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À la chasse.
Les graffitis exaltant la chasse sont également nombreux et on ne sait pas toujours s’il s’agit de chasse organisée dans l’amphithéâtre où se déroulant dans la nature, sauf lorsque des détails viennent nous aider à trancher.
En effet dans les contrées touffues de la Gaule les animaux pourchassés sont des cervidés, des sangliers ou des taureaux et rarement des animaux exotiques. Les cerfs sont abondants, à Périgueux notamment où ils sont abattus au filet est enfermés dans un enclos où les ramures pointent au-dessus des pieux de la palissade, et sont donc capturés vivants, tandis que d’autres sont percés de flèches ou poursuivies par des chiens ; l’un d’eux, tenu en laisse par son maître aboie et l’onomatopée VAVA figure bien en vue au-dessus. À Ruscino, et à Vindonissa les sangliers se déplacent en hardes et se reconnaissent à leur corps massif et à leurs soies hérissées.
Quelques bateaux.
Les graffitis qui font allusion au monde aquatique sont rares en Gaule, ce n’est pourtant pas faute de disposer de fleuve, de rivières et de lac navigable. Les inscriptions officielles ne manquent pas de nous rappeler la forte présence des nautes, les bateliers des puissantes corporations à l’œuvre sur le lac Léman, la Saône ou le Rhône.
C’est dans l’air sacré du forum de Nyon qu’a été découverte la reproduction d’un bateau à voile, incisée sur les murs blancs d’une galerie souterraine. Elle est surmontée de deux grands triangles ouverts, des montagnes sans aucun doute, qui évoque le panorama visible depuis la terrasse en bordure du forum. Le tableau a été signé par son auteur, TANCUS, un nom d’origine indigène.
À Cucuron, dans la villa du Viély, un bateau monumental de 1,08 m d’euros pour 1,06 m de large a été gravé. Il occupe tout le panneau rouge ocre de la zone médiane d’une riche. C’est la reproduction d’un navire à voile de commerce réel, à coque ronde, très soigneusement représentés. Deux rames de gouvernail à l’arrière et tous les détails des gréements en font une œuvre remarquable, d’un marin averti, sans doute son propriétaire qui savait manier le couteau et le stylet. C’est ainsi qu’il a poussé le détail et le réalisme jusqu’à gratter l’enduit rouge pour créer un effet de damier rouge et blanc pour la cabine de la poupe. Il a utilisé le même effet bichromate pour le mât principal. C’est là un cas exceptionnel. En bas à gauche, des chiffres nous font supposer que le propriétaire a voulu sans doute noter les éléments de la cargaison, objet d’un commerce lucratif.
Un érotisme débridé ?
À côté de tous ces témoignages d’activités diverses et de loisir fort apprécié, il est un domaine particulièrement riche en Gaule, ce sont les inscriptions érotiques. Plusieurs font état d’exploits amoureux, vantardise de lupanar ou d’ailleurs, à ce point mémorable que l’on n’en consigne scrupuleusement la date.
À Périgueux, les messages sont nombreux, ainsi dans la maison de la rue Font-Laurière nous avons un aperçu de déclaration, d’apostrophes érotiques ou obscènes de caractère hétéro et homosexuel ; ailleurs, Divixta appelle son homme, ou un homme un vrai ! Toujours à Périgueux, un homme se vante d’avoir pénétré quatorze fois une certaine Aucina. Et encore plus fort, à Rennes, un homme et a fait l’amour 25 fois et ce sans doute à une professionnelle dont le nom est malheureusement incomplet. La suite du message perdu, ne nous permet pas de savoir en combien de temps ! Un autre encore précisé qu’il l’a fait dix fois.
On peut se demander si les passants ne se sont pas finalement amusés à inscrire leur palmarès amoureux à côté des précédents, dans une sorte de concours d’émulation et de fanfaronnade. Par leur crudité, leur franchise, les graffitis érotiques nous font pénétrer dans l’univers de la sexualité de l’époque romaine. Rappelons que l’art érotique avait sa place chez les nantis, genres et positions de l’amour confondu, comme nous l’expose l’œuvre célèbre d’Ovide : L’art d’aimer.
Les sentiments religieux.
Religion et mythologies sont très rarement le sujet des graffitis, aussi bien en Gaule que dans le reste de l’empire romain. Toutefois, dans les sanctuaires, ou dans des édifices publics, des témoignages fort intéressants ont été retrouvés. À Argentomagus, tombé des murs de la cella du temple 1 du sanctuaire des Mersans, un graffiti montrent la cuirasse d’un guerrier avec son ceinturon et ses pectoraux bien marqués qui font penser à la reproduction d’un modèle réel, vraisemblablement la statue du dieu Mars.
Dans le palais du taureau tricorne d’Augst, érigée vers 200 après J.-C., figurait une Diane accompagnée d’un cerf. Bien reconnaissable à son arc en main gauche, à son bras droit levé vers le carquois qu’elle porte dans le dos, à sa tunique courte repliée sur les hanches, elle suit le modèle statutaire le plus largement répandu en Gaule et en Germanie, répété à loisir par les statuettes de laraires.
Châteauneuf en Savoie, le temple indigène a livré des listes de prière, de protocole de sacrifice et de dépenses gravées par les pèlerins sur schiste, sur tuile mais aussi sur peinture murale.
Enfin, un autre témoin d’époque plus tardive permet de supposer la présence de chrétiens à Glanum. Il a été trouvé contre le côté sud de l’édifice à abside : à deux reprises, le mot grec ichthus, à l’orthographe variable, entoure le petit poisson, symboles chrétiens jouant sur l’abréviation des initiales de la profession de foi « Jésus Fils de Dieu Sauveur ».
Il y aurait bien d’autres exemples à citer où les graffitis sont un moyen d’expression écrite du langage qui nous révèle un degré d’alphabétisation intéressant, où subsistent des îlots de gens parlants gaulois (à Clermont-Ferrand), grec (à Glanum et Contigny), et bien entendu latin. Tout un petit peuple revit sous nos yeux dont les noms, pas moins de quatre-vingts, nous ont été conservés, noms majoritairement masculins, mais aussi féminin, indigènes ou romains.
À travers les messages, on peut deviner les préoccupations de chacun. Rappelons que la population alphabétisée était très faible malgré l’existence d’école, et que beaucoup déchiffrait seulement les « grandes lettres » comme nous le révèle un des personnages du Satiricon de Pétrone.
Il y a le passant en veine de plaisanterie qui interpelle le public et qui se vante ou se plaint : ainsi ce graffiteurs à Narbonne, qui emploie une même expression qu’à Pompéi et qu’à Herculanum : « Nous avions très envie de venir ici, mais nous avons encore plus envie de repartir ». À Narbonne, il manque les premiers mots, et c’est grâce à la popularité de cette « blague » qu’il a été aisé de restituer la phrase en entier. À Pompéi, une ligne de plus nous informe que l’auteur est finalement resté pour les beaux yeux d’une fille ! Ce qui reste fascinant est de savoir qu’un personnage a survécu par ces signes indélébiles et non falsifiables au point qu’on était obligé de les raturer, les marteler pour en effacer la lecture aux yeux des passants, comme cela s’est pratiqué par exemple à Vaison-la-romaine. Un autre phénomène est émouvant, celui des « graffiteurs » successifs, venant enrichir la prose ou les croquis d’un précédent acteur, une main plus assurée venant relayer un autre, les ratés et dessins inaboutis et abandonnés qui sont les instantanés de vies disparues.
Enfin, tous les croquis, parfois véritables tableaux reproduits par des spectateurs attentifs, sont un reflet du cadre de vie, dont l’architecture et le décor peint ou mosaïqué nous donne parfois une idée bien différente. Posséder le portrait de gens complètement inconnus, le reportage complet d’un spectacle dans l’arène, celui d’une battue de chasse aux cerfs, ou au sanglier, tout cela mis en scène sur une paroi dont on cadre le sujet en fonction du décor peint, est le matériau pour reproduire autrement une civilisation gallo-romaine trop souvent aseptisée.
Source : article d'Alix Barbet dans Archéologia N° 457