ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE
Chapitre III - Les fœderati.
Leur mode de cantonnement : 1° l’annona militaris
Les corps de Barbares fédérés, organisés sur le modèle de la légion, étaient commandés par des préfets ou tribuns, pris d’abord parmi les anciens primipiles ou premiers centurions des légions[89], puis appartenant à chaque nationalité, et qui tenaient leur dignité, dans les derniers temps surtout, soit de leur naissance, soit du choix de leurs compatriotes. Assimilés aux troupes romaines, les fédérés étaient soumis aux mêmes règles de discipline, aux mêmes exercices ; en temps de guerre comme en temps de paix, dans les camps comme dans les différentes garnisons qui leur étaient assignées, ils avaient droit à une égale ration, annona militaris[90], fournie en nature, annona in specie, ou évaluée en argent, au prix courant des denrées, forum rerum venalium. Ils avaient aussi le droit de loger chez les propriétaires des villes ou des campagnes, possessores, dans les pays qu’ils traversaient et où ils faisaient un séjour plus ou moins long. Il est curieux d’étudier avec Gaupp en quoi consistait ce droit (metatum[91]) comment il avait été déterminé par la loi, et ce qu’il devint plus tard, lorsque les Barbares, au lieu d’être simplement cantonnés sur le territoire romain, s’emparèrent des provinces, fondèrent des États indépendants et opérèrent avec les anciens habitants de ces provinces un partage des terres, fondé sur une disposition analogue[92]. Le propriétaire, dominus, possessor, était tenu de céder au soldat son hôte, hospes, une portion de sa maison, le tiers, se réservant pour son propre usage les deux autres tiers. Ce partage n’avait point lieu d’une manière arbitraire, mais conformément à certaines prescriptions rigoureusement suivies. On faisait, nous dit le législateur, trois parts égales : le maître en choisissait une, l’hôte en choisissait une seconde, et la troisième revenait encore au maître. Le privilège pouvait dispenser de la totalité ou d’une partie de cette charge très lourde pour les propriétaires dans un temps où les mouvements de troupes étaient constants, surtout dans les provinces les plus voisines de la frontière et les plus exposées aux invasions. Certaines maisons dont la moitié se trouvait exempte n’avaient à fournir que le tiers de la moitié, c’est-à-dire un sixième, d’autres enfin dont les deux tiers étaient exempts fournissaient seulement le tiers du tiers, tertiœ videlicet partis parte tertia hospitibus prœstanda[93]. Ces détails seraient sans intérêt pour nous s’ils ne nous expliquaient le mode de partage adopté par les Bourguignons et les Wisigoths dans les provinces de l’Empire où ils s’établirent. Que firent, en effet, les nouveaux possesseurs de la Gaule et de l’Espagne ? Ils partagèrent par tiers, d’après l’exemple des Romains, avec cette différence que, n’étant plus seulement des hôtes, mais de véritables propriétaires, ils se réservèrent les deux tiers, ne laissant plus qu’un tiers aux Romains dépossédés[94]. En Italie, les Hérules réclamèrent au même titre le tiers des terres et le gardèrent en toute propriété. C’est donc bien comme auxiliaires d’abord, puis comme hôtes, hospites, que les Barbares préparèrent leur établissement futur et définitif dans l’Empire, et, le jour où ils devinrent les maîtres, les rapports qui existaient entre eux et les Romains ne furent changés que par la nouvelle extension donnée à la forme déjà ancienne de leurs cantonnements militaires.
[89] Beck. et Marq., III, 2, p. 376.
[90] Cod. Theod., VII, tit. 4, De erogatione militaris annonæ.
[91] Cod. Theod., VII, tit. 8, De metatis. — Cod. Just., XII, tit. 41. — Novellæ constitutiones Imperatorum Justiniano anteriorum, tit. 5.
[92] Gaupp, Dritter Abschnitt.
[93] Cod. Théod., VII, De metatis. — Gaupp, loc. cit.
[94] Gaupp, Fünfter Abschnitt.