Du vivant de Clotaire s’édifièrent de nombreux monastères dont il n’eut pas l’initiative, mais qui manifestent l’élan de ferveur de cette nouvelle nation chrétienne. Les frères de ce roi, malgré la grande difficulté qu’ils semblèrent avoir à appliquer à eux-même les précèptes de la religion catholique, et comme pour compenser leur mauvaise conduite, s’y employèrent. Childebert par exemple, fut un grand bâtisseur de sanctuaires. Outre ceux de Paris, il fut l’auteur de La Celle-en-Berry (ensuite Selles-sur-Cher) ; de Saint-Calais dans le Maine, déformation du nom du premier abbé, Karilef, d’abord à Menat en Auvergne, puis à Micy près d’Orléans, enfin ensuite avec deux disciples en un lieu appelé Anille. Le récit de la découverte de Karilef par Childebert, qui est peut-être la source de la légende de Saint-Hubert (à moins que les deux récits soient l’un et l’autre véridique), vaut la peine qu’on s’y arrête. Childebert avait appris que la forêt d’Anille recèlerait un animal devenu rarissime en Gaule : un grand buffle sauvage (un auroch ?). Il décida d’organiser une grande chasse pour le cerner, et peut-être pour l’occire lui-même. Ces antrustions cherchent l’animal,
trouvent ses traces, le pistent, le poursuivent, et enfin le traquent. Au moment où le roi lui fait face courageusement, le buffle décroche et va se réfugier derrière un ermite apparu juste à ce moment. Childebert ordonne à l’ermite de s’écarter ; mais il n’en fait rien. C’est au contraire à son tour de donner des ordres.
_ Ô roi, au nom de Dieu, épargne cet animal.
Transporté de colère, le roi veut bondir. Mais sa monture est devenue pesante et immobile comme la pierre. Il a beau l’éperonner, elle ne bougera pas. Il s’incline devant le miracle, va baiser la main de l’ermite, et lui donne toute cette partie de la forêt. Ce sera l’abbaye, puis la ville, de Saint-Calais.
Une autre anecdote concernant les fondations de Childebert prend, celle-ci, un caractère humoristique. Samson, évêque de Dol de Bretagne, ayant rendu visite au roi de Paris, celui-ci fut si charmé qu’il fit don à son visiteur du lieu appelé Pentallium, entre Honfleur et Quillebeuf ; ce fut là que s’éleva ensuite une abbaye, sur l’actuelle commune de Saint-Samson-de-la -Roque. Apprenant cette piété constructive, Withur, comte d’Ocismor ou Léon, s’adressa à Childebert pour convenir avec lui l’établissement d’un évêché dans cette partie de l’Armorique. Le futur évêque était tout trouvé : c’était le moine Pol, originaire de Cambrie (pays de Galles), qui avait bâti à monastère sur l’île de Batz, où il avait la réputation d’un mystique et d’un thaumaturge. Withur, ayant reçu l’approbation de Childebert, supplia Pol d’accepter l’épiscopat ; mais il reçut chaque fois un refus énergique. Le roi et le comte montèrent donc un complot.
Withur appela l’Abbé et lui dit :
_ J’ai besoin d’un homme sûr pour une mission de confiance auprès du roi des Francs qui réside à Paris. Je désire en effet lui remettre en main propre une missive de la plus haute importance. Je compte sur vous pour accomplir cette mission.
Humble et dévoué, Pol accepta. Childebert le reçu tout de suite été cache à la lettre. Elle contenait le mot suivant : « Sire, je vous envoie un saint homme que le peuple souhaite ardemment pour son évêque. Mais, malgré ses incomparables mérites, il s’opposa à ce désire par humilité. Je vous supplie donc de lui faire agréer une fonction dont il est le plus digne parmi vous. »
Levant les yeux, le roi considéra l’humble abbé, et fut certain que le comte d’Ocismor avait formulé un jugement juste. Il fit semblant de s’emporter :
_ Eh bien, moine indigne ! On vous requiert de vous consacrer au peuple de Dieu, et vous résistez à cet appel ! Tant de paresse et d’indifférence devrait provoquer la colère du ciel. Je vous somme d’accepter à l’instant l’épiscopat.
Plein de frayeur, Pol se prosterna et se soumit. Le roi alors le releva, l’embrassa et lui remit le bâton pastoral. Aussitôt, trois évêques, qui étaient restés jusque-là dissimulée derrière les tentures, s’élancèrent, entraînèrent vers la cathédrale Saint-Étienne le pauvre moine, qui n’osait se débattre, et lui conférèrent l’ordination épiscopale. Ce fut l’origine du diocèse de Saint-Pol-de-Léon.
Thierry, frère de Childebert et le Clotaire, fréquentait avec vénération son homonyme Saint Thierry, disciple de Saint-Rémi et avait dû Mont-Dor près de Reims. Il se fit aussi le protecteur de Saint Fridolin, moine d’origine irlandaise devenue abbé de Saint Hilaire de Poitiers. Se transportant en Austrasie, il y bâti, avec les encouragements du roi Thierry, deux abbayes en l’honneur de Saint-Hilaire, l’une à l’est de Metz, qui devint Saint-Nabor puis Saint-Avold ; l’autre dans l’île de Secking sur le Rhin, cadeau du roi. Swavegotha, fille de Sigismond et femme du roi Thierry, fit bâtir à Verzy, à quelques lieues au sud de Reims, un petit monastère ; l’un des moines, Basle, à la un jour mener une vie érémitique sur la colline voisine ; après sa mort, à cause de la réputation qu’il laissait, la communauté de Verzy se transporta à l’ermitage : ce fut l’abbaye de Saint-Basle.
Quand le roi Thierry revint victorieux de la rébellion de l’Auvergne, il ramena parmi ses prisonniers un certain Phal. Au passage, il rendit visite à l’ermite Aventin, qui avait créé une petite communauté à Ile (aujourd’hui Isle-Aumont) dans un bras de la scène au sud de Troyes. Aventin arrêta ses regards sur Phal, et le demanda au roi. Il lui inspira toutes les vertus, et en fit son prieur, qui lui succéda après sa mort.
Il est intéressant de noter l’activité monastique de saint Rémi, qui exerça une forte influence dans l’éducation des enfants de Clovis Ier. Ce fut lui qui fit élever le monastère du Mont-d’Or, devenu Saint-Thierry, et auquel il donna pour abbé le moine Thierry, avant d’en faire un évêque de Tournai. Un jour qu’ils étaient ensemble, ils passèrent dans une maison de prostitution, dans laquelle ils entrèrent et se mirent à prêcher l’un et l’autre. Toutes les pensionnaires du lieu se convertirent, et Rémy changea l’établissement en monastère. Quand le grand évêque mourut, en éleva une abbaye sur sa tombe ; ce fut Saint-Rémy, à laquelle on donna au onzième et douzième siècle la fastueuse abbatiale qui reste debout de nos jours.
Il convient de mentionner les principales fondations monastiques, au milieu du sixième siècle, en Bourgogne, dont Clotaire Ier était devenu roi après le massacre des fils de Clodomir. Au début du siècle, le moine Jean, venu de Lérins, avait fondé à Réomé un monastère où il avait implanté la règle dite de saint Macaire, qui régissait la vie de son abbaye originelle ; il y mourut à l’âge de cent vingt ans. L’un de ses disciples, Seine (Sequanus), établi en 534 à Ségestre, aux sources de la Seine, une nouvelle maison qui serait plus tard Saint-Seine-l’abbaye.
C’est durant cette période qu’un moine italien dénommé Maur introduisit la règle monastique dite de Saint Benoit, qui, allait s’étendre au point de supplanter en un siècle toutes les autres règles.