En 52 avant J.C. (702 après la fondation de Rome), le jeune proconsul romain Jules César se rend en pays Parisii pour assister à une assemblée de chef gaulois.
Les Parisii c'est un peuple gaulois installé dans l'actuelle région parisienne. Arrivés vers le Ier siècle de notre ère, ils occuppaient ce territoire concédé par les Sénons, auxquels ils étaient apparentés. Mis à pert la cuvette des confluents de la Seine avec la Marne, la Bièvre et l'Ourcq, les Parisii s'étaient établis également dans la vallée marécageuse de l'Essonne. La Seine étant leur axe vitale. Leur nom leur vient probablement de leurs aïeux, les Kvarisii, le peuple des carrières (kvar), dont le Kw s'est transformé en P. La présence en sous-sol de calcaire et de gypse offrait aux habitants les ressources nécessaires à la construction de mégalithes, dont trois édifiées rive droite servirent longtemps aux dévotions. Leur cité principale est Lucotecia, en langue gauloise.
Jules César, dans "La guerre des Gaules" fournit de précieux renseignements aux historiens, cependant, il va aussi sur certains sujets les induire en erreur.
Dans son ouvrage, Jules César fournit quelques détails, très flous, sur l'emplacement de Lutèce. Il y explique qu'en 52 avant notre ère il envoie le général Labienus combattre les Parisii, qui s'étaient ralliés parmi les premiers à Vercingétorix. À la tête de quatre légions, son lieutenant quitte Sens pour rallier « Lutèce, oppidum des Parisii, situé dans une île de la Seine ». Notons que César utilise indifféremment le mot oppidum pour désigner une éminence élevée ou un centre urbain. Ce n'est pas très précis, mais cela permet d'en conclure que les Parisii habitaient sur l'actuelle île de la Cité.
Cependant, les affirmations du chef romain n'ont jamais été confirmées par les archéologues. Alors certes, les Gaulois construisaient lesurs habitations en bois et en paille, et tout cela a disparu, naturellement. Il n'y a pas eu non plus de découverte significative d'objets métaliques (monnaie, épée, ustensille de cuisine...). Cela peut s'expliquer par le fait que l'île a été si souvent détruite, reconstruite, remodelée, que toute trace originelle en a été effacée.
Alors, va pour la Cité ! Notez : les Parisii, peuple gaulois avaient installé leur principal oppidum sur le chapelet d'îlots (six ou sept à l'époque) se trouvant à l'emplacement de la future île de la Cité.
STOP ! Posez vos stylos. En 2003, des fouilles préventives sont effectuées sur le tracé de l'autoroute A86, au lieu-dit Les Guignons, à Nanterre. Et là, la découverte qui va suivre, va changer beaucoup de certitudes plis ou moins établies.
Habitations, rues, puits, port, sépultures, monnaies... tout y est.
La découverte archéologique de Nanterre n'est pas le fruit du hasard. Déjà, de premières fouilles menées en 1993 sur le chantier de l'autoroute y avaient révélé des traces d'habitations. De nombreux objets artisanaux y avaient été collectés, notamment des enclumettes et des ratés de coulées de monnaie, faisant supposer la présence d'un atelier monétaire. Or les Parisii sont connus pour avoir fait battre de magnifiques pièces d'or valant aujourd'hui une fortune. Jusqu'à 10 000 euros l'unité !
Alléchés par cette première trouvaille, les archéologues de l'Inrap furent cependant contraints à l'inaction. C'est la loi du genre : ils ne peuvent fouiller qu'en état d'urgence, profitant de l'ouverture d'un chantier. Ils patientèrent ainsi dix ans, jusqu'à l'acquisition par le groupe Vinci d'une ancienne fabrique de ressorts pour bâtir à la place un immeuble de bureaux. Double coup de chance : le site est contigu aux fouilles de 1993, mais surtout l'usine ne comportait pas de sous-sol qui aurait détruit tout vestige ancien. C'est donc avec le coeur joyeux qu'en septembre 2003 Antide Viand, 29 ans, archéologue à l'Inrap, entame les fouilles. Il tombe d'abord sur les traces d'un habitat urbain datant de 150 à 50 ans avant notre ère, puis, au-dessous, sur une trentaine de sépultures plus anciennes d'un bon siècle.
De riches commerçants
La disposition des bâtiments selon un plan orthogonal lui fait comprendre qu'il n'est pas en présence d'un simple village, mais d'une cité opulente. « Les objets retrouvés illustrent le quotidien d'une population aisée ; les fibules de fer, les perles de verre, les fragments de bracelets et le torque tubulaire témoignent d'un statut privilégié. » Exactement le genre de découvertes prévisibles dans la capitale des Parisii, riches commerçants contrôlant le trafic de marchandises sur la Seine et ses confluents. Du reste, les vestiges d'un port avaient déjà été trouvés lors d'un précédent sondage, sous la rue Gutenberg de l'actuelle Nanterre.
Bientôt, la fouille s'étend sur 6 000 mètres carrés. Elle met en évidence deux voiries parallèles encadrant de longues maisons d'environ 20 mètres sur 5. Bâties de bois et de torchis, elles ont disparu depuis longtemps. Seuls les trous des poteaux restent gravés dans le sol. En revanche, plusieurs puits en pierre de 2 à 3 mètres de profondeur ont été retrouvés, chacun adossé à une habitation. Une petite étendue de chaussée, composée de cailloux tassés et même creusée d'ornières, a pu également être mise au jour. Au milieu des maisons, les archéologues identifient un espace vide, quadrangulaire, entouré de fossés et de palissades, qu'ils imaginent avoir rempli une fonction collective. La présence d'une broche à rôtir et d'une fourchette à chaudron leur fait penser à une place réservée aux banquets. Et qui sait ? Peut-être était-ce sur celle-ci que Jules César convoqua, au printemps de l'an 53 avant notre ère, l'assemblée annuelle des Gaules ?
Certains pourront s'étonner de la présence d'une cité gauloise en plaine, et non pas sur une éminence ou sur une île facilement défendable. « Le méandre de la Seine qui constitue aujourd'hui la boucle de Gennevilliers était alors plus refermé qu'aujourd'hui, explique Antide Viand. On peut donc penser que le mont Valérien, placé à son ouverture, constituait une défense efficace. »
César qui n'a séjourné guère longtemps dans la région n'aurait-il pas pris la boucle quasi fermée de Gennevilliers pour une île. Il poursuit son récit en écrivant que Labienus se heurte à un marais infranchissable où le vieux chef gaulois Camulogène, placé à la tête des troupes gauloises, se terre. Quel est ce marais ? A l'époque, ils ne manquent pas. En supposant que le général romain ait emprunté la rive gauche, il peut très bien s'agir de celui qui marquait le confluent de la Bièvre et de la Seine, à l'emplacement de l'actuelle place Maubert. Toujours selon César, Labienus fait demi-tour pour traverser la Seine à Melun, puis revient dare-dare vers Lutèce, par la rive droite cette fois-ci.
Où se situait donc Lutèce ?
Première hypothèse : la ville gauloise se trouve effectivement sur l'île de la Cité. Dans ce cas, les légions romaines se heurtent à un nouvel obstacle quasi infranchissable. Car, à l'époque, la Seine se dédoublait à la hauteur de Bercy. Un bras nord partait lécher les pieds des collines de Belleville, Montmartre et Chaillot, enserrant un infâme marais surmonté de quelques buttes. Pour rallier l'île de la Cité, les Romains auraient donc dû franchir le bras du fleuve, puis la zone marécageuse. Peu probable.
Seconde hypothèse : Lutèce se trouve à Nanterre. Cette fois, la marche de Labienus s'en trouve facilitée. Il se contente de contourner la zone marécageuse par le nord pour piquer vers le sud juste après avoir passé le méandre de Gennevilliers. Il se retrouve alors en face de la capitale des Parisii, que Camulogène fait incendier avec ses ponts. On connaît le reste de l'histoire : le rusé Labienus fait semblant de diviser ses forces en trois, à parts égales, avant de profiter d'un orage pour faire traverser en catimini le plus gros de ses troupes dans des barques. Surpris par cette manoeuvre audacieuse, Camulogène est battu à plate couture. Les Romains restent maîtres du champ de bataille et peuvent donc rebâtir la ville incendiée à un endroit leur convenant davantage. Par exemple sur la rive gauche de l'actuel Paris et l'île de la Cité.
C'est donc clair, la première Lutèce peut être définitivement localisée à Nanterre.
Pas si vite. Il reste quelques écueils à lever. Ainsi, la tradition signale l'existence d'un Nanterre celte, appelé Nemetodurum, signifiant la « bourgade sacrée ». Si nous progressons vers la vérité, méfions nous des certitudes et attendons une nouvelle campagne de fouilles pour en savoir plus.
Sources : Jules César La guerre des Gaules, Le Point du 04/03/2004, Lorant Deutsch Metronome