut éviter une bataille : la victoire est à ce prix (fin juin ?).

 

À suivre...

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26 juin 2012 2 26 /06 /juin /2012 17:49

              Vercingétorix

 

Chapitre XV - L'assemblée du Mont Beuvray.

 

1. Soulèvement général de la Gaule : nouvelles cités qui se joignent à la ligue.

 

Car cette fois, autour de César et de Labienus, toutes les nations s’insurgeaient. Le long des rivages, depuis les marais de l’Escaut jusqu’à ceux de la Gironde, au pied des montagnes, depuis le Saint-Gothard sujet des Helvètes jusqu’au Mont Lozère client des Arvernes, une ligne continue d’hommes en armes bordaient les frontières de la Gaule soulevée. Il ne restait plus au proconsul que deux nations fidèles, chez lesquelles il pût abriter ses légions errantes : les Rèmes, qui les couvraient en partie contre les agressions du Nord, les Lingons, qui leur ouvraient, de Langres à Dijon, les routes de la retraite vers le Sud ; ces deux peuples étaient les seuls à garder la foi promise à César ; à défaut de patriotisme, ils eurent au moins le mérite de la reconnaissance.

Toutes les autres peuplades, travaillées sans relâche, depuis six mois, par l'or et les flatteries des émissaires de Vercingétorix avaient attendu sa victoire pour achever de se laisser convaincre. Après Gergovie, elles lui furent irrésistiblement gagnées. Ce fut à la nouvelle de la retraite de César, un va-et-vient de messages et d'ambassades entre les cités entre les cités de la Gaule : dans la joie tumultueuse de la délivrance, se perdit l'impression de la mort de Camulogène et de la victoire de Labienus.

La décisions de Éduens entraîna celle de tous leurs clients : une fois ralliés à la cause de la liberté, ils avaient intérêts à y amener le plus grand nombre de leurs amis. Ils s'empressèrent d'expédier partout de l'or, des promesses, des pières ou des menaces. Avec eux se groupèrent leurs vassaux ou alliés. Les Ségusiaves du Forez, les Ambarres de la vallées de l'Ain : renfort précieux entre tous, car les tribus de ces deux peuples, campés en face de Vienne et de Genève, menaçaient directement la province romaine et la retraite de César. Au sud-est de la Loire, les derniers récalcitrants, les Santons de la Saintonge, les Prétucores du Périgord, se décidèrent à suivre la cause que leurs voisins et rivaux du Limousin et de l'Agenais, qui avaient été si prompts à se joindre à Vercingétorix.

Au nord de la Seine, les Belges s'étaient enfin résolus à se battre une fois de plus, et à sacrifier ce qui leur restait d'hommes. On s'arma pour le compte de la Gaule chez les Nerviens du Hainaut, les Morins de la Flandre, les Ambiens de la Picardie, les AttrébatesCommios de l'Artois. De ce côté, l'insurrection fut fomentée par Comm l'Attrébate, guéri de sa blessure, mais non point de sa colère : car il avait juré de ne plus voir de Romains face à face, si ce n'est sans doute l'épée à la main. Étrange personnage que celui-là, le plus original peut-être des Gaulois de ce temps, du moins après Vercingétorix : brave comme pas un, d’une audace morale égale à son insouciance physique, souple, rusé, retors, beau parleur, ayant partout des amis et des hôtes, plein de ressources d’esprit et de bons conseils, disposé aux aventures les plus dangereuses, tenant à la fois d’Ajax, d’Ulysse et de Nestor. Jusqu’en 53, il avait été en Belgique l’homme d’affaires de César, qui ne pouvait se passer de lui ; le voilà maintenant patriote, et, semble-t-il, délibérément, sans arrière-pensée d’intérêt ni de jalousie. Grâce à lui, les Bellovaques eux-mêmes finiront par envoyer quelques hommes à la ligue : car l’individualisme de ce peuple était si incorrigible qu’ils déclaraient faire la guerre à Rome en leur nom et à leur guise, sans ordre de personne : mais ils ne purent s’empêcher d’écouter Comm l’Atrébate.

Des peuples de la frontière germanique, les Trévires, seuls, ne furent pas en mesure d’envoyer aux Gaulois un secours apparent. En réalité, ils leur étaient fort utiles. Depuis le commencement de la guerre, ils ne cessaient de batailler contre les Germains, et par là ils empêchaient la Gaule d’être prise à revers par une invasion toujours prète. Mais les Médiomatriques (de Metz), les Séquanes et les Helvètes acceptèrent de défendre la liberté de tous : les Séquanes n’étaient-ils pas d’anciens alliés du peuple arverne ? les Helvètes n’avaient-ils pas à venger la première injure que César eût infligée à une cité de la Gaule ? Au delà des plaines de la Saône, ces deux derniers peuples allaient mettre de nouvelles barrières entre César et sa province.

Pour achever de les décider, eux et les autres, les Éduens eurent recours au procédé cher aux Barbares. On venait de leur expédier à Bibracte les otages que la Gaule avait jadis livrés à César. Ils annoncèrent qu’ils mettraient à mort les représentants des nations qui refuseraient de s’allier à eux, et peut-être quelques premiers supplices montrèrent que la menace n’était point vaine. Les dieux, cette fois encore, eurent leurs victimes. Les peuples effrayés n’eurent plus qu’à obéir. Et ces mêmes otages qui avaient garanti la fidélité de la Gaule à César allaient garantir son attachement à la liberté.

 

2. Affaiblissement réel de l’autorité de Vercingétorix.

 

En réalité, ce soulèvement général de la Gaule enlevait à Vercingétorix autant de force qu’il lui amenait de secours.

Sans doute, il peut doubler l’effectif de sa cavalerie et de son infanterie. Mais les milices qui vont lui arriver ne valent pas ces hommes dociles et endurants dont il a, depuis vingt semaines, exercé et façonné l’âme et le corps. Les nouveaux venus apporteront cette indiscipline et cette ardeur à la bataille qu’il avait eu tant de peine à refréner chez ses premiers soldats, et ces défauts deviendront d’autant plus dangereux qu’ils agiteront des masses plus grandes.

Le nombre des chefs se multiplia comme celui des hommes. Si, devant Avaricum, Vercingétorix a dû céder aux autres maîtres de nations, il les avait réduits, dans Gergovie, à n’être que ses légats. Cette tâche était à recommencer pour lui.

Au début de l’insurrection, il avait, en l’honneur de ses dieux, fait flamber quelques bûchers d’adversaires. Ce qui lui était possible dans l’exaltation de la prise d’armes, et sur la terre paternelle de Gergovie, était impraticable après la victoire et sur le sol éduen, où il n’était plus que l’hôte d’une cité alliée.

De plus, Vercingétorix n’avait certainement pas, depuis six mois, épuré son conseil de toutes les jalousies. Ses succès et son commandement impérieux avaient dû bien plutôt en accroître le nombre. Les plus irréductibles, sans doute, étaient celles de ses plus proches voisins, ces chefs arvernes qui avaient été ses camarades de jeunesse ou ses rivaux politiques. Plus d’un sénateur gergovien ne devait pas lui pardonner d’être le fils d’un tyran, et roi lui-même. L’arrivée d’Éduens renforça la bande de traîtres et d’envieux qui se formaient autour de lui.

Enfin, c’étaient de nouveaux peuples qui se joignaient aux Arvernes et aux Carnutes, jusque-là les deux principaux arbitres de l’insurrection. Mais les Carnutes étaient trop compromis contre César pour souhaiter une défaite, et derrière les Arvernes, Vercingétorix s’appuyait sur l’amitié solide des Cadurques et autres clients séculaires de la royauté de Gergovie. Il avait à compter maintenant avec les Helvètes, les Séquanes, les Éduens, rivaux traditionnels de son peuple. Quelle sécurité pouvait-il trouver chez ces derniers venus de la révolte, décidés moitié par crainte et moitié par intérêt, et qui offriraient sans peine à César des occasions et des motifs de pardon ? Vercingétorix aurait à combattre, avec la jalousie des chefs, les rancunes des nations, et de la nation éduenne entre toutes.

 

À suivre...

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6 juin 2012 3 06 /06 /juin /2012 06:29

                                                            Vercingétorix

 

Chapitre XIV - La bataille de Paris et la jonction de César et de Labiénus.

 

4. Nouvelle défection des Éduens. César repasse la Loire.

 

Mais les Éduens ne méritèrent ni la confiance de Vercingétorix ni les craintes de l’armée romaine.

Après la défaite de César à Gergovie, ils n’eurent tous qu’une pensée, se joindre au vainqueur. La Gaule allait être délivrée par les Arvernes : les Éduens devaient se hâter de prendre une part de la gloire, s’ils voulaient en revendiquer une dans le partage des récompenses. Aussi, lorsque Litavicc arriva sur le Mont Beuvray, il fut reçu comme un triomphateur ; le vergobret, presque tout le sénat se réunirent à lui ; et on envoya une députation officielle à Vercingétorix pour conclure paix et amitié avec le peuple arverne.

Il ne restait d’Éduens fidèles à César que le contingent commandé par Viridomar et Éporédorix. Les deux chefs ne dirent rien tant que César n’eut point franchi l’Allier. Quand ils se virent près de leur pays, ils lui demandèrent la permission d’y retourner, sous prétexte de faire entendre raison à leurs compatriotes. Le proconsul eut l’air de les croire et les laissa partir, les jugeant peut-être moins fâcheux comme ennemis que comme alliés.

À peine hors du camp, les deux jeunes gens et leurs hommes galopèrent jusqu’à Nevers, jusque-là respecté par les Éduens : ce fut le gage qu’ils résolurent de donner à la trahison, en échange d’une fidélité trop longue à César. Viridomar et Éporédorix égorgèrent la petite garnison romaine, et massacrèrent les négociants italiens, pour lesquels les incertitudes des combats compensaient grandement les gains usuraires. Puis ils se partagèrent la caisse du questeur et les chevaux de remonte ; et enfin, s’emparant des otages de la Gaule, ils les expédièrent à Bibracte, faisant hommage à leur vergobret de ces malheureux captifs, une fois de plus ballottés de ville en ville et de chef à chef.

Le coup fait, ils songèrent à César : prenant exemple sur Vercingétorix, ils détruisirent ou enlevèrent les approvisionnements, brûlèrent Nevers, et se mirent à battre la campagne pour lever des hommes, affamer le proconsul, l’arrêter sur les bords de la Loire, et, si possible, le rejeter vers le Sud. Le fleuve était alors en crue : point de ponts intacts ni de gués praticables. Des postes de cavaliers éduens furent disposés sur les berges de la rive droite : si Litavicc et d’autres avaient le temps de revenir de Bibracte, l'année romaine était bloquée du côté du Nord. — C’était sans doute ce qu’espérait Vercingétorix. Mais lorsqu’il ne commandait pas en personne, les Gaulois faisaient d’assez mauvaise besogne : la dévastation du pays fut toute superficielle, et les soldats qui paradaient à Bibracte se laissèrent prévenir par César.

Celui-ci s’approchait. Quand on apprit l’incendie de Nevers, il y eut autour de lui un141 moment d’hésitation : il fut question de rétrograder, peut-être vers le Forez et de là sur Vienne, ce qui était faire le jeu des ennemis. Le proconsul n’eut pas de peine à rassurer les siens et à leur montrer qu’ils n’avaient encore devant eux que des fantoches d’adversaires. Il atteignit la Loire après un jour et une nuit de marche forcée, et s’arrêta devant le gué le moins périlleux (entre Decize et Nevers ?). Ses chevaux furent envoyés eu amont pour briser le courant, et ses légionnaires passèrent ensuite, ayant de l’eau jusqu’aux épaules, et les bras en l’air pour tenir les armes levées. Les Éduens prirent peur, et s’enfuirent sans avoir tué un seul homme à leur ennemi. César, sur les excellentes terres de l’autre rive, trouva ce qu’il voulut, grains et bestiaux, pour nourrir ses légionnaires.

La route était libre jusqu’à Sens : il tardait au proconsul d’arriver dans cette ville, redoutant les pires malheurs pour Labienus et ses quatre légions, dont il n’avait plus de nouvelles.

 

5. Victoire de Labienus à Paris.

 

Mais Labienus s’était mieux tiré d’affaire à Paris que César à Gergovie.

Le légat ne voulut pas regagner Sens par la rive droite. Il avait peur d’être rejoint par les Bellovaques, et d’être obligé de traverser la Marne ou la Seine entre les attaques croisées des nouveaux venus et de Camulogène. Mieux valait franchir le fleuve le plus tôt possible, n’ayant encore sur les bras que le chef gaulois. Il fallait essayer d’abord de déjouer sa prudence : car le vieux routier de guerres avait échelonné des postes de vigie tout le long de la Seine. Puis, si la bataille était nécessaire, elle enlèverait au moins à la retraite l’apparence d’une fuite.

Labienus fait quatre parts de ses troupes. — La moitié de la légion la moins aguerrie restera pour garder le camp. À dix heures du soir, la flottille, chaque bateau commandé par un chevalier, descend sournoisement le fleuve pour s’amarrer à quatre milles en aval (au Point du Jour ?). À minuit, l’autre moitié de la légion remonte le long de la rive droite (vers Charenton), accompagnant les bagages, flanquée de barques, et tous, soldats, valets et rameurs, menant fort bruit. Enfin, quelques instants après, cette fois dans le plus grand calme, Labienus et ses trois meilleures légions allèrent, en aval, rejoindre la flottille qui les attendait.

Au moment précis où Labienus arrive (vers deux heures du matin), un premier débarquement a lieu sur la rive gauche, favorisé par la nuit noire et un orage subit. Les sentinelles ennemies sont égorgées, les chevaliers d’état-major forment un pont de bateaux, et les trois légions de Labienus se trouvent transportées sur le flanc de Camulogène.

Ce stratagème, d’ailleurs habituel lors des passages de rivières, ne trompa qu’à moitié le chef gaulois. Il dépêcha des soldats en amont, mais en petit nombre, et avec l'ordre de ne point s’éloigner inutilement ; il en détacha d’autres sur les bords mêmes du fleuve, en face du camp romain : mais ce fut en aval, contre le gros de l’armée ennemie, qu’il fit manœuvrer la plupart de ses hommes, et qu’il s’avança lui-même. — Aussi, au lieu de trouver une armée surprise et dispersée, Labienus aperçut avec le jour un front de bataille tranquille et prêt (dans la plaine de Grenelle ?). Il se résigna à combattre, sans doute avec peu de regret.

Les deux adversaires furent dignes l’un de l’autre. À la droite romaine, la VIIe légion, qui était pour Labienus ce que la Xe était pour César, enfonça l’ennemi au premier choc. Mais à gauche, la XIIe après avoir renversé les premiers rangs à coups de javelots, eut la surprise de voir que les autres ne bronchaient pas, et que, même abordés à l’épée, aucun Gaulois ne reculait : Camulogène était au milieu de ceux-là. Alors, on appela à la rescousse la VIIe, qui vint, par derrière, attaquer ces braves gens. Les Gaulois ne bougèrent pas davantage, massés et fermes comme des légionnaires. On les entoura, et on les tua tous jusqu’au dernier, Camulogène comme les autres.

Il restait encore quelques bandes en amont, du côté du camp. Elles accoururent au bruit du combat, s’acharnèrent à lutter encore, s’établirent sur une colline voisine (Vaugirard ?) et offrirent la bataille. Les Romains en eurent raison d’un élan, et leur cavalerie, lancée de tous côtés, massacra ceux des Gaulois qui ne purent s’abriter dans les collines boisées du voisinage.

La route de Sens se trouvait entièrement dégagée.

 

6. Jonction des deux généraux.

 

Labienus et César marchaient donc à la rencontre l’un de l’autre. Mais le légat arriva le premier au rendez-vous. À Sens, il ramassa le reste de ses troupes, et reprit le chemin du Sud. Il s’avança deux jours encore sans rencontrer César, et le rejoignit enfin le troisième, presque à la frontière du pays éduen (près d’Auxerre ? et vers le milieu de juin ?).

Des deux généraux qui se retrouvaient après six semaines d’angoisses, c’était Labienus qui sauvait César : le légat revenait victorieux, ses quatre légions et sa cavalerie intactes, une armée gauloise et un chef célèbre anéantis ; le proconsul arrivait presque en fugitif, sa cavalerie incomplète, son admirable VIIIe décimée, et derrière lui s’amassaient deux armées redoutables.

Il y avait quatre mois à peine que Jules César, à son retour de la Province, avait groupé autour de lui ces mêmes dix légions. Il les ramenait maintenant à peu près au même point. Sans doute, dans l’intervalle, elles avaient tracé, de Sens à Orléans, de Bourges à Gergovie, et de Paris pour revenir encore à Sens, un vaste cercle de vestiges sanglants. Mais la Gaule, recouvrant ces débris, s’était de nouveau fermée derrière elles.

 

À suivre...

 

Photographie Yann Kervran / Légion VIII Augusta

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2 juin 2012 6 02 /06 /juin /2012 16:29

            Vercingétorix

 

   Chapitre XIV - La bataille de Paris et la jonction de César et de Labienus.

 

1. Importance militaire de Paris.

 

Tandis que César, après avoir réglé à Decize les affaires des Éduens, s’était dirigé vers le Sud pour attaquer Gergovie, son légat Labienus s’était porté vers le Nord par la vallée de l’Yonne et le pays sénon.

Labienus avait avec lui quatre légions, dont la VIIe et la XIIe, deux vieilles troupes très sûres et très hardies ; il emmenait toutes les recrues récemment arrivées d’Italie et de la Province, un détachement de cavalerie, et une assez belle escorte de chevaliers romains. Le dépôt général de son armée était Sens, comme Nevers était celui de l’armée proconsulaire. L’objectif de sa marche, fixé par César lui-même, était Lutèce, ville principale du peuple des Parisiens.

Coïncidence singulière : à la même heure, les deux armées romaines menaçaient Lutèce et Gergovie. Celle-ci, plantée sur un rocher dans le massif central des montagnes françaises, capitale effective de la Gaule celtique, et métropole du passé ; celle-là, allongée au fil de l’eau au milieu des marais de la plaine septentrionale, et la métropole de l’avenir.

Mais cette coïncidence n’est point fortuite. De même que Gergovie était le foyer de résistance de la Gaule intérieure, Paris pouvait devenir le point de concentration de la Gaule du Nord.

César, dans ses campagnes gauloises, a fait preuve d’une science géographique d’une étonnante sûreté. Il s’est joué sur les routes comme s’il avait vécu sa jeunesse dans les pistes des courriers. Il a reconnu d’un coup d’œil les jointures essentielles, les nœuds vitaux de notre pays ; et ceux qui voudront poursuivre plus loin le récit de son existence, verront quel parti il a tiré de cette intuition du sol pour constituer la Gaule romaine. Il a, le premier, compris l’importance militaire de Paris et son avenir national : je veux dire, par ce mot, les destinées qu’une ville peut faire à une nation ou recevoir d’elle à son tour.

Il a vu qu’avec les vallées convergentes des rivières de son bassin, Paris est le principal carrefour du Nord de la Gaule, depuis les deux grandes presqu’îles qui menacent la Bretagne insulaire, jusqu’au coude formé par la Loire carnute, depuis les bois des plateaux armoricains jusqu’aux Ardennes à demi germaniques. Qui tenait Lutèce surveillait à la fois les rivages de l’Océan et les rives du Rhin, les plaines de l’Anjou et les forêts du Morvan. En occupant solidement le bassin parisien, on disjoignait ou on entravait toute confédération des cités de la Belgique, de la Normandie et de la Loire centrale. C’est pour cela que César, avant de partir pour Gergovie, envoya contre Lutèce le plus ancien et le plus capable de ses lieutenants.

 

2. Première partie de la campagne de Labienus : sa marche de Sens à Paris.

 

Labienus exécuta les ordres de son chef avec sa ponctualité coutumière. Il laissa à Sens, pour garder les bagages, les soldats de Tannée, et il suivit avec ses quatre légions la rive gauche de l’Yonne.137

Au delà du confluent de la Seine, encore que le territoire des Parisiens ne commence qu’aux marais de l’Essonne, Labienus n’a plus que des ennemis au-devant de lui. Les Sénons révoltés occupent leur ville de Meclosédum (Melun), bourgade bâtie comme Lutèce dans une île de la Seine, une sorte de réplique de la cité parisienne. De l’autre côté de l’Essonne, les Parisiens et tous leurs voisins de la Gaule propre, les peuples du Maine, de la Normandie et de l’Armorique, ont dès le premier jour fait cause commune avec Vercingétorix, et il est probable que le gros de leurs milices, ainsi que celles du pays sénon, ont été laissées par lui pour défendre ces territoires.

Labienus se hâtait afin d’empêcher la concentration de ces troupes. Il resta sur la rive gauche pour s’épargner le passage de la Seine et de la Marne ; il négligea de prendre Melun, d’ailleurs peu redoutable ; il ne se donna même pas le temps de faire main basse sur la flottille de barques amarrées à cet endroit. Mais, malgré tout, les Gaulois le devancèrent.

Durant toute cette campagne de 52, ils ont montré en effet, au Nord comme au Sud, une réelle aptitude à se concentrer rapidement. Ces nations, comme les Samnites et les Romains des temps héroïques, vivaient toujours dans l’attente de la guerre prochaine : les milices étaient prêtes à répondre à un signal qui revenait, chaque année, presque aussi sûrement que le cri de l’hirondelle.

Une importante armée s’était réunie à la nouvelle du départ de Labienus. Ce n’étaient pas des troupes tumultuaires, mais des soldats aguerris, braves et tenaces, fort supérieurs aux brillants cavaliers du pays éduen. Ils choisirent pour chef Camulogène l’Aulerque : c’était un très vieux général, et qui détonne dans cette insurrection de la Gaule où la jeunesse se tailla tant de commandements ; mais on l’aimait à cause de sa longue expérience et de sa science consommée des choses de la guerre.

Il justifia sur-le-champ son renom et son autorité. Ce fut sans doute à Paris que se fit le rassemblement des forces gauloises. Camulogène réfléchit, étudia le pays, et attendit Labienus sur la rive de ce marais vaste, long et continu que forme l’Essonne avant de se jeter dans la Seine : c’était un obstacle presque aussi insurmontable que la montagne de Gergovie. Les Romains avaient à lutter là-bas contre les rochers et ici contre le marécage.

Labienus essaya du moyen classique pour franchir les palus : il voulut, sous la protection des mantelets, charger un chemin sur claies et fascines. Au bout de quelques heures de travail, il reconnut que c’était peine perdue, et il décampa sans bruit au milieu delà nuit, pour faire ce qu’il aurait mieux valu décider dès son départ de Sens : s’assurer les deux rives du fleuve, et la descente par terre et par eau.

Il rétrograda jusqu’à Melun. Le pont était coupé, ceux des habitants qui n’avaient point rejoint Camulogène s’étaient réfugiés dans l’île. Mais ils avaient eu l’imprudence de ne pas détruire les barques. Labienus en saisit une cinquantaine, les remplit de soldats, enleva la bourgade épouvantée, et reprit sur la rive droite sa marche vers Paris, la flottille descendant le fleuve avec lui.

Camulogène, averti par des fugitifs de Melun, adopta la tactique préconisée par Vercingétorix. Il envoya l'ordre d’incendier Paris, de détruire les ponts, et alla se poster sur la rive gauche de la Seine, au pied de la montagne Sainte-Geneviève (aux Grands-Augustins ?). Labienus était déjà campé sur l’autre rive, en face de la pointe de la Cité (vers Saint-Germain-l’Auxerrois ?).*

La lutte allait s’engager entre les deux adversaires pour la possession, non pas de la ville réduite à rien, mais de ce carrefour de routes fluviales qui y aboutissaient, et la question de Paris était presque aussi grave que celle de Gergovie.

Mais à ce moment Litavicc faisait défection, les Éduens allaient le suivre, les Bellovaques se décidaient à imiter leurs amis du Centre, et ordonnaient la concentration de leurs troupes. Labienus pouvait être pris entre eux et Camulogène, comme César entre Gergovie et les Éduens. Il ne s’agissait plus pour lui de victoire et de gloire, mais de sauver son armée et de rejoindre son proconsul. Il décida de revenir vers Sens dans le temps où César se résolvait à quitter Gergovie (vers le 1er juin ?).

Les deux corps de la grande armée romaine étaient séparés par 400 kilomètres de route, huit jours de marche pour chacun d’eux, et les Éduens entre eux deux. On s’aperçut alors de la maladresse que César avait commise en allongeant ainsi, sans l’assurer contre toute surprise, sa ligne d’opérations. À des audaces de ce genre, il risquait de tout perdre pour vouloir tout gagner.

 

3. Pourquoi Vercingétorix ne poursuivit pas César après Gergovie. Retraite des Romains jusqu’à l’Allier.

 

La principale crainte de César, en levant son camp, était d’être poursuivi par Vercingétorix. S’il avait été pris entre les cavaliers gaulois et l’Allier, dont les ponts étaient détruits et les eaux grossies par la fonte des neiges, ses légions découragées et aux cadres incomplets auraient été fort compromises.

Mais le roi n’envoya pas une seule fois ses hommes pour harceler les légionnaires en retraite. On dirait qu’il a voulu leur ouvrir largement les routes qui conduisaient hors de l’Auvergne. Chez cet homme qui faisait rarement les choses à la légère, une telle abstention eut sa raison d’être.

Il craignait d’abord que ses Gaulois, énervés par des semaines de piétinement sur le sommet étroit et rugueux de Gergovie, ne se laissassent entraîner, dans les vastes étendues de la Limagne, aux témérités de leur fougue habituelle, et il redoutait pour eux, de là part des légionnaires, les terribles résistances des bêtes aux abois. — Peut-être aussi ses soldats étaient-ils désireux de voir les légions disparaître enfin vers le Nord, loin de cette plaine aux moissons presque mûres qu’elles avaient déjà quatre fois traversée et foulée : il était temps que d’autres terres connussent enfin la présence de l’ennemi, c’était aux Éduens de donner à leur tour des garanties à la Gaule en souffrant pour elle et en achevant l’œuvre commencée par les Arvernes. — Puis, Vercingétorix ne pouvait envoyer que des cavaliers à cette poursuite. Or, il se dégarnit de sa cavalerie peut-être dès le surlendemain de la bataille, il la confia à l’Éduen Litavicc, il lui donna l’ordre de devancer les Romains sur leur ligne de retraite, de décider les peuples de Bibracte à la défection suprême, et sans doute de revenir ensuite avec eux barrer la roule à César : il serait temps alors pour Vercingétorix de talonner son adversaire. Et ce plan eût été le meilleur, sans la mollesse des Éduens.

Il semble enfin que César ait hésité un instant, ou laissé croire qu’il hésitât sur sa route de retraite. On racontait partout, dans les camps gaulois, qu’il redoutait d’être bloqué au Nord par l’Allier et la Loire, et qu’il gagnerait la province romaine par les chemins du Velay ou du Forez. Il ne lui fallait pas plus de temps pour rejoindre le Rhône que pour revenir à Sens. Autour de lui, il paraît bien qu’on ait désiré cette marche vers le Sud, et qu’on lui ait même conseillé de rebrousser chemin alors qu’il était presque arrivé sur les bords de la Loire. — Mais ces routes des Cévennes, accessibles à quelques hommes à un début de campagne, seraient funestes à des légions fatiguées et fugitives : l’ennemi les aurait émiettées à travers les gorges de l’Allier ou de la Loire. Et puis, ce retour vers l’Italie eût été l’aveu de la défaite et l’abandon de Labienus. Mieux valait courir au péril éduen que d’affronter encore les montagnes arvernes. — César s’apprêta donc à refaire en été, à la rencontre de l’armée de Sens, et sur le versant occidental des Cévennes, cette même campagne de vitesse qu’il avait faite, au gros de l’hiver, au pied des pentes orientales.

Il traversa la Limagne droit vers le Nord, et, le troisième jour de marche, il atteignit la rive gauche de l’Allier (en face de Varennes ?). Le pont avait été coupé, sans doute par Litavicc passé avant lui. Mais César eut le temps de le rétablir, et franchit la rivière sans encombre. Il était alors à quelques milles à peine du pays éduen.

 

À suivre...

 

* Le "Vercingétorix" de Camille Jullian, a été rédigé au tout début du XXe siècle, époque à laquelle on pensait que les gaulois de Lutèce (les Parisii) vivaient sur l'île de la Cité. On sait aujourd'hui (du moins on en est quasiment sûr) qu'ils vivaient à Nanterre.

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