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3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 16:25

 

   En 542, Clotaire et Childebert organisent une expédition guerrière au-delà des Pyrénnées. La traversée de la chaine montagneuse de déroule sans encombres. Ils s'emparent de Pampelune, Saragosse sera la prochaine étape.


   Mais lorsqu’ils arrivent devant l’ex Caesaraugusta (nom donné en l'honneur de Caesar Divi Filius Augustus), ils trouvent une ville défendue par de fortes murailles derrière lesquelles veille une garnison déterminée.

Qu’à cela ne tienne, les deux frères organisent un blocus autour de la ville, et se ravitaillent en pillant les campagnes environnantes. Saragosse n’a aucune chance de s’en tirer, et devra bien se rendre tôt ou tard.


   Les autorités de la ville sont wisigothes, donc ariens. Mais la population indigène, d’origine celtique, est catholique. Les vivres étant réquisitionnés, comme toujours, par les autorités, la pénurie de nourriture ne tarde pas à se faire sentir au sein de la population modeste. Le clergé, voyant son peuple affamé et l’entrevoyant massacré, décide alors de réagir. Mais que faire ? Prendre les armes ? Pas question. S’enfuir ? Impossible. Il ne restait plus qu’une solution : demander l’aide de Dieu !

   On prie dans les églises et on organise des cérémonies intra-muros. Puis l’évêque, comme pour aller à la rencontre du Seigneur dont il demande l’intervention, décrète une grande procession autour des fortifications.

   En tête, les clercs brandissent la tunique du patron de la ville, le diacre saint Vincent, mort martyr en 304.

108.jpeg
      Saint Vincent de Saragosse en prison. Peinture à l'huile. Auteur anonyme, école de Francisco Ribalta

   Les guerriers francs n’allaient pas s’attaquer à de si misérables adversaires, d’autant plus qu’il s’agissait là d’un acte liturgique en l’honneur de Dieu et de ses saints ; et si leur férocité les poussait à trucider des ennemis ariens, leur foi leur interdisait de frapper de braves catholiques désarmés.


  Devant cette ferveur chrétienne, cette preuve de sincérité dans la Foi, Clotaire et Childebert sont dévorés de curiosité. Ils distinguent mal, de loin, la nature de ces reliquaires et de ces bannières, portés au son des hymnes et des cantiques. Childebert voulant en avoir le cœur net envoie aux nouvelles une patrouille qui, tandis que la procession réintègre la place, s’empare d’un brave homme et l’emmène devant le roi.

 _ Qu’est-ce donc, demande alors le roi, que vous promenez ainsi en tête de votre procession ?

 _C’est un objet bien précieux, illustre seigneur : la robe de notre grand saint Vincent. L’une des reliques les plus vénérées de toute l’Espagne.


  Les deux rois, comme beaucoup de leurs contemporains, ont pour les reliques une ferveur toute spéciale. Non pas tellement semble-t-il, parce qu’il leur accorde un pouvoir magique, mais par une vénération qui est un effet de leur foi. Or, aujourd’hui, celle qui est à leur portée dépasse leurs espoirs.  Comment se l’approprier ? Il n’est pas question d’utiliser la violence contre le clergé pour s’en emparer, ce serait agir en contradiction totale avec le caractère sacré de l’objet convoité. Alors une transaction ? Mais de quelle nature ? Ils n’ont qu’une seule chose à proposer en échange d’un tel trésor : la levée du siège et l’abandon du pillage de la ville.

  D’ailleurs, que font-ils là, à attendre une reddition supputée tardive ? A quoi bon la prise de Saragosse ? Leur absence de leurs royaumes ne constitue-t-elle pas un danger ? Leur neveu Thibert qui vient d’essuyer un revers en Italie ne risque-t-il pas de profiter de l’absence de Clotaire pour pénétrer sur son territoire ? Préserver Soissons et Paris vaut mieux que gagner Saragosse. C’est décidé, on passe dès lors de la guerre à la diplomatie.

  Les deux frères pour une fois d’accord dans leur tactique, choisissent  quelques antrustions de belle mine et d’une suffisante intelligence, avec quelques clercs rompus aux affaires ecclésiastiques, et en font leurs plénipotentiaires. Ceux-ci  se rendent auprès de l’évêque de Saragosse et lui soumettent la proposition de leurs maîtres : la levée du siège contre la tunique du grand saint Vincent. Terrible cas de conscience pour le prélat !    A-t-il le droit, pour des avantages temporels, même d’une telle importance, d’abandonner un objet sacré dont il a la garde ? Mais le père de ses ouailles n’encoure-t-il pas la malédiction divine en les livrant à l’ennemi ? D’ailleurs, ces ennemis militaires ne sont pas des mécréants ; c’est par piété qu’ils réclament l’insigne relique. Ce serait leur donner l’occasion de pratiquer généreusement la charité que de les inciter à quitter l’Espagne sans avoir mis Saragosse à feu et à sang.

  Tandis qu’il hésite encore, une idée subtile éclaire l’esprit du bon évêque : par une interprétation habile du langage des Francs, il pourrait garder à la fois Saragosse et la relique. Que réclament les clercs des rois francs, qui mènent les pour parlés en latin ? La robe de saint Vincent. Et robe se dit en latin stola. Or, la stola ne signifie pas seulement  robe, mais aussi, par déformation, en langage liturgique, étole, l’étole étant une pièce d’étoffe que l’évêque et le prêtre portent autour du cou, et qui descend en deux pans sur leur poitrine. Les envoyés des mérovingiens réclament la stola de saint Vincent ? L’évêque leur donnera l’étole.

  Et l’évêque a d’autant moins de scrupule à rouler les Francs que, satisfait de cette capitulation, les clercs se mettent à faire monter les enchères.

 _ Nous avons appris que vous possédez aussi des reliques de Saint Etienne, de saint Ferréol, de saint Georges, de saint Gervais et de saint Protais. Si vous tenez vraiment à ce que nous épargnions votre cité, vous devez aussi nous livrer celles-là.

L’évêque, trop heureux d’avoir gardé la pièce la plus insigne de son trésor, s’exécutera non sans quelques fourberies soyons-en sûr. Quant aux clercs francs qui flairèrent la duperie, ils gardèrent pour eux leurs soupçons. Après tout, aux yeux des rois, leurs maîtres, ils avaient par leur habileté, obtenu plus que ce qu’ils étaient chargés de réclamer.


  Restait maintenant à Childebert et Clotaire à justifier auprès de leurs troupes l’abandon des richesses convoitées.  Dans leurs discours, les deux frères en appelèrent à foi de leur guerriers, mais surtout, leur promirent de piller en toute liberté la Septimanie que les Mérovingiens s’attribueraient par la suite.

 

Source : Clotaire 1er, fils de Clovis. Ivan Gobry éd. Pygmalion

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commentaires

S
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J
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