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17 décembre 2012 1 17 /12 /décembre /2012 07:09

      III. — VOYAGEURS DE GAULE.

 

Les Gaulois firent comme les autres : au temps de la liberté ils avaient été coureurs d’aventures[36] ; au temps de la paix romaine ils devinrent grands voyageurs, surtout voyageurs de commerce.208

 

Nous les trouverons donc partout, eux ou leurs marchandises, en Espagne[37], en Afrique[38], en Bretagne[39], en Italie[40], dans les pays du Danube[41], dans le monde oriental[42], dans le monde barbare, jusqu’au pied du Caucase jusqu’au voisinage de la Baltique. Ils avaient jadis parcouru ces mêmes lieux en qualité de conquérants ou de mercenaires[43] : au lieu de placer leurs bras, ils placent maintenant leurs fibules, leurs poteries, leurs jambons, leurs huiles, leurs vins et leurs lainages. Le Celte et le Belge, au dehors aussi bien que chez lui, a laissé prendre une tournure pacifique à son besoin d’agir, de parler, de gesticuler : mais il n’a pas encore réprimé cette faculté essentielle de sa nature.

 

D’autres partaient de leurs foyers comme avaient fait leurs pères, pour guerroyer au loin. Beaucoup servirent dans les armées du Danube, d’Afrique, d’Orient, surtout de Bretagne. Mais je ne puis dire s’ils avaient choisi eux-mêmes ces garnisons lointaines ou si les légats ne les y envoyaient point d’office. Ils y faisaient leur métier en conscience[44], exposant leurs corps sur les champs de bataille du désert, ce qui ne les empêchait sans doute pas de s’amuser follement dans les faubourgs d’Antioche.

 

Il me semble pourtant que peu à peu le Gaulois se soit lassé de ces longs voyages si chers à ses ancêtres. Certainement, il ne s’expatriait pas, ouvrier ou commerçant, avec la même désinvolture qu’un Italien, un Grec ou un Syrien. Entre toutes les populations de l’Empire, on dirait que c’est celle qui a fini par résister le plus à la contagion de la route, par préférer son chez soi au spectacle des cieux étrangers. La sensation du repos, du loisir familial, était une chose assez nouvelle en Gaule : les hommes s’y abandonnèrent et leurs femmes plus encore. Un jour, un empereur réclama des soldats de Gaule pour guerroyer contre les l’erses : ils refusèrent de quitter leur sol et leurs habitudes pour ces batailles de l’Orient[45]. Au temps de César ou d’Ambigat, quelle joie c’eût été pour eux ! Dès la fin du premier siècle, les princes se résignèrent à ne point arracher les soldats gaulois à leurs quartiers de Germanie[46].

 

Parmi ces peuples, les plus entreprenants, les moins casaniers, sont ceux du Nord-Est, ces Belges qu’on appelait autrefois les Galates, et qui envoyèrent jadis leurs colonies au fond de l’Orient et au milieu de la Grande-Bretagne[47]. Médiomatriques[48], Trévires[49], Ambiens[50], Rèmes[51] et Séquanes[52], gens de Lorraine, de Picardie, de Champagne, de Franche-Comté, de Flandre, de Brabant et de Hainaut[53], sont prêts à partir pour aller trafiquer hors de chez eux, courir les foires, fonder des comptoirs, acheter, vendre et revendre. À Bordeaux et à Lyon, ce sont les Trévires de la Moselle qui forment la plus importante des colonies étrangères ; sur le Rhin, les bonnes places pour le commerce sont prises par les Nerviens du Hainaut ou par les Tongres de la Hesbaye[54].

   

À cet égard, la Gaule d’alors ne ressemblait pas exactement à la France. Dans celle-ci, peut-être dès le onzième siècle, le mouvement sur les routes venait beaucoup des hommes du Midi, Gascons ou Provençaux, toujours en train de conquérir la Gaule. On ne voit rien de pareil sous les Césars. Les Grecs de Marseille eux-mêmes ont perdu l’habitude de monter vers le Nord ; Aquitains de Bordeaux, Landais de Dax, Romains de Narbonne ou Latins de Nîmes ne se risquent pas à chercher fortune dans les villes celtiques, et le Pays Basque n’envoie pas encore ses émigrants sur les routes du monde[55].

 

Camille Jullian - Histoire de la Gaule, Tome V

 

[36] Tome I, ch. VIII.

[37] Venant surtout de Lyon ; C. I. L., II, 6254, 26 [?] ; 2912.

[38] Bull. arch., 1916, p. 87 (épitaphe d’une Viennoise, morte à Volubilis en Maroc, où elle a accompagné son mari, officier, sans doute aussi d’origine viennoise). — Voyage de Narbonne en Afrique. — C’est en Afrique, à la différence des temps actuels, que les gens de Gaule paraissent avoir le moins été.

[39] De Lyon (?), VII, 1334, I et 14 ; de Trèves, XIII, 634 ; VII, 36 ; de Metz, VII, 55 ; Carnute, Eph. épigr., IX, 995. Mercatores Gallicani, sans doute surtout à Londres.

[40] A Rome : Dion, LVI, 23, 4 (en général) ; avocats gallo-romains à Rome ; C. I. L., XII, 155 (de Saint-Maurice) ; VI, 29688 (Viennois) ; 29718 (Nîmois) ; 29709 et 20722 (Lyonnais) ; VI, 11090 (Morvinnicus, Æduus) ; VI, 3302 (Helvète) ; 15493 (Ambien) ; 29692 (Morin). A Bologne, XI, 716 (Carnute). En Cisalpine, XIII, 2029 (Trévire) ; à Milan, et Médiomatrique negociator sagarius (V, 5929). En route, au Grand Saint-Bernard : V, 6887 (tabellarius coloniæ Sequanorum) ; Notizie degli Scavi, 1889, p. 234 (Mediomatricus ?) ; V, 6885 (Ambien), Rome et la Cisalpine paraissent les deux centres de colons gaulois.

[41] Trévires : III, 5797, 5901, 4153. 4400, 5014 ; Ambien : 7415 ; Gabale : 9752. Et voyez l’installation de Gaulois dans les Champs Décumates, t. IV.

[42] Inscription de Mothana en Syrien datée de 342 : Γάλλιξ... 'Ρατομάγου (Rouen) ; Waddington, 2036.

[43] Tome I, ch. VIII, en particulier § 10.

[44] Sauf exceptions : voyez chez Ammien (XVIII, 6, 10, à la date de 359) l’histoire de ce cavalier, originaire de Paris, qui déserta en Perse et s’y maria.

[45] En 360 (Ammien, XX, 4, 10) : Nos quidem ad orbis terrarum extrema ut noxii pellimur et damnati, cantates vero nostræ Alamannis denuo servient.

[46] Quoniam dulcedo vos patriæ retinet, et insueta peregrinaque metuitis loca ; Ammien, XX, 4, 16.

[47] Ce sont d’ailleurs les Belges qui fournissent aussi le plus de soldats.

[48] A Bordeaux (XIII, 623), faber ; un médecin à Autun (XIII, 2674) ; à Sens (XIII, 2954) ; à Trèves (XIII, 3656) ; chez les Lingons (XIII, 5919 ? ?) ; dans les régions du Rhin (XIII, 6394, 6460, 7007, 7369). Un sagarius de Metz à Milan (V, 5929).

[49] A Saint-Bertrand-de-Comminges (XIII, 233) ; à Eauze (XIII, 542), vestiarius ; Bordeaux (XIII, 633 ; 634, negotiator Britannicianus ; 635) ; à Lyon (XIII, 1911, 1949, 1988, 2012, 2027, 2029 ; 2032, negotiator corporis Cisalpinorum et Transalpinorum ; 2033, negotiator vinarius et artis cretariæ) : à Autun et dans le pays éduen (XIII, 2669, 2S39) ; à Sens (XIII, 2956, copo) ; en Germanie (XIII, 7412) ; en Bretagne ; dans les régions du Danube.

[50] A Bordeaux (XIII, 607) ; en Italie. Bellovaques à Bordeaux (XIII, 611) ; à Vienne (XII, 1922). Gens du Vermandois à Lyon (XII, 1688) ; en Auvergne (XIII, 1465) ; à Cologne (XIII, 8341-2).

[51] A Bordeaux (XIII, 628) ; à Saintes (XIII, 1035, 1091) ; à Lyon (XIII, 2008, sagarius) ; à Bonn (XIII, 8104, argentarius) ; à Rindern les Rèmes forment sous Néron une colonie assez importante pour avoir son temple à Mars Camulus (cives Remi qui templum constituerunt, XIII, 8701).

[52] A Bordeaux (XIII, 631) ; à Lyon (XIII, 1990, 1991, 1983 ; 2023, negotiator artis prossariæ).

[53] Pour ces trois groupes : Morins à Nimègue (XIII, 8727) et à Rome ; Nerviens à Cologne (XIII, 8338, negotiator pistorius ; 8339, 8340), à Nimègue (XIII, 8725, negotiator frumentarius), à Saintes (XIII, 1056, manupretiarius barrarius ?) : Tongres en nombre à Vechten (XIII, 8815) ; Ménapes à Bordeaux (XIII, 624).

[54] Les déplacements de Gaulois en Gaule, autres que ceux de Belgique, ne sont que des faits isolés. Ils se produisent surtout vers les deux villes de commerce de Lyon et de Bordeaux.

[55] Je néglige les Viennois établis à Lyon (XIII, 1988) ou à Bordeaux (XIII, 636-7) : ce sont eux d’ailleurs, semble-t-il, qui, en Narbonnaise, ont le plus de tendance à se déplacer.

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