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17 octobre 2012 3 17 /10 /octobre /2012 06:24

             Vercingétorix

 

     Chapitre XXI - L'œuvre et le caractère de Vercingétorix

 

1. Résumé et brièveté de sa carrière historique.

 

Vercingétorix survécut six ans à sa défaite ; mais sa carrière historique finit à l’instant où César ordonna de le traiter en captif.

Elle avait commencé il y avait moins d’un an : elle tenait à peine dans trois saisons. Vercingétorix était apparu au cours de l’hiver : il disparaissait avant que l’hiver fût revenu. L’épopée dont il avait été le héros dura l’espace de dix mois.

En décembre et en janvier, c’est l’insurrection de la Gaule qui s’organise, en un clin d’oeil, dans un pays que César regardait comme soumis. En mais, c’est le siège d’Avaricum, où Vercingétorix montra pour la première fois à son adversaire une armée celtique qui sût obéir à la discipline. En mai, la résistance de Gergovie ne laisse plus à César que l’espoir de la retraite. Puis, brusquement, en été, survient cette bataille de Dijon où le proconsul romain ne l’emporta qu’au péril de sa vie. Et enfin, à l’entrée de l’automne, se déroule et finit le triple drame d’Alésia, où près de quatre cent mille hommes se réunirent pour décider du sort de Vercingétorix.

L’œuvre du roi des Arvernes, dans l’histoire des grands ennemis de Rome, n’est point à coup sûr comparable à celle d’Hannibal et de Mithridate ; elle n’en a pas l’étendue, la variété, la portée générale. Vercingétorix n’arma qu’une nation, et les deux autres dirigèrent la moitié du monde. Mais, comme tension de volonté et application d’intelligence, les trois campagnes d’Avaricum, de Gergovie et d’Alésia, ramassées en unver2.jpg semestre, valent Trasimène, Cannes et Zama, échelonnées en dix-huit ans.

Puis, le Gaulois eut sur les adversaires de Rome, sur les deux plus grands, Hannibal et Mithridate, comme sur les moindres, Jugurtha, Persée, Philippe, l’avantage de ne combattre qu’avec la force de la jeunesse, et d’être brisé d’un seul coup. À défaut de la victoire, la fortune lui a donné le privilège de ne point vieillir dans la défaite et de ne point s’enlaidir à la recherche d’un asile et dans les craintes de la trahison. Sa courte vie de combattant eut cette élégante beauté qui charmait les anciens et qui était une faveur des dieux.

 

2. Son mérite comme administrateur et son influence sur les hommes.

 

Jugeons de plus près ce qu’il a accompli dans ces dix mois.

Sans avoir fait l’apprentissage de l’autorité, Vercingétorix s’est montré, du premier coup, digne de l’exercer. Je ne parle pas seulement de son mérite de chef militaire, je l’examinerai tout à l’heure. Mais il m’a semblé entrevoir en lui quelques-unes de ces qualités administratives qui donnent seules le droit de gouverner les hommes.

Il a le goût des ordres précis et la volonté d’être ponctuellement obéi ; il fixe des dates, indique des chiffres, marque des lieux de rendez-vous : ses décisions sont prises sans tâtonnement dans la pensée, sans flottement dans l’expression. Il sait que le commandement d’autant mieux exécuté qu’il est plus rapide, plus net et plus clair. Ses secrets sont bien gardés, et c’est une des plus rares vertus des gouvernants que d’obliger leurs auxiliaires à se taire : au moment de la conjuration de la Gaule, tandis que Comm se laisse dénoncer à Labienus, personne ne parait avoir connu les manœuvres de Vercingétorix ; et même au dernier jour d’Alésia, c’est encore à l’improviste qu’il se montre à César.

Il a la perception très lucide de ce qu’il faut faire pour arriver à un résultat déterminé : qu’il s’agisse de masser des troupes sur un même point à l’heure utile, ou d’amener des assemblées d’hommes à se résoudre au jour opportun. Il est réfléchi, consciencieux et logique. Il évalue avec justesse les instruments, soldats ou chefs, étapes de marches ou passions politiques, qu’il lui faut mettre en œuvre. J’imagine qu’il sut jauger les chefs ses égaux, s’il est vrai qu’il les effraya d’abord et les acheta ensuite : et il a reconnu les bons, si Lucter et Drappès ont été ses principaux auxiliaires. Il a l’expérience des faiblesses de la foule : voyez avec quelle habileté il a écarté des Gaulois, impressionnables comme des femmes, la vue des fugitifs d’Avaricum ; et c’est peut-être parce qu’il a soupçonné les lâchetés des grands qu’il s’est offert en victime expiatoire. Ses négociations avec la Gaule furent habiles, puisque après tout il l’a soulevée presque entière, et s’est fait accepter d’elle comme chef.

Sa grande force sur les hommes venait de ce qu’il ne les craignait pas. Il affronta toujours les siens, conseil ou multitude, du même air de bravoure tranquille qu’il affronta, vaincu, le tribunal de César. Aussi obtint-il des Gaulois non certes tout ce qu’il aurait voulu, mais au moins ce que pas un autre Gaulois, avant et après lui, ne put leur imposer. Gens d’indiscipline, il les mata sans relâche. Prés d’Avaricum, ils voulaient combattre : il les laissa à portée de l’ennemi, ne les empêcha pas de le voir, et les fit y renoncer. Au pied de Gergovie, il arrêta à son gré l’élan de la poursuite. L’idéal des soldats celtes était la bataille : il la leur refusa toujours, à une fois près, qui fut la journée de Dijon. Tous ses compagnons tiennent à leurs richesses : il put un jour décider le plus grand nombre à les brûler eux-mêmes. Les Gaulois répugnaient au travail matériel : il les habitua à faire une besogne de terrassiers.

Car il savait la manière de parler et de plaire. En dehors du conseil des chefs, où la jalousie ne désarmait pas toujours, il paraît avoir été fort aimé dans la plèbe des soldats ; elle l’acclamait volontiers, et il est probable que Vercingétorix, comme son prédécesseur Luern, prenait avec elle des allures de démagogue. Il eut en tout cas, d’un chef populaire, l’éloquence fougueuse et entraînante. Même à travers la phrase paisible de César, on devine qu'il était un orateur de premier ordre. Il avait le talent de faire vibrer les passions, et d'en tirer, en toute hâte, les adhésions qui lui étaient nécessaires : peu d'hommes ont su, comme lui, retourner les volontés ou changer les sentiments d'autres hommes. Accusé de trahison au moment où il prend la parole, il termine en étant proclamé le plus grand des chefs. Les Gaulois sont battus à Avaricum, et, sur un mot de Vercingétorix, ils se persuadent presque qu'ils sont invincibles.

Mélange d'entrain et de méthode, de verve et de calcul, l'intelligence de Vercingétorix était de celles qui font les grands manieurs d'hommes : je ne doute pas qu'elle ne fût de taille à organiser un empire aussi bien qu'à sauver une nation. — À moins, toutefois, que le désir de vaincre et la continuité du péril n'aient tendu cette intelligence à l’extrême et ne lui aient donné une vigueur d'exception : tandis qu’en des temps pacifiques, elle se serait peut-être inutilement consumée.

 

À suivre...

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13 octobre 2012 6 13 /10 /octobre /2012 07:28

             Vercingétorix

 

     Chapitre XX - Transformation de la Gaule.

 

4. Transformation des grands dieux.

 

Les dieux, au contraire, ne sortirent pas de leurs sanctuaires : ils se transformèrent sur place, aussi rapidement que les hommes. Déjà, et même avant Vercingétorix, ils avaient dans leur caractère et leur attitude quelques traits de ressemblance avec les dieux de la Grèce et de Rome. Quand César parle de Bélénus et de Teutatès, il les appelle, à la Latine, Apollon et Mercure. Ils lui paraissent si voisins des dieux publics du peuple romain, qu’il se plait à ne point distinguer les uns et les autres : comme s’il voulait montrer aux Gaulois qu’adorant des divinités semblables à celles de Rome, ils pouvaient bien obéir à son proconsul. De fait, pendant la guerre de l’indépendance, les patriotes ont pu croire que leurs dieux s’entendaient avec Rome : c’est la divinité, disaient-ils, qui aidait les légionnaires à construire leurs formidables engins de siège ; c’est elle qui a trahi Uxellodunum.

Les divinités celtiques, pas plus que celles de l’Italie et de la Grèce, n’avaient la haine tenace. Elles étaient faites à l’image d’Éporédorix et de Diviciac. Elles ignoraient l’âpre obstination des dieux sémitiques, la folie courageuse des patrons d’Hasdrubal et de Barcochébas, le tempérament irréductible de Iahvé. Dès les temps de Vercingétorix et de Lucter, Bélénus et Teutatès s’estompaient dans le crépuscule en prenant peu à peu une forme latine, tandis que les deux grands chefs se dressaient, toujours en armes, sur les hauts lieux de leur patrie.

Les Gaulois, une fois soumis, affublèrent de titres romains plus volontiers encore leursmercure-gallo-romain1 dieux que leurs familles et leurs villes. Le nom de Bélénus fut rapidement oublié pour celui d’Apollon. Les divinités des montagnes et des sources arvernes se dissimulèrent sous la protection de Jupiter ou de Mars. Le principal dieu gaulois changea, de gré ou de force, son nom de Teutatès en celui de Mercure ; et, ce qui fut plus grave, il reçut un à un les attributs du dieu gréco-romain, le pétase et le caducée, la bourse et les talonnières, l’élégance et la jeunesse.

Ne disons pas que Teutatès fut chassé par Mercure de son sanctuaire. Ce qui se produisit fut tout différent. Les peuples continuèrent à visiter les mêmes temples, à gravir les mêmes sentiers qui conduisaient aux sommets consacrés ; ils n’eurent pas à modifier leurs habitudes de prières et leurs chemins de dévotions ; et ils ne trouvèrent pas subitement un dieu romain à la place du dieu celtique. Ce fut celui-ci qui se transfigura par degrés, qui se perfectionna, comme un fils de Gaulois sous les leçons des rhéteurs latins.

 

5. Le Puy de Dôme cent ans après Vercingétorix.

 

Au temps de Néron, un siècle après la chute d’Alésia, la Gaule avait à peu près fini sa transformation extérieure : je ne parle, bien entendu, que de la noblesse, des grands dieux, et des villes capitales.

Nulle part, alors, on n’avait une impression plus nette et plus forte de ce qu’elle était devenue, qu’en s’arrêtant au sommet du Puy de Dôme, et en contemplant l’horizon arverne, celui sur lequel s’était si souvent posé le regard de Vercingétorix. — La vieille montagne autrefois l’asile redouté d’une divinité aux rites sanglants, est maintenant la résidence d’un dieu à la figure accorte et à l’humeur hospitalière, dont la statue colossale rayonne au milieu des bigarrures des marbres précieux. Dans la plaine prochaine, Augustonémétum ou Clermont apparaît avec ses temples au fronton grec et ses statues en toge romaine. Et en face de la cité nouvelle, se dresse, solitaire et farouche, le mont désert de Gergovie.

 

6. Tentatives de révolte en 69-70 : le congrès de Reims et la fin du patriotisme gaulois.

 

Qu’après cela, l’occasion s’offre à la Gaule de reconquérir sa liberté : on peut être sûr qu’elle ne la saisira pas.

Au milieu des désordres qui accompagnèrent la mort de Néron (69), l’empire romain parut entièrement disloqué, et le symbole même de sa grandeur, le Capitole, s’effondra dans l’incendie. Comme au moment des guerres civiles qui avaient suivi le départ de César et le passage du Rubicon, les bardes se remirent à chanter ou les druides à prophétiser : Même après la bataille de l’Allia, disaient-ils, le Capitole était resté debout, et l’empire de Rome avec lui : le voilà tombé maintenant, les dieux ont allumé son incendie comme un signal de leur colère, comme un présage pour assurer aux nations celtiques la conquête de l’univers. Quelques chefs, s’enthousiasmant à leur tour dans la verve de leurs entretiens, crurent à l’avènement de l’empire des Gaules ; ils s’écriaient, imitant Vercingétorix après Avaricum, que leur race, lancée sur le monde, ne s’arrêterait plus qu’au gré de sa volonté : et ceux qui entendaient ces harangues croyaient et applaudissaient (70).

Mais chants de poètes, prophéties de prêtres, propos d’exaltés, n’étaient plus alors que de vains bruits, l’écho vague et inconscient des choses d’autrefois. Ni les peuples ni les dieux de la Gaule ne comprenaient le sens de ces grands mots.

La prudence revint aussi vite que la folie. Un conseil général se réunit à Reims, pour délibérer sur la paix ou la liberté : la liberté celtique ou la paix romaine. Mais ce congrès ne ressemblait que par son titre et par le nombre des chefs à celui du Mont Beuvray. Tout y était d’aspect romain. La plupart, et peut-être la totalité de ces hommes, étaient citoyens, et portaient des noms latins. La ville où ils siégeaient, librement étendue dans la plaine, était une cité moderne, et ne connaissait plus que les dieux nouveaux, Mercure, Rome et Auguste. Enfin, les paroles qui furent prononcées montrèrent que les âmes avaient changé comme l’extérieur.

Un délégué trévire s’éleva avec violence contre l’empire romain. Un chef rémois lui répondit, en célébrant les bienfaits de la paix et les avantages de la soumission. L’assemblée loua les intentions du Trévire et adopta les sentiments du Rémois.

Ce qui l’inquiéta le plus, ce fut l’incertitude du lendemain : Si l’on se levait contre Rome, à quelle nation reviendrait l’honneur de commander ? Si l’on remportait la victoire, quelle ville serait la capitale du nouvel empire ? Il y eut même des chefs qui, dans le cours des débats, affirmèrent les droits de leur peuple au principat de la Gaule, comme avaient fait les Éduens avant l’assemblée du Mont Beuvray.

Cela suffit pour décider le congrès de Reims à faire une déclaration de fidélité au peuple romain. Par crainte d’une hégémonie celtique, les Gaulois préférèrent l’égalité dans la dépendance, et ils attendirent avec respect les ordres du légat de Vespasien.

Les rivalités qui avaient assuré la victoire de César subsistaient toujours en Gaule ; mais il n’y restait plus aucun des sentiments qui avaient inspiré Vercingétorix.

 

À suivre...

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10 octobre 2012 3 10 /10 /octobre /2012 07:06

             Vercingétorix

 

     Chapitre XX - Transformation de la Gaule.

 

1. Progrès de la patrie romaine.

 

Ce jour-là, les Romains avaient chanté, sur le passage du dictateur : Les Gaulois suivent le triomphe de César : mais il les mène ensuite siéger dans le sénat. Ce qui n’était alors qu’une boutade populaire devint bientôt une réalité.

Il restait encore des témoins de la lutte qu’avait dirigée Vercingétorix : les familles des chefs qui avaient combattu avec lui ; les villes qu’il avait armées et défendues contre César ; les divinités dont il avait cru faire la volonté. Les deux générations qui suivirent sa mort, celles qui obéirent à Octavien Auguste (44 av.-14 ap. J.-C.), virent ces témoins disparaître ou se transformer. Ces êtres gaulois ne furent plus seulement soumis à Rome, mais romains d’apparence et d’intention. Les Celtes se préparèrent à aimer le peuple qui les avait vaincus, en copiant ses hommes, sa ville et ses dieux. Leur patriotisme romain naquit peu à peu de l’oubli des traditions gauloises.

 

2. Transformation des chefs.

 

Si quelques chefs s’agitèrent encore, ce fut chez les peuples qui avaient le moins dépendu du roi de Gergovie : les Bellovaques, les Aquitains, les Morins et les Trévires. Mais la noblesse des nations qui s’étaient confédérées à Bibracte, cherchaient, comme on disait à Rome, le chemin qui mène au sénat.

César ou Auguste donnèrent aux plus grands chefs le titre de citoyens romains : ils170 s’appelèrent désormais du nom de Julius et entrèrent ainsi dans la grande tribu des Jules, qui fournissait au monde une famille divine. Dans leurs cités, ils administraient paisiblement leur peuple sous la surveillance du gouverneur provincial : ils ne tarderont pas à échanger l’appellation barbare de vergobret, pour la qualité plus élégante de préteur. Aux frontières, ils redevenaient chefs de guerre, et combattaient les Germains à la tête des hommes de leurs tribus ; mais, officiers de Rome, ils prenaient le titre de préfets de la cavalerie : Rome leur avait ôté l’indépendance, elle leur laissait le pouvoir, orné d’un grade supérieur dans l’armée de l’empire. Comment résister à de telles séductions ? Le fils ou le petit-fils d’Éporédirix l’Éduen, peut-être l’ancien ami du proconsul, porte les noms de Caïus Julius Magnus, comme s’il ne valait dans le monde que par les noms de César ou le surnom du grand Pompée ; il donne à son fils, Lucius Julius Calénus, le surnom qui avait été celui d’un légat de César, et ce dernier héritier d’une vieille famille éduenne deviendra tribun militaire.

À voir ces hommes, sinon à les entendre, nul ne les distingue plus des descendants de sénateurs romains. Les nobles éduens avaient du goût pour la prêtrise et la passion de l’autorité : on prit chez eux le premier grand-prêtre qui fut chargé, au nom de la Gaule, de célébrer devant l’autel du Confluent lyonnais le culte de Rome et d’Auguste : et c’est par cette suprême dignité religieuse que les mieux nés ou les plus heureux de tous les Gaulois pourront terminer leur carrière militaire et civile.

Ils se gardaient bien, sur les monuments ou les tombeaux qu’ils se faisaient élever, de rappeler des souvenirs qui ne fussent pas romains. On a retrouvé près de Cahors la dédicace d’une statue élevée à un Lucter, descendant ou parent de ce Cadurque qui fut le meilleur collaborateur de Vercingétorix, et qui mourut peut-être avec lui, le jour du triomphe de César ; elle porte ces mots, en langue romaine : À Luctérius, fils de Luctérius, qui a rempli tous les honneurs dans sa patrie, qui a été prêtre de l’autel d’Auguste au Confluent, la cité des Cadurques reconnaissante a élevé cette statue. À quinze lieues de là, Uxellodunum, où son ancêtre avait armé les Cadurques contre César, n’était plus qu’une ruine abandonnée : mais, dans la nouvelle résidence assignée au peuple, les noms et les titres de Luctérius s’étalent en formules latines sous une statue drapée de la loge romaine.

 

3. Transformation des grandes villes.

 

Car les grandes villes gauloises de montagne, comme Uxellodunum, Alésia, Bibracte, Gergovie, avaient été désertées pour des séjours plus abordables et plus pacifiques ; puissamment assises sur des roches en partie inaccessibles, elles inquiétaient Rome par ce qu’elles valaient et par ce qu’elles rappelaient : Alésia et Uxellodunum n’avaient été prises que par la faim ou la soif, Bibracte et Gergovie étaient demeurées inviolables. Elles cessèrent, peu d’années avant l’ère chrétienne, d’être des capitales de peuples et des refuges de tribus.

Alésia descendit de son plateau pour s’installer dans un repli de la montagne. Les Éduens quittèrent l’escarpement du Beuvray, et s’établirent, au delà de l’Arroux, sur les pentes gracieuses et mollement inclinées des collines autunoises. Les Arvernes remplacèrent leur triste donjon de Gergovie par les terres grasses et ondulées du nord de l’Artières. Des villes neuves furent bâties près des plaines, à mi-coteau, pour servir de capitales aux grandes nations de la Gaule : Augustodunum ou Autun, Augustonémétum ou Clermont. Car, pour leurs nouvelles cités, Éduens et Arvernes acceptèrent des appellations nouvelles, et ces noms, comme ceux de Caïus ou de Julius que portaient les nobles, étaient des marques de dépendance. Augustodunum, c’est la ville-dortoir d’Auguste, Augustonemetum, c’est le bois sacré d’Auguste. Pendant que les chefs entraient dans la clientèle impériale, les villes prenaient l’empereur comme fondateur éponyme.

 

À suivre...

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6 octobre 2012 6 06 /10 /octobre /2012 06:33

            Vercingétorix

 

     Chapitre XIX - Soumission de la Gaule et mort de Vercingétorix.

 

4. Départ de César et vaines espérances de soulèvement.

 

César resta au delà des Alpes un an encore. Mais il négligea ces derniers repaires de l’indépendance pour se consacrer tout entier à organiser et à pacifier sa conquête. Il avait épuisé la Gaule, dans ces huit années de guerre, par des massacres d’hommes et des ramas de captifs ; il l’avait terrifiée, dans les dernières campagnes, par les exécutions d’Avaricum et d’Uxellodunum ; il la contenait, depuis la chute d’Alésia, par la soumission des Arvernes et des Éduens : il passa l’année (50) à se la concilier par sa politique. Aussi, quand, à l’approche de l’hiver, il la quitta pour ne plus revenir, personne ne bougea.

Derrière César, les légions s’acheminèrent à leur tour vers le Midi, et l’armée qui avait dompté la Gaule l’évacua pour chercher d’autres champs de bataille.

À ce moment-là, quelques Gaulois paraissent avoir souhaité une dernière aventure. Les bardes reprirent leurs lyres et chantèrent les gloires d’autrefois. Les druides immolèrent à leurs dieux de nouvelles victimes humaines. Prêtres et poètes, qui fournissaient à la Gaule indépendante ses moissons de poèmes et de sacrifices, perdaient avec la domination latine leur influence et leur gagne-pain : ils espéraient que les guerres civiles de Rome, en rappelant les légions, laisseraient place à la revanche celtique.

Mais ceux qui conseillèrent de telles illusions, étaient ceux qui n’avaient point à se battre, et leurs dieux ne suscitèrent aucun chef pour reprendre l’œuvre de Vercingétorix.

 

5. Rôle des Gaulois dans l’armée de César et dans les guerres civiles.

 

Ce renoncement à l’indépendance s’expliquait aussi par d’autres motifs que la lassitude, la crainte, ou le respect de César.

Tous ceux qui avaient survécu des Gaulois capables de monter à cheval et de paraître en rang de bataille, le proconsul des Gaules les appela à lui et leur montra des combats à livrer dans le monde entier. Ces hommes partaient toujours allègrement pour la guerre, et n’étaient timides que dans la détresse. Ils trouveraient, près de leur proconsul devenu dictateur, la certitude du butin et la joie de la lutte sans la crainte du lendemain.

Avant même que la guerre civile éclatât, on disait à Rome (décembre 50), que César aurait sous ses ordres autant de cavaliers qu’il voudrait : la Gaule les lui donnerait sans compter. Il en fut ainsi. La première année (49), il fit venir en Espagne trois mille Gaulois, tous membres de la haute noblesse ; et pour être sûr qu’ils répondissent à son appel, il les avait désignés un par un, tels qu’il les avait connus comme alliés ou adversaires : si on se demande où pouvaient être alors Viridomar et Éporédorix, qu’on ne les cherche pas ailleurs que dans le camp de César, préfets des cavaliers éduens auxiliaires du peuple romain. Il n’a pas besoin de fantassins gaulois, inhabiles à combattre chez eux et hors de chez eux ; mais il envoie chercher les coureurs ligures, les piétons aquitains, et ces archers rutènes dont Vercingétorix lui a montré la valeur. Toutes ces troupes franchirent les Pyrénées, avec un long convoi de bagages et de chars, semblables à une nouvelle migration de Celtes.

César continua à drainer vers le Sud ce que les nouvelles générations de Gaulois fournissaient de meilleurs comme combattants. Il reçut des hommes sans relâche, et jusqu’à dix mille cavaliers. Il les promena à sa suite en Espagne, en Italie, en Grèce, en Égypte, en Afrique enfin. S’il y en eut quelques-uns qui répugnèrent à le servir, ils eurent la ressource de le combattre sous les ordres de Pompée ou de Labienus, devenu l’ennemi de son ancien proconsul. Comme on les faisait marcher contre des chefs romains, leur amour-propre celtique était satisfait : en un sens, ils conquéraient le Capitole, et de plus, le Phare d’Alexandrie et les ruines de Carthage. Les poètes de chez eux ne célèbreraient jamais de plus longues équipées que celles où César les conviait ; et les Gaulois eurent rarement un plus bel exploit à raconter que celui de la plaine d’Hadrumète, où moins de trente cavaliers de leur race chargèrent et dispersèrent deux mille chevaux ennemis.

Ces chevauchées durèrent trois ans et prirent fin en Afrique (printemps de 46), quand on eut achevé le circuit de la Mer Romaine. Il se passa, dans les dernières rencontres, des faits mémorables. Les Gaulois de Labienus et les Gaulois de César se trouvèrent en présence : durant les suspensions d’armes, ils se rapprochaient, et s’entretenaient en amis de leurs pensées communes ; aux heures de combat, ils s’entretuaient dans une lutte fratricide qui rappelait les temps des Arvernes et des Éduens. Un jour, ils firent les uns des autres un formidable massacre, et César, survenu après la bataille, aperçut toute la plaine jonchée de cadavres gaulois, corps merveilleux de beauté et d’une stature grandiose. De ces hommes, les uns l’avaient suivi à son départ de la Gaule, d’autres l’avaient rejoint à sa demande : et ils étaient morts pour défendre César ou Labienus, comme leurs frères d’Alésia avaient péri pour les combattre.

 

6. Triomphe de César et exécution de Vercingétorix.

 

Vercingétorix vivait encore. Si quelque bruit du dehors parvenait aux oreilles du prisonnier, il put apprendre toutes ces choses : que les Gaulois, ses amis ou ses ennemis d’autrefois, ne se battaient plus que pour le compte du peuple romain ; que leurs nations semblaient perdre jusqu’au souvenir des campagnes d’Avaricum, de Gergovie et d’Alésia ; que ces batailles d’Afrique, où tant de Celtes périrent du fait de César, étaient comme le dernier épisode de la destruction de la patrie gauloise.

Cette même année, le dictateur, vainqueur de l’Afrique, revint à Rome, et eut assez de loisirs pour triompher solennellement de tous les ennemis qu’il avait vaincus, à commencer par les Gaulois.

C’est à la glorification de leur défaite que fut consacrée la première journée de son triomphe (juin 46).

Dans le cortège, des écriteaux et des tableaux rappelaient au peuple ce qu’avait été la guerre des Gaules : trente batailles rangées, livrées en présence de César, 800 places prises de force, 300 tribus soumises, trois millions d’hommes combattus, un million de tués, un million de pris. Des hommes portaient les dépouilles précieuses, les armes des vaincus, l’or des temples, les bijoux des chefs. Et, derrière les victimes destinées aux dieux, la Gaule apparut elle-même, en la personne de Vercingétorix enchaîné.169.jpg

Le dernier acte de son sacrifice s’accomplit le soir même. Il avait vu le triomphe de son vainqueur, il ne lui restait plus qu’à mourir. Au moment où le cortège, sortant du Forum, gravit les pentes du Capitole à la lueur des lampadaires que portaient quarante éléphants, le roi des Arvernes fut conduit dans la prison creusée au pied de la montagne sacrée ; et pendant que César amenait ses autres victimes à Jupiter, Vercingétorix fut mis à mort.

 

À suivre...

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3 octobre 2012 3 03 /10 /octobre /2012 07:20

             Vercingétorix

 

     Chapitre XIX - Soumission de la Gaule et mort de Vercingétorix.

 

1. César se réconcilie avec les Éduens et les Arvernes.

 

Vercingétorix aux mains de César, les destinées de la Gaule s’accomplirent rapidement. Il ne restait au proconsul qu’à ramener à lui ses anciens amis, et à punir les obstinés.

Il bénéficia d’abord de nombreuses défections. Si la Gaule ne connut pas alors la trahison brutale, celle qui livre à l’ennemi le corps du chef, elle vit celle qui désavoue l’allié vaincu, qui renie ses sentiments et ses espérances.

Après Vercingétorix, les autres chefs assiégés se donnèrent à leur tour, les armes furent apportées, et César opéra la mainmise du vainqueur sur tous les hommes et sur toutes les choses qui se trouvaient dans Alésia.

Il avait accepté, sans le dire peut-être expressément, que Vercingétorix servit de victime expiatoire aux deux principales nations. Car il se hâta de faire un triage parmi ses prisonniers : il réserva le sort des Arvernes et des Éduens, hommes et chefs, au nombre d’environ 20.000. Le reste des vaincus furent distribués comme esclaves entre les soldats de toute l’armée : le moindre combattant put avoir son captif.

Les Éduens et les Arvernes étaient prêts à tout pour recouvrer la liberté et quelque chose de plus. Par leur intermédiaire, César n’eut pas de peine à s’entendre avec leurs compatriotes de Gergovie et de Bibracte. Il se rendit chez les Éduens, il y reçut l’hommage public de leur peuple, il y accueillit les députés arvernes, qui se mirent à sa merci : j’imagine qu’Épathnact, le très grand ami du peuple romain, était parmi ces derniers. Aux uns et aux autres il restitua leurs concitoyens pris dans les combats et lors de la reddition d’Alésia, renonçant à exercer sur eux et sur leur nation les droits de la victoire. Lui-même s’établit au Mont Beuvray, quartier général, pendant l’été, de la Gaule soulevée, et pendant l’hiver, de César vainqueur. À Rome, on remercia les dieux par vingt jours d’actions de grâces.

Les deux nations qui avaient dirigé la lutte se retrouvèrent dans la même situation politique qu’il y avait un an. Les Éduens redevinrent les alliés du peuple romain, et recouvrèrent leur clientèle et leur autorité dans la Gaule : César les inscrira à nouveau parmi les cités fédérées de l’Empire, à côté des Rèmes et des Lingons. Il déclarera les Arvernes une cité libre, il ne toucha pas à son épée, consacrée aux dieux gaulois dans un de leurs temples, et les anciens sujets ou rivaux de Vercingétorix purent se croire deux fois autonomes, parce qu’ils ne devaient ni l’obéissance à un roi ni le tribut au peuple romain.

Mais cette alliance entre Éduens et Romains, cette liberté des Arvernes étaient, l’année précédente, sinon réelles, du moins encore apparentes. Désormais, elles ne seront même pas précaires, et ces mots ne valent plus que comme les formules les plus élégantes de l’incorporation à l’empire.

 

2. Organisation de la résistance par les chefs patriotes.

 

 À l’honneur de la Gaule, ce double exemple ne fut pas suivi par la majorité des tribus. Les survivants des amis de Vercingétorix étaient décidés à tenir encore. De nouveaux pourparlers s’engagèrent entre les chefs et entre les cités.

On répétait de plus en plus que César arriverait dans quelques mois au terme de son commandement ; et, si les vaincus avouaient que toute lutte d’ensemble ne pouvait finir que par l’écrasement de la Gaule, ils espéraient encore venir à bout de leur adversaire en le forçant à disséminer ses légions : qu’on lève partout des armées, qu’on suscite la guerre sur tous les points, qu’on allume des incendies de toutes parts, et le proconsul, affamé et éperdu dans un pays saccagé, n’aura ni le temps, ni les troupes, ni les vivres nécessaires pour réduire à l’impuissance un ennemi insaisissable. Qu’il ne fût pas dit que la Gaule eûtambiorix2.jpg manqué de constance avant d’avoir manqué d’hommes.

C’était le meilleur des plans de Vercingétorix que reprenaient ses anciens auxiliaires : le Cadurque Lucter, le Sénon Drappès, l’Aude Dumuac, Gutuatr le Carnute, Sur l’Éduen, Comm l’Atrébate, sans parler du chef des Bellovaques Correus et de l’Eburon Ambiorix, toujours vivant.

Quatre groupes de combattants se dessinèrent dans le cours de l’hiver.

Au Nord, dans le bassin de Paris, les Bellovaques, sur l’ordre de Correus, se levèrent en masse, et furent rejoints par les Ambiens, les Atrébates, les Calètes, les Véliocasses et les Aulerques : Belges et Celtes fraternisèrent. Comm apporta à cette armée l’appui de son expérience, et se chargea notamment de lui assurer quelques auxiliaires germains pour tenir tète à ceux de César. — Au Nord-Est, les Trévires, chez qui Sur s’était réfugié, firent leur paix avec les Germains, et acceptèrent leur concours : peu importait aux Transrhénans de combattre tour à tour les Romains et les Gaulois. De ce côté, Ambiorix avait encore reparu. — Au Centre, Dumnac assiégeait Poitiers, toujours fidèle aux Romains. Il avait une assez nombreuse armée, et se sentait soutenu par les Carnutes, les Bituriges et les peuples de l’Armorique. — Au Sud enfin, Lucter et Drappès organisaient la résistance dans les régions du Limousin et du Quercy, ce qui n’était pas sans danger pour la province romaine elle-même.

Les huit chefs que nous venons de citer, donnèrent, par leur persévérance, un démenti au jugement que César avait porté sur les Gaulois, et que d’ailleurs Alésia avait confirmé : Toujours prêt à entrer gaiement en campagne, ce peuple faiblit dès qu’il s’agit de résister au malheur. Ceux-là du moins, quoique appartenant aux nations les plus diverses, surent imiter Vercingétorix, et demeurer fidèles à leur cause jusqu’à la prison ou à la mort.

 

3. Campagnes de 51. Destinées des différents chefs.

 

Mais leur plan échoua. D’abord parce que les cités, comme les Bituriges avant le siège d’Avaricum, ne firent pas les sacrifices nécessaires. Ensuite parce que César ne donna pas aux chefs le temps de se concerter : débarrassé de Vercingétorix, il redevint ce « prodige de célérité » qu’admirait Cicéron.

Il rentra en campagne trois mois après la chute d’Alésia, le 25 décembre 52. Deux incursions rapides chez les Bituriges et les Carnutes décidèrent ceux-là à se soumettre, ceux-ci à se disperser. Gutuatr ne fut pas pris, mais César laissa deux légions à Génabum, et les conjurés du Centre et du Sud, Dumnac, Drappès et Lucter, furent séparés de Comm et de la ligue bellovaque.

César se tourna alors contre ces derniers. Comm, Correus et leurs alliés firent tout ce qui était humainement possible pour n’être point vaincus. Ils suivirent les leçons de Vercingétorix, ils rompirent avec toutes les habitudes de la témérité barbare, choisissant pour leurs camps des positions imprenables, essayant d’affamer leur adversaire, fuyant les grandes batailles, évitant d’être bloqués, recourant même à d’assez bons stratagèmes. Mais à la fin le proconsul put les contraindre à combattre, c’est-à-dire à se faire vaincre, et Correus, ne voulant pas se livrer, s’arrangea de manière à se faire tuer. Comm échappa, ainsi que toujours, et il recula vers le Nord avec ses cavaliers, essayant peut-être de donner la main aux combattants de la Meuse et de la Moselle.

Ceux-ci eurent affaire tour à tour à César et à Labienus. Le premier brûla et pilla une fois de plus le pays éburon : mais Ambiorix fut introuvable. Labienus, plus heureux que son proconsul, battit sérieusement les Trévires et les Germains, et s’empara des chefs, y compris Sur l’Éduen. Les rangs des patriotes s’éclaircissaient rapidement.

Les combats furent aussi nombreux et aussi graves au centre et au sud de la Gaule, où commandaient deux légats de César. Celui de la Loire, le méthodique C. Fabius, procéda avec ordre. Il eut raison des troupes de Dumnac, dans une bataille, montra les légions romaines une fois encore aux Carnutes, et reçut la soumission de l’Armorique. Mais lui aussi ne put saisir son principal adversaire : Dumnac s’enfuit très loin, et disparut au Nord-Ouest vers la fin des terres gauloises.

C. Caninius Rébilus, dans la vallée de la Dordogne, eut en face de lui les deux plus aventureux compagnons d’armes de Vercingétorix, Drappès et Lucter. Ils avaient réuni à eux les bandes fugitives, conçu l’audacieux projet de prendre l’offensive dans la Narbonnaise même, et d’y faire cette guerre de pillages et de vengeances que Vercingétorix avait tenté deux fois d’y soulever. Rébilus parvint à les entraver ; ils gagnèrent alors Uxellodunum sur la Dordogne, avec la même dextérité que leur ancien chef s’était réfugié dans Gergovie.

Uxellodunum était imprenable de vive force. Pour n’avoir point à redouter un blocus, les deux chefs se hâtèrent d’y accumuler les vivres. Lucter pensait sans cesse au sort d’Alésia, qu’il avait failli partager : elle avait été vaincue autant par la faim que par les armes. Et, avec une continuité de confiance qui le distingue des autres Gaulois, il espérait, s’il échappait à la famine, échapper aussi aux Romains, et peut-être même, par la force de son exemple, décider la Gaule à résister jusqu’au départ de César. Par malheur, il se laissa vaincre par le légat et rejeter hors de la place. Drappès à son tour fut battu et pris. Mais les défenseurs d’Uxellodunum ne se découragèrent pas, aussi tenaces que leurs chefs. Alors César arriva.

La marche de César, depuis la Meuse jusqu’à la Dordogne, marqua la Gaule d’une traînée sanglante. Chez les Carnutes, visités une troisième fois de l’année par les armées romaines, il put enfin, après une étonnante chasse à l’homme, mettre la main sur Gutuatr. Lui et ses légions avaient à tout prix besoin, pour être en règle avec les dieux de Rome, du corps de l’homme qui avait donné le signal de la lutte à toute la Gaule et à Vercingétorix lui-même. L’exécution du chef carnute fut faite en vue de toute l’armée, et il semble que César ait permis à chaque soldat de prendre un peu du sang de celui qui avait versé le premier sang romain. Il fut battu de verges par tous ceux qui se présentèrent, et il n’était guère plus qu’un cadavre quand on se décida à le frapper de la hache.

À Uxellodunum, César, ne pouvant recourir à la force ou à la famine, essaya d’un moyen plus sûr encore, la soif. Il bloqua par une terrasse l’accès de la principale source, il la capta ensuite par des conduits souterrains. Les défenseurs de la ville, se sentant, comme Vercingétorix dans Alésia, abandonnés par leurs dieux, se rendirent à César. Il leur lit couper les mains, et les renvoya, vivants et libres, et montrant par toute la Gaule leurs bras mutilés, signe indélébile de la vengeance du peuple romain. Drappès, qui était prisonnier, se laissa mourir de faim ; Lucter fut pris par l’Arverne Épalhnact, qui le livra à César.

Comm, Dumnac et Ambiorix restaient encore. Connu battit les routes jusqu’à l’hiver, harcelant les convois des Romains, espérant toujours amener quelque révolte et voir poindre quelque allié. Mais, quand il fut presque seul, traqué de toutes parts, il parut se lasser et se rendre, assez habile d’ailleurs pour obtenir la vie et la liberté. Il finit par regagner davantage : car de tous les chefs gaulois que connut César, ce fut celui qui avait l’esprit le plus fertile en ressources. Il put s’évader de la surveillance où le tenaient les Romains ; il s’embarqua pour la Bretagne ; il échappa, par une dernière ruse, à la poursuite des vaisseaux ennemis que commandait, disait-on, César lui-même. Il trouva dans l’île quelques amis, y fut rejoint par des Atrébates, et réussit à fonder un peuple sur les bords de la Tamise, que son fils gouverna plus tard comme roi. Des survivants de la conjuration de 52, Comm fut le seul qui parvint à demeurer à la fois chef de tribu et libre de l’étranger. Dumnac et Ambiorix ne gardèrent l’indépendance qu’à la condition de se cacher, aux deux extrémités opposées de la Celtique, celui-là peut-être en Armorique, celui-ci en Flandre. La Gaule put encore offrir, dans ses plus lointains marécages, un inviolable asile aux derniers émules de Vercingétorix.

 

À suivre...

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30 septembre 2012 7 30 /09 /septembre /2012 16:25

              Vercingétorix

 

     Chapitre XVIII - Vercingétorix se rend à César.

 

4. Motifs supposés de cette résolution.

 

— S’il quittait Alésia, même pour recommencer la guerre, il paraîtrait s’enfuir, craindre le combat, la défaite et la mort. Et il livrerait à l’impitoyable rancune de César ceux qui survivaient de l’armée assiégée : je parle des soldats et non des chefs. Ces Gaulois étaient les insurgés de la première heure ; ils avaient combattu avec lui devant Avaricum, dans Gergovie, autour d’Alésia ; il les avait formés : ils étaient à la fois ses hommes et son œuvre. Qu’il les abandonnât ou qu’il les conduisit à l’assaut, il les offrait également à la mort. Il n’en avait pas le courage.

— Puis, au delà des lignes de César, qu’aurait-il trouvé ? Vercingétorix ne savait rien de précis sur ce qui s’était passé dans le reste de la Gaule. Il avait vu venir des hommes, il les avait vus se battre en vain pendant quelques jours, il les avait vus s’enfuir : il ignorait quel appui et quel accueil il rencontrerait hors d’Alésia, et s’il ne se heurterait pas à quelque parti de traîtres ou de lâches prêts à le vendre froidement. Son compatriote, l’Arverne Épathnact, ne fera-t-il pas présent à César, l’année suivante, de Lucter enchaîné ?

— De quelque manière qu’il tombât entre les mains de César, ce dernier le ferait mourir. Il avait trop souvent arraché la victoire à cet orgueilleux de vaincre pour être pardonné de lui. La clémence de César n’était pas encore un de ces axiomes qui courent le monde au profit d’une ambition. Ambiorix traqué, Dumnorix égorgé, Acco exécuté, le sénat vénète massacré par ordre, l’incendie de Génabum, la tuerie des vieillards, des femmes et des enfants bituriges : voilà les exemples qu’on avait en ce moment de la manière habituelle du proconsul. Quant au peuple romain, il avait pu respecter la vie de grands rois comme Bituit ou Persée : mais Vercingétorix n’était qu’un roi d’occasion, et il devait connaître dans l’histoire du monde les morts d’Hannibal et de Jugurtha, les ennemis de Rome auxquels il ressemblait le plus.

— Je ne dis pas qu’il eût peur de mourir, ni de faim, ni sur le champ de bataille, ni dans la prison de César. Mais au moins pouvait-il faire que sa mort ne fût pas inutile à son peuple.

— S’il aimait vraiment ses hommes, il n’était pas sans défiance à l’égard des chefs de son conseil. Il n’en avait dompté quelques-uns que par la crainte des supplices. D’autres l’avaient accusé de trahison. Il y en avait qui, avant l’arrivée des secours, avaient parlé de se rendre. Il n’était pas sûr qu’il obtint d’eux une dernière bataille, qui leur couperait l’espoir, soit de vivre encore, soit de se faire pardonner par César. Qui sait même s’ils ne prendraient pas les devants en le livrant de leurs propres mains ? De ces chefs, les uns étaient des Arvernes, auxquels il avait imposé sa royauté, les autres étaient des Éduens, qu’il avait soumis à la suprématie de sa nation. L’heure de la patrie défaite est propice aux vengeances des partis politiques.

— Mieux valait qu’il mourût en s’offrant lui-même à César, de manière à épargner à la Gaule d’autres morts ou de nouvelles hontes, et à lui réserver, si elle voulait une revanche, le plus d’espérances et le plus de ressources.

— En se livrant au proconsul, il ne faisait, somme toute, que rendre justice à lui-même et à son rival. Il était vaincu et bien vaincu. Il avait combattu jusqu’au bout avec vaillance et intelligence : mais la légion romaine était plus brave que la tribu gauloise, et Jules César s’était montré général meilleur et plus heureux que lui. Vercingétorix dut avoir pour l’homme qui l’avait battu ce respect sincère et naïf que d’autres Gaulois témoignèrent à leurs vainqueurs.

— Mais il était vaincu, non pas seulement par un homme, mais par les dieux. Ce n’était pas en vain que Jules César avait un génie familier, cette Fortune qui ne l’avait jamais trahi, même au pied de Gergovie, même sur la croupe d’un cheval gaulois : si elle lui avait fait perdre son épée, elle lui avait rendu la victoire.

— Où étaient au contraire les dieux gaulois, Teutatès et les autres, auxquels Vercingétorix avait donné de si précieuses victimes ? Le roi des Arvernes avait le droit de croire qu’ils ne communiaient plus avec lui, et qu’ils regardaient avec complaisance vers les camps du peuple romain. L’étrange et rapide aventure qui venait de finir était l’ouvrage, moins des desseins des hommes que d’une volonté divine.

— Pour prix du salut des mortels, les dieux de sa race exigeaient la vie d’autres mortels. Les pires dangers menaçaient la Gaule : elle avait besoin d’offrir la plus illustre victime.

— Son premier et son dernier acte, comme chef de la Gaule, s’adresseraient donc aux dieux. Il avait commencé la guerre par des sacrifices humains, il la terminerait de même. 


Et Vercingétorix, pensant peut-être toutes ces choses, résolut de se sacrifier lui-même, et de disparaître, non pas seulement en beau joueur qui s’avoue vaincu, mais aussi en victime expiatoire prenant la place d’une armée et d’une ville condamnées par leurs dieux.

 

5. Déclarations de Vercingétorix à son conseil.

 

Le lendemain de la défaite, il convoqua pour la dernière fois le conseil des chefs, et leur fit part de ses volontés suprêmes.

« Il rappela d’abord que, s’il avait voulu la guerre contre Rome, ce n’était point par intérêt personnel : sa seule ambition avait été de rendre la liberté à tous les peuples de la Gaule.

« Les destins étaient accomplis. Il n’avait plus qu’à s’incliner devant la Fortune, qui protégeait César.

« Pour satisfaire les Romains, il fallait que l’homme qui avait été le chef de la guerre en fût aussi la victime. Il était prêt à se dévouer pour le salut de tous.

« Il leur laissait seulement le choix du sacrificateur. Ils pouvaient le tuer : ils n’auraient plus qu’à envoyer sa tête à César. S’ils le préféraient, il se laisserait livrer vivant par eux. Quoi qu’ils décidassent, il ne s’appartenait plus. »

L’Arverne avait bien jugé tous ces hommes. La parole de Critognat ne les avait excités qu’un jour ; la fièvre du combat passée, épuisés par la fatigue et la faim, ne voyant de toutes parts que la mort, ils n’avaient même plus le courage de la chercher eux-mêmes. Vercingétorix leur faisait entrevoir l’espérance d’avoir la vie sauve. Il leur offrait ce qu’ils souhaitaient tout bas. Ils succombèrent à la tentation, peut-être moins par lâcheté que par incapacité de vouloir. Et ce ne fut pas Vercingétorix qui rendit Alésia, mais les chefs qui livrèrent leur roi.

Ils acceptèrent, sans hésiter, le projet de reddition. Des parlementaires furent envoyés à César. Il rappela les conditions ordinaires : apporter les armes, amener les chefs. La vie fut promise sans doute à tous, la liberté à quelques-uns : mais Vercingétorix devait se rendre sans condition. La cérémonie de la capitulation fut fixée, semble-t-il, au jour même.

 

6. Préparatifs de la reddition.

 

Les Romains étaient d’admirables metteurs en scène. Ils recherchèrent toujours les spectacles qui frappaient l’imagination de leurs alliés et des vaincus, et qui servaient parfois autant qu’une victoire à leur assurer l’empire. L’histoire de la conquête de la Gaule se résume presque dans deux scènes d’une incomparable grandeur : le trophée élevé par Marius, la reddition de Vercingétorix à César.

Après la bataille d’Aix qui sauva la Gaule de l’invasion germanique (automne 102), Marius amassa en un monceau colossal les dépouilles des Barbares vaincus. Le trophée se dressait dans la large plaine de l’Arc, qu’encadraient de hautes montagnes couvertes de forêts et peuplées de dieux. L’armée faisait cercle autour du bûcher, toute couronnée de fleurs. Marius, vêtu de pourpre, levait des deux mains vers le ciel la torche enflammée. Un silence profond régnait autour de lui : tandis qu’à l’Orient se montraient, bride abattue, les cavaliers venus d’Italie qui allaient saluer le vainqueur, au nom du sénat et du peuple romain, du titre de consul pour la cinquième fois.

Un demi-siècle après (automne 52), le neveu et le véritable héritier de Marius, Jules César, le lendemain du jour où il avait donné toute la Gaule à ce même peuple romain, présenta aux dieux de sa patrie, non plus un grossier butin de bois et de métal, mais le plus noble trophée d’une victoire, le roi et le chef même de ceux qu’il avait vaincus.

Devant le camp, à l’intérieur des lignes de défense, avait été dressée l’estrade du proconsul, isolée et précédée de marches, semblable à un sanctuaire. Au-devant, sur le siège impérial, César se tenait assis, revêtu du manteau de pourpre. Autour de lui, les aigles des légions et les enseignes des cohortes, signes visibles des divinités protectrices de l’armée romaine. En face de lui, la montagne que couronnaient les remparts d’Alésia, avec ses flancs couverts de cadavres. En arrière et sur les côtés, les longues barrières des retranchements, où les deux brèches faites par l’ennemi semblaient de ces blessures qui rendent plus glorieux les corps des vainqueurs. Comme spectateurs, quarante mille légionnaires debout sur les terrasses et les tours, entourant César d’une couronne armée. À l’horizon enfin, l’immense encadrement des collines, derrière lesquelles les Gaulois fuyaient au loin.

Dans Alésia, les chefs et les convois d’armes se préparaient : César allait recevoir, aux yeux de tous, la, preuve palpable de la défaite et de la soumission de la Gaule.

Vercingétorix sortit le premier des portes de la ville, seul et à cheval. Aucun héraut ne précéda et n’annonça sa venue. Il descendit les sentiers de la montagne, et il apparut à l’improviste devant César.vercingetorix-before-caesar-henri-paul-motte.jpg

Il montait un cheval de bataille, harnaché comme pour une fête. Il portait ses plus belles armes ; les phalères d’or brillaient sur sa poitrine. Il redressait sa haute taille, et il s’approchait avec la fière attitude d’un vainqueur qui va vers le triomphe.

Les Romains qui entouraient César eurent un moment de stupeur et presque de crainte, quand ils virent chevaucher vers eux l’homme qui les avait si souvent forcés à trembler pour leur vie. L’air farouche, la stature superbe, le corps étincelant d’or, d’argent et d’émail, il dut paraître plus grand qu’un être humain, auguste comme un héros : tel que se montra Decius, lorsque, se dévouant aux dieux pour sauver ses légions, il s’était précipité à cheval au travers des rangs ennemis.

C’était bien, en effet, un acte de dévotion religieuse, de dévouement sacré, qu’accomplissait Vercingétorix. Il s’offrit à César et aux dieux suivant le rite mystérieux des expiations volontaires.

 

7. Cérémonial de la reddition de Vercingétorix.

 

 

Il arrivait, paré comme une hostie. Il fit à cheval le tour du tribunal, traçant rapidement autour de César un cercle continu, ainsi qu’une victime qu’on promène et présente le long d’une enceinte sacrée. Puis il s’arrêta devant le proconsul, sauta à bas de son cheval, arracha ses armes et ses phalères, les jeta aux pieds du vainqueur : venu dans l’appareil du soldat, il se dépouillait d’un geste symbolique, pour se transformer en vaincu et se montrer en captif. Enfin il s’avança, s’agenouilla, et, sans prononcer une parole, tendit les deux mains en avant vers César, dans le mouvement de l’homme qui supplie une divinité.

Les spectateurs de cette étrange scène demeuraient silencieux. L’étonnement faisait place à la pitié. Le roi de la Gaule s’était désarmé lui-même, avouant et déclarant sa défaite aux hommes et aux dieux. Les Romains es sentirent émus, et le dernier instant que Vercingétorix demeura libre sous le ciel de son pays lui valut une victoire morale d’une rare grandeur.72286_full_1024x682.jpg

Elle s’accrut encore par l’attitude de César : le proconsul montra trop qu’il était le maître, et qu’il l’était par la force. Il ne put toujours, dans sa vie, supporter la bonne fortune avec la même fermeté que la mauvaise. Vercingétorix se taisait : son rival eut le tort de parler, et de le faire, non pas avec la dignité d’un vainqueur, mais avec la colère d’un ennemi. Il reprocha à l’adversaire désarmé et immobile d’avoir trahi l’ancien pacte d’alliance, et il se laissa aller à la faiblesse des rancunes banales.

Puis il agréa sa victime, et donna ordre aux soldats de l’enfermer, en attendant l’heure du sacrifice.

 

À suivre...

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26 septembre 2012 3 26 /09 /septembre /2012 07:28

             Vercingétorix

 

      Chapitre XVIII - Vercingétorix se rend à César.

 

1. Dernière défaite de l’armée de secours.

 

Vercingétorix put, pendant la nuit, établir le bilan de la défaite.

Ce qu’il avait éprouvé lui-même et ce que ses hommes avaient vu du haut des remparts, signifiait qu’Alésia était perdue. Trois fois il s’était heurté aux lignes de la plaine, sans avoir pu entamer la terrasse ; il l’avait ouverte enfin sur les lignes d’en haut, mais les légionnaires avaient fermé la brèche de leurs propres corps, et aucun allié du dehors n’était apparu sur ce point pour le soutenir et pour prendre à dos ses adversaires. Ilvercingetorix21.png était évident pour lui, non seulement que toute la Gaule ne s’était point levée à son ordre, mais que, de ceux qui étaient venus, les deux tiers n’avaient point bougé à ses cris. Vercingétorix devina peut-être, à cette absence des uns, un refus d’obéir, à cette abstention des autres ; un abandon pire qu’une trahison. Les seules troupes qu’on avait vues faire leur devoir, celles de son cousin Vercassivellaun, avaient été écrasées, et c’était de leurs dépouilles que se jonchaient à cette heure les camps de César.

Ce que Vercingétorix ignorait du désastre était plus considérable encore, et engageait les destinées de la Gaule après celles d’Alésia. César, le soir de l’assaut, avait vigoureusement pressé les fuyards, et ses cavaliers en firent un tel carnage que bien peu d’hommes purent regagner sains et saufs les camps gaulois. Sédulius, chef de guerre et magistrat des Lémoviques, fut tué ; Vercassivellaun fut pris vivant dans la fuite ; 74 enseignes de tribus furent apportées à César.

Restaient les 190.000 hommes qui n’avaient point donné ce jour-là. Il ne semble pas qu’ils se soient beaucoup aventurés hors de leurs camps. Ils y revinrent à la première alerte. Ils s’en échappèrent au premier bruit de la défaite. Si les soldats de César n’avaient pas été brisés de fatigue, après avoir passé la journée entière à marcher ou à combattre, ils auraient pu détruire ou prendre leurs adversaires jusqu’au dernier corps.

Cependant, le proconsul ne renonça pas tout à fait à cette espérance. Il laissa s’écouler dans le repos les premières heures de la nuit ; vers minuit, il envoya ses cavaliers et 3.000 fantassins pour couper la route aux dernières bandes en retraite. Lui-même se mit à leur poursuite avec d’autres troupes, au lever du jour. Quand les Gaulois l’aperçurent en si petit équipage, ils eurent un moment l’illusion de la revanche, et l’accueillirent, dit-on, avec des éclats de rire. Mais ce ne fut que la joie d’un instant : les autres Romains arrivaient par derrière, leurs ennemis perdirent la tête, et ne leur laissèrent plus que la peine de prendre ou de tuer. Ce fut, raconta-t-on plus tard, la plus vaste boucherie de Gaulois que César eût ordonnée en huit ans.

Ceux qui échappèrent, et notamment les principaux chefs, se hâtèrent de se séparer, gagnant, chacun de son côté, les refuges de leurs cités ou de leurs clans. La grande armée de la Gaule s’était évanouie et dissipée, comme le spectre d’une nuit de cauchemar.

 

2. De la possibilité de continuer la lutte. Les chefs survivants.

 

Mais, si l’effort collectif du nom celtique était à jamais rompu, si aucun chef ni aucune nation n’étaient désormais capables de grouper toutes les volontés en un seul corps, il était encore possible d’organiser, dans presque toutes les cités de la Gaule, de belles résistances, comme l’avait fait Ambiorix en 53 dans les forêts marécageuses du pays éburon.

Sans doute, c’en était fait du patriotisme public des deux plus grands peuples, les Arvernes et les Éduens. Vercassivellaun pris, Vercingétorix près de l’être, les autres chefs arvernes du dehors ne songeaient plus qu’à se rendre aux meilleures conditions, et à se retrouver tranquilles et considérés comme au temps de Cobannitio. Les Éduens, et parmi eux Viridomar et Éporédorix, espéraient la même chose, et une autre encore : regagner, avec la faveur de César, l’hégémonie qu’il avait une première fois donnée à leur peuple. Les patriotes ne pouvaient compter sur les refuges de Gergovie et de Bibracte, presque déjà promis au vainqueur par la pensée des chefs. Mais Vercingétorix avait, en ses amis, une monnaie d’excellent aloi, et les places fortes du plateau central offraient d’imprenables réduits aux dernières résistances.

Lucter, le chef cadurque, était vivant, et il possédait, sur l’autre versant des monts arvernes, la ville et le puy d’Uxellodunum (Issolu près Vayrac ?), qui valait presque Gergovie. Dumnac, le chef des Andes, Gutuatr, celui des Carnutes et l’homme de Génabum, d’autres en Armorique, étaient décidés à ne point poser les armes. Le Sénon Drappès, qui ne faisait qu’un avec Lucter, était prêt à toutes les folies. Les Bituriges hésitaient à se soumettre. Même les Éduens étaient représentés, dans ce groupe d’indomptables, par un des leurs, Sur, qui fuyait vers les Trévires pour pouvoir combattre encore. Car les Trévires étaient toujours à réduire, et les Bellovaques étaient plus que jamais désireux de faire la guerre en leur nom : leur chef Correus, qui avait une haine implacable du nom romain, ne reculerait pas devant la levée en masse de son peuple, et ses voisins, Ambiens d’Amiens, Atrébates d’Arras, Calètes du pays de Caux, Véliocasses de la basse Seine, étaient disposés à se joindre à lui. Les Aulerques eux-mêmes n’étaient pas brisés par la mort de Camulogène et la défaite de Paris. Comm l’Atrébate était sain et sauf, entêté dans son serment, et il avait, comme on sait, des amis dans tout le Nord. Les Gaulois pouvaient, par delà l’Océan, appeler à leur secours leurs frères de Bretagne, comme ils l’avaient déjà fait. Il leur restait aussi la ressource de se payer des Germains contre César : Comm se faisait fort de lever des hommes chez les peuples du Rhin, toujours enclins à combattre le maître de la Gaule, quel qu’il fût. Enfin, les vaincus savaient que le proconsulat de leur vainqueur prenait fin à deux ans de là : s’ils pouvaient traîner la lutte une couple d’années, le jour où César quitterait le pays, la partie redeviendrait égale entre eux et les Romains.

Ainsi, de Cahors à Angers, de Bourges à Arras, de Rouen à Trèves, un cercle d’hommes décidés environnait encore César, et il suffisait peut-être de l’ordre d’un seul pour allumer autour du vainqueur, sur le sol de presque toute la Gaule, les mêmes foyers d’incendie qu’au printemps, aux abords d’Avaricum. Seul, Vercingétorix pouvait être ce chef et donner cet ordre.

 

3. Vercingétorix prend la résolution de se rendre.

 

Il fallait, pour cela, qu’il s’échappât d’Alésia. Un écrivain ancien a dit que la chose n’était pas impossible. De fait, il ne devait pas être malaisé à un homme seul, hardi, vigoureux, sans blessure, de forcer les lignes romaines, ébréchées dans les combats de la veille, et privées d’un bon nombre de leurs gardiens occupés à la poursuite des fugitifs. Mais Vercingétorix ne voulut pas tenter cette aventure.

Demeurant à Alésia, il aurait pu proposer aux siens, jusqu’à épuisement de leurs forces, un dernier assaut des retranchements de César : ce n’eût pas été le salut, mais la gloire d’une mort en commun, les armes à la main. Sur le champ de bataille de Paris, Camulogène et les siens avaient donné le modèle de cet acharnement au combat qui est la plus belle forme du suicide collectif. Vercingétorix ne songea pas à imiter cet exemple,

Il décida de rester et de se rendre. Nous sommes condamnés à ignorer toujours les motifs qui inspirèrent sa résolution. Il n’est pas interdit cependant de supposer, d’après ses paroles et son attitude du lendemain, quelles pensées l’assaillirent et fixèrent sa volonté durant la nuit de la défaite.

 

À suivre...

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22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 08:54

                                                         Vercingétorix

 

      Chapitre XVII - Alésia.

 

13. Seconde journée.

 

La seconde journée fut une bataille d’artillerie.

Le jour qui suivit la défaite de leur cavalerie, les Gaulois du dehors construisirent rapidement tout un matériel de siège, fascines, échelles et grappins en quantité. Au milieu de la nuit, ils sortirent de leur camp et s’avancèrent en silence, archers et frondeurs en tête. Arrivés à portée des lignes romaines, ils s’élancèrent, en poussant tout d’un coup une formidable clameur, dont l’écho, à deux mille mètres de là, donna, comme un signal, l’éveil à Vercingétorix ; la trompette y répondit aussitôt, pour appeler les assiégés aux armes.

Jusque-là rien de mieux. Mais Comm, ses collègues et leur conseil auraient mieux fait, avant d’agir, de réfléchir et de délibérer davantage. Ils s’en allaient dans la nuit, droit devant eux, sans renseignements, à l’aveuglette. Puisqu’ils portaient leurs efforts sur un même point, ils auraient dû reconnaître le terrain, s’informer, et attaquer le secteur le plus vulnérable. Or, en s’avançant ainsi par le plus court, sur les lignes qui leur faisaient face, ils se trouvaient assaillant par la plaine des Laumes, où César avait placé ses défenses les plus fortes et les plus variées, et deux de ses bons légats, Trébonius et Marc-Antoine.

Du dehors, les Gaulois engagèrent un vif combat à distance avec les légionnaires accourus sur leur terrasse. Des décharges continues de balles de frondes, de pierres et de flèches firent d’abord un grand mal aux Romains, ce qui permit à leurs ennemis de combler avec les fascines le fossé extérieur.

Les Gaulois de Comm s’approchèrent encore. Les machines avaient été mises en batterie par les soldats de César : une grêle de projectiles, balles, boulets de plomb, pieux et traits de toute sorte, volèrent sur les assaillants. Ils étaient si nombreux qu’ils gagnèrent pourtant du terrain, et que Trébonius et Marc-Antoine furent obligés de dégarnir les redoutes voisines pour renforcer les défenseurs du retranchement.

Mais, quand les Gaulois eurent fait quelques pas de plus, leurs rangs s’arrêtèrent et se rompirent brusquement. Ils arrivaient aux galeries de pièges. Les uns s’accrochèrent aux aiguillons de fer ; les autres tombèrent et, s’empalèrent dans les trous de loups. Ceux qui purent s’avancer plus loin se trouvèrent alors à portée des redoutables « javelots de rempart », qui partaient à travers les parapets et du haut des tours : beaucoup périrent de la sorte.

La partie n’était cependant pas désespérée, si on avait le courage de persévérer et de marcher toujours, en bâtissant par-dessus ces embûches une jetée de cadavres. De leur côté en effet, les soldats de Vercingétorix, fort bien outillés par leur chef, s’approchaient lentement, mais à coup sûr, utilisant la besogne faite l’avant-veille, évitant ou recouvrant les pièges, qu’ils devaient connaître, comblant peu à peu le premier des deux fossés qui les séparaient seuls de la terrasse où les attendaient les légionnaires.

Mais l’armée du dehors, mal aguerrie contre les surprises et l’impatience, s’exaspéra de ces résistances souterraines et de ces blessures étranges. Le jour venait. Quand elle aperçut, en face d’elle, les retranchements intacts, et, sur les hauteurs de droite et de gauche, les camps ennemis, quand elle se vit dans la plaine, sans cavalerie pour abriter ses flancs, sous la menace d’autres légions qui paraissaient prêtes à descendre pour se rejoindre derrière elle, elle prit peur, et rétrograda vers ses camps.

En ce moment, Vercingétorix et ses soldats n’étaient pas loin de la terrasse romaine. Ils n’eurent pas le temps d’y toucher. Ils apprirent la retraite de leurs alliés : ils n’avaient plus qu’à s’arrêter, s’ils ne voulaient pas être enveloppés par une double ligne d’adversaires. Pour la seconde fois, ils remontèrent à Alésia, vaincus presque sans avoir eux-mêmes combattu.

 

14. Troisième journée.

 

La troisième journée, enfin, on donna l’assaut des lignes de César.

Le conseil de guerre des Gaulois confédérés se réunit après ces deux tentatives inutiles et meurtrières. Il fit venir des gens du pays, il leur fit dire ce qu’ils savaient des travaux et des camps romains, de leur emplacement et de leur force respectives. Comm et les antres apprirent ainsi, et sans peine, que le camp romain du Nord-Ouest se trouvait dans une situation défavorable, en contrebas et en pente sous les roches et les bois du Mont Réa. Des éclaireurs qu’ils envoyèrent sur les lieux confirmèrent la chose et reconnurent les chemins. Les chefs décidèrent aussitôt de tenter sur ce point l’assaut principal. Ces mesures étaient réfléchies et excellentes : mais c’était le jour de leur arrivée qu’ils auraient dû s’informer et les prendre.

Dans toute l’armée, ils trièrent une élite de 60.000 hommes, qu’ils empruntèrent aux nations réputées les plus braves, par exemple aux Arvernes et aux Lémoviques ; Vercassivellaun, le cousin de Vercingétorix, fut mis à leur tête. C’était donc à des Arvernes que la Gaule continuait à commettre le devoir de lutter contre César.

On arrêta un plan d’attaque que Ies soldats ne connurent pas, pour que des transfuges ne pussent en aviser l’ennemi.

Vercassivellaun quitta son camp après la tombée de la nuit, marcha au Nord en s’éloignant d’Alésia (en aval de la Brenne ?), revint vers le Sud (par le ru d’Éringes ?) et finit par s’arrêter, vers le lever du jour, à quelque 1.500 mètres du Mont Réa (dans les ravins au nord de Ménétreux ?), caché derrière les collines. Il fit alors reposer ses troupes de leur longue marche dans la nuit, en attendant l’heure de midi, qui avait été fixée pour engager l’affaire.

Aux approches de midi, tout le monde gaulois se mit en mouvement. Vercassivellaun fait gravir aux siens les pentes du Mont Réa, qui dominait le camp romain. Les trois autres chefs envoient dans la plaine leurs derniers cavaliers, qui viennent se déployer en face des lignes attaquées l’autre, jour. Les 190.000 fantassins qui forment le reste de l’armée de secours sortent des camps et apparaissent sur le rebord des hauteurs. Enfin Vercingétorix, voyant toutes ces manœuvres, descend de la montagne d’Alésia avec son attirail de siège, retiré cette fois de son camp : il a des baraques pour attaquer la terrasse à l’abri des machines, des perches et des faux pour arracher ou renverser les palissades des retranchements ennemis : il comprend qu’il faudra, à cette troisième sortie, arriver jusqu’à eux. Comme les jours précédents, il se dirigea vers les lignes d’en bas, dont il avait déjà nettoyé les abords, et que semblaient menacer, de l’Ouest, les principales troupes de ses alliés.

L’action définitive allait commencer. César se posta sur le flanc nord-ouest de la montagne de Flavigny, d’où il pouvait suivre, à sa gauche, les mouvements de la plaine et du camp gaulois, en face de lui ceux de Vercassivellaun et du Mont Réa, à sa droite ceux d’Alésia et de Vercingétorix.

L’attaque eut lieu en même temps sur les lignes extérieures et intérieures de l’armée romaine. Elle parut d’abord confuse et désordonnée ; les Romains se crurent assaillis sur tous les points à la fois. Ils allaient et venaient, se portant au hasard là où ils croyaient le danger plus grand, et les endroits à défendre étaient si nombreux qu’ils s’effrayaient de ne pouvoir être partout à la fois. Les hurlements gaulois accroissaient leurs incertitudes : ils voyaient des ennemis en face d’eux, ils en entendaient sur leurs flancs et derrière ; et les légionnaires d’un front, ne sachant si leurs camarades de l’autre front les protégeraient à temps, finissaient par songer plutôt aux ennemis qu’ils ne regardaient pas qu’à ceux qu’ils combattaient.

Mais peu à peu la situation s’éclaircit. Les chances se balançaient entre les deux adversaires.

Au Nord-Ouest, Vercassivellaun l’emportait. Il avait habilement réparti les siens en trois groupes, divisés en équipes. Les uns, maîtres des hauteurs, accablaient de traits les légionnaires. Les autres, chargés de terre, en jetaient sans relâche dans les fossés et sur les pièges, dont ils se doutaient cette fois, et recouvraient les fondrières de la défense d’une véritable chaussée d’attaque. D’autres enfin, se massant en tortue, avançaient plus rapidement de la terrasse romaine. Quand une équipe était fatiguée, une autre la relayait. Les Romains, au contraire, devaient être tous sur pied. Les munitions et les forces commencèrent à manquer aux deux légions campées sur ce point : les légats prévinrent César.

Vercingétorix était moins heureux. Les retranchements de la plaine étaient les plus achevés et les mieux défendus de toutes les lignes romaines. La terrasse, les légions, Trébonius et Marc-Antoine tenaient bon. Ce qui fut plus grave pour les Gaulois, c’est qu’il ne leur vint, de ce côté, aucun secours sérieux du dehors. Les cavaliers, descendus dans la plaine, reculèrent devant les abatis et les fossés. Les 190.000 fantassins ne s’éloignèrent pas des hauteurs. Vercingétorix fut laissé à ses seules forces.

Il faut se résigner à ignorer les motifs de cette étrange abstention. On a voulu excuser les trois chefs, Comm et les deux Éduens, en disant que leurs troupes étaient trop mauvaises pour combattre. Alors, pourquoi les avoir amenées ? Puis, quand une armée romaine a déjà 37 kilomètres de front à garder contre 140.000 hommes, une nouvelle multitude de 190.000 assaillants, même maladroits, même désarmés, n’est pas une quantité négligeable. Il suffisait d’une panique ou d’une lassitude générale pour faire perdre aux dix légions, en une seule heure, disait César en ce moment même, le fruit de tous leurs travaux et de toutes leurs victoires. C’était pour cette heure, et pour cette heure seule de l’assaut, que Vercingétorix avait réclamé l’arrivée en masse de tous les Gaulois, et les trois quarts de ceux qui étaient venus, immobiles en face de lui, de l’autre côté des lignes romaines, semblaient refuser de marcher à sa rencontre. Les chefs confédérés ne faisaient les choses qu’à moitié et qu’à contrecœur, et ils laissaient aux deux jeunes Arvernes, Vercingétorix et Vercassivellaun, le privilège de servir de champions à la liberté de toute la Gaule. Les deux Éduens, Éporédorix et Viridomar, n’auraient pas à se faire pardonner par César une trop grande obstination.

Alors le proconsul, voyant Vercingétorix isolé et arrêté dans la plaine, put porter tous ses efforts contre Vercassivellaun. Sur le flanc du Mont Réa, Réginus, Rébilus et leurs 20 cohortes lâchaient pied. Il en envoya six autres sur ce point, et, ce qui valait mieux, il remit à Labienus lui-même la défense de ce secteur, avec ordre, à la dernière extrémité seulement, de faire une sortie pour dégager la terrasse. Lui-même descendit dans la plaine, pour se rapprocher de Vercingétorix.

Les deux mortels ennemis se trouvaient à quelques pas l’un de l’autre. César prit en main la résistance, alla de rang en rang, échauffa les légionnaires de sa parole éloquente.

Mais à ce moment, comme si Vercingétorix n’eût attendu que ce mouvement de troupes et ce déplacement du proconsul pour modifier sa tactique, il abandonna les lignes de la plaine, inclina à sa gauche vers le Sud-Est, et gravit avec ses machines et ses engins les pentes de la montagne de Flavigny. — Il détournait ainsi son point d’attaque. Il l’éloignait de celui de Vercassivellaun : ce qui, en dépit de l’apparence, était plus sage que de l’en rapprocher. S’il eût marché, vers le Nord, il eût amené César avec lui : et le plus grand service qu’il pouvait rendre à son cousin était d’entraîner le plus loin possible le proconsul et quelques cohortes. — Mais son adversaire le comprit et ne bougea pas, demeurant en observation entre les deux champs de bataille.

Du reste, Vercingétorix avait bien choisi son nouveau poste. On ne l’attendait pas sur la montagne de Flavigny. Peut-être était-ce de là qu’étaient parties les six cohortes emmenées par Labienus. Les pièges, semble-t-il, étaient plus rares ou moins dangereux sur ces pentes. La tentative du chef gaulois, rapidement conduite, fut bien près de réussir. Jamais il ne pénétra plus avant dans les ouvrages de son ennemi. Les décharges de ses archers jetèrent le trouble parmi les défenseurs de la terrasse, parmi ceux des tours elles-mêmes. Les Gaulois en profitèrent pour combler les fossés, et pour attaquer enfin et déchirer à coups de faux la cuirasse et la palissade des retranchements : la première brèche fut ouverte à travers la muraille romaine.

À la même minute, sur le point où combattait Vercassivellaun, Labienus, lui-même, reculait, et les Gaulois commençaient à escalader la terrasse.

Sur les deux fronts, les lignes de César avaient cédé. Celtes et Romains sentaient que les minutes suprêmes étaient venues. Un prodigieux effort tendit les volontés et raidit les muscles. Pour les uns et les autres, c’était la fin de tout qui approchait. Les poitrines haletaient d’angoisse et de courage. Si, à ce moment, les réserves de l’armée de renfort avaient donné par-dessus les autres versants de la montagne de Flavigny, la brèche taillée par Vercingétorix se fût démesurément élargie, César n’aurait pas eu assez d’hommes pour la défendre, il n’aurait pu protéger Labienus, l’armée romaine eût été broyée sous ces marées convergentes, et le sénat aurait dû remettre à d’autres temps et à un nouveau proconsul la mission de reconquérir les Gaules.

Devant le nouveau danger, celui qui éclatait subitement du côté de Flavigny, César laissa Labienus aux prises avec Vercassivellaun, et ne s’occupa plus, dans l’instant, que de la brèche et que de Vercingétorix. Il lança contre lui Brutus et de nouvelles cohortes : elles ne purent tenir. Il en envoya d’autres avec C. Fabius : elles faiblirent encore. Les hommes136.jpg de Vercingétorix combattaient avec une effroyable énergie. Enfin César, à la tête d’un nouveau renfort, choisi parmi des troupes fraîches, se montra lui-même contre le chef arverne, et, pour la dernière fois, ils luttèrent tous deux l’un en face de l’autre. Grâce au proconsul, les cohortes reprirent courage. Vercingétorix recula, sans désordre, combattant pied à pied. César put enfin regarder et se porter du côté de Labienus.

Sur ce point, Labienus avait jugé la partie perdue. Il ne songeait plus à défendre la terrasse, envahie de toutes parts. Il ne voyait de salut que dans un coup d’audace, une sortie désespérée. César la lui avait permise : il la résolut. Il réunit en un tour de main 39 cohortes, celles qu’il trouva le plus près de lui sur les divers postes de la défense ; il les groupa au hasard en un seul corps de bataille ; il avertit son général, et attendit. César avait eu le temps de donner deux ordres précis. Derrière lui, il avait mis en marche tout ce qui lui restait d’hommes disponibles, quatre cohortes, tirées de la redoute la plus proche ; il les soutint d’une partie de sa cavalerie. À sa gauche (?), dans la plaine, par le dehors de ses lignes, il envoya le reste de ses escadrons pour prendre en écharpe les assaillants du Mont Réa ; ils n’avaient rien à craindre des cavaliers ennemis la défaite et les fautes des jours précédents condamnaient les Gaulois dans leur dernière bataille.

César accéléra sa marche, pour y assister. Dès que les hommes de Vercassivellaun le virent s’approcher, ils attaquèrent les premiers. Ce fut, à ce que raconta plus tard le proconsul, un moment solennel et un éclatant spectacle. Les quinze mille hommes de Labienus étaient massés sur les dernières pentes du Mont Réa. Derrière eux s’avançait rapidement César, vêtu du manteau de pourpre qui le désignait aux regards de tous. Plus loin, dans les lignes, se hâtaient d’autres légionnaires, des troupes de cavaliers. Des escadrons galopaient au delà, dans la plaine, allant au même but. Il semblait que toute l’armée romaine voulût se réunir en un bloc pour pénétrer les masses ennemies. Une clameur s’éleva des deux troupes, lorsqu’elles se heurtèrent ; et, répercutée au loin par les collines et les camps, elle éveilla partout de nouveaux cris, que l’écho rapporta aux combattants. Mais Vercingétorix et ses adversaires, à 3 kilomètres de là, ne se doutèrent de rien, s’acharnant sans repos autour de la terrasse, tandis que leur sort se décidait au loin.

Formées en colonnes d’attaque, les cohortes de Labienus s’ébranlèrent vers la hauteur. Les javelots étant inutiles sur cette montée, elles se précipitèrent les épées en mains. La mêlée s’engagea. Mais l’affaire ne fut réglée que par l’arrivée des cavaliers de renfort. Quand les Gaulois virent ou entendirent soudain, sur leurs flancs et leurs dos, les escadrons ennemis (venus par Ménétreux ?), ils reculèrent. Les Germains chargèrent avec leur courage et leur bonheur habituels. Enveloppés presque de toutes parts, menacés encore par les troupes qu’amenait César, il ne restait plus aux Gaulois qu’à fuir en hâte, s’ils ne voulaient pas périr jusqu’au dernier. La débandade commença, et la bataille prit fin.

Vercingétorix tenait encore, ignorant la défaite des siens. Mais, pendant ce temps, les gens qui guettaient sur les remparts d’Alésia, virent revenir les premiers légionnaires vainqueurs, chargés de boucliers brillants et de cuirasses sanglantes, dépouilles des chefs vaincus. Une clameur douloureuse courut dans la ville, et Vercingétorix ne tarda pas à apprendre que le sort de là Gaule était désespéré.

Il reprit le chemin d’Alésia, d’où il ne devait plus redescendre que pour se rendre au vainqueur (fin septembre ?)*.

 

*Probablement le 26 septembre 52 : le fait que César ait pu lancer sa cavalerie à la poursuite de l'ennemi dans la nuit qui précéda le dernier combat peut s'expliquer par la pleine lune du 25-26 septembre de cette année.


À suivre...

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19 septembre 2012 3 19 /09 /septembre /2012 08:55

                                                               Vercingétorix

 

     Chapitre XVII - Alésia.

 

10. Famine dans Alésia ; discours de Critognat.

 

Dans Alésia, les semaines s’écoulaient, mornes et semblables. Vercingétorix avait renoncé aux sorties partielles, et réservait les forces et la confiance de ses hommes pour l’attaque générale. L’automne approchait. Puis, parut le matin du jour fixé pour l’arrivée des secours : le jour passa tout entier, sans qu’un messager ni une enseigne ne se montrât sur les collines de l’horizon.

Vercingétorix attendit encore. Mais bientôt les dernières provisions de blé furent consommées, aucune nouvelle ne lui parvenait du reste du monde. César l’emprisonnait si bien qu’il ne lui restait qu’à mourir dans l’ignorance de tout. Il convoqua son conseil pour prendre une décision suprême sur la vie des assiégés, ou plutôt sur la manière dont ils devaient mourir.

César ne nous dit pas que Vercingétorix ait pris la parole dans l’assemblée pour soutenir et imposer un avis, comme il le faisait presque toujours. Il semble qu’il se soit borné à écouter. Il n’avait plus tous les chefs dans la main : leurs angoisses les éloignaient de lui. Les uns parlèrent déjà de se rendre. Les autres proposèrent de risquer, avant l’épuisement des forces, une sortie générale contre les lignes de César, ce qui équivalait à une mort certaine et inutile ; et cette mort paraissait si glorieuse, « si digne de l’antique vertu gauloise que la majorité du conseil se montra prête à voter dans ce sens. Mais alors l’arverne Critognat se leva, pour exprimer l’avis à la fois le plus courageux et le plus sage, celui qui répondait sans doute le mieux à la pensée de Vercingétorix.

— Je ne parlerai pas, dit-il, de ceux qui songent à se rendre : leur place n’est plus au conseil. Je m’adresse à ceux qui veulent combattre. — Ils se croient braves. Ce sont des lâches à leur manière. Craignant de souffrir la faim, ils préfèrent le suicide. Certes, s’il ne s’agissait d’autre perte que de celle de la vie, je serais avec eux. Mais pensons, en ce moment, à la Gaule entière, que nous avons appelée à notre secours. Elle va venir, elle approche. En doutez-vous ? regardez donc, sur les lignes extérieures de César, ces Romains qui travaillent nuit et jour, et dites-moi s’ils ne sont pas la preuve vivante que les peuples s’avancent pour nous délivrer ? Croyez-vous, quand nos alliés seront là, qu’ils auront plus de coeur à la besogne à la vue de 80.000 cadavres de frères et amis, amoncelés sur un seul point ? Vous vous plaignez qu’on ne vient pas vous secourir, et vous voulez enlever votre appui à ceux qui s’apprêtent à vous aider. Votre faiblesse, ou votre imprudence, ou votre sottise vont coûter la liberté à toute la Gaule. Si vous avez faim, faites ce qu’ont fait vos ancêtres au temps des Cimbres et des Teutons. Nourrissez-vous en mangeant ceux qui ne pourront combattre. Et si vos grands-pères n’avaient pas donné cet exemple, il vous faudrait, à vous, le donner, par amour de la liberté et de la gloire, et pour être renommés dans les siècles à venir.

Jules César, en rapportant ce discours, que quelque transfuge lui communiqua, le juge d’une atrocité singulière et impie. L’homme auquel le désir de conquête avait inspiré depuis sept ans tant d’actions criminelles ou répugnantes, n’avait cependant pas le droit d’être sévère pour les audaces qu’inspirait la crainte de sa victoire.

Critognat sauva le plan de Vercingétorix. Si terrible que fût son avis, on s’y rangea : ce n’était jamais froidement qu’un Gaulois entendait parler de renom dans la postérité et d’amour de la gloire. Il ne fut plus question ni de se rendre ni de combattre. Si les secours tardaient trop longtemps, on ferait comme avait dit l’Arverne. En attendant, on décida de se débarrasser des bouches inutiles, les femmes, les enfants, les vieillards, les malades et les infirmes ; toute la population des Mandubiens, qui était pourtant chez elle à Alésia, et dont Vercingétorix n’était que l’hôte armé, fut brutalement jetée hors des remparts. Les malheureux s’étagèrent, sans ressources, sur les flancs de la montagne ; ils supplièrent les Romains de les prendre comme esclaves, mais de les nourrir. Ce n’était pas d’esclaves et de captifs que manqueraient en Gaule les soldats de César : en ce moment, ils commençaient, eux aussi, à manquer de pain, et à pâtir de la même disette que devant Avaricum. Sur l’ordre du proconsul, des postes furent placés pour rejeter les Mandubiens en arrière de la ligne intérieure, et ils moururent lentement de faim entre les deux campements, rongés eux aussi par la famine. Depuis le défilé de la Hache, les peuples d’Occident n’avaient pas vu tant d’êtres humains souffrir ensemble (milieu de septembre ?).

 

11. Arrivée et composition de l’armée de secours.

 

Depuis que Critognat avait parlé, les assiégés étaient résolus à s’entre-dévorer plutôt que de ne pas attendre. Un jour enfin, ils aperçurent à l’Ouest l’avant-garde de l’armée de secours, qui débouchait des hauteurs par la route du pays éduen. Elle arrivait joyeuse et confiante, elle couvrit peu à peu toutes les collines du Couchant de ses masses profondes (sur la montagne de Mussy-la-Fosse), elle déborda jusque dans la plaine, à un mille des lignes de César. Ce fut chez les Romains une heure d’épouvante, à l’aspect de cette multitude de plus de 250 000 hommes, de ces corps humains qui s’étendaient à perte de vue ; ils osaient à peine regarder, comme s’ils redoutaient de penser aux furieux assauts qui les menaceraient, et de cette foule en face et de Vercingétorix à revers. Du côté d’Alésia, c’était au contraire un va-et-vient de Gaulois courant aux remparts, désireux de contempler les secours si longtemps attendus, se félicitant des cris et des gestes, s’entraînant à combattre pour le lendemain. La dernière semaine de la grande guerre commençait.

La Gaule se trouvait en effet réunie toute entière contre César. Toutes les tribus de nom gaulois, des Cévennes à l’Océan, de la Gironde à l’Escaut, étaient représentées par leurs derniers cavaliers , leurs meilleurs fantassins, leurs chefs de guerre et leurs étendards sacrés. À ce concours de peuples, il ne manquait que les Rèmes et les Lingons, éternellement fidèles à César, et que quelques cités du Rhin, occupées à protéger la Gaule contre les Germains du dehors. Toutes les autres nations étaient présentes, même celles des régions les plus lointaines : les Osismiens, perdus à la fin des terres armoricaines, en face de la mer mystérieuse ; les Morins, à moitié cachés dans les brumes et les marécages de la Flandre ; les Nitiobroges, habitants des terres grasses et joyeuses de l’Agenais ; les Helvètes et les Nerviens, qui, décimés par César, trouvaient encore des hommes pour venir le combattre. Les deux États principaux, Arvernes et Éduens, avaient fourni à l’armée de secours, avec leurs sujets et clients intimes, chacun un contingent de 35 000 hommes. La ligue armoricaine en envoya 30.000. Les peuples de l’Est, Séquanes, Helvètes et Médiomatriques, également 30.000. L’entêtement des Bellovaques réduisit à 24 000 la part de la Belgique. Ceux d’entre Loire et Garonne, Bituriges, Santons, Lémoviques, tribus du Poitou, du Périgord ou de l’Agenais, eurent un effectif d’environ 30.000 soldats ; et ce fut en nombre à peine supérieur que vinrent les nations vaillantes et fermes des régions centrales d’Orléans et de Paris : Carnutes, Sénons, Parisiens, tribus de l’Anjou, de la Touraine, du Maine et de la Normandie. Si on ajoute à ces 258.000 hommes les 80.000 dont disposait Vercingétorix, on arrive à un total de 338.000 soldats, qui étaient en quelque sorte le résumé et l’essence de la Gaule entière.

Si César était vaincu, il pourrait perdre les siens jusqu’au dernier homme, dans un effondrement semblable à celui où avaient disparu sous la foule des Cimbres et des Teutons les armées de Cépion et de Mallius.

Mais, si les Gaulois étaient vaincus, comme ils avaient concentré l’élite des forces de toutes leurs tribus, comme ils s’étaient ramassés en un seul corps contre César, leur défaite serait la condamnation de la Gaule, et condamnation sans recours et sans appel, aussi légitime que si elle était formulée par une sentence divine.

À leur manière d’entendre la guerre, on reconnaît l’instinct des nations et on peut prévoir leurs destinées. L’Espagne, terre de régions isolées et de bassins séparés, morcela sa résistance à Rome, la dispersa dans vingt contrées et la fit durer deux siècles. La Gaule, que la nature a faite pour l’unité, et qui, malgré les jalousies de ses cités, sentait qu’elle était le patrimoine d’une seule race, groupa sur un point tous ses moyens de défense pour s’en servir le même jour : comme disait le géographe grec Strabon, «en masse elle réunit et lança ses hommes, et, ceux-ci battus en masse, elle se trouva brisée d’un seul coup».

 

12. Première journée de bataille.

 

L’armée de secours campa sur les flancs et les plateaux de la montagne de Mussy. Elle avait, droit devant elle au Levant, les retranchements romains de la plaine des Laumes, et,cesar-et-ses-soldats.png au delà, le mont et la ville d’Alésia ; devant elle encore, mais plus à sa gauche et plus à sa droite, les deux extrémités de la ligne des collines fortifiées par César, le Mont Réa et le plateau de Flavigny.

La bataille commença le lendemain de l’arrivée. Elle dura près d’une semaine. Il y eut trois journées de combat, séparées chacune par un jour de repos. La lutte fut toujours engagée sur les deux fronts des lignes romaines, attaquées au dehors par les Gaulois de secours, au dedans par ceux de Vercingétorix, les uns et les autres cherchant à se rejoindre. Mais, tandis que l’armée d’Alésia ne fit et ne pouvait faire qu’une seule chose, tenter l’assaut sur un point, celle de la campagne hésita entre plusieurs tactiques, et ne prit la moins mauvaise que le dernier jour.

La première journée fut une bataille de cavalerie.

Les Gaulois avaient amené 8.000 chevaux. C’était la dernière réserve de leur noblesse. Le bon sens exigeait qu’on l’exposât le plus tard et le moins possible. Dans l’attaque d’une place forte, la cavalerie ne devait servir qu’à couvrir les rangs extérieurs des troupes allant à l’assaut. Victorieuse, elle ne ferait presque rien contre les retranchements de César ; vaincue, elle ferait défaut pour protéger une retraite ou décider une poursuite. Trois fois déjà, elle s’était heurtée aux chevaux du proconsul ; et trois fois, à Noviodunum, à Dijon, devant Alésia même, elle avait été abîmée par les Germains. Cependant, incapables de se laisser guérir par l’expérience, les quatre chefs firent descendre leur cavalerie dans la plaine ; le reste de l’armée demeura à l’écart, sur les hauteurs de l’Ouest.

César avait, dès la première alerte, mis en branle toute son armée. S’attendant à un double assaut, il avait fixé à chaque cohorte sa place sur l’une ou l’autre de ses deux lignes : ses hommes la conserveront jusqu’à la fin, sans trouble ni incertitude. Mais, à la vue de la cavalerie ennemie, il saisit l’avantage qu’il y avait pour lui à la forcer à la bataille, et il fit sortir les cavaliers romains au-devant d’elle, avec ordre de charger.

Vercingétorix fit ce qu’il y avait à faire. Il envoya au pied de la montagne ses soldats, chargés de fascines, de terres et de pierres. Les Gaulois se mirent à l’ouvrage, et réussirent à combler sur un point le grand fossé extérieur. Ils s’apprêtaient à pousser au delà, vers les pièges et les ouvrages intérieurs, lorsqu’ils comprirent que leurs alliés du dehors, au lieu de marcher à leur rencontre, galopaient dans la plaine.

C’était du reste un beau combat de cavalerie que celui qui se déroulait, à la clarté du grand jour, dans le vallon des Laumes ; on se battait à la vue des trois armées, massées sur tous les coteaux du voisinage, de trois cent mille hommes qui regardaient, attentifs et immobiles, les péripéties de la lutte. Les Gaulois hurlaient de joie quand ils croyaient leurs cavaliers vainqueurs ; et les combattants, Celtes ou Romains, se sentant admirés ou jugés, s’excitaient comme dans un carrousel à mort.

Les Gaulois firent leur devoir avec vaillance et habileté. Suivant la tactique chère à Vercingétorix, les cavaliers avaient amené avec eux des archers et des fantassins légèrement armés qui se dispersèrent derrière les chevaux. Les troupes romaines repoussèrent d’abord les escadrons gaulois. Mais elles furent soudain accueillies par des volées de flèches et de dards qui arrêtèrent leur élan, blessèrent beaucoup de monde, les firent reculer en désordre. La mêlée générale s’engagea, où les Romains, accablés par le nombre, finirent par avoir le dessous, après cinq heures d’un combat commencé vers midi.

Alors, presque au coucher du soleil, César décida d’en finir. Il réunit sur un même point tous les cavaliers germains, les forma en lignes serrées d’attaque, et les fit charger tous ensemble. L’effet fut immédiat. Les rangs ennemis furent enfoncés, les archers enveloppés et égorgés ; le reste de la cavalerie romaine reprit courage, et il ne resta plus qu’à poursuivre les Gaulois jusque près de leurs camps sans leur laisser le temps de se rallier. C’était la quatrième victoire que César devait à ses cavaliers germains.

Les troupes d’Alésia, dont la besogne avait été en partie inutile, regagnèrent tristement leurs remparts, désespérant déjà sous l’impression d’une première défaite.

 

À suivre...

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15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 07:41

             Vercingétorix

 

     Chapitre XVII - Alésia.

 

8. De l’utilité de la levée en masse.

 

Toutes ces précautions, César les avait prises parce qu’il s’attendait à voir paraître autour de lui, venues de tous les points de la Gaule, des foules profondes et sans fin.Museoparc_d-Alesia_fortifications.JPG Scipion Émilien eût regardé comme indigne d’un imperator de protéger par des pièges à bêtes les retranchements des légionnaires : mais il n’avait eu à redouter ni devant Numance ni devant Carthage ces hordes innombrables de Barbares dont César était menacé.

C’est qu’en effet, comme l’avaient dit au proconsul des transfuges et des prisonniers, les envoyés de Vercingétorix avaient la mission de lever en masse la Gaule entière. Le roi des Arvernes avait fait un grandiose projet de désespéré. Tous ceux qui pouvaient marcher devaient venir à lui ; quiconque pouvait manier une arme devait quitter son foyer et se sacrifier à la liberté commune. Il demanda le dévouement immédiat et inconditionné de tous. Ce n’étaient pas deux ou trois cent mille hommes, mais un million et davantage, qu’il appelait à l’assaut des retranchements de César.

C’était, depuis janvier, la troisième fois que Vercingétorix ordonnait des levées d’hommes. Mais, à l’assemblée de Gergovie, à celle du Mont Beuvray, il s’était contenté de troupes de choix, la cavalerie et quelques dizaines de mille de fantassins. — C’est qu’il savait qu’en rase campagne, une armée populaire, mal équipée et sans expérience, ne peut résister, si nombreuse qu’elle soit, à un corps de vieux soldats, disciplinés, pourvus d’armes parfaites, experts aux manœuvres savantes : on avait vu, dans les campagnes de Belgique, l’impuissance des levées en masse contre la solidité des légions et le coup d’oeil de César.

Assiégé dans Alésia, Vercingétorix ne désirait plus que le nombre : cette fois comme les deux autres, il calculait juste, et ce n’était pas son imagination qui l’entraînait à la chimère d’une bataille colossale. Il s’agissait, maintenant, moins de livrer bataille que de faire un siège, c’est-à-dire de combler des fossés, arracher des palissades, lapider des hommes, escalader des remparts, enlever des lignes, et les enlever d’assaut et d’emblée : besogne que des milliers de Barbares feraient mieux que des centaines de bons soldats. Quand les Gaulois attaquaient une place forte, ils espéraient plus du nombre des assaillants que de l’intelligence des moyens : c’était par la multitude des traits qu’ils rendaient les remparts intenables, sur l’amoncellement des corps qu’ils franchissaient les fossés, par la force de la poussée qu’ils ébranlaient les portes. Cette pratique eût été enfantine et dangereuse contre des villes ou des camps défendus à la romaine, et dont les remparts et les moyens de résistance auraient été ramassés et concentrés. Mais Vercingétorix la crut possible contre les lignes de César, étroites et allongées, et je ne puis me résoudre à lui donner tort.

Il a voulu s’assurer les deux avantages de l’assaut méthodique et de l’escalade par débordement : celui-là, il le confierait aux soldats d’Alésia, bonnes troupes qu’il avait formées près de Bourges et dans Gergovie, et qui attaqueraient les points faibles des lignes intérieures de César ; du côté de la Gaule, le nombre servirait à défaut de l’expérience.

Avant tout, il fallait rompre, renverser ou franchir une digue longue de quatre à cinq lieues, large à peine de 700 mètres, et menacée des deux flancs à la fois : sur cette ligne d’hommes et de défenses réduite à une profondeur minima, il importait d’exercer le maximum de pression. Ce que désirait surtout Vercingétorix, ce qui du reste s’imposait à la vue des retranchements de César, c’était de tenter sur eux une attaque en couronne, et pour la réussir, il était bon que tous les défenseurs légionnaires fussent tenus sans cesse en haleine, occupés sur tous les points, inquiétés, fatigués, énervés, aveuglés par des ennemis reparaissant toujours. Puisque le pro consul avait multiplié les fossés et les pièges qui rendaient la bravoure dangereuse et l’habileté inutile, il ne restait plus aux Gaulois qu’à combler les tranchées et recouvrir les chausse-trapes sous des flots renouvelés de corps humains, jusqu’au moment où ces vagues d’hommes, montant encore, submergeraient à la fin les chaussées, les palissades, les légions et César lui-même.  La Gaule était assez riche en mâles, les flancs de ses femmes étaient assez féconds pour qu’elle offrit sans regret toutes ces victimes à ses dieux.

Vercingétorix aurait pu obtenir de la Gaule entière ce sacrifice qui les aurait sauvés tous deux. Elle était prête à consacrer à la lutte tous ses sentiments et toutes ses ressources. Il y avait entre elle et son chef un merveilleux accord de pensées. César, dans ses Commentaires, abandonne un instant la froide concision de son style habituel pour admirer chez ses adversaires la force imprévue de l’élan national. Personne ne se souvenait plus de l’amitié du proconsul et des services qu’il avait rendus. En quelques semaines, le passé récent et ses hontes s’étaient oubliés, et toutes les autres impressions étaient effacées par le désir de combattre et la vertu du mot d’indépendance. On ne parlait plus que de refaire les glorieuses guerres d’autrefois, et les Gaulois allaient à la liberté comme à une magnifique aventure. Ils n’eurent ces jours-là qu’un seul esprit et qu’une seule âme, et, comme les Grecs avant Salamine et Platées, ils s’aperçurent qu’ils pouvaient former une même patrie.

 

9. Préparatifs des Gaulois du dehors.

 

De maladroites prudences et d’inquiètes jalousies enrayèrent cet élan et ruinèrent le plan de Vercingétorix.

Au lieu de s’entendre en quelques minutes sur le jour et le lieu où ils donneraient rendez-vous à toutes les forces de la Gaule, les fugitifs d’Alésia agirent avec une régularité de protocole. Ils convoquèrent le conseil général des chefs des cités, et celui-ci, réuni, délibéra sur le projet du roi. Ce qui signifiait que Vercingétorix n’était déjà plus le dictateur auquel on obéit, mais le général dont on étudie les plans.

Il y avait, parmi les chefs des cités, des hommes dévoués sans réserve à la liberté de la Gaule : l’arverne Vercassivellaun, cousin de Vercingétorix ; Comm l’Atrébate ; Sédulius, magistrat et chef de guerre des Lémoviques ; Sur l’Éduen ; Gutuatr le Carnute ; et surtout, les plus audacieux et les plus persévérants de tous, l’Aude Dumnac, le Cadurque Lucter, le Sénon Drappès. Mais le conseil renferma sans doute aussi des hommes à double face, — face romaine et face gauloise, — comme les deux jeunes Éduens Viridomar et Éporédorix.

Des objections furent faites à la levée en masse. — Comment nourrir tous ces hommes ? Comment se faire obéir d’eux ? les chefs auraient peine à rallier les gens de leurs clans : pourrait-on combattre suivant la tradition, les soldats par tribus et par cités, rangés sous leurs étendards ? — L’objection tirée des vivres était spécieuse : ce qui, en 57, avait empêché de maintenir la levée en masse de la Belgique, ce fut la difficulté de nourrir tant d’hommes. Mais il s’agissait, alors, d’une campagne longue et compliquée, et non pas, comme pour le salut d’Alésia, d’une marche de quelques jours et d’un assaut de quelques heures. — L’autre objection, si elle n’était pas dictée par le scrupule religieux du respect des enseignes, dissimulait peut-être quelque crainte politique. L’assemblée pensa sans doute que Vercingétorix allait vite en besogne, et que, si les Gaulois se mêlaient trop complètement pour le délivrer, ils ne distingueraient plus que lui comme chef au lendemain de la victoire.

Elle décida de lever une très forte armée, près de 300.000 hommes, six fois supérieure à celle de César. Elle crut que cela suffirait : mais il n’y avait même pas de quoi combler les deux millions de mètres cubes des tranchées romaines. Elle n’avait rien compris, sans doute, à la manière dont Vercingétorix entendait l’attaque, et les opérations devant Alésia allaient le montrer plus clairement encore.

Les chefs, toujours soucieux des convenances politiques, fixèrent eux-mêmes, suivant l’importance respective des nations, le contingent qu’elles devaient envoyer. Pour celles qui faisaient partie d’une ligue, comme les cités d’Armorique, les clientèles des Éduens et des Arvernes, on se borna à indiquer l'effectif que la confédération avait à fournir, et on laissa à ses chefs le soin de faire une répartition plus détaillée. Pour les autres, le chiffre fut arrêté à quelques centaines d'hommes près. L'assemblée se sépara ensuite, et chaque chef revint dans sa cité pour mobiliser son contingent.

Il faut dire à l'honneur de la Gaule, qu'aucun des peuples fédérés ne manqua au rendez-vous. On avait demandé 275 000 hommes ; on en eut 258 000 : 8 000 cavaliers et 250 000 fantassins. Il n'y eu qu'une note discordante, mais qui caractérise bien le séparatisme habituel des cités gauloises ; on devine qu'elle fut donnée par les Bellovaques, qui se battaient le plus possible, mais qui consentaient rarement à se battre en compagnie d'autres peuples. Ils refusèrent de se laisser taxer à dix milles hommes, affirmant qu'ils combattraient les Romains, mais sous les auspices et les ordres de leurs propres chefs ; cependant à la prière de Commius, qui était leur hôte, ils envoyèrent 2 000 hommes.

Touts cela prit du temps. Quand l'armée fut concentrée, non loin d'Alésia, sur le territoire éduens ( à Bibracte ?), on en perdit encore en besogne administratives ou religieuses, si bien qu'on laissa passer le jour du rendez-vous fixé par Vercingétorix.

On fit le recensement, on compta les effectifs, on choisit les chefs des détachements, on organisa le haut commandement.

Il y eut quatre grands chefs, Commius, Vercassivellaun, Éporédorix, Viridomar. Celui-là représentait les peuples belges ; le second, les intérêts arvernes ; les deux autres, les ambitions éduennes. Je m'étonne que l'on ait pas fait place à un chef de l'Armorique ou du Nord-Ouest, les régions, de toutes, les plus méritantes de la liberté de la Gaule : un des deux postes pris par les Éduens leur revenait de droit. Mais ceux-ci, évidemment, avaient gardé la part du lion, et les deux rivaux de Vercingétorix prenaient leur revanche de son triomphe au Mont Beuvray.

Cependant, comme on ne voulait pas de chefs absolus et irresponsables, on adjoignit aux quatre généraux un conseil de délégués pris dans les diverses cités, et chargés de préparer les plans ou de contrôler les actes.

Tout cela, pour une expédition qui devait durer une semaine à peine, réussir ou échouer en quelques jours ! On aurait dit que ces hommes conjuraient soit pour donner à César le temps d’en finir avec Alésia, soit pour se préparer au jour où ils imposeraient leur volonté à Vercingétorix victorieux. Dans ces allées et venues, ces sages délibérations, ces longs préparatifs, ces créations de conseils et de généraux, je soupçonne des lenteurs calculées ou des arrière-pensées d’égoïsme. Ce qu’il aurait fallu pour sauver Alésia, c’était un Lucter, un Dumnac ou un Drappès amenant un million d’hommes en quinze jours : et on ordonnait une armée régulière, avec des effectifs vérifiés, un commandement bien équilibré de quatre chefs et de quarante conseillers de guerre. On constituait le gouvernement militaire de la Gaule confédérée, alors qu’il s’agissait de se ruer, sur un signal, au lieu du rendez-vous.

 

À suivre...

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