Sous Dioclétien, les deux provinces romaines situées au sud de la Loire, l’Aquitaine et la Narbonnaise, sont subdivisées pour former le diocèse des Sept Provinces. Malgré cette unité administrative, la région demeure très contrastée : tandis que l’Aquitaine est tournée vers l’Atlantique, le Midi méditerranéen conserve l’héritage, au même titre que la vallée du Rhône, de la province de Narbonnaise. L’évolution de l’urbanisme des villes du sud de la Gaule diffère ainsi d’une province à l’autre.
Les enceintes réduites
Les fortifications des villes, considérées comme l’une des caractéristiques urbaines essentielles de l’Antiquité tardive, constituent une première différence morphologique. En Aquitaine, durant le Haut-Empire, les chef-lieux de cité étaient des villes ouvertes ; il faut attendre l’Antiquité tardive pour y observer la construction de nombreuses enceintes, le plus souvent caractérisées par des fondations en grand appareil de remploi, avec des élévations en opus mixtum, c’est-à-dire en petit appareil avec des arases de briques, comme dans les villes du nord de la Gaule. Si le phénomène fut le plus souvent interprété comme une réaction aux invasions germaniques de la fin du IIIème siècle, les études récentes, de Louis Maurin en particulier, ont toutefois démontré qu’il fallait distinguer deux groupes, seules les enceintes des grandes villes situées au nord de la Garonne - comme Saintes, Bordeaux ou Périgueux - ayant été érigé à la fin du IIIème ou au début du IVème siècle. Ces enceintes ne protègent qu’une partie de la ville, en laissant parfois de côté le centre civique.
La Narbonnaise, où la plupart des villes ont été fortifiées dès le haut empire, ne semble pas connaître la même vague de construction d’enceintes au IIIème et IVème siècle. Seules les villes nouvellement créées à la suite du démembrement des vastes cités, surtout dans les Alpes, reçoivent peut-être leurs enceintes au IVème siècle. Les autres villes continuent à vivre, tant bien que mal, dans leurs murailles du Haut-Empire.
La parure de la ville antérieure : entretien, abandon, récupération
La construction des enceintes tardives en Aquitaine a des conséquences importantes sur la topographie des villes ; les blocs utilisés dans leurs fondations proviennent en général de la récupération de monuments funéraires, mais également d’édifice public laissé à l’extérieur de la nouvelle enceinte est transformé en carrière. Presque tous les monuments de spectacles disparaissent, même si certains comme à Bordeaux ou Saintes, échappe à un pillage systématique. Des monuments privés de leurs fonctions primitives peuvent être intégrés à la fortification, comme en témoigne la transformation de l’amphithéâtre de Périgueux. Les anciens bâtiments administratifs (forum, Curie) sont souvent laissés en dehors de l’enceinte est démantelée. À quelques exceptions près, les termes ne sont plus entretenus.
En Narbonnaise, l’absence de construction d’enceintes, au IIIème siècle, dans les grandes colonies du haut empire leur évite des modifications urbaines importantes au IVème siècle. L’état de conservation actuelle de monuments de spectacles comme les amphithéâtres d’Arles et de Nîmes ou le théâtre d’Orange, de même que celui de temples comme le temple de Livie à Vienne ou la Maison carrée à Nîmes suppose qu’ils ont bénéficié d’un entretien continu, sans que l’on puisse attribuer pour autant leur maintien à une réutilisation comme église chrétienne.
Les habitations
En Aquitaine, les nouvelles enceintes semblent le plus souvent suffisamment grandes pour abriter toute la population. Si les habitations urbaines sont mal connues, l’impression que l’on en garde et celle d’un déclin de la maison classique à péristyle, typique des quartiers périphériques abandonnés au IVème siècle. Les traces de reconstruction ou simplement d’entretiens sont rares, et même en arbre d’aise, à l’intérieur des enceintes du haut empire, certains quartiers paraissent abandonnés et retournent à l’état de friche. Mais cela n’empêche pas le maintien de zones d’habitat ou d’artisanat, même à la périphérie de la ville.
La christianisation des villes, un début très timide
Bien que le christianisme soit attesté dès le IIème siècle dans la vallée du Rhône, et malgré son développement sans doute rapide en Aquitaine, comme en témoignent dès 314 la liste des souscriptions au concile d’Arles, l’implantation matérielle des bâtiments chrétiens semble tardive. Quoi qu’il en soit, rares sont les traces d’une cathédrale avant la fin du IVème siècle, lorsque Théodorose Ier proclame le christianisme religion d’État (392). Les résultats des fouilles d’église, de plus en plus nombreuses, laissent à penser qu’il ne s’agit pas d’un hasard, mais plutôt d’un choix délibéré des communautés. Au IVe siècle, c’est donc dans les nécropoles qu’il faut chercher les traces de la nouvelle foi, exprimé le plus souvent par des inscriptions et plus rarement par des sarcophages à décor biblique, dont Arles fournit le meilleur exemple.
Périgueux : les mutations urbaines d’une ville antique
Située dans un méandre de l’Isle, Vesunna fondée par Auguste lors de la création de la province d’Aquitaine afin d’établir une nouvelle capitale, construite more romano, pour les Petrucores. Elle reçoit au cours des deux premiers siècles de notre ère, une parure monumentale romaine adaptée à sa topographie : le réseau visière dessert le forum, cœur de la ville progressivement agrandi et embelli, ainsi que de riches maisons décorées, tandis qu’au nord s’élève à un amphithéâtre bordé de carrière d’extraction de calcaire.
Ce dernier bâtiment a laissé une trace profonde dans le parcellaire pétrocorien : son intégration au système défensif de la ville, durant l’Antiquité tardive, pourrait en être la cause. Le comte de Taillefer, archéologue érudit du début du XIXème siècle, a en effet observé, lors d’un sondage, les fondations d’une tour de rempart devant le vomitorium nord ;toutefois, il avait également noté la présence de blocs de grand appareil provenant des gradins de l’amphithéâtre est employée dans les fondations du rempart tardo-antique.Taillefer a alors élaboré une hypothèse plus que vraisemblable. Cet édifice, désaffectée dès le IIIème siècle, a probablement été détourné pour deux usages, sort commun à de nombreux édifices publics romains tels ceux de Lutèce : remploi des blocs pour de nouvelles constructions et intégration du ou des étages les mieux conservés dans une trame urbaine complètement redessinée.
La Vesunna du IVème siècle n’a qu’un faible rapport avec celle du IIème siècle. La ville, dont le centre se déplaçait vers le nord, s’est considérablement réduite, passant de 35 à 5,5 hectares. Elle est fermée par un rempart constitué de vingt-quatre tours et d’au moins trois portes à une baie cintrée : cette structure défensive nouvelle, bâties avec des blocs issus des monuments du Haut-Empire, s’appuie sur des maisons de la même époque, impliquant une profonde modification urbaine menée en moins d’un siècle. Les rues sont déplacées pour desservir les portes d’accès aux remparts, à partir desquels sont accessibles l’ancienne nécropole du Haut-Empire, toujours en activité à cette époque, et la nouvelle nécropole, inaugurée au IVème siècle.
Étudié depuis le début du XIXème siècle, l’antique Périgueux, dénommé Vesunna par les Romains, présente ainsi, de même que de nombreux autres sites archéologiques d’importance équivalente, les caractéristiques des mutations urbaines antiques.
Source : Et Lutèce devint Paris... éd. PARIS musées