Au VIe siècle avant Jésus Christ, quittant les terres peu fertiles d’Asie mineure, les Phocéens se tournèrent vers la mer. Tandis que Milet envoie des colonies sur les côtes du Pont-Euxin (mer Noire), Phocée lance vers l’occident ses vaisseaux rapides qu’entraînent cinquante rameurs.
Les riches métaux du pays de Tartessos sont une des matières essentielles de leur commerce. En – 600, conduits par Simos et Protis, de jeunes Phocéens fondent Massalia (Marseille) et s’assurent des escales sur le littoral ibérique. Vers – 565, pour éviter de longer le littoral étrusque, ils fondent sur la rive orientale de l’île de Kurnos (la Corse) un nouveau comptoir : Alalia, au débouché du Tavignano. Ce sont des commerçants, pas des pilleurs, aussi la population locale y trouvant probablement son compte, ne s’oppose pas à leur installation.
Celle-ci présentait trois principaux avantages : tout d’abord les richesses d’un arrière-pays ; ressources minières non négligeables (cuivre, fer, plomb argentifère, chaux). En outre, l’importance stratégique de l’île n’échappait point à ces Grecs soucieux d’établir en Méditerranée Occidentale leur hégémonie maritime ; désormais, ils pouvaient prétendre contrôler les côtes d’Etrurie et du Latium et surveiller la mer Tyrrhénienne. De Carthage à Marseille, l’itinéraire maritime par la Corse était enfin le plus rapide : 8 jours 5/6 et 7 nuits contre 22,5 jours et 19 nuits par l’Italie et la Sicile, et 16 jours et 15 nuits par l’Afrique du Nord et l’Espagne.
Une nouvelle civilisation commence à naître : les Grecs introduisent la vigne et l’olivier, exploitent les forêts, élèvent des temples, etc.
En – 553, une grande bataille navale eu lieu, opposant les Phocéens à une coalition de Carthaginois et d’Étrusque, décidés à ne pas laisser les Grecs se forger un empire rival. Vaincu, les Phocéens se replient sur Marseille et Rhégion, abandonnant la Corse à leurs terribles rivaux[1].
La domination étrusque sera de courte durée. Viennent ensuite les Syracusains, puis les Carthaginois mais ceux-ci se heurtent à la population corse bien décidé à conserver sa vie et ses traditions. Ce qui fera d’ailleurs dire à Diodore de Sicile que les esclaves corses « ne sont pas apte à cause de leur caractère naturel, aux mêmes travaux que ceux des autres nations ».
En dépit du traité de neutralité signé en 509, les intérêts économiques de Carthage contrecarraient inévitablement les ambitions de Rome. Luttes implacables, longues et acharnées, les Guerres Puniques qui détruisent l’Empire africain font de la Méditerranée un lac romain et de la Corse une terre romaine.
En 260 avant J.C., le consul L. Cornelius Scipion, vainqueur du combat naval de Myles, passe en Corse et entreprend de lutter contre les troupes du Carthaginois Hannon. Alalia succombe après un siège des plus sévères. À la paix de 241, Carthage conserve pourtant la Corse. Ce n’est qu’un sursis. Profitant de la révolte des mercenaires, T. Sempronius Gracchus conduit alors les légions dans l’île ; l’hostilité des indigènes à cette mainmise romaine nécessite l’organisation de nouvelles expéditions en 236, 234, 231. Les efforts des consuls Licinius Varus, M. Malleolus, C. Papirius Maso aboutissent au rattachement de la Corse à l’administration de la République. En – 221, deux prêteurs gouvernent la province de Sardaigne dans laquelle est englobée la Corse. Une Corse conquise mais non soumise : aux rebellions et soulèvements intermittents des cités côtières s’ajoutent une permanente guérilla. En – 173, 7 000 combattants corses tombent en un seul combat. Les légions de Juventius Thalna et la flotte de P. Scipio Nasica ont néanmoins raison des derniers insurgés. En - 163, la Corse est « pacifiée ». L’île a perdu alors la moitié de ses 30 000 habitants.
La Corse romaine
La civilisation romaine peut donc s’étendre dans l’île ; taxes, impôts, réquisitions s’abattent alors sur les insulaires. A l’exemple de Verrès, le proprêteur de Sardaigne-Corse, Aemilius Scaurus, beau-fils de Sylla édifie une fortune scandaleuse aux dépens des indigènes ; défendu par Cicéron, il sera bien sûr acquitté.
En 94 avant J.C., à l’embouchure du Golo, Marius implante la colonie de Mariana ; en -81, Sylla case à Aleria une partie de ses vétérans, ce qui entraîne le démantèlement des grandes exploitations de la plaine. César qui séjourne en Corse en – 46, renforce la colonisation (et donc le contrôle militaire), colonisation réalisée aux dépens des meilleurs terres corses intégrées dans l’ager publicus.
Auguste érige la Corse en province impériale, administrée par un procurateur soumis à ses ordres directs et résidant à Aleria. Colonie de peuplement, l’île accueille des vétérans en quête de terre, des légionnaires démobilisés, des retraités avides de soleil et de tranquillité.
Repliés dans leurs montagnes, les Corses abandonnent-ils les plaines côtières à l’occupant ? Est-ce seulement dans les régions littorales qu’on peut parler de véritable romanisation ? En fait, progressivement, s’opère une assimilation profitable aux petits et grands propriétaires. D’Orient, d’Italie, arrivent de nouveaux colons. Plus de 100 000 habitants vivent ainsi dans l’île à l’apogée de l’Empire. La langue latine, gage de toute réussite, rapproche les mentalités. Mais dans la plaine orientale, les tentatives pour faire surgir une agriculture aux mains de petits propriétaires tournent court. Blé, vigne, olivier relèvent de grands domaines. Dans les 33 cités, le mode de vie ressemble à celui qui anime toutes les conquêtes romaines.
Insensiblement les montagnes connaissent une hémorragie qui pousse vers les hautes vallées et les cités côtières une partie des habitants. Deux grands centres étendent leur influence : Mariana et Aleria. Avec ses 20 000 habitants, cette dernière fait figure de capitale et de centre commercial réputé. Les brassages de population transforment l’idiome corse en un dialecte dans lequel Sénèque retrouve des éléments « de latin, de cantabre, de ligure et de grec ».
Jugées peu attirantes en raison de leur rudesse, la Corse sert parfois de lieu de bannissement durant l’Empire romain.
Il est probable que Rome construit alors : thermes, aqueducs, forums, prétoires, temple ; mais Rome accapare l’essentiel des richesses : céréale, huile d’olive, poisson, sel, miel, minerais, liège et bois de construction navale… Et l’on sent bien dans les écrits d’auteurs romains le fossé qui sépare les deux peuples : Question de Sénèque : « Quoi de plus féroce comme peuple ? » affirmation de Tite-Live ; « Ce peuple n’a point du tout d’humanité, et il est plus intraitable que les bêtes elles-mêmes » ; constatation de Strabon : « Les montagnards corses vivent de brigandage. Toutes les fois qu’un général romain en ramène quelques-uns à Rome, en esclavage, c’est un singulier spectacle de voir leur férocité et leur stupidité ; ou bien ils se donnent la mort, ou bien leur indocilité et leur stupidité fatiguent leurs maîtres, au point de faire regretter le prix, même minime qu’il soit, auquel ils ont été achetés ».
Christianisation de la Corse.
À partir du IIe siècle, le christianisme conquiert lentement les campagnes et les villes. L’identité des premiers missionnaires peut-être envoyés par Saint Pierre ou Saint Paul, reste imprécise. Ce qu’il y a de certains, c’est que la nouvelle religion doit composer avec les vieilles croyances païennes, force constitutive d’une société encore rurale. Deux grandes figures de martyres émergent de cet anonymat : Sainte Julie étranglée et crucifiée à Nonza, après avoir eu les deux seins coupés sur ordre du gouverneur Félix (450) ; Sainte Dévote[2], patronne de la Corse, que le préfet Barbarus fait trainer sur un sol rocailleux. À proximité de l’ancienne cité de Mariana subsistent encore les grottes de Santa Devota, où les premières communautés chrétiennes trouvèrent asile pour célébrer prières et offices. Cinq cités du littoral, Aleria, Mariana, Nebbio, Sagone, deviennent sièges épiscopaux.
[1] La bataille d'Alalia
[2] Sainte Dévote ou le courage de la foi
Source : Histoire des Corses, Louis Comby éd. Fernand Nathan.