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16 mars 2013 6 16 /03 /mars /2013 07:39

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre II. Les dédititii

 

Les barbares soumis comme les colons ; 2° à la loi du recrutement militaire.

 

Le second caractère distinctif du colonat au IVe siècle, caractère non moins important que le précédent, est l’obligation du service militaire. L’armée romaine, qui avait fait la conquête du monde, devait sa force et sa supériorité à la manière dont elle était organisée. La légion, type primordial de cette armée, se composait exclusivement de citoyens romains. De même que, dans le principe, le citoyen seul payait l’impôt (stipendium) et concourait aux charges de l’État, de même, nul ne pouvait servir la république, combattre dans les rangs des légionnaires, s’il n’appartenait à cette classe privilégiée, seule admise à l’exercice des droits politiques et qui seule semblait offrir des garanties suffisantes pour la défense de la patrie[44]. Telle était l’admiration des Romains pour l’organisation de la légion que Végèce a pu lui attribuer une origine surnaturelle et la regarder comme d’institution divine[45]. Cette organisation, si sage, si merveilleuse, subsista longtemps. Les changements successifs et nécessaires apportés par le temps et les circonstances dans le nombre des légions, dans le chiffre de leur effectif, ne portèrent point atteinte au principe fondamental sur lequel elle reposait[46].

Ce fut plus tard seulement, sous l’Empire et en pleine décadence, que le relâchement des mœurs amena le relâchement de la discipline. On vit alors toutes les classes de la société déserter les légions. Dans les classes supérieures, les sénateurs, les grands propriétaires, les premiers citoyens, n’étant plus rattachés à l’État par les mêmes liens, cherchèrent les moyens de se soustraire à une obligation qu’on regardait autrefois comme un honneur, mais qui était tombée dans une sorte de mépris. Les armes pesantes du légionnaire, les exercices, les travaux, les rudes fatigues auxquelles, il était soumis, répugnaient à leur mollesse ; ils préféraient entrer dans les corps auxiliaires où la discipline était moins sévère, le service moins pénible[47]. Dans les classes inférieures, plusieurs allaient jusqu’à se mutiler volontairement en se coupant les pouces afin de se rendre impropres au maniement des armes et d’échapper ainsi à la loi de la conscription : on les désignait par l’épithète flétrissante de murci [48]. Ce fut une première cause d’infériorité pour les légions dont le recrutement devint très difficile et qui durent ouvrir leurs rangs presque uniquement aux prolétaires ou aux étrangers. L’introduction de l’élément étranger et barbare dans une proportion d’abord minime, mais toujours croissante, marque un pas décisif dans cette voie de transformation.

Au IVe siècle, en effet, une loi nouvelle change les conditions du service militaire en194b.jpg faisant de la conscription un impôt dont fut grevée la propriété foncière. Les propriétaires (possessores), au lieu d’être enrôlés eux-mêmes dans l’aimée active et de payer personnellement leur dette à la patrie commune, étaient tenus de fournir un certain nombre de recrues (tironum prœbitio) d’après leur cens territorial (jugatio)[49]. Ces recrues étaient naturellement prises parmi les cultivateurs établis sur leurs domaines et dans la classe des colons, car les esclaves ne pouvaient porter les armes, que dans des circonstances exceptionnelles, dans le cas de levées extraordinaires et en masse, pour conjurer un danger imminent (tumultuarius miles), et la liberté devenait alors la récompense de leurs services[50]. Le même système s’est pratiqué en Russie jusqu’à nos jours* : les seigneurs russes, ayant à fournir des soldats, les prenaient parmi leurs serfs attachés à la glèbe comme les colons romains[51].

Le maître, intéressé à garder ses meilleurs colons, ceux qui lui étaient le plus utiles et dont les qualités lui promettaient les plus grands avantages, choisissait de préférence les hommes tarés, les lâches, les paresseux (ignavos, ineptos), tous ceux que leurs défauts physiques ou leurs vices rendaient impropres à la vie laborieuse des champs, et les légions se trouvaient ainsi peuplées du rebut des campagnes[52]. La faveur et la corruption qui s’exerçaient à cette époque sous toutes les formes, à tous les degrés de la hiérarchie sociale, permettaient d’éluder facilement les prescriptions de la loi ; les agents du pouvoir chargés de contrôler le recrutement se prêtaient volontiers à la fraude pourvu qu’on les payât bien. Végèce[53] ne cesse de déplorer ces abus si fréquents et qui devaient nécessairement aboutir à la ruine de toute discipline, à la perte irréparable des anciennes traditions et de cet esprit militaire qui excitait encore l’enthousiasme de l’historien Josèphe au temps de la guerre des Juifs[54].

Les frais d’entretien et d’équipement étaient à la charge du propriétaire. Le privilège, seule garantie contre les exactions et l’avidité insatiable du fisc, ne tarda pas à être invoqué pour modifier encore le caractère de la nouvelle loi. Les sénateurs demandèrent et obtinrent la faveur de se racheter de l’impôt du service militaire moyennant une somme d’argent payée au trésor et fixée tantôt à trente-six, tantôt à vingt-cinq sous d’or pour chaque recrue[55]. L’État, par cette concession qui se généralisa et devint facultative pour tous les propriétaires[56], avait moins en vue l’avantage des particuliers que l’éventualité d’un bénéfice à réaliser sur les soldats qu’il enrôlait lui-même, pour son compte, à de meilleures conditions, mais qui dès lors n’étaient plus que de simples mercenaires attirés par l’appât du gain. Cet impôt est appelé dans le Code Théodosien aurum tironicum, aurum temonarium, à cause de sa destination et la faculté de se racheter ainsi du service militaire (auri tironici adœratio). C’était quelque chose d’analogue à nos bureaux de remplacement pour la conscription* (advenarum coemptio juniorum). Les petits propriétaires formaient des espèces d’associations (conjunctiones), se réunissaient pour la prestation des recrues ou le paiement de l’impôt ; et le principe de la solidarité, alors universellement appliqué, se retrouve là comme ailleurs. Chacun des associés (consortes, socii) fournissait à tour de rôle un soldat ou payait la somme d’argent équivalente, sauf à se faire rembourser par ses coassociés leur part afférente[57]. L’association, dont le but est ordinairement de protéger l’individu, devenait ainsi pour l’État un moyen d’atteindre tout le monde sans distinction, de frapper le plus petit propriétaire comme le plus grand.

Le septième livre du Code Théodosien, dont un titre entier est consacré aux lois sur la conscription (de tironibus), nous permet de suivre pas à pas le législateur sur cette pente fatale où il était entraîné par les événements et les nécessités du moment. Presque toutes les constitutions impériales relatives à cette question si importante du recrutement des armées sont de la dernière partie du IVe siècle. Ces constitutions, que nous appellerions des décrets et qui avaient force de loi, étaient adressées par les empereurs au préfet du prétoire dans les attributions duquel rentrait tout ce qui n’était pas du ressort purement militaire des maîtres de la milice[58].

 

[44] Végèce, De Re militari. — Juste Lipse, De Militia Romana.

[45] Végèce, De Re militari, l. II, c. XXI.

[46] Beck. et Marq., III, 2. (Das Militärwesen.)

[47] Végète, De Re militari, l. II, c. III.

[48] Ammien, l. XV, c. XII. (Voir le commentaire de Wagner sur ce passage, t. II, p. 170.)

[49] Cod. Théod., VII, tit. 13, loi 7. — Juste Lipse, De Milit. Rom., l. I, dial. 9.

[50] Cod. Théod., VII, tit. 13, loi 16.

[51] Guizot, Hist. de la civilisation en France, t. III, 7e leçon.

[52] Juste Lipse, op. cit.

[53] Végèce, l. I, c. VII.

[54] Josèphe, De Bello Judaico, l. III, c. V. — Végèce, De Re militari.

[55] Cod. Théod., VII, tit. 13, loi 7. — Ibid., VII, tit. 13, l. 13 — Le sou d’or valait environ 13 francs : 36 sous d’or équivalaient à 470 francs et 25 sous d’or à 325 francs environ de notre monnaie.

[56] Cod. Théod., VII, tit. 13, loi 7.

[57] Cod. Théod., VII, tit. 13, loi 7.

[58] Cod. Théod., VII, tit. 13, De tironibus.

 

* L'ouvrage date de la fin du XIXè siècle

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2 mars 2013 6 02 /03 /mars /2013 07:01

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre II - Les dedititii

 

Les Barbares soumis comme les colons ; 1° à la capitation (tribularii) 

 

L’intérêt de l’agriculture n’était pas le seul motif qui poussait le gouvernement romain à augmenter le nombre des colons, à assurer par tous les moyens le recrutement de cette classe de sujets et à y maintenir à perpétuité ceux qui y étaient une fois entrés, soit par la naissance, soit par un contrat spécial et formel comme celui qui réglait l’admission des Barbares, lorsqu’ils avaient fait leur soumission à l’Empire[37]. Outre la redevance250.jpg annuelle payée par le colon au propriétaire du sol et appelée canon parce qu’elle était fixée par la loi et invariable, il y avait la capitation (tributum capitis), contribution personnelle que l’État percevait sur tous ceux qui n’étaient pas propriétaires et qui par conséquent ne payaient pas l’impôt foncier (terrena jugatio). La capitation formait une des principales ressources du revenu public, surtout depuis que le privilège et l’exemption s’étaient étendus à la classe si nombreuse des fonctionnaires et au peuple de Rome et des villes (plebs urbana)[38]. Le colon était inscrit sur les rôles des impositions (censibus adscriptus) où il figurait à côté des têtes de bétail, des pieds d’arbres, des plants de vigne et d’olivier, dans l’inventaire des biens du maître dressé par les répartiteurs (perœquatores) aussi le trouvons-nous désigné dans plusieurs textes de lois sous le nom d’adscriptitius, de censitus ; ces diverses expressions, au IVe siècle, sont synonymes de colonus, inquilinus, agricola, rusticus. Le maître, en acquittant sa contribution foncière, payait à l’État là capitation pour tous les colons établis sur ses domaines. L’État traitait directement avec lui et seul il était responsable, mais c’était une simple avance, car il avait son recours contre les colons et exigeait de chacun d’eux une somme équivalente à sa taxe personnelle.

Le taux de la capitation variait suivant les besoins et les exigences de l’État ; nous n’en connaissons pas le chiffre exact et nous ne savons point comment elle s’évaluait ; car le passage du seizième livre d’Ammien Marcellin, où il dit que la contribution par tête (pro capitibus singulis), exigée comme tribut (tributi nomine), s’élevait dans les Gaules, sous l’empereur Constance, à vingt-cinq pièces d’or (vicenos quinos aureos), et fut réduite par Julien à sept pièces d’or (septenos tantum), s’applique à l’unité qui servait de base pour l’impôt foncier et qu’on désignait également sous le nom de caput[39]. Les femmes étaient soumises comme les hommes à la capitation ; seulement, ne représentant pas une valeur égale par rapport à la production du sol, elles n’étaient taxées que pour une moitié (bina)[40]. Les mineurs en étaient exempts ainsi que les vieillards à partir d’une certaine limite d’âge ; cette limite, suivant les provinces et les époques, varia de quatorze à vingt-cinq ans pour les enfants et fut fixées à soixante-cinq ans pour les vieillards[41]. C’était un impôt uniforme, égal pour tous et non progressif, comme l’impôt sur le revenu, avec des classes et des catégories, tel qu’il fut établi en France sous Louis XIV. Ceux qui ne pouvaient payer la cotisation entière étaient groupés par deux, par trois, même par quatre, pour une seule cotisation (bina, terna, quaterna), et devenaient solidaires comme pour l’impôt de la conscription. L’État se montrait d’une rigueur extrême envers les retardataires accablés sous le fardeau qui pesait alors sur la population des campagnes. Le tableau que Salvien[42] nous fait de la misère publique dans les Gaules n’est point une œuvre de pure imagination, mais la peinture réelle d’une situation qui empirait tous les jours et finit par devenir intolérable.

En somme, toutes les modifications apportées dans la constitution et le prélèvement de la capitation tendirent à la rendre plus productive ; et les Barbares ne furent appelés si souvent durant le Ier siècle à entrer dans la classe des colons que pour augmenter le nombre des contribuables (tributarii). La fiscalité est un des traits dominants de l’administration impériale ; on la retrouve partout à cette époque avec ses tracasseries, ses vexations les plus mesquines, parfois les plus odieuses. Déjà le fameux édit de Caracalla (211-217), date mémorable dans l’histoire de l’Empire et de l’humanité, avait été, à ne considérer que l’intention du législateur, une mesure fiscale. Le droit de cité, accordé d’un seul coup à tous les habitants de l’Empire qui ne le possédaient point encore, les soumettait à l’impôt du vingtième sur les successions (vicesima hœreditatum), et du centième sur les ventes (centesima rerum venalium) dont ils se trouvaient affranchis, tant qu’ils n’étaient pas citoyens romains[43].

 

[37] Guizot, t. III, 7e leçon.

[38] Cod. Théod., XIII, tit. 10, l. 2.

[39] Ammien, l. XVI, c. V. — Le nummus aureus avait été remplacé à partir de Constantin par le solidus aureus de moindre valeur et qui représentait environ 13 francs de notre monnaie. Ainsi 25 pièces d’or équivalaient à peu près à 336 francs et 7 pièces d’or, à 92 francs. (Voir Becker et Marquardt, Handbuch der Römischen Alterthümer, III, 2, p. 34.)

[40] Cod. Just., XI, tit. 47, De agricolis, loi 10.

[41] Ulpien, Digeste, De censibus, l. 3. (50, 15). Huschke, ouvrage déjà cité, 4e et 5e partie, passim.

[42] Salvien, De gubernatione Dei, l. V.

[43] Dion, l. LXXVII, c. IX. — Beck. et Marq., III, 2, p. 196. — Mone, Urgeschichte des Badischen Landes, Bd. II, p. 231.

 

 

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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 04:59

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre II - Les Dedititii

 

4. Leur assimilation aux colons. Question du colonat : 2° Ses caractères essentiels. 3° Développement du colonat par l'élément barbare.

 

Dans les fragments des grands jurisconsultes qui nous ont été conservés, le colonat n’est mentionné nulle part. C’est à partir du IVe siècle seulement, de Constantin et de ses successeurs, que nous le trouvons inscrit dans les lois, où il tient désormais une grande place comme institution sociale et politique. De cette époque date son organisation définitive et légale ; on peut dire que toute la période précédente avait été la période de formation ; quand il eut grandi, pris de telles proportions qu’il couvrait, pour ainsi dire, la surface de l’Empire, et était devenu la condition d’une partie notable de la population, l’attention du législateur dut naturellement se porter sur la classe des colons, comme sur les autres classes de la société romaine, pour fixer leur situation réglée jusque-là par la coutume ou un simple contrat, pour déterminer les obligations auxquelles ils devaient être245.png soumis, soit envers l’État, soit envers le sol sur lequel ils étaient établis, et les garanties qui leur seraient accordées en retour de ces obligations. Le Code Théodosien et le Code Justinien renferment un grand nombre de titres spécialement consacrés aux colons ; ces textes ont été recueillis, étudiés avec soin, et suffisent pour donner une idée exacte de la condition faite à la population agricole par la législation impériale[30].

Le premier caractère essentiel que revêtit le colonat est l’hérédité forcée. La nécessité de recourir à un remède énergique pour arrêter la dépopulation progressive des campagnes amena l’intervention de l’État dans les rapports qui unissaient les propriétaires aux fermiers. Il fallait assurer le développement et la prospérité de l’agriculture, intérêt que Rome avait toujours mis au premier rang et qu’on ne pouvait négliger sans que le bon ordre public en fût troublé. En vertu d’un principe admis chez les peuples de l’antiquité et par lequel l’individu était sacrifié à l’État, on songea à limiter les droits du cultivateur libre en le faisant esclave de la terre, en l’attachant au sol qu’il ne lui fut plus permis de quitter sous les peines les plus sévères (servi terrœ, glebœ inhœrentes). Cette tendance se manifeste aux premiers siècles de l’Empire. Un rescrit de Marc-Aurèle et de Commode déclare que les cultivateurs établis sur un domaine étranger comme tenanciers (inquilini) sont inséparables du domaine, et que le propriétaire ne peut céder l’un sans les autres[31]. Le lien (nexus) se resserre tous les jours davantage : la femme, les enfants du colon,  sa postérité tout entière (soboles qualiscumque sexus vel ætatis sit)[32] sont enchaînés avec lui par un arrêt terrible, irrévocable, auquel ils ne sauraient se soustraire (quodam æternitatis vinculo)[33]. Ils ne s’appartiennent plus ; destinés fatalement par leur naissance à être colons tommes d’autres curiales ou soldats, ils n’ont pas le droit de choisir une condition différente (originario jure tenentur, et licet conditione videantur ingenui, servi tamen terrœ ipsius, cui nati sunt, existimantur)[34]. Le joug qui pèse sur leur tête est encore plus dur que celui de l’esclave, car l’esclave peut être affranchi par son maître et rendu à la liberté, tandis que le colon n’a aucune amélioration à espérer dans son sort ; il faut qu’il vive, qu’il meure là où il est né et, lorsque tout change autour de lui, seul il est condamné à l’immobilité. C’est comme un stigmate dont il est marqué et qui doit le faire reconnaître partout (originarius). Si la fille d’un colon épouse un homme libre, les enfants issus de ce mariage suivent la condition de leur mère et deviennent eux-mêmes colons, tandis qu’une femme libre mariée à un colon n’exempte point ses enfants de la condition du père[35]. On comprend les efforts tentés par ces malheureux pour braver une loi aussi rigoureuse et échapper à l’avenir qui leur était réservé, efforts presque toujours infructueux, car il n’y avait aucun refuge pour le colon fugitif : il était poursuivi comme l’esclave qui avait quitté son maître et ramené chargé de chaînes[36].

 

[30] Giraud, Histoire du Droit français, t. I, p. 160 et suiv. — Cod. Théod., V, tit. 9. De fugitivis colonie, inquilinis et servis ; — tit. 10, De inquilinis et colonie. — Cod. Just., XI, tit. 47, De agricolis, censitis et colonie ; — tit. 67, De agricolis et mancipiis dominicis, vel fiscalibus reipublicæ vel privatæ.

[31] Digeste, XXX, tit. 1, l. 112.

[32] Cod. Just., XI, tit. 47, De agricolis, l. 23.

[33] Cod. Just., XI, tit. 50, De colonis Palæstinis.

[34] Cod. Just., XI, tit. 51, De colonie Thracensibus.

[35] Guizot, Histoire de la civilisation en France, t. III, 7e leçon.

[36] Cod. Théod., V, et. 9. De fugitivis colonie. — Cod. Just., XI, tit. 63, De fugitivis colonie.

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9 février 2013 6 09 /02 /février /2013 09:57

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre II - Les Dedititii.

 

3. Leur assimilation aux colons. Question du colonat : 1° Son origine.

 

Avec le Ier siècle commence une nouvelle période. Les changements opérés dans la constitution de l’Empire par Dioclétien et par Constantin, le continuateur de son œuvre, modifièrent peu la politique romaine à l’égard des nations vaincues ou établies dans les provinces, mais ils exercèrent une influence considérable sur le développement de certaines institutions et en particulier du Colonat, appelé à se recruter surtout parmi les Barbares. La question du colonat est une des plus importantes par le rôle qu’il a joué à cette époque. La plupart des Allamans, des Goths, des Francs, des Sarmates, transplantés par les empereurs, l’étaient comme colons ; pour bien déterminer leur condition civile et légale, il est nécessaire d’étudier le colonat dans ses caractères distinctifs et essentiels.

Et d’abord, quelle a été l’origine de cette institution ? À quelle date remonte-t-elle dans l’histoire de Rome ? De quels éléments s’est-elle formée ? Faut-il, avec quelques historiens et jurisconsultes de l’Allemagne moderne, la regarder comme d’origine germanique, à cause de certains rapprochements peut-être fortuits ? Faut-il y voir une institution contemporaine de la guerre des Marcomans et provenant exclusivement de ces milliers de captifs enlevés à la Germanie et attachés à la glèbe romaine dans une condition voisine de la servitude, mais qui cependant n’était pas l’esclavage, puisqu’ils conservaient la liberté personnelle[21] ? Zumpt semble incliner vers cette opinion dans son histoire de la formation et du développement du colonat. Faut-il au contraire admettre avec d’autres autorités non moins compétentes que le colonat existait déjà en germe dans la clientèle romaine ou gauloise, et qu’il se transforma plus tard, vers la fin de la république ou le commencement de l’Empire, pour désigner une classe d’hommes attachés au sol par un lien de dépendance étroit, indissoluble (venalis cum agris suis populus), et soumise à la taxe de la capitation (tributum capitis)[22] ? Huschke[23], dans son savant ouvrage sur le cens et la constitution de l’impôt chez les Romains, prend le colonat au moment de sa plus grande extension, c’est-à-dire au Ve et au VIe siècle, puis, remontant d’âge en âge, de siècle en siècle, nous le montre à toutes les périodes de son histoire jusqu’à Auguste et même à une époque antérieure.

Il peut y avoir sans doute quelque exagération à lui chercher une si longue filiation, à vouloir retrouver ainsi les traces de sa première origine dans un passé si lointain, mais à coup sûr les Barbares établis sur le territoire romain à titre de Dedititii ne furent pas les premiers colons de Rome. L’agriculture et la guerre s’étaient partagé, dans le principe, l’activité de ses citoyens, qui, comme le dictateur Cincinnatus, quittaient la charrue pour prendre l’épée. Plus tard les conquêtes successives de la république en Italie et hors de243B.jpg l’Italie fournirent une multitude innombrable de prisonniers. Ceux de ces prisonniers qui n’étaient point égorgés ou réservés aux plaisirs de l’amphithéâtre étaient réduits en esclavage et employés à tous les travaux, notamment à la culture des terres. Cette population servile des campagnes, assimilée par Caton au bétail, à la vieille ferraille, aux autres instruments de l’exploitation rurale[24], forma bientôt l’immense majorité ; mais, à côté d’elle, il y eut toujours des hommes libres qui cultivaient eux-mêmes leur petit domaine avec leurs enfants, ou s’engageaient par un contrat volontaire, se louaient à gage et travaillaient comme mercenaires sur les grandes propriétés[25]. Varron les désigne sous le nom d’obœrati et nous dit que de son temps on en comptait un grand nombre en Asie, en Égypte, en Illyrie[26]. Cette classe moyenne de cultivateurs, toujours préférée aux esclaves, se trouve mentionnée dans presque tous les auteurs latins. Nous avons un texte positif de Tacite. L’esclave germain, nous dit-il, est tenu de fournir à son maître, comme le colon, une certaine mesure de blé, du bétail, des vêtements[27]. Pline le Jeune, contemporain de Tacite, nous parle aussi de fermiers (mancipes) établis sur ses domaines de Côme dans la haute Italie, moyennant une redevance annuelle qu’ils devaient acquitter en argent ; le défaut de paiement de cette redevance entraînait la domesticité à perpétuité[28]. Ces mancipes étaient déjà de véritables colons.

Enfin, à côté de l’ager privatus, propriété particulière, se trouvait l’ager publicus ou domaine de l’État, formé des territoires annexés après la conquête. Une partie de ces territoires était vendue, et l’argent provenant de cette vente était versé dans les caisses publiques ; une autre partie était distribuée par lots à des prolétaires avec obligation de les cultiver[29] ; c’est l’origine des fameuses lois agraires. Rome peuplait ainsi le monde de ses colonies, destinées à éloigner des citoyens turbulents et à assurer sa domination sur des pays où son influence n’avait pas encore suffisamment pénétré. Le jour où elle ne put plus rayonner au dehors, mais où elle se vit contrainte de recourir elle-même à des éléments étrangers pour combler les vides de sa population, les Barbares prirent la place des anciens colons libres, constituèrent une nouvelle pépinière du colonat et, comme il s’agissait de peuples vaincus, dont l’État cherchait à tirer le plus d’avantages possible, cette condition tendit à se rapprocher de la servitude, tandis qu’au contraire l’influence du progrès et des idées chrétiennes commençait à favoriser de plus en plus l’affranchissement des esclaves.

L’époque où s’opéra un tel changement est impossible à fixer, à déterminer d’une manière précise. Ce fut un travaillent et successif, l’œuvre du temps et des circonstances. La législation romaine est muette sur ce point.


[21] Zumpt., Abhandlung über die Entstehung und historiche Entwickelung des Colonats, im Rheinischen Museum für Philologie. Frankfort am Mein, 1843. — Von Savigny, Abhandlung über den Römischen Colonat, trad. par M. Pellat. — Opitz, op. laud. sup., p. 24.

[22] Laferrière, Droit civil, t. II, p. 437-442. — Gaupp., op. laud., Zweite abschnitt. 12. (Der Colonat.)

[23] Huschke, Ueber den Census und die Steuerverfassung der früheren Römischen Kaiserzeit, Berlin, 1847.

[24] Caton, De Re rustica.

[25] Zumpt, p. 6, 7.

[26] Varron, De Re rustica, l. I, c. XVII.

[27] Tacite, De mor. Germ., c. XXV.

[28] Pline le Jeune, Epistolæ, l. III, 19.

[29] Tite-Live, l. XLI, c. VIII.

 

 

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2 février 2013 6 02 /02 /février /2013 09:26

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre II - Les Dedititii

 

2. Leurs premiers établissements.

 

Les premiers établissements de Barbares se concentrèrent sur la frontière du Rhin et du Danube, ancienne barrière naturelle qu’on essaya de franchir malgré la défense d’Auguste, mais à laquelle on dut revenir, à partir d’Adrien. Plus tard, vers la fin du IIè siècle de l’ère chrétienne, après cette terrible invasion des Quades et des Marcomans qui passa les Alpes, fondit sur l’Italie comme un torrent dévastateur et menaça Rome elle-même, au moment où la peste décimait ses habitants, les Barbares, domptés par Marc-Aurèle, furent cantonnés non plus seulement sur les frontières, dans la Dacie, la Pannonie, la Mésie ou les deux Germanies, mais dans les plaines de l’Italie, aux portes de Ravenne. En les éloignant ainsi du voisinage et du contact des autres Barbares, on espérait en faire des instruments plus dociles et moins dangereux de la puissance romaine.

Déjà on avait cherché, lorsqu’ils étaient établis dans les provinces les plus rapprochées de247 la frontière, à élever entre eux et leurs frères de la Germanie un mur de séparation infranchissable. Outre l’obstacle des deux grands fleuves qui formaient la limite septentrionale de l’Empire, il y avait des légions échelonnées de distance en distance sur toute la ligne du Rhin et du Danube, dans des forts et des camps retranchés qui se reliaient l’un à l’autre et ne laissaient aucun passage libre ; des vaisseaux, destinés en même temps au transport des vivres et des troupes, stationnaient comme les légions sur les points les plus importants des deux rives et faisaient une croisière perpétuelle, lusoriœ naves : c’est ainsi que les appelle le Code Théodosien et qu’ils sont désignés par l’historien Ammien Marcellin[9] ; le nom même de la ville de Ratisbonne n’est autre que celui d’une de ces stations navales. Enfin, sur la rive droite du Rhin et au-delà s’étendait jusqu’au Danube une zone de territoire d’inégale largeur, peuplée de colons gallo-romains, les Champs Décumates, ainsi nommés à cause du mode d’arpentage auquel ils avaient été soumis[10]. Tout cet espace, sur une longueur de près de trois cents milles, se trouvait fermé par le grand rempart, Limes transrhenanus, travail gigantesque dont les restes merveilleux font encore aujourd’hui, après plus de quinze siècles, l’admiration et l’étonnement de ceux qui les contemplent, et que la tradition du pays a consacré sous le nom de Mur du Diable[11].248.jpg

Malgré tant de précautions pour isoler de l’élément romain l’élément purement germanique ou non romanisé, le danger ne cessa point ; il devint au contraire de jour en jour plus imminent. Les Barbares, en quittant leur sol natal, ne renonçaient facilement ni à leurs habitudes, ni à leurs mœurs primitives ; les instincts belliqueux de leur race, cet amour et ce besoin d’indépendance qui faisaient le fond de leur caractère ne tardaient pas à se révéler et les portaient à saisir avec avidité la moindre occasion de révolte. Les essais qu’on fit de les grouper dans la banlieue des villes furent malheureux : il fallut les maintenir à une certaine distance, les disperser dans les campagnes et éviter surtout de les cantonner dans de riches provinces, capables d’exciter leurs convoitises. Ravenne faillit être prise et saccagée par les Marcomans, auxquels Marc-Aurèle avait assigné comme résidence cette partie de l’Italie. On finit même, pour s’assurer de leur fidélité et se prémunir contre les tentatives de rébellion ou de désertion, par les transplanter dans des régions lointaines, à une autre extrémité de l’Empire, où ils devaient oublier plus facilement leur patrie, se façonner plus vite aux lois, à la langue et aux institutions de Rome, Dans les traités conclus avec les différents peuples de la Germanie, les empereurs, en dictant les conditions de la paix, avaient soin de limiter les rapports qui pouvaient exister entre les Romains et les Barbares. Ces rapports s’exerçaient sous la surveillance et avec l’autorisation des préfets impériaux, dans des lieux déterminés, à certaines époques de l’année[12].

Pendant tout le cours du IIIe siècle, il n’y eut presque aucune nation qui ne fournît ainsi à l’Empire son contingent d’hommes pour défricher les terres incultes et combler les vides des armées, car c’était là le double but qu’on se proposait en introduisant les Barbares au sein de la domination romaine. La dépopulation des campagnes datait de l’époque des Gracques et des guerres civiles ; elle n’avait fait que s’accélérer pas suite de la concentration de la propriété dans un petit nombre de mains et de la disparition presque complète des cultivateurs libres remplacés par les esclaves. Pline signalait déjà les latifundia comme une des plaies de l’Empire[13]. Cette plaie qui devait être incurable grandit dans d’effrayantes proportions ; les abus d’une centralisation excessive, le luxe des villes et en particulier de la capitale, qui attirait à elle la meilleure partie des habitants des provinces, les famines, les épidémies, les révolutions militaires, si nombreuses à cette époque, les attaques incessantes des Barbares, furent autant d’éléments de dissolution, auxquels la politique impériale essaya vainement de porter remède en infusant un sang nouveau dans ce vaste corps d’où la vie se retirait tous les jours davantage.

Tantôt ce sont les prisonniers faits sur les Goths par l’empereur Claude qui viennent grossir le nombre des esclaves et des colons de Rome[14] ; tantôt les Francs et les Vandales, vaincus par Aurélien, qui se voient contraints de prêter eux-mêmes le secours de leurs bras et de leurs armes contre les autres Barbares[15] ; tantôt cent mille Bastarnes transplantés d’un seul coup sur la rive droite du Danube et cantonnés dans la Thrace par l’empereur Probus, afin d’y réparer les désastres des invasions[16] ; tantôt les Carpes arrachés par Dioclétien à leurs anciens foyers pour venir peupler et coloniser la Pannonie[17] ; tantôt enfin les Chamaves et les Frisons, condamnés par le césar Constance à renoncer à leur vie errante pour labourer et fertiliser les champs déserts d’Amiens, de Beauvais, de Troyes et de Langres[18].

On ne comptait plus par milliers, mais par centaines de mille, les étrangers ainsi mêlés à la population primitive et indigène des différentes provinces de l’Empire. Seize mille Barbares, choisis parmi l’élite de la jeunesse des populations vaincues, furent incorporés pour la première fois par Probus dans les armées romaines à titre de tirones, et disséminés dans les légions par groupes de cinquante ou soixante, en dehors des nombreuses troupes auxiliaires que fournissaient déjà les Germains[19]. Ce grand capitaine, qui venait par ses récentes victoires de relever le prestige de l’Empire un moment ébranlé, de lui rendre tout ce qui avait été perdu sous les règnes précédents, se flattait d’augmenter par là les forces militaires de Rome, sans qu’on pût s’apercevoir de l’introduction d’un élément étranger. Vaine précaution ! Les événements, plus forts que les hommes, déjouèrent les conseils d’une sage prévoyance et précipitèrent l’Empire dans une voie où il fut désormais impossible de l’arrêter. Probus lui-même ne tarda pas à reconnaître combien de tels sujets et de tels auxiliaires étaient dangereux. Une poignée de Francs, établis sur les bords du Pont-Euxin, à plusieurs centaines de lieues de leur patrie, prirent la résolution de briser les liens de leur captivité et de retourner dans le pays qui les avait vus naître. Ils s’emparèrent d’une flotte qui stationnait dans le voisinage, traversèrent l’Hellespont, longèrent les côtes de l’Asie Mineure et de la Grèce, pillant sur leur passage les villes surprises et sans défense. De là ils firent voile vers les côtes de l’Afrique, abordèrent sur le territoire de Carthage, qui ne dut son salut qu’à des renforts expédiés en toute hâte. La Sicile n’échappa point à leurs pirateries ; ils saccagèrent Syracuse, puis, revenant par la Méditerranée, franchirent le détroit de Gibraltar, côtoyèrent l’Espagne et la Gaule et parvinrent jusqu’aux rivages des Bataves et des Frisons, au milieu de leurs compatriotes étonnés de les revoir[20]. L’audace et le succès de pareilles tentatives semblaient annoncer quels seraient les futurs vainqueurs de Rome.



[9] Code Théodosien, édit. Ritter, VII, tit. 17, l. 1. Paratitlon. — Ammien, l. XVII, c. II. — Ibid., l. XVIII, c. II.

[10] Maximilien de Ring, Mémoire sur les Établissements romains du Rhin et du Danube, Strasbourg, 1852, t. I, p. 166-170.

M. Maximilien de Ring, dans son savant ouvrage sur les établissements romains du Rhin et du Danube, démontre très bien pour quelles raisons il faut renoncer à l’étymologie qui avait prévalu jusqu’ici et qu’on trouve encore reproduite dans la plupart des livres, notamment dans le dictionnaire universel d’histoire et de géographie de Dezobry et Bachelet. Suivant cette étymologie, le mot Decumates viendrait d’une dîme, decima, imposée à tous les habitants du pays, tandis que l’origine véritable de cette dénomination est la mesure dont se servaient les Romains pour arpenter les terrains cédés aux colons, decumanus limes. (De Ring., t. I, p. 166-168.) L’opinion de M. de Ring est confirmée par Mone, dans son histoire des origines du pays de Bade (Urgeschichte des badischen Landes, t. II, p. 229-230.) Le mémoire de Niebuhr sur l’arpentage, Anhang über die römische Eintheilung des Landeigenthums und die Limitation, dans le tome II de son Histoire romaine, fait très bien comprendre ce qu’était le decumanus limes.

[11] Ozanam, Études germaniques, t. III, c. VI, p. 301. — De Ring, t. I, p. 152-166.

[12] Dion, l. LXXI, c. XIX.

[13] Pline, Hist. nat., l. XVIII, c. VII.

[14] Trébellius Pollion, Vit. Claud., c. IX.

[15] Vopiscus, Vit. Aurel., c. VII. — Dexippe, De bellis Scythicis fragmenta, c. II.

[16] Vopiscus, Vita Probus, c. XVIII. — Zosime, l. I, c. LXXI.

[17] Ammien, l. XXVIII, c. I.

[18] Eumène, Panégyrique de Constance, c. IX.

[19] Vopiscus, Vit. Probus, c. XIV.

[20] Zosime, l. I, c. LXXI. — Eumène, Panég. de Const., c. XVIII.

 

 

 

 

 

 

 



 

 

 

 

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26 janvier 2013 6 26 /01 /janvier /2013 10:10

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre II - Les Dedititii

 

1. Qu’était-ce que les Dedititii ?

 

Les premiers Barbares établis sur le sol de l’Empire le furent comme vaincus et comme subissant la loi du vainqueur. Après une lutte plus ou moins longue, plus ou moins acharnée, souvent cruelle et sanglante, incapables de prolonger la résistance, cédant devant la force régulière et disciplinée des légions, ils se voyaient obligés de poser les armes, de reconnaître la souveraineté de Rome, et n’échappaient à une ruine complète qu’en se rendant à discrétion, qu’en implorant humblement la clémence de leurs nouveaux maîtres. De là l’expression si énergique, si caractéristique du latin par laquelle ils sont désignés : Dedititii, c’est-à-dire qui se donne, qui se livre soi-même[1]. On ne pouvait  attendre d’une telle situation que des rapports d’étroite dépendance, voisins de ceux qui existaient dans l’antiquité entre le maître et l’esclave. On leur laissait la vie qu’on aurait eu le droit de leur ôter, parce qu’on jugeait plus utile, plus conforme aux intérêts de l’Empire de les employer à son service ; on leur abandonnait des terres incultes ou désertes dont l’État233.jpg ne tirait aucun profit, en échange de celles qui leur étaient confisquées[2]. Ils vivaient du produit de ces terres dont ils n’avaient que la jouissance, et une jouissance précaire[3], car il était toujours loisible à l’État, seul et véritable propriétaire[4], de retirer la concession qui leur en avait été faite ; cette concession, pure et gratuite faveur, n’était point comme un contrat qui lie également les deux parties[5] ; elle ne constituait aucun droit dont celui qui en était l’objet pût se prévaloir. L’État ne se contentait pis de maintenir l’intégrité de ses droits sur les territoires ainsi abandonnés ; il exigeait encore des concessionnaires, sous forme d’impôts ou de tributs, des redevances annuelles, payées soit en nature, soit en argent, proportionnellement au revenu de la terre[6].

Toutes les conditions imposées aux peuples déjà soumis par la république et dont les pays avaient été réduits, après la conquête, en provinces romaines, pesaient sur les Barbares devenus à leur tour sujets de l’Empire au même titre que les provinciales et les peregrini, conformément au droit de gens (jus gentium) tel que le concevaient les anciens.

Fidèles à la politique traditionnelle du sénat, les empereurs cherchèrent de bonne heure à s’assimiler ce nouvel élément de domination. Dès le règne d’Auguste, après les victoires de Drusus et de Tibère, les Ubiens, les Cattes, les Sicambres, les Chérusques, les Cauces (Cauchi), et une partie des Suèves, peuples voisins du Rhin, mais qui habitaient au delà, furent transplantés, au nombre de plus de cent mille, sur la rive gauche du fleuve, au milieu même des colonies romaines, dans les Gaules, où on leur assigna des terres à cultiver[7].

Velleius Paterculus, témoin et acteur dans cette guerre où il servait sous les ordres de Tibère, nous représente l’élite d’une jeunesse innombrable venant, sous la conduite de ses chefs, déposer les armes et tomber aux pieds du général romain assis sur son tribunal, entouré d’un brillant état-major[8]. L’exemple une fois donné fut imité par la plupart des successeurs d’Auguste, après les victoires remportées par eux ou par leurs lieutenants sur les différents peuples de la grande Germanie. Nous trouvons à chaque page des historiens, des biographes, des panégyristes, la mention de quelque nouvelle peuplade vaincue et reçue sur le territoire romain (receptœ nationes). Les conditions de l’établissement varient suivant les époques et les circonstances, mais le principe ne change pas ; le but reste invariablement le même ; il est facile de reconnaître partout l’application d’un même système de politique.

 

[1] En grec ύπήκοοι, Dion Cassius, l. LVI, c. XXXIII. — Du Cange, Glossarium mediœ et infimœ grœcitatis. — Ibid., Glossarium mediœ et infimœ latinitatis, au mot Dedititii.

[2] Du Cange. Concessa nudata cultoribus loca Dedititiis qui ea colerent.

[3] Possessio precaria.

[4] Dominium quiritarium.

[5] Fœdus iniquum.

[6] Tributarii.

[7] Dion, l. LV, c. XXXIII, XXXIV. — Eutrope, l. VII, c. IX. — Suétone, Auguste, c. XXI. — Ibid., Tibère, c. IX.

[8] Velleius Paterculus, l. II, c. CVI.

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19 janvier 2013 6 19 /01 /janvier /2013 07:42

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre I - Les Invasions.

 

Double politique de Rome vis-à-vis des Barbares.

 

Durant toute cette période de quatre cents ans qui précéda et prépara la grande invasion, les Barbares furent en rapports constants avec les Romains appliqués à les discipliner en même temps qu’à les vaincre. Rome avait toujours eu deux politiques à l’égard de ses ennemis, et ces deux politiques elle les employa simultanément pour les Germains comme pour les autres peuples[86]. L’une, malfaisante, consistait à détruire, à opprimer par système, à faire le désert pour régner (ubi solitudinem faciunt pacem appellant), politique d’ambition, d’avarice et de cruauté[87]. Les plus honnêtes d’entre les Romains, partageant les idées et les préjugés nationaux de leurs concitoyens, ne lui refusaient ni leur approbation ni leurs encouragements. Tacite faisait des voeux patriotiques pour que l’esprit de haine et de discorde soufflât sans cesse sur la Germanie, pour qu’elle se déchirât de ses propres mains, tandis que Rome, favorisée des dieux, assisterait comme à un spectacle à des massacres qui ne lui coûteraient rien et dont elle n’aurait  qu’à recueillir les fruits[88]. L’autre politique, bienfaisante et civilisatrice, consistait àbarbare3 associer les étrangers à sa fortune, à les faire marcher avec elle dans les voies du progrès où elle les avait devancés, à leur servir, pour ainsi dire, de guide et d’initiatrice, les faisant ainsi participer aux avantages de son organisation sociale et militaire. Cette participation généreuse et habile n’était pas, il est vrai, tout à fait désintéressée ; son but était de les subjuguer par ces moyens moraux, encore mieux que par la force des armes ; elle s’assurait par là un concours fidèle et dévoué de leur part et les faisait travailler à sa propre grandeur ; il faut avouer qu’elle y avait assez bien réussi aux siècles les plus glorieux de la république pour suivre avec les Barbares cette antique tradition de son gouvernement. Aussi voyons-nous les différents peuples de la Germanie admis successivement dans l’Empire en qualité de sujets ou d’alliés, de colons ou de soldats, pénétrant toutes les couches, tous les rangs de la société romaine, avant de renverser le gouvernement impérial. Chaque guerre entre les Romains et les Barbares était suivie d’un traité stipulant les conditions des rapports futurs des deux nations. Dès le IVe siècle, l’invasion pacifique était consommée. Nous trouvons à cette époque les Barbares dans l’Empire sous divers noms, dont chacun correspondait à un état personnel et légal déterminé.

 

[86] Ozanam, Les Germains, t. III des oeuvres complètes, c. VII.

[87] Tacite, Agricolæ vita, c. XXX.

[88] Tacite, De Mor. Germ., c. XXXIII.

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12 janvier 2013 6 12 /01 /janvier /2013 07:08

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre I - Les Invasions.

 

Les Huns.

 

La seconde moitié du IVe siècle vit se produire dans la Germanie un de ces immenses bouleversements qui ne manquaient jamais d’avoir leur contrecoup sur le monde romain. La nation des Huns, dont la sauvage férocité est devenue proverbiale, fit alors sa première apparition en Europe. Elle n’appartenait plus aux races germaniques, mais à la grande famille des Tartares destinée à couvrir non seulement toute l’Asie et l’Orient, mais une partie du monde européen[65]. Leurs migrations, selon la remarque de Gibbon[66], se trouvent liées à l’histoire des révolutions mêmes de la Chine dont les annales peuvent aider à découvrir les causes secrètes et éloignées qui entraînèrent la chute de l’Empire romain. Les Huns n’étaient pas les premiers Tartares qui eussent franchi la limite de l’Europe et de l’Asie, ils avaient été précédés par les Alains, peuples de même race, bien que d’une civilisation plus avancée[67]. Nous trouvons dès le IIIe siècle les Alains établis sur les bords du Palus-Méotide et du Bosphore Cimmérien ; ils s’étaient répandus en peu de temps dans les provinces du Pont, de la Cappadoce, de la Cilicie et de la Galatie. Arrien, gouverneur de la Bithynie, auteur d’une histoire de l’expédition d’Alexandre le Grand et d’un périple de la mer Noire, avait déjà combattu les Mains et composé contre eux un livre de stratégie intitulé : τά τακτικά. Ils ne cessèrent dès lors d’occuper les pays voisins du Caucase, et pénétrèrent jusqu’aux confins de l’Arménie et de la Médie[68]. Les Alains étaient, comme les Huns, des peuples essentiellement nomades. Leur principale force consistait dans la cavalerie ; ils passaient leur vie à cheval, faisant, ainsi que les Arabes, de leur coursier le compagnon inséparable de leur existence et leur meilleur ami. Ce caractère du reste est commun à tous les Tartares, et le nom générique des langues tartares ou touraniennes, est emprunté au mot toura qui signifie la queue du cheval. Ammien Marcellin[69], Jornandès[70], Zosime[71], tous les historiens gréco-romains du Bas-Empire nous ont laissé un portrait de ces nouveaux Barbares dont les moeurs, les usages, le type même de figure n’avaient rien d’humain et à qui la tradition attribuait une origine légendaire. L’impression produite autrefois sur les Romains par les féroces habitants de la Germanie se trouva dépassée ; l’imagination populaire, prompte à se frapper, ne manquait pas de grossir encore la réalité ; la superstition s’empara de ces terribles images, de ces récits fantastiques, pour semer l’effroi. Les bruits les plus sinistres circulèrent ; le vague pressentiment d’un grand désastre, d’une ruine prochaine, se répandit dans l’Orient ; les vieilles prophéties, annonçant que l’empire du monde devait passer à d’autres nations, furent considérées comme à la veille d’avoir leur accomplissement[72].

 

Le trente et unième livre d’Ammien Marcellin s’ouvre par l’énumération des funestesHun3.jpg présages qui accompagnèrent l’arrivée des Huns. En démolissant les vieux murs de Chalcédoine pour les employer comme matériaux à la construction des nouveaux thermes de Constantinople, on trouva dans ces fondations une pierre carrée sur laquelle étaient gravés huit vers grecs. L’inscription prédisait l’usage qu’on ferait un jour du rempart et la coïncidence de cet usage avec la venue de hordes guerrières innombrables qui franchiraient le Danube, ravageraient la Scythie, la Mésie, et se rueraient jusque sur la Pannonie[73].

 

Les Huns, en effet, brisèrent toutes les résistances qu’ils purent rencontrer, broyèrent sur leur passage peuples, nations et empires. Les Alains, qui eux-mêmes s’étaient adjoint par la conquête depuis leur établissement en Europe une partie des nations voisines, les Neures, les Budins, les Gélons, les Agathyrses, les Mélanchlènes, les Anthropophages, aussi sauvages que leurs vainqueurs, furent les premiers à subir le choc[74] ; leur communauté d’origine et de race avec les Huns rendit leur soumission plus prompte et plus facile ; la majeure partie d’entre eux, après une sanglante défaite sur les bords du Don ou Tanaïs accepta les conditions qui lui étaient offertes et suivit les envahisseurs dans leur marche contre l’Occident ; d’autres, jaloux de conserver leur indépendance, se retirèrent dans la Germanie d’où il devaient plus tard passer dans les Gaules ; d’autres enfin se réfugièrent dans les montagnes du Caucase où on les retrouve encore avec leur ancien nom[75]. Après les Alains, les Goths, leurs voisins, se virent menacés et attaqués. C’était une époque déjà florissante de leur histoire[76]. Ils avaient alors pour roi Hermanrich, le plus illustre des Amales, nous dit Jornandès, qui mérita par ses exploits, par ses victoires et ses conquêtes, d’être comparé au grand Alexandre[77]. Parmi les nations soumises à son empire, on comptait les Scythes, les Thuides, les Vasinabronces, les Mérens, les Mordensimnes, les Cares, les Roces, les Tadzans, les Athuals, les Navegos, les Bubegantes, les Coldes, les Érules, les Vénètes, les Æstiens, tous compris dans les vastes plaines qui s’étendent au nord du Danube et de la mer Noire[78], et dont la plupart avaient des noms à peine connus des Romains ou défigurés pas leurs historiens.

 

Les Goths, moins barbares que les autres Germains, cultivaient les arts de la paix, se livraient aux travaux de l’agriculture, avaient su défricher une partie des vastes territoires conquis par eux et autrefois déserts ; leur langage, comme leur esprit, se perfectionnait au contact des Romains et des Grecs avec lesquels ils se trouvaient depuis plus d’un siècle en perpétuelles relations de commerce ; les missionnaires avaient pénétré dans leur pays pour y prêcher l’Évangile et venaient de les convertir au christianisme ; ils avaient même un commencement de littérature nationale qui consistait dans un recueil de vieilles traditions chantées ou écrites en caractères runiques[79]. Ce degré de civilisation où ils étaient parvenus, ne les préserva point du fléau destructeur. Ils subirent plusieurs défaites, virent incendier leurs riches villages ainsi que leurs moissons ; les hommes, les femmes, les enfants et les vieillards furent massacrés sans pitié[80]. L’apparition des Huns sur le Borysthène (Dniepr) et la mort d’Hermanrich provoquèrent un soulèvement général : les nations étrangères, annexées à son empire, profitèrent de l’occasion pour secouer le joug d’une domination imposée par la force ; l’empire des Goths, comme tous les empires barbares, uniquement fondés sur la conquête, formés des éléments les plus hétérogènes, fut aussi prompt à se dissoudre qu’il l’avait été à s’élever[81]. Les Goths, refoulés par les Huns, durent se replier au-delà du Danube sur le territoire romain, où, reçus d’abord en qualité de suppliants et d’alliés, ils devinrent bientôt les plus redoutables ennemis de Rome. C’était la quatrième fois depuis Auguste qu’elle voyait se presser sur ses frontières toute la Barbarie coalisée contre elle ; attaquée de toutes parts, elle devait faire face en même temps, à l’occident et au nord, aux Allamans, aux Saxons, aux Scots ; au midi, aux Austoriens et aux Maures de l’Afrique ; en Orient, aux Sarmates, aux Quades, aux Goths et aux Perses[82].

 

Les Huns ne s’arrêtèrent pas là. Après avoir chassé devant eux les populationsHun5.jpg européennes du Nord et de l’Est, bouleversé la plus grande partie de la Germanie, ils se trouvèrent en face des Romains et attaquèrent l’empire d’Orient. Attila, leur chef, le fondateur de cette immense monarchie qui couvrait la moitié de l’Europe et un tiers de l’Asie, voulut ajouter à ses vastes possessions les riches provinces de l’Empire ; il conduisit ses hordes jusque sous les murs de Constantinople ; mais cette ville, admirablement choisie par sa position pour relier deux continents, devait être pendant plus de mille ans le boulevard de l’Orient contre les invasions[83]. Attila, impuissant à franchir cette barrière qui avait déjà arrêté les Goths soixante ans auparavant[84], promena ses étendards victorieux à travers l’Illyrie, la Gaule et l’Italie.

 

La grande invasion de 406, conduite par Radagaise, et formée de trois grands corps d’armée qui débordèrent en même temps sur l’Italie et la Gaule, après avoir franchi les Alpes et le Rhin, n’était elle-même que l’ébranlement des populations germaniques chassées par les Huns et contraintes de venir chercher une nouvelle patrie qu’elles ne devaient plus quitter cette fois, parce que l’occupation reposa sur une véritable conquête[85].

 

[65] Ammien, l. XXXI, c. II.  [66] Gibbon, t. V, c. XXX.  [67] Ammien, l. XXXI, c. II.  [68] Ammien, loc. laud. supra.

[69] Ammien, loc. laud. supra.  [70] Jornandès, De Reb. Get., c. VIII.  [71] Zosime, l. IV, c. XX.  [72] Ammien, l. XXXI, c. I.

[73] Ammien, l. XXXI, c. I.  [74] Ammien, l. XXXI, c. II.  [75] Sismondi, t. I, p. 149.  [76] Jornandès, De Reb. Get., c. VII.

[77] Jornandès, De Reb. Get., c. VII.  [78] Jornandès, De Reb. Get., c. VII.  [79] Sismondi, t, I, p. 150-152.

[80] Ammien, l. XXXI, c. III.  [81] Ammien, l. XXXI, c. III et IV.  [82] Ammien, l. XXVI c. IV.

[83] Gibbon, t. VII. Observations sur la chute de l’Empire romain en Occident.  [84] Ammien, l. XXX, c. XVI.

[85] Sismondi, t. I, p. 194-195.

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5 janvier 2013 6 05 /01 /janvier /2013 06:59

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVe SIÈCLE

 

Chapitre I. Les Invasions.

 

Constance - Gratien

 

L’expédition de l’empereur Constance contre les Sarmates Limigantes ou des frontières, en l’an 359, fournit un remarquable exemple de la mauvaise foi des Barbares. Sommés par l’empereur de rendre compte de leurs incursions dans la Pannonie, au cœur même de l’hiver et en dépit des traités, ils demandèrent une entrevue avec Constance pour se justifier et implorer leur pardon. Constance se trouvait alors à Acimincum, près de Bude, en Pannonie, sur les bords du Danube. Les Barbares furent admis en sa présence. Feignant l’attitude la plus humble et la plus respectueuse, ils se mettent tout à coup, à un signal donné par l’un d’eux, à pousser des cris affreux : Marrha, marrha ! c’est leur cri de guerre, nous dit Ammien ; font entendre des hurlements sauvages, lèvent l’étendard de la révolte et profitent du petit nombre des soldats qui entouraient l’empereur pour se jeter sur son tribunal[58]. Constance, à la vue du danger qui le menaçait, de ces milliers de glaives dressés devant lui, descendit en toute hâte, n’eut que le temps de monter à cheval et de fuir précipitamment. Quelques minutes après, le siège de l’empereur et son coussin d’or devenaient la proie des envahisseurs.

 

 Les Romains, qui s’indignaient de pareils attentats commis sur la personne de l’empereur ou contre la majesté de l’Empire, n’étaient guère plus scrupuleux sur le choix des moyens217.jpg quand il s’agissait de se débarrasser d’un ennemi puissant ou dangereux. Ammien nous raconte que Julien fit inviter à un festin des rois et des princes barbares qui n’étaient point entrés dans l’alliance romaine, et qu’on devait les égorger à l’issue du festin[59]. Une autre fois, c’est le roi Vadomarius dont Julien veut s’assurer avant de quitter les Gaules ; il l’attire dans un piège, le fait arrêter en pleine paix et conduire sous bonne escorte en Espagne[60]. Ailleurs, c’est Macrianus, le roi des Bucinobantes, dont on redoutait les talents et le crédit, contre qui se trame une secrète conspiration[61] ou Gabinius, le roi des Quades, immolé au mépris des lois les plus sacrées de l’humanité[62].

 

C’est pour venger la mort de leur roi que les Quades soulevèrent les peuples voisins, formèrent une nouvelle ligue redoutable, l’an 371, franchirent le Danube, tombèrent sur les paysans romains occupés aux travaux de la moisson et en firent un affreux carnage[63]. La fille de Constance, fiancée à Gratien, qui se trouvait dans une villa impériale voisine, faillit elle-même être surprise, au moment où elle prenait son repas, et ne dut son salut qu’à la présence d’esprit du gouverneur Messala qui la fit monter sur sa voiture et conduire à Sirmium, éloignée de vingt-six milles[64]. Les mesures promptes et énergiques de Probus, préfet du prétoire, alors en résidence à Sirmium, éloignèrent l’ennemi dont les coups se portèrent sur deux malheureuses légions, la Pannonique et la Mésiaque ; attaquées séparément et enveloppées, elles furent presque entièrement détruites. Ce premier désastre était le signal des nouveaux maux qui allaient fondre sur l’Empire.

 

[58] Ammien, l. XIX, c. XI.

[59] Ammien, l. XVIII, c. II.

[60] Ammien, l. XXI, c. IV.

[61] Ammien, l. XXIX, c. IV.

[62] Ammien, l. XXIX, c. VI.

[63] Ammien, l. XXIX, c. VI.

[64] Ammien, l. XXIX, c. VI.

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22 décembre 2012 6 22 /12 /décembre /2012 08:02

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ETABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVe SIECLE

 

Chapitre I - Les Invasions.

 

Julien - Valentinien Ier

 

Toutes les expéditions de Julien contre les Francs ou les Allamans, sur le bas comme sur le haut Rhin, pendant les six années consécutives (355-361) qu’il exerça la haute administration civile et militaire des Gaules, tendent au même but. Il a pris soin lui-même de nous révéler les secrets de sa politique et l’histoire de son gouvernement, dans ces fameuses lettres qu’il écrivait aux Athéniens, ses anciens maîtres, dont il recherchait les128.jpg éloges sur le trône comme dans les écoles[50]. Les Athéniens recevaient le bulletin exact de chacune de ses victoires, et par ces conversations intimes, nous sommes mieux renseignés que par les relations officielles adressées à la cour de Milan. L’historien Ammien Marcellin, soldat en même temps qu’écrivain, narrateur fidèle et souvent dramatique des faits dont il a été le témoin, quelquefois l’acteur, est également précieux[51]. Son ouvrage, composé dans les premières années du règne de Théodose, est presque contemporain des événements qu’il raconte. Ammien suit pas à pas son héros ; il nous le montre préparant ses expéditions contre la Germanie, jetant des ponts sur le Rhin, franchissant le fleuve dès le printemps, à la tête de son armée, tombant à l’improviste sur les Barbares, portant le fer et le feu jusque dans leurs demeures, les soumettant par la terreur, avant même de les avoir combattus, ou remportant sur eux de grandes victoires comme celle de Strasbourg (Argentoratum), en 357, leur dictant les conditions de la paix et revenant au bout de quelques mois, soit à Lutèce (Lutœtia Parisiorum), soit à Sens, soit à Vienne, soit à Trèves, prendre ses quartiers d’hiver[52].

 

L’intervalle d’une campagne à l’autre est consacré à faire de nouveaux préparatifs pour l’année suivante, à dresser des plans, à concentrer des troupes, à entasser les approvisionnements nécessaires dans les greniers publics, de manière à assurer la subsistance de l’armée, à relever ou à réparer les forteresses, et, dès que la saison le permet, sans déclaration de guerre préalable, le territoire ennemi est envahi sur quelque point. Les Romains cherchent généralement à devancer les Barbares et à prendre l’offensive. Julien savait admirablement organiser ces colonnes mobiles destinées à faire des pointes plus ou moins avancées dans la Germanie ; il tirait un excellent parti de sa cavalerie dans des reconnaissances pleines de hardiesse, évitait habilement les embuscades que favorisait la nature des lieux et ramenait ses légions avec un riche butin et de nombreux prisonniers. Il s’avança ainsi plusieurs fois jusqu’au Mein.

 

L’empereur Valentinien Ier, digne par son activité, par sa fermeté, par ses talents militaires, de succéder à Julien, fut le continuateur de son œuvre ainsi que de sa politique. Il établit des retranchements et des fortifications jusque sur les bords du Necker, afin de créer une seconde ligne de défense au-delà du Rhin[53]. Ammien nous donne un curieux exemple de sa persévérance. Il s’agissait de détourner le cours du Necker pour jeter les fondements d’un nouveau fort dans une position très importante ; cette opération présentait de sérieuses difficultés pour les ingénieurs du temps ; les légionnaires se mirent à l’œuvre, ayant de l’eau jusqu’au cou, et finirent par triompher des obstacles matériels qui s’opposaient au succès de l’entreprise[54]. Il n’y eut sous son règne aucune colline, aucun passage, aucune vallée qui n’attirât son attention et ne devînt par ses soins une véritable place forte, un centre de résistance. Son fils Gratien, associé de bonne heure à l’Empire et héritier de la tradition paternelle, continua également avec succès le même système de guerre contre les Germains.

 

Les événements qui s’accomplissent à la même époque sur le Danube ressemblent beaucoup à ceux du Rhin. La situation est la même ainsi que les périls de l’invasion : là aussi les empereurs ont à défendre contre les envahisseurs une ligne de frontières non moins étendues que celles des Gaules ; leurs efforts se portent successivement sur les points les plus menacés du territoire romain ; ils établissent leur quartier général à Milan, à Sirmium, à Bregetio, à Carnonte, afin d’être plus rapprochés du théâtre des opérations militaires et ne résident guère à Constantinople plus qu’à Rome. L’aspect de ces différentes villes est plutôt celui d’un camp que d’une capitale ; le général (dux), chargé du commandement des troupes dans chaque province, travaille sans relâche, de concert avec les autorités civiles, à la création, à l’équipement, à l’entretien des armées destinées à aller chercher les Barbares jusque chez eux pour châtier leurs insolences ou prévenir leurs attaques. Quand toutes les forces sont réunies, les préparatifs achevés et l’hiver terminé, les légions s’ébranlent, passent le fleuve, dès le mois de mars, après la fonte des neiges, sur des ponts de bateaux, et pénètrent dans la Sarmatie, sans laisser à l’ennemi le temps de se reconnaître[55]. Généralement ces attaques subites et imprévues, véritables représailles des invasions germaniques dans les provinces romaines, produisaient un grand effet ; la vue des légions, de leur allure martiale, de tout l’appareil dont s’entouraient les Césars, suffisait pour terrifier les Barbares et les mettre en fuite ; ils laissaient, non sans regret, incendier leurs villages, brûler leurs maisons, piller leurs récoltes, et se retiraient avec leurs femmes et leurs enfants dans l’asile impénétrable de leurs forêts ou de leurs marécages, d’où ils ne sortaient que pour venir se soumettre, protester de leur repentir et de leur obéissance future, afin d’éloigner par la soumission un ennemi qu’ils ne pouvaient repousser par la force[56]. Aussi humbles dans la défaite que fiers et intraitables dans la victoire, ils acceptaient toutes les conditions qu’on voulait leur imposer, allaient même au-devant des exigences des Romains et fournissaient les otages demandés, tandis qu’au fond ils nourrissaient le projet secret et bien arrêté de se venger à la première occasion, de saisir le moment favorable pour violer leurs serments et reprendre les armes[57].

 

[50] Julien, Epistolœ ad Athenienses.

[51] Ammien, l. XXX, c. XVI.

[52] Ammien, l. XVI, XVII, passim.

[53] Ammien, l. XXVIII, c. II.

[54] Ammien, l. XXVIII, c. II.

[55] Ammien, l. XVII, c. XII.

[56] Ammien, l. XVII, c. XII.

[57] Ammien, l. XVII, c. XII.

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