À la suite de la pression exercée par les Anglo-Saxons contre les Bretons pour les refouler vers l’ouest de la Grande-Bretagne, l’émigration en Armorique prit bientôt des proportions considérables. Dès 461, on signale un évêque breton, Mansuetus, au Concile de Tours. Quelques années plus tard, un chef breton, Riothime, à la tête de Bretons armoricains, répondit à l’appel de l’empereur Antheonius, qui lui demandait de défendre Bourges contre les Wisigoths. Il fut battu à Déols. D’autre part, à la même époque Sidoine Apollinaire, évêque de Laon (vers 488), signalait que les Bretons étaient établis sur la Loire.
L’établissement des Bretons insulaires en Armorique entraîne le changement du nom même du pays dès la fin du IVe siècle, l’Armorique, au moins dans une partie occidentale fortement occupée par les Bretons, n’était plus appelée que Britannia, la Bretagne.
L’émigration de Grande-Bretagne en Armorique se fit sans doute par tribus ou factions de tribus. Elle s’accomplit au hasard de la conquête saxonne, sans aucun plan d’ensemble. Une flottille partait sous la direction d’un tiern (chef), ou d’un moine, et cinglait vers l’Armorique que l’on savait déserte. Arrivés dans la péninsule, les exilés se groupaient autour de chefs puissants : ce fut l’origine des principautés créées par les Bretons sur le sol de leur nouvelle patrie.
Les Principautés bretonnes.
Ces principautés furent au nombre de trois : la Domnonée, la Cornouaille et le Bro-Waroch ou Bro-Erec.
La Domnonée.
La Domnonée désigne, jusqu'au IXe siècle, tout le nord de la péninsule armoricaine, depuis l'Elorn jusqu'au Couesnon. La Domnonée de Grande-Bretagne, actuellement presqu’île de la Cornouailles anglaise, fournit un grand contingent d’émigrés. Toutefois, parmi les habitants de la Domnonée armoricaine, depuis l’Elorn jusqu’à la rivière de Morlaix, dans cette partie de la péninsule qu’on le Léon, les Gallois, venus de Caër-Léon ar Wyse, s’y établiront en grand nombre. Les abbés qui ont fondé les premiers monastères de la Domnonée armoricaine, saint Pol-Aurélien, saint Lunaire, saint Samson, saint Magloire, saint Méen, sont en effet d’origine galloise, tandis que saint Tutwal ou saint Tugdual, premier évêque de Tréguier, était venu de la Domnonée insulaire.
La Cornouaille.
Un autre groupe d'émigrants, les Cornovii, qui occupaient le nord de la Grande-Bretagne, pressés par l'invasion saxonne, descendirent vers le sud et se fixèrent à la pointe de la Domnonée insulaire, à laquelle ils donnèrent le nom qu'elle porte encore : Cornouailles, Cornwall. Mais une forte proportion de cette population, pour mieux échapper à l’emprise des envahisseurs germanique, passa la mer et vint s’établir entre l’Elorn et l’Ellé. Le sud-ouest de l’Armorique portera désormais le nom de Cornouaille. Ces Cornovii ont joué un grand rôle dans l’émigration bretonne. Les noms de beaucoup de paroisses du Cornwall anglais se retrouvent dans la Cornouaille armoricaine. Selon Joseph Loth, « le point capital à relever, c’est que la langue bretonne actuelle forme avec le cornique qui fut parlé dans le Cornwall anglais jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, un groupe beaucoup plus intime vis-à-vis du gallois ».
Bro-Werec.
Un troisième lot d'émigrants vint s'établir le long des côtes du Morbihan, depuis l'embouchure de l'Ellé jusqu'à l'estuaire de la Loire. On ne sait trop de quelle région de Grande-Bretagne ils provenaient, sans doute du pays de Galles. Ils formèrent le principauté du Bro-Werec, nom d’un chef fameux, Waroc, qui lutta contre les Francs.
Malgré l’apport de ces émigrants, le Vannetais oriental fut faiblement celtisé et la ville de Vannes elle-même ne tomba définitivement aux mains des Bretons qu’au IXe siècle.
Cette prise de possession du sol par les Breton se fit sans doute par la force, là où les Armoricains étaient en nombre suffisant pour résister aux émigrants dont le christianisme encore récent n’avait point éteint l’humeur guerrière.
La receltisation de l'Armorique.
Dans l’œuvre de « receltisation » de l’Armorique, il faut distinguer deux zones : à l’ouest, l’élément celtique domina complètement, car cette région était en partie dépeuplée. Certains noms de localités, comme La Feuillée, indique cependant la persistance de l’élément armoricain. Mais ces îlots ne tarderont guère à être noyés dans le flot de l’émigration.
À l’est de l’Armorique, au contraire, où la population armoricaine était plus dense, il se forma, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Haute-Bretagne, ou pays gallo, une zone mixte à la fois bretonne et armoricaine.
Des colonies d’émigrants s’installèrent assez loin vers le nord-est de la péninsule (Saint-Hilaire-du-Harcouët, Landivy, Pontmain, Landréan, etc ., sont des noms d’origine bretonne). Les abords de Rennes (Bruz, Pléchâtel, etc.) et les abords de Nantes (Guérande, Paimbœuf) furent partiellement occupée par les Bretons. Tandis que les noms de lieu en é, comme Vitré, Aubigné, Acigné, indiquent la persistance de l’élément armoricain, au contraire des noms en ac (Comblessac, Avessac, etc.), marquent la prépondérance de l’élément migrateur. La fusion entre ces deux rameaux celtiques, les Armoricains et les Bretons ne se fit guère qu’au Xe siècle après la formation du royaume de Bretagne.
« Sans l’émigration bretonne, la péninsule armoricaine aurait été un pays de langue latine province du royaume des Francks, languissante, inculte désolée longtemps encore souillée de paganisme…
L’émigration bretonne lui a donné un peuple nouveau de race et de langue celtique, peuple fier, énergique, indépendant, qui l’a défrichée, fécondée, christianisée en un mot qui en a fait la Bretagne…
Voilà ce que les émigrés ont apporté en ce pays, voilà ce que ce pays leur doit. » (A. La Borderie, Histoire de Bretagne t.I)
Source : Histoire de Bretagne, H. Poisson • J.P. Le Mat éd. Coop breizh