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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 04:59

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre II - Les Dedititii

 

4. Leur assimilation aux colons. Question du colonat : 2° Ses caractères essentiels. 3° Développement du colonat par l'élément barbare.

 

Dans les fragments des grands jurisconsultes qui nous ont été conservés, le colonat n’est mentionné nulle part. C’est à partir du IVe siècle seulement, de Constantin et de ses successeurs, que nous le trouvons inscrit dans les lois, où il tient désormais une grande place comme institution sociale et politique. De cette époque date son organisation définitive et légale ; on peut dire que toute la période précédente avait été la période de formation ; quand il eut grandi, pris de telles proportions qu’il couvrait, pour ainsi dire, la surface de l’Empire, et était devenu la condition d’une partie notable de la population, l’attention du législateur dut naturellement se porter sur la classe des colons, comme sur les autres classes de la société romaine, pour fixer leur situation réglée jusque-là par la coutume ou un simple contrat, pour déterminer les obligations auxquelles ils devaient être245.png soumis, soit envers l’État, soit envers le sol sur lequel ils étaient établis, et les garanties qui leur seraient accordées en retour de ces obligations. Le Code Théodosien et le Code Justinien renferment un grand nombre de titres spécialement consacrés aux colons ; ces textes ont été recueillis, étudiés avec soin, et suffisent pour donner une idée exacte de la condition faite à la population agricole par la législation impériale[30].

Le premier caractère essentiel que revêtit le colonat est l’hérédité forcée. La nécessité de recourir à un remède énergique pour arrêter la dépopulation progressive des campagnes amena l’intervention de l’État dans les rapports qui unissaient les propriétaires aux fermiers. Il fallait assurer le développement et la prospérité de l’agriculture, intérêt que Rome avait toujours mis au premier rang et qu’on ne pouvait négliger sans que le bon ordre public en fût troublé. En vertu d’un principe admis chez les peuples de l’antiquité et par lequel l’individu était sacrifié à l’État, on songea à limiter les droits du cultivateur libre en le faisant esclave de la terre, en l’attachant au sol qu’il ne lui fut plus permis de quitter sous les peines les plus sévères (servi terrœ, glebœ inhœrentes). Cette tendance se manifeste aux premiers siècles de l’Empire. Un rescrit de Marc-Aurèle et de Commode déclare que les cultivateurs établis sur un domaine étranger comme tenanciers (inquilini) sont inséparables du domaine, et que le propriétaire ne peut céder l’un sans les autres[31]. Le lien (nexus) se resserre tous les jours davantage : la femme, les enfants du colon,  sa postérité tout entière (soboles qualiscumque sexus vel ætatis sit)[32] sont enchaînés avec lui par un arrêt terrible, irrévocable, auquel ils ne sauraient se soustraire (quodam æternitatis vinculo)[33]. Ils ne s’appartiennent plus ; destinés fatalement par leur naissance à être colons tommes d’autres curiales ou soldats, ils n’ont pas le droit de choisir une condition différente (originario jure tenentur, et licet conditione videantur ingenui, servi tamen terrœ ipsius, cui nati sunt, existimantur)[34]. Le joug qui pèse sur leur tête est encore plus dur que celui de l’esclave, car l’esclave peut être affranchi par son maître et rendu à la liberté, tandis que le colon n’a aucune amélioration à espérer dans son sort ; il faut qu’il vive, qu’il meure là où il est né et, lorsque tout change autour de lui, seul il est condamné à l’immobilité. C’est comme un stigmate dont il est marqué et qui doit le faire reconnaître partout (originarius). Si la fille d’un colon épouse un homme libre, les enfants issus de ce mariage suivent la condition de leur mère et deviennent eux-mêmes colons, tandis qu’une femme libre mariée à un colon n’exempte point ses enfants de la condition du père[35]. On comprend les efforts tentés par ces malheureux pour braver une loi aussi rigoureuse et échapper à l’avenir qui leur était réservé, efforts presque toujours infructueux, car il n’y avait aucun refuge pour le colon fugitif : il était poursuivi comme l’esclave qui avait quitté son maître et ramené chargé de chaînes[36].

 

[30] Giraud, Histoire du Droit français, t. I, p. 160 et suiv. — Cod. Théod., V, tit. 9. De fugitivis colonie, inquilinis et servis ; — tit. 10, De inquilinis et colonie. — Cod. Just., XI, tit. 47, De agricolis, censitis et colonie ; — tit. 67, De agricolis et mancipiis dominicis, vel fiscalibus reipublicæ vel privatæ.

[31] Digeste, XXX, tit. 1, l. 112.

[32] Cod. Just., XI, tit. 47, De agricolis, l. 23.

[33] Cod. Just., XI, tit. 50, De colonis Palæstinis.

[34] Cod. Just., XI, tit. 51, De colonie Thracensibus.

[35] Guizot, Histoire de la civilisation en France, t. III, 7e leçon.

[36] Cod. Théod., V, et. 9. De fugitivis colonie. — Cod. Just., XI, tit. 63, De fugitivis colonie.

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