Le plus souvent encore on ne nait pas chrétien. On le devient au terme d’un long cheminement : le catéchuménat s’achève la nuit de Pâques.
Le temps n’est plus, au IVe siècle, où l’on pouvait entrer dans la communauté des « fidèles » et accéder au baptême sur une simple profession de foi chrétienne. Le païen désireux d’être membre à part entière de l’Eglise doit parcourir les étapes d’une préparation morale et religieuse (le catéchuménat) que couronne le sacrement du baptême. Depuis le début du IIIe siècle, vraisemblablement, cette institution complexe s’est progressivement mise en place avec ses usages et ses rites précis. Si l’on observe dans le détail certaines variations selon les régions de l’Empire, le canevas général de toute initiation n’en est pas moins fixé.
Un païen vient s’ouvrir à l’évêque
Il désire se convertir ou simplement s’informer sur la religion chrétienne, sans être forcément décidé à y adhérer. Le prêtre ou l’évêque cherche d’abord à le confirmer dans son désir ou sa curiosité : habilement, il se met à sa place et développe une catéchèse d’initiation destinée à détruire les préjugés de son incroyance. S’il emporte son adhésion, il s’apprête à l’admettre dans le sein de l’Eglise.
Discrètement, il va se renseigner sur la profession du candidat et sur la réputation dont il jouit. Si celle-ci sont recommandables, le nouveau converti est alors admis dans l’Eglise comme catéchumène : nouveau membre du troupeau, il est « marqué » au front du signe de la Croix ; le prêtre répand également un peu de sel sur sa tête car « les entrailles que ronge la pourriture (du péché) se conserve longtemps intactes si on y répand du sel » (Saint Ambroise de Milan, commentaire de l’Evangile selon Luc X, 48).
Libre membre du troupeau
Le catéchumène est désormais chez lui dans l’Eglise. Il est cependant soumis à la discipline du secret, de « l’arcane ». Lors des offices dominicaux, il ne peut assister qu’à la première partie de la messe (lecture et sermon) ; il doit ensuite se retirer. Seuls les fidèles baptisés peuvent prendre part au repas eucharistique à l’intérieur de la basilique fermée aux regards indiscrets.
Le catéchumène est ainsi tenu dans l’ignorance de la nature exacte des mystères centraux de sa religion. Il n’y accèdera qu’après son baptême. Entre temps il doit parfaire son initiation sans le secours d’aucune catéchèse particulière : il s’instruit en assistant au sermon du dimanche ou en s’entretenant avec le prêtre et les fidèles de la communauté. Peu à peu, il donne des gages de l’authenticité de sa conversion, il prouve par son comportement la sincérité de son attachement à l’Eglise. C’est alors qu’il décide de franchir le pas décisif en inscrivant son nom sur la liste des catéchumènes aspirant (competentes) au baptême. Tous ne témoignent pas cependant d’une égale impatience : certains catéchumènes le sont depuis longtemps et ne paraissent guère pressés de quitter cet état somme toute peu exigeant. Les évêques le savent assez qui ne cessent de s’en plaindre amèrement dans leurs prônes dominicaux : « Personne encore ne s’est inscrit, il fait encore nuit pour moi. J’ai jeté la nasse de la parole à l’Epiphanie et je n’ai encore rien pris », soupire sant Ambroise de Milan (Commentaire de l’évangile selon Luc IV, 76.). Il est des croyants trop scrupuleux qu’obsède le sentiment de leur faiblesse, mais il est aussi des calculateurs qui retardent indéfiniment le moment de réformer leur vie. Dans l’un comme dans l’autre cas, on a la preuve de l’image exigeante que les premiers chrétiens se font de leur baptême.
Le temps de la retraite
Selon les usages locaux, on baptise à Pâques, à la Pentecôte ou à l’Epiphanie (en Orient surtout). A Milan, par exemple, comme à Hippone chez saint Augustin, on baptise une fois l’an à la veillée pascale. Les candidats peuvent se déclarer et « donner leur nom » depuis l’Epiphanie jusqu’au premier jour du carême. A cette date commence la grande retraite baptismale, la retraire quadragésimale (40 jours). Au cours d’un premier « scrutin » ou examen de vie, l’évêque scrute chaque « aspirant » et décide s’il est digne de se préparer au baptême. Puis commencent les exorcismes quotidiens pour aider les « lutteurs » à combattre Satan. On jeûne, on fait pénitence, on se soumet à plusieurs « scrutins », on dépouille peu à peu « le vieil homme » compromis avec le « monde ». Chacun s’apprête ainsi à la grande « mue » de son baptême et continue son instruction en suivant un catéchisme spécial.
Mais « chez un chrétien, la première qualité c’est la foi » (saint Ambroise de Milan, Des Mystères 9, 55) : si les futurs baptisés se pénètrent du sens de ce qu’ils vont vivre, ils continuent d’ignorer les cérémonies par lesquelles ils devront passer. On s’étonnera aujourd’hui que ce baptême, ce pivot de toute la vie chrétienne, reste entouré d’un tel mystère : c’est que le croyant, accueillit par l’Eglise, doit d’abord lui vouer une totale confiance ; de l’avis même des Pères, le choc émotionnel et spirituel doit précéder l’intelligence ; et puis la catéchèse doit rester progressive : les rites les plus ardus et les plus riches ne doivent pas être découverts trop tôt, de peur qu’on ne sache plus les goûter à leur juste valeur. « Tiens au chaud dans ton cœur les profonds mystères, de peur que par un discours prématurés tu n’offres à des oreilles hostiles ou trop débiles des plats, en quelque sorte, qui ne sont pas cuits et celui qui t’écoute ne se détourne et n’éprouve un dégout mêlé d’effroi » (saint Ambroise de Milan, De Caïn et Abel I, 9, 37).
On se prépare donc au baptême sans savoir totalement en quoi il consistera ; on s’apprête à vivre des rites énigmatiques dont on ne connaîtra le sens que dans la huitaine qui suivra Pâques. Vient enfin le dimanche des Rameaux : « Jusqu’à maintenant, on a cherché à découvrir si aucune impureté ne demeurait attaché au corps de l’un d’entre vous ; maintenant le jour est arrivé de vous livrer le symbole » (saint Ambroise de Milan, Exposé du symbole I). Ce jour-là après la messe, l’évêque rassemble les « aspirants » dans le baptistère pour leur détailler les douze articles du Credo. Ils doivent sur l’heure l’apprendre par cœur, car ils le « rendront » publiquement au cours de la semaine sainte devant les fidèles rassemblés. C’est là la dernière étape avant le grand jour.
Vivre sa renaissance
Telle est la substance de ces heures précipitées. Autant jusqu’ici le cheminement à été lent, voire long, autant maintenant chaque minute pèse son poids de mystère et de rites. On imagine mal aujourd’hui ce que pouvait être la ferveur et certainement la curiosité de ces competentes n’en croyant pas leurs yeux.
Onction pré-baptismale, renoncement à Satan, bénédiction des eaux, baptême, onction post-baptismale, revêtement des tuniques blanches, confirmation, procession à la basilique et enfin messe eucharistique. Viennent ensuite différents épisodes de la liturgie du baptême au cours de cette nuit de Pâques. « L’aspirant » maintenant baptisé est devenu néophyte, enfant : c’est un nouveau-né. Il n’est pas, dès le lendemain de son baptême confondu dans la masse des fidèles. Il garde pour une semaine encore, son vêtement blanc qui le désigne à l’attention de ses frères. Il ne participe pas à la « messe des fidèles », car il doit, au préalable, intérioriser ce qu’il a vécu une fois pour pouvoir le revivre avec intelligence et en profondeur d’autres fois. Il a donc le devoir d’assister du lundi au dimanche d’après Pâques aux sept sermons de la catéchèse dite « mystagogique » que l’évêque lui destine : il y découvre la pleine signification des rites par lesquels il est passé durant la nuit pascale. Au cours de cette « octave » qui s’égrène de Pâques à Quasimodo, il acquiert désormais la pleine connaissance des mystères de la religion. Il n’est désormais pour lui plus « d’arcane », plus de secret. Au dimanche de Quasimodo (ou dimanche in Albis depositis, mot à mot : dimanche des vêtements blancs déposés) il peut quitter son habit d’initié pour se fondre dans le « corps » du Christ.
Images : Saint Ambroise de Milan _ Baptistère saint Jean de Poitiers
Source : 2 000 ans de christianisme Tome I, Collectif sous la direction d'André Mandouze éd. Hachette _