Dans l’empire romain, les religions n’imposent pas de dogme concernant l’au-delà, mais le « dernier voyage » fait l’objet d’un ensemble de rites à observer, depuis le décès jusqu’au tombeau, désigné par le mot funus « funérailles ». Il existe toute une hiérarchie de rituelles en fonction des moyens dont disposent les familles. Certains cotisent de leur vivant à une confrérie funéraire, regroupant des gens de même métier ou de même fortune, qui prend en charge l’organisation des funérailles et s’occupe de trouver une place pour ses membres dans une tombe commune. Seule une infime minorité de riches bénéficie d’obsèques célébrées en grande pompe.
Le décès d’un être proche est vécu avant toute chose comme une souillure temporaire qui, par contagion, affecte toute sa maisonnée. La famille et la demeure du défunt en l’honneur duquel s’accomplit le funus sont qualifiés de « funeste », au sens étymologique du terme. La veillée funéraire, qui se déroule dans l’atrium de la maison, correspond à une situation de crise qui ne prend fin qu’avec l’expulsion du cadavre et son inhumation. De cette souillure, il convient de se purifier par des rites adéquats. Dissimulé sous des épaisseurs d’étoffe, le défunt est conduit hors de sa demeure, dont le sol est balayé après le départ du cortège. L’anéantissement définitif de sa dépouille est assuré par le feu purificateur, et tous ceux qui l’ont approché de trop près subissent également l’épreuve de l’eau et du feu. La cérémonie est rythmée par des gestes et formule incantatoire visant à conjurer le mauvais sort.
De toutes les étapes du rituel funéraire, la préparation et le transfert du corps qui précède sa mise en terre sont les plus difficiles à appréhender sur le plan archéologique. La veillée et le cortège mortuaire met en œuvre un ensemble de rites bien établis par les textes, qui laisse quelques traces susceptibles d’être identifié lors de la fouille des sépultures : lits, chars et masques funéraires, ustensiles de toilette, flacon à onguents, offrande de lampes ou de monnaies qui se rattachent à cette étape, même s’il n’est pas possible d’établir avec certitude à quel moment précis des funérailles ils sont intervenus. Le recours aux sources littéraires et iconographiques permet cependant de replacer leur usage dans un ordre logique.
Les textes décrivent dans le détail les gestes qu’il convient d’accomplir après l’expiration du défunt. Son corps est exposé sur un lit mortuaire (lectus funebris), disposées dans la pièce principale de la maison, les pieds face à la porte, en position de recevoir ses hôtes comme il le faisait de son vivant. La dépouille commodément installée, on procède aux derniers adieux, pour une durée qui varie en fonction du statut social : de trois à sept jours pour les plus riches à quelques heures pour les moins fortunés. Devant la porte de la maison, devenue « funeste », sont placés des branches de pain ou de cyprès, en guise d’avertissement pour les passants qui seraient tentés d’y pénétrer et de s’exposer à la souillure. Des lampes à huile allumée sont posées sur le seuil ou sur le rebord de la fenêtre, le temps que dure le travail de deuil. Fermer les yeux du mort (oculos condere) en constitue, comme de nos jours, la première étape (Lucain, Pharsale, II, 740). De ce geste rarement attesté témoigne, indirectement, le masque funéraire moulé « d’après nature » sur le visage de la jeune Claudia Victoria, inhumé dans la nécropole de Trion à Lyon. Ensuite, le fils du défunt ou le membre de sa famille le plus proche l’embrasse sur la bouche pour recueillir son dernier soupir. Puis on l’appelle à trois reprises et à voix haute (conclamatio), à l’aide de formules standardisées qui se retrouveront, un peu plus tard, gravés sur les épitaphes. Ces premiers gestes visent davantage à s’assurer de la mort du défunt qu’à accompagner, retenir ou déplorer son départ. Déposé à terre, le corps est lavé à l’eau chaude et oint d'huiles parfumées, puis on habile le défunt d’une toge blanche, de ses habits de fonction ou, à défaut, d’un linceul de couleur blanche ou noire. On le pare des bijoux et insignes de son rang, comme les anneaux d’or des chevaliers, qui sont généralement incinérés avec le corps (Properce, IV, 7,9). Dans le même temps, on place dans sa bouche ou sur ses paupières une monnaie (le « denier de Charon ») destiné à régler le passage de l’âme sur le fleuve des Enfers. Ces différents gestes sont représentés, isolément ou simultanément, sur de nombreux sarcophages et reliefs funéraires trouvés en Italie, en Gaule et en Germanie.
Images : 1/ Stèle de Primilla _ 2/ Masque de Claudia Victoria. Découvert à Lyon
Source : L'archéologue N° 105 d'après Matthieu Poux