Notre langue a été considérablement enrichie par celles des peuples dits « barbares ». Et le français rappelle, par son nom même, l’influence que les Francs ont exercée sur lui.
Les Romains qualifiaient de « barbares » toutes les populations qui ne parlaient ni latin ni grec. Plus tard on a confondu sous ce même terme les diverses tribus dont la langue était le germanique, mais aussi les nouveaux arrivants venus des steppes. Toutefois, si les langues des peuples venus des steppes n’ont laissé aucune trace dans la langue française, celles des Germains se sont perpétuées sur le territoire : la langue des Alamans survit dans l’Alsacien, et le francique lorrain peut encore s’entendre dans une partie des départements de la Moselle et du Bas-Rhin. Enfin, dans le Nord, s’est perpétué le flamand, issu également du francique, parlé par Clovis et Charlemagne.
Une question se pose à ce propos : pourquoi Clovis et ses fils, en soumettant les populations de la Gaule romanisée, n’ont-ils pas réussi à imposer leur langue à tous le pays ? Ont-ils essayé ? Le nombre insignifiant des Francs par rapport à celui des Gallo-Romains (on l’a estimé à 5% de la population totale) pourrait peut-être expliquer en partie cette anomalie. Mais il faut surtout souligner l’importance de l’Eglise dont la langue liturgique, le latin, était aussi, depuis longtemps, celle de l’administration et de l’armée. Néanmoins le francique allait exercer une influence considérable sur la langue à base latine en gestation depuis l’arrivée des Romains et qui allait justement – et paradoxalement – adopter un nom germanique : le français.
C’est à la même époque qu’un changement s’est produit dans le système anthroponymique de la Gaule, qui a éliminé le système latin comprenant quatre éléments (prénom, nom de la gens, nom de la famille et surnom). Sous l’influence du christianisme, qui valorisait le nom de baptême, et sous celle des populations germaniques, dont la coutume était de ne donner qu’un seul nom par individu, l’habitude fut prise de donner un nom unique, usage qui prévaudra jusqu’au XIIIe siècle. Outre les prénoms très usuels, comme Bernard ou Gérard, ont été adoptés : Geneviève, Hugo, Charles, Josseline, Thierry, Mathilde, Godefroy, Guy… Dans la toponymie, certaines racines germaniques ont été particulièrement prolifiques : on retrouve baki (« cours d’eau ») dans Murbach (Haut-Rhin), Roubaix (Nord), Rolleboise (Yvelines)…
Mais l’apport le plus significatif des langues dites « barbares » au français est sans doute celui que l’on constate dans les formes lexicales empruntées à cette époque et qui se sont maintenues au cours des siècles. On trouve ainsi quantité de substantifs concernant la nature (falaise, marais, fange), la vie rurale (bois, bûche, grappe, blé, framboise, roseau, mésange, chouette, crapaud), la vie domestique (cruche, flacon, hanap, beignet, soupe, housse, poche, fauteuil), l’habitat (hameau, bourg, fief), les métiers (maçon, maréchal – que l’on retrouve dans maréchal ferrant – marquis), la guerre (guerre, trêve, flèche, champion)… De même qu’un grand nombre de verbes, la plupart encore très vivants : garder, regarder, lorgner, grogner, rechigner, trépigner, guérir, choisir, éblouir, broder, broyer, gratter, téter, lécher, héberger. Enfin, le français à emprunté aux langues germaniques quelques adjectifs, parmi lesquels frais, revêche, félon, riche…
Mais l’influence germanique ne s’est pas limitée au lexique. Le fait que les toponymes formés d’un adjectif placé devant un nom soient particulièrement nombreux dans le Nord (Neuville, Francheville…) alors que l’ordre inverse domine dans le Midi (Villeneuve, Villefranche…) apporte une confirmation de la forte empreinte germanique dans les régions contrôlées par les Francs.
Source : L'Histoire N° 222