ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS AU IVè SIÈCLE DANS L'EMPIRE ROMAIN
CHAPITRE VI. — LES GENTILES.
Ressemblance de leur condition avec celle des Læti.
Les Gentiles ne forment pas, à proprement parler, une classe spéciale de Barbares, établis dans l’Empire. Leur condition était analogue à celle des Læti avec lesquels on les a souvent confondus, mais à tort, car ils en différaient par le nom, par leur origine, par la date de leur admission, par les lieux mêmes qui leur avaient été assignés pour cantonnements[1].
On a coutume de désigner sous le nom de gentils (Gentiles, Έθνικοί) les nations demeurées païennes par opposition aux chrétiens et aux juifs. Cette distinction se retrouve dans tous les livres du Nouveau Testament et dans la plupart des auteurs latins du IVe siècle, après la conversion des Romains au christianisme. Les Barbâtes idolâtres étaient compris dans cette dénomination générale de gentes qui s’appliquait à tous les peuples placés en dehors du monde romain[2].
Mais il y avait, en outre, à la même époque, certains corps de Barbares, enrôlés au service de l’Empire et qu’on appelait les Gentiles. Parmi ces Gentiles, dont la milice faisait le caractère distinctif et commun[3], figuraient ceux que la Notitia mentionne après les Læti, ayant à leur tête des Præfecti ou Præpositi sous le commandement supérieur du maître de la milice[4]. Ce sont les plus nombreux et les plus importants, quoique inférieurs en dignité. Il importe de bien déterminer leurs rapports avec les Læti et de marquer les différences par lesquelles ils s’en séparaient.
Comme les Læti, les Gentiles formaient des colonies militaires et agricoles sur le territoire romain. On leur faisait des concessions de terres aux mêmes conditions, c’est-à-dire moyennant l’obligation du service militaire pour eux et leurs descendants. C’était une nouvelle pépinière de soldats pour là défense de l’Empire et principalement des frontières, car la plupart des terres qui leurs étaient ainsi concédées étaient des terres vacantes, du domaine de l’État, des terres limitrophes, terræ limitaneæ, comme celles des Læti et des vétérans. Nous en avons la preuve certaine par un texte de loi du Code Théodosien qui nous a été conservé et que nous avons déjà cité à propos des Læti et des terres létiques[5]. C’est un rescrit des empereurs Honorius et Théodose le Jeune au vicarius Africæ nommé Gaudentius : le rescrit est des premières années du Ve siècle, de l’an 409 ; il s’agit des terrains voisins de la frontière, réservés aux Gentiles, à cause du soin et de l’entretien des remparts, charge qui demeurait attachée à la possession de ces terrains. Le législateur insiste sur la nécessité de mettre ordre à certains empiétements, de restituer partout les terrains usurpés à leurs seuls légitimes possesseurs, aux Gentiles, ou à défaut des Gentiles, aux vétérans.
Les Gentiles rentraient dans la classe des soldats de la frontière, limitanei milites, dernier degré de la milice. Leurs Præfecti avaient les mêmes attributions, le même caractère que les Præfecti Lœtorum ; on peut ajouter avec Böcking[6] que leurs droits et leurs privilèges devaient être les mêmes, qu’ils étaient régis au moins civilement, par les lois de leur propre nationalité, puisqu’en cas d’appel seulement les causes jugées par leurs préfets étaient déférées aux tribunaux des magistrats romains pourvus d’une délégation directe de l’empereur[7]. La place même qu’ils occupent dans la Notitia à côté des Læti, l’équivalence parfaite de la dignité de leurs chefs respectifs, le rapprochement de leurs garnisons situées parfois dans une même contrée, dans la même province, tout semble les assimiler les uns aux autres. Trompés par ces analogies incontestables et qui ne pouvaient échapper à personne, un grand nombre d’auteurs ont cru n’avoir aucune distinction à établir entre les Læti et les Gentiles, représentant une seule et même institution sous deux noms différents. Telle est l’opinion de Gaupp qui ne voit dans l’expression Gentiles que le terme générique latin appliqué à tous les Barbares colonisés et dont une espèce, species, s’appelait particulièrement les Læti[8]. Rambach énonce la même idée dans sa dissertation De Lœtis que nous avons déjà citée plusieurs fois[9].
[1] Böcking, II, De Gentilibus, p. 1080-1093.
[2] Maffei, Ver illust., I, p. 205, in-fol.
[3] Du Cange, Gloss., Gentiles. — Rambach, De Lœtis, p. 24.
[4] Böcking, II, p. 119-122.
[5] Cod. Théod., VII, tit. 15, loi 1, De terris limitaneis.
[6] Böcking, De Gentilibus, p. 1086.
[7] Cod. Théod., XI, tit. 30, loi 62, De appellationibus.
[8] Gaupp, Fünfter Abschnitt., p. 169-170.
[9] Rambach, De Lœtis, p. 24.