Des phoros de l’Antiquité aux vectigalia de l’Empire romain
Un examen comparatif de la fiscalité souligne une analogie, voire une proximité, entre les principales civilisations antiques. Toutes les Nations, les grandes monarchies orientales, les Républiques de la Grèce et de Rome eurent la même conception du droit public ou de l’impôt.
Les grandes conquêtes s’accompagnèrent toutes deux razzias et d’exactions. Ainsi, Athènes vivait du tribut des villes qu’elle avait soumises ; Sparte pratiquait le pillage ; Rome soumettait les nations vaincues à son droit. L’impôt paru lorsque les conquérants comprirent qu’il était plus judicieux et plus rentable de substituer au pillage la perception d’un tribut, de laisser aux populations conquises la possession de leurs terres en contrepartie d’un impôt foncier, puis d’une capitation (impôt lié à la personne).
Telle fut l’attitude des Perses, des Égyptiens, qui préférèrent la taxe aux réquisitions diverses. De même, mieux valait affranchir les esclaves et les imposer en homme libre que de les maintenir en servitude pour une rentabilité médiocre.
Le monde égyptien.
Civilisations sophistiquées et organisées, elle connaît un développement fiscal mis en évidence par les nombreux papyrus ou ostraca (fragments de poteries) retrouvés ; la fiscalité repose sur un cumul de taxes locales et nationales. Le contrôle de la fiscalité est assis sur une bureaucratie développée : relevés de terre, documents cadastraux, mesures d’arpentages constituent la base nécessaire pour établir l’assiette et le montant des impôts fonciers.
Pour s’adapter à l’évolution consécutive à l’introduction de l’économie monétaire, l’Égypte, qui pendant longtemps n’a connu que des impôts en nature, a mis en place le système de la ferme pour collecter des recettes en argent. Ainsi, les impôts étaient perçus par des « fermiers », cocontractant de l’État, chargés de percevoir l’impôt en leur nom et, à ce titre, de fournir par provision au trésor royal une somme convenue. Le fermier se rémunérait sur l’excédent éventuel des impôts qu’il avait pu recueillir en fin d’exercice.
Ce système de la ferme, introduit à l’époque lagide, coïncide avec eux l’introduction de l’économie monétaire et du besoin de recettes en argent du roi.
L’époque la Gide (300 av. J.-C.)
À la différence de l’ancien empire, la fiscalité ptolémaïque s’articule principalement autour des corvées, taxe professionnelle (phoros) et impôt sur la terre. Pour ce dernier, elle recourt à un instrument précieux en matière agricole et fiscale, dénommé le « nilomètre », permettant de mettre à jour, au gré des crues du Nil, les relevés des terres qui constituaient la base nécessaire de l’assiette des impôts fonciers.
S’il existe des impôts apparentés (sur les pâturages, les vignobles,, le fonctionnement des bains publics ou des taxes en nature sur certains produits et des taxes de douane aux frontières, l’impôt sur les personnes n’existe quasiment pas, à l’exception d’un impôt sur le sel ou du maintien de l’obligation des corvées, c’est-à-dire des prestations de travail requis des paysans égyptiens pour l’entretien des canaux ou des digues.
S’ajoutaient à ces contraintes les éventuelles réquisitions de logements en faveur des soldats ou des fonctionnaires, mais la répartition de ces charges n’est ni régulières ni uniforme. À cette époque, l’essentiel des revenus provient des taxes indirectes : monopole, droits de douane, péages et taxes sur les rentes.
En raison des guerres difficiles coûteuses telles celles de Raphia en 217 av. J.-C., notamment sous le règne d’Evergète, les hommes depuis les terres furent parfois surtaxés au point de susciter une fuite devant l’impôt, appelée anachoresis, s’exprimant sous la forme de retraite dans d’autres villages ou dans le désert. Ses excès de la pression fiscale conduisirent à une dislocation progressive de l’autorité.
L’époque romaine
Une réorganisation est mise en place reposant sur une augmentation globale de l’impôt en espèces et le développement des « liturgies », c’est-à-dire la perception d’impôts directs confiés à des liturges responsables de la collecte (en espèces et en nature) et de son transport à Alexandrie. Le système repose sur la responsabilité personnelle du liturge, sur ses propres biens en cas de renouvellements inférieurs à ceux qui étaient prévus, comme autrefois, à l’époque lagide, celle du fermier.
L’impôt foncier subsiste sous des formes diverses : redevance emblée, obligation imposée aux propriétaires de cultiver des terres domaniales (épibolé), taxes diverses sur les vignobles, vergers ou jardin potager (géometriâ).
Par ailleurs, se développe la « capitation », pour tous les adultes masculins de quatorze à soixante ans, seules les catégories privilégiées en étant dispensées. Pour assurer la levée de cet impôt sur la personne, un système de recensement est organisé tous les quatorze ans.
En outre, parmi les impôts personnels, les artisans étaient redevables d’une taxe pour l’exercice de leur métier. Il existait également d’autres taxes, sur les moutons, les chameaux, le sel, la bière, l’huile, des taxes de douane ou péages sur les personnes ou les animaux, et même des taxes dites ad valorem pour le transfert de propriété ou sa mise à disposition. Enfin, les Romains continuent d’effectuer des services dits « corporels », consistant en cinq jours de travail à l’entretien du réseau d’irrigation.
Le monde grec
Au VIIème siècle avant Jésus Christ, avec Cyprélos, tyran de Corinthe, apparaît la dîme, c’est-à-dire un impôt du dixième, prélevé pendant dix ans sur les biens des Corinthiens pour l’offrir à Zeus.
La dîme, un impôt intemporelle décence religieuse.
Au demeurant la dîme figure parmi les plus anciens impôts, puisqu’elle existait déjà dans la Bible. Ainsi, Abraham la versait à Melchisedech, Roi de Salem (livre de la Genèse, chapitre XIV, versets 18 à 20) ; le Nouveau Testament évoquera, quant à lui, la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin...
À l’origine, la dîme était présentée comme une offrande à Dieu, proche de la notion des « prémices » qui constituaient également la première part des revenus devant être donné à Dieu.
Dans le même esprit, mais à des fins confessionnelles différentes, le IIIème pilier de l’islam, la Zakât, est une aumône de 10 % due par chaque musulman, pour le purifier de son avarice.
C’est ainsi un droit des pauvres évoquées par le Coran dans plus de 80 versets, pour préciser :
_les biens soumis à cette taxe (bétail, marchandises, fruits, céréales, minerais, ainsi que l’épargne) ;
_les modalités pour s’en acquitter (en général 10 %, sauf sur l’épargne annuelle où le taux est réduit à 2,5 %) ;
_ainsi que les huit catégories de bénéficiaires (sourate 9, verset 60), parmi lesquels les pauvres et les nécessiteux, ou encore les voyageurs en détresse pour les aider sur le chemin de Dieu).
À Athènes, sous la tyrannie de Pisistrate (VIème siècle avant J.-C.), la dîme est un signe d’asservissement prélevé sur les revenus de la terre des populations conquises. Les autres impôts s’apparentaient à des taxes prélevées sur les transactions marchandes.
Jusqu’à l’apparition des liturges, charges confiées aux citoyens les plus riches, il n’existait pas d’administration fiscale proprement dite. En Grèce, le système de liturgie relevait d’une conception aristocratique de la cité où, en contrepartie de l’autorité qui était reconnue aux riches, ces derniers devaient assurer un certain nombre de services.
Toutefois, lorsqu’il fallut financer la guerre du Péloponnèse, les taxes et liturgies se révélèrent insuffisantes ; un tribut supplémentaire fut mis en place, sous la forme d’un impôt exceptionnel dénommé l’eisphora.
L’Empire romain
L’expansion de Rome, qui débute avec les Étrusques autour d’un centre situé sur les rives du Tibre, rendit rapidement nécessaire la mise en place d’un système fiscal assis sur :
_les échanges (droits de douane, d’octroi...) ;
_Un impôt direct appelé le tributum civium romanum, reposant sur une évaluation de la fortune liée de façon directe ou indirecte à l’exploitation de la terre.
Exceptionnel sous Servius Tullius, il deviendra annuel en 406 av. J.-C., lorsque sera créée la solde militaire.
Après avoir assisté puissance terrienne, Rome va s’emparer de la mer puis mener son impérialisme en se tournant vers les Balkans, puis l’Orient, où elle soutint les États les plus commerçants, qui fourniront ainsi les bases de sa future expansion. Dans ce contexte, le système fiscal originel applicable à une Cité allait se révéler inadapté à un Empire ; c’est pourquoi auguste et ses successeurs vont constituer une véritable administration et réorganiser le système fiscal.
L’ambition des empereurs romains visait à ce que l’État pût recueillir des recettes importantes pour financer une armée permanente, des fonctionnaires, une bureaucratie, des grands travaux, l’entretien des routes, les services de la poste, de l’éducation et de la culture. Les Romains organisèrent leurs finances publiques en centralisant les recettes de l’État à travers les Aerarium (trésor de l’État romain par province) sous la dépendance du Fiscus (trésor impérial).
Auguste profitera de l’annexion de l’Égypte et s’inspirera de l’efficacité du système fiscal existant, notamment de l’organisation du cadastre pour améliorer l’efficacité du recouvrement. Il fit établir une nomenclature générale, recensant les divers peuples des régions conquises, les cités, les familles, leurs membres, avec mention des noms, âge, condition, métier, ressources. Ce premier travail de recensement, extrêmement poussée, a permis d’organiser une fiscalité moderne fondée sur le corps des publicains chargé de faire rentrer les impôts (inspiré du système de la ferme existante en Égypte), dont on retrouvera l’équivalent avec les fermiers ou agents d’État de Louis XIV.
Les Romains distinguaient deux catégories principales d’impôts : les tributa et les vertigalia. Les premiers correspondent sensiblement à la définition de l’impôt direct (taxation des facultés contributives d’une personne physique ou morale en revenus ou capitales) ; les seconds aux contributions indirectes qui sont générées par un acte (quelle qu’en soit l’auteur).
L’impôt direct : le tributum
Cet impôt repose sur le cens (census) ; instituer sous la Rome Antique par Servius Tullius, la censure devient sous la République romaine une des plus hautes fonctions de la Magistrature.
Le tributum était un impôt de quotité, assis sur la situation de fortune ressortant du cens, qui donnait une cartographie des situations individuelles. Sous Dioclétien, au Bas Empire, le tributum devient un impôt tant sur la terre (jugatio terrena) que sur les personnes (capitatio humana), les femmes étant taxées pour moitié. Afin d’optimiser l’efficacité de cet impôt dualiste, Dioclétien fit procéder dans tout l’empire à un recensement des biens et des hommes.
La fiscalité romaine fera feu de tout bois et imposera la capitation (impôt personnel), la taille agraire, des taxes à la production agricole de toute nature (blé, huile, vin, figues, pommes de terre...), en prélevant la dîme ; sont également dus la gabelle, impôt sur le sel ; l’« anonne » militaire pour financer l’armée, la nourrir, la vêtir, parfois même pour lui consentir l’hospitalité. L’impôt est dû sur les terres en friche parce qu’elles sont en friche et sur les terres cultivées parce qu’elles sont !
L’impôt indirect
L’impôt indirect frappe la mutation matérielle (aux frontières, à l’entrée des villes ou des ports) ou juridique (droit sur les marchés).
Dans la catégorie des impôts indirects (vectigalia) peuvent être notamment cité :
_les droits de douane, d’octroi de péage ou de taxes assises sur les troupeaux ;
_les taxes sur le négoce ou le transport, la fourniture de chevaux pour l’armée, de recrues pour les décurions et l’entretien des chemins ;
_les impôts sur les transmissions : impôt appliqué aux ventes aux enchères, impôt sur l’affranchissement et sur la vente des esclaves. En l’anVI, Auguste établira l’impôt du 1/20è sur les successions, legs et donations ;
_le portorium : droits d’entrée et de sortie, de douane aux frontières de chaque grande région découpant l’Empire, péages sur des ponts et sur certaines routes, octroi à l’entrée de certaines villes ;
_le chrysargyre : impôt spécial sur l’industrie et le commerce, qui s’est étendu à tous les corps de métier, à l’exception des cultivateurs et ouvriers.
L’étroitesse des liens entre les impôts et l’économie d’échange n’est pas étrangère à l’essor de l’Empire romain, qui privilégiera la recherche de voies commerciales pour asseoir son expansion. Inversement, la régression de l’économie d’échange entraînant celle des impôts indirects, conduira l’Empire romain à demander davantage aux impôts indirects.
La décadence depuis la chute de l’Empire emporteront simultanément celle de l’impôt, annonçant ainsi la mutation vers le Moyen Âge et une nouvelle fiscalité de l’économie médiévale.
Source : Histoire du droit et de la justice en France, ouvrage coordonné par Eve François éd. Prat