Nourrie du savoir grec, enrichie par la connaissance des praticiens latins et les acquis de la tradition gauloise, la médecine gallo-romaine se singularisait dans trois domaines : l’ophtalmologie, la médecine thermale et les plantes médicinales.
L’ophtalmologie
Les oculistes de la Gaule sont connus par les cachets qu’ils imprimaient sur les bâtonnets de collyres solides. Cette utilisation de collyres solidifiés, ramollis ou délayés au moment de l’emploi, est tout à fait spécifique de la Gaule et des contrés voisines. En d’autres régions de l’Empire en effet, les médicaments des yeux se présentaient sous forme liquide. À tel point que sur les cachets d’oculistes jusqu’ici découverts (au moins 260), la grande majorité vient de la Gaule.
Ils revêtent l’aspect de petites tablettes rectangulaires ou carrées, en pierre dures dont les quatre côtés sont gravés en creux et à l’envers. L’inscription précise l’identité du praticien, le nom du collyre et sa composition, l’affection traitée par le médicament et parfois son mode d’application. Voici par exemple ce que l’on peut lire sur un cachet découvert à Boinville-le-Gaillard dans les Yvelines :
« C DOMITI MAGNI
« DIALEPIDUS ADA
« PACCIANUM
« C DOMITI MAGNI
« EVVODES AD ASPR »
Restituée, l’inscription donne : « C (aii) Domiti (i) Magni dialepidus ad s(spiritudines) » : collyre à base de cuivre de Caius Domitius Magnus contre les granulations (des paupières). « Paccianum » : collyre de Paccianus. « C (aii) Domiti (i) Magni euvodes ad a(spiritudines) » : collyre parfumé de Caius Domitius contre les granulations (des paupières).
Élaborés à base de végétaux – safran, cannelle, pavot, coing, fleurs de buis, etc. – de métaux comme le cuivre ou de substances animales comme le fiel, certains de ces collyres offraient d’incontestables vertus anesthésiantes, calmantes ou thérapeutiques. Ils soignaient notamment les maladies de la cornée, du cristallin, les conjonctives à ses différents stades – avec des préparations appropriées pour chacun – et les maladies des paupières. Mais plus que des maladies, ils traitaient leurs symptômes ainsi que le spécifient des indications comme : « pour l’éclaircissement de la vue », « suppurations » ou « brûlures »…
La spécialité des praticiens gallo-romains en matière d’affections de la vue, est soulignée par Celse, célèbre médecin romain du 1er siècle, qui loue le traitement appliqué en Gaule contre « le flux d’une pituite (mucosités) peu épaisse qui altère l’état des yeux ». Pour lui, l’intervention la plus efficace est celle qui se pratique en Gaule Chevelue : « Les médecins là-bas, explique-t-il, choisissent des vaisseaux situés sur les tempes et sur le sommet de la tête » et les cautérisent, obstruant ainsi les vaisseaux superficiels par lesquels, croyait-on, ces mucosités descendaient du cerveau.
L’opération de la cataracte, la plus décisive dans le domaine de l’ophtalmologie, étaient pratiquées par les médecins à l’époque gallo-romaine. On a souvent prétendu qu’un bas-relief de Montiers-sur-Saulx (Meuse) figurait cette intervention. À l’aide d’un instrument pointu, un homme touche la paupière d’une femme qui tient un petit pot et porte un linge sur l’avant-bras. En réalité cette scène paraît plutôt représenter un examen de l’œil ou l’application d’un onguent. En revanche, les cinq aiguilles et leur étui découverts en 1975 à Montbellet (Saône-et-Loire) sont bien des aiguilles utilisées pour l'opération de la cataracte. Une opération dont Celse décrit minutieusement les différentes phases : « On fait asseoir le malade sur un siège placé dans un endroit bien éclairé, la face tournée du côté de la lumière ; l'opérateur se place vis-à-vis, sur un siège un peu plus élevé. On fait mettre un assistant derrière le malade, pour lui tenir la tête et l'empêcher de remuer ; car au moindre mouvement il risquerait de perdre la vue pour toujours. Afin de donner plus d'immobilité à l'œil qu'on veut opérer, on applique sur l'autre un bandeau de laine. Si la cataracte est sur l'œil gauche, on opère avec la main droite ; et avec la gauche, si elle est du droit. L'aiguille, acérée, mais pas trop mince, doit être alors enfoncée en ligne droite, à travers les deux membranes externes, au point intermédiaire entre la pupille et le petit angle de l'œil, mi-hauteur de la cataracte afin de ne rencontrer aucune veine ; il faut l'enfoncer hardiment car le lieu où elle se dirige est vide ; quand l'opérateur est sûr d'y être arrivé (et le moins habile ne peut s'y tromper, car on éprouve plus de résistance), il incline son aiguille et la tourne doucement sur la cataracte, qu'il abaisse peu à peu au-dessous de la pupille. Il appuie alors davantage sur la cataracte, afin qu'elle reste à l'endroit où il l'a enfoncée. Si elle s'y maintient, l'opération est terminée ; mais si elle revient en place, il faut la couper en plusieurs parties avec cette même aiguille : les fragments ainsi constitués restent plus facilement en place et gênent moins la vue. On retire ensuite l'aiguille en droite ligne, on applique un lainage doux, imprégné de blanc d'œuf, avec par dessus des remèdes, pour éviter l'inflammation, et on pose un pansement.» (De la médecine, VII 7, 13-14).
Source : Les Gallo-romains - tome 2, Gérard Coulon.
Illustrations : cachet d'oculiste, Musée de Bretagne - Merdrignac _ Stèle dite "de l'oculiste", Musée de Bar-le-Duc _ Instruments de chirurgie, Musée de Naples