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30 janvier 2013 3 30 /01 /janvier /2013 17:56

Qu’ils soient lubriques, amoureux, poétiques, humoristiques ou politiques, les graffitis gallo-romains sont comme ceux d’aujourd’hui : effrontés et familiers, tracés dans l’impulsion d’un moment. Ils reflètent la vie, ses petits tracas et ses grandes passions.

En marge des grands événements historiques, ils expriment les triviales préoccupations des sans-grade: une infinité de petites histoires, immuables et simplement humaines, largement aussi instructives que l’Histoire majuscule.


Chiffres et date.

Dresser sa comptabilité, mesurer, peser, dater. Le souci constant de tenir une liste à jour, d’administrer ses biens, d’en rendre compte à la communauté ou à titre personnel s’illustre sur les murs et dans les inscriptions mineures en général bien plus que dans la littérature antique. C'est sur des pans de murs à fond blanc, donc sur des décors de peu de prix, qu'à Auxerre quelqu’un a inscrit ce qui lui est dû, ou ses propres dettes ou un salaire avec un jour précis dans le mois, entre le 3e et le 6e jour avant les calendes : de six à quatre deniers avec un total de 17 deniers. À Narbonne, une liste de denrées : « pain 1 as, sardines, huile et vin » dont on ne sait pas le prix, font penser à un menu ou à une liste d’achat.

Dans le temple indigène de Châteauneuf, sur les murs peints en rouge vif, des pèlerins déclarent fièrement les sommes qu’ils ont données aux divinités qu’ils sont venus honorer : 12 deniers et demie pour une divinité inconnue, 5 deniers pour un sacrifice à Mercure et deux denier et demi pour un autre à Maia. Comme on le voit, il s’agit toujours de sommes modestes, mais qui documentent de façon précise une vie quotidienne qui nous échappe en grande part.

La découverte en abondance d’inscription datée par ceux qui les ont tracés et qui tiennent à fixer un moment d’éternité est particulièrement émouvante. C’est le cas d’un certain Teucer qui se trouvait dans la maison de Sulla à Glanum le quatrième jour avant les calendes d’avril, soit le 29 mars, de l’année du consulat de Cnaeus Domitius et de Caius Sossius, en 32 av. J.-C. Il n’a pas hésité à le faire en plein sur un beau décor en trompe-l’œil, et bien en vue. Volonté de fixer un événement, une rencontre, c’est ici l’immédiateté qui prime, le rapport au quotidien. À Limoges, un certain Quintus se réjouit de sa nuit amoureuse le jour même des noces de mars, soit le 7 ; le même, ou un autre, précise son passage en nombre de jours indéterminés avant les ides d’août sous le consulat de Severus et de Quintianus, soit en 235 après J.-C.


Croquis et caricatures.

Parmi les croquis, les exercices au compas rappellent ceux que nous faisions, écolier sur nos cahiers de brouillon quadrillés dans les moments de désœuvrement. Cependant ce sont les bustes et portraits qui nous sont les plus savoureux. Homme barbu souvent, à Glanum, ou trogne à grand nez à Lyon, personnage couronné à Narbonne, ou encore bustes sur socle à Vaison-la-Romaine.

L’aspect naïf, mal proportionné ou maladroit de certains graffitis montre qu’on a aussi affaire à des œuvres d’enfants.

Cependant, l’apparente naïveté de certains dessins est parfois le produit d’une stylisation très réussie et le trait n’est pas obligatoirement enfantin. C’est le cas pour un petit bonhomme de Périgueux dont le corps avec la barre de la tunique forme un A, les mains au bout des bras écartés n’ont que trois doigts et la tête est une boule ronde ; un soleil à huit rayons le surmonte et l’inscription SAL portée sur le côté est sans doute à compléter en SAL-VE , (Salut !).236.jpg


Exercice d’école.

En revanche, les abécédaires ont été retrouvés en nombre, notamment à Allonnes, Narbonne, Périgueux et Rennes. Ils sont eux assurément l’œuvre d’écoliers. Le mur devient cahier d’exercices. L’enfant s’entraîne à l’écriture et recommence même plusieurs fois les mêmes lettres.

À Narbonne, l’exercice est à 60 ou 70 cm du sol, nous pouvons estimer que l’enfant ne devait guère dépasser le mètre de hauteur. Sur les murs du péristyle de l’édifice de la rue des bosquets à Périgueux un écolier s’y est repris à trois fois au moins, non sans difficulté, à 95 cm du sol sur le fond rouge d’un panneau étroit du décor, un autre élève a gravé son alphabet, hésitant entre la lettre cursive et la majuscule, puis il a eu l’idée de lier le C et le D pour en faire un cercle barré d’une oblique. Ce genre de graffitis se trouve souvent dans les lieux de passage, péristyle, ou galeries. Rappelons que l’école se tenait surtout sous les portiques ce qu’illustre parfaitement une peinture de Pompéi, où l’on voit même un enfant fouetté par son maître.


Reportage des jeux du cirque.

On sait la ferveur des Romains pour les jeux du cirque et les affiches de Pompéi ou d’Herculanum, annonçant les spectacles, les peintures et les mosaïques qui les reproduisent nous informent sur cette passion. De même les graffitis si nombreux dans les cités campagniennes sont également en nombre en Gaule.235.jpg

À Lyon, maison des Maristes, deux gladiateurs ont été gravés avec un grand luxe de détails et à une échelle appréciable, entre 81 et 84 centimètres, le chiffre XXI qui accompagne l’un d’entre eux représente certainement les 21 victoires acquises par le personnage. Traités de manière semblable, il correspond à un même type de combattants : casque à visière et cimier, torse nu, bras droit protégé par un manchon de protection, caleçons tenus par une ceinture, bande molletiere sur l’une des jambes, il se défend à l’aide d’une épée mi-longue et porte un bouclier rectangulaire incurvé. Le lourd accoutrement de protection n’est pas sans faire penser aux hockeyeurs ou aux footballeurs américains d’aujourd’hui.

D’autres ont été identifiés, à Augst, dans la villa de Saint Ulrich, à Narbonne, à Orange ; dans la villa de Guiry-Gadancourt c’est un gladiateur vaincu qui lève la main droite en signe de missio, pour demander la vie sauve. À Ruscino, c’est précisément le grand filet carré que ce dessinateur a soigneusement élaboré derrière un rétiaire couillu, très schématisé et pointant sur la droite un trident plus grand que lui ; les petites jambes de son adversaire apparaissent un peu plus loin.237.jpg

C’est à proximité du forum supposé de Vaison-la-Romaine qu’ont aussi été retrouvés plusieurs graffitis de combat mouvementé. L’un deux évolue dans un paysage complexe. En bas, à gauche, se trouve un cerf, au-dessus deux bustes. Le premier est celui d’un jeune homme et l’autre, monté sur socle, et celui d’un homme barbu, encadrés par des couronnes accrochées.

Il s’agit très vraisemblablement du portrait d’un empereur sans doute Hadrien âgé et barbu, avec de profondes rides sur le front, des yeux rapprochés et à fleur de tête, le nez long et étroit, la bouche petite, par comparaison avec le buste de jeune homme qui serait alors son favori Antinoüs. Le graffiteur a reproduit le cadre du spectacle, alors que les effigies des empereurs étaient portées en cortège et exposé, et les deux phases d’une journée sont relatées : la venatio, la chasse le matin, qu’illustre le cerf, et le munus avec combats de gladiateurs l’après-midi. Un autre couple montre un rétiaire à droite, pointant son trident en direction d’un sécutor à gauche, bien protégé par son armement habituel. Leurs noms devaient être gravés au-dessus d'eux, mais ils ont été grattés sauvagement par des supporters adverses et ne subsiste qu’un bout du mot NCA et un chiffre de victoires, XII. Biffer le nom et le palmarès d’un concurrent rappelle la passion extraordinaire pour les jeux du cirque, qui soulevait les foules dans tout l’empire romain. Les habitants de Pompéi et ce de la cité voisine de Nucera en sont même venus aux mains dans l’amphithéâtre en 59 après J.-C. La rixe est rapportée par l’historien Tacite dans ces Annales et sur une peinture à Pompéi. Il y eut des morts et des blessés, au point que l’incident entraîna la fermeture temporaire des lieux et l’interdiction de grand rassemblement d’associations pendant dix ans.

Les « tifosi » sont à l’œuvre à Périgueux, dans l’édifice de la rue des Bouquets, contre le forum et à peu de distance de l’amphithéâtre de la cité. De nombreux gladiateurs s’y croisent sur les murs, très fragmentaires, et une inscription mentionne dix morts, un mirmillon appelé Communis.

 

Source : Archéologia N°457

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