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24 octobre 2012 3 24 /10 /octobre /2012 06:54

            Vercingétorix

 

     Chapitre XXI - L'œuvre et le caractère de Vercingétorix

 

5. Des fautes commises dans les campagnes de 52.

 

Ce n’est pas qu’il n’ait commis des fautes, et on en a déjà signalé quelques-unes, comme les imprudences de Gergovie et les hésitations de l’assaut au pied d’Alésia. Mais les unes et les autres furent rapidement réparées. La seule faute insigne et irréparable, celle qui annula toutes les victoires et qui prépara toutes les défaites, ce fut d’engager la bataille, près de Dijon, contre César en retraite : bataille qui devait finir par un désastre presque sans remède. Vercingétorix avait toujours dit qu’il ne fallait jamais échanger la certitude de vaincre lentement contre l’espérance d’un triomphe immédiat. Il fit, ce jour-là, ce qu’il avait toujours empêché les Gaulois de faire, et le démenti qu’il donna à ses paroles ne fit que justifier l’excellence de ses principes.

Les autres fautes de la campagne furent moins les siennes que celles de son conseil : on eut le tort de ne point laisser César, après le passage des Cévennes, s’engouffrer jusqu’à Gergovie, et de perdre un temps précieux en revenant vers le Sud ; on eut le tort de ne point brûler Avaricum. Mais, sur ces deux points, Vercingétorix ne fit que céder aux chefs. On aurait dû harceler la retraite du proconsul, vaincu chez les Arvernes : mais c’était la tâche des Éduens. Enfin, si les Gaulois s’interdirent la levée en masse pour sauver Alésia, si les trois attaques des lignes de César furent conduites en quelque sorte à rebours, c’est que Vercingétorix, sans communication avec le dehors, ne put d’abord faire respecter ses ordres, ni ensuite les faire entendre.

 

6. Qu’elles sont la conséquence de la situation politique de la Gaule.

 

Au surplus, ces fautes militaires furent la conséquence de la situation politique où se trouvaient Vercingétorix et la Gaule.

Sa royauté sur les Arvernes était une tyrannie qu’il avait imposée par la plèbe et par ses clients à l’aristocratie de son peuple. Le principat d’un Arverne sur la Gaule était odieux aux Éduens et sans doute désagréable à d’autres peuples. Il en résulta qu’il eut pour principaux rivaux aussi bien les nobles arvernes que les nobles éduens, et que les chefs les premiers à se soumettre, après la reddition d’Alésia, furent ceux de ces deux pays : le plus utile des alliés de César, l’année suivante, fut l’arverne Épathnact, et la première ville où le proconsul put se reposer en sûreté après sa victoire, fut la Bibracte des Éduens.

Vercingétorix eut donc le plus à craindre des chefs dont il avait le plus besoin. La plupart des hommes de son conseil devaient le regarder comme un gêneur, puisqu’un jour ils essayèrent de s’en débarrasser comme d’un traître : les hommes les plus capables de trahir croient le plus volontiers à la perfidie des autres. Aussi le roi arverne dut-il maintes fois, pour obtenir beaucoup de son conseil, lui accorder quelque chose : quand César s’avança par le Sud contre l’Auvergne, Vercingétorix concéda à l’égoïsme des grands propriétaires d’aller défendre leurs terres ; et il épargna de même Avaricum, pour ne pas froisser les intérêts des citadins bituriges. J’explique encore par des jalousies politiques, soit le refus de la levée en masse, soit les lenteurs des Gaulois entre Gergovie et Dijon, entre le blocus d’Alésia et l’arrivée des secours. Après tout Vercingétorix, depuis son alliance avec les Éduens, ne fut-il pas obligé de leur soumettre ses plans et de faire renouveler ses pouvoirs ? Ce n’est pas un paradoxe de dire qu’une fois réuni à eux, il fut moins obéi et moins fort, et que ses vraies défaites datent du jour où il dut commander à toute la Gaule.

Supposez au contraire que les peuples celtiques eussent depuis longtemps pris l’habitude de combattre et d’obéir ensemble ; faites de Vercingétorix, non pas un roi d’aventure, intronisé pour une campagne, mais un maître légitime et reconnu de tous, comme Persée ou Mithridate, et il est vraisemblable que les choses eussent tourné autrement. Si la Gaule a été vaincue, ce n’est point parce que son chef a commis des fautes, c’est parce qu’elle s’est décidée trop tard à combattre, et qu’elle a parfois combattu à contrecœur.

 

7. Valeur des adversaires de Vercingétorix : les légions et César.

 

Mais il faut ajouter aussitôt qu’elle a été également vaincue parce qu’elle avait devant elle Jules César et dix légions, c’est-à-dire le général et les troupes les plus doués des120 qualités qui faisaient le plus défaut, l’autorité à Vercingétorix, la cohésion à ses soldats.

Les légions furent, durant cette campagne, la discipline et la solidité mêmes : la Xe était, pour ces deux mérites, célèbre dans le monde entier ; la VIIe, la VIIIe, la IXe, étaient, avec elle, les plus vieilles et les plus endurcies des armées du peuple romain ; la XIe et la XIIe, qui étaient regardées comme des troupes jeune encore, n’en servaient pas moins depuis sept ans sous les ordres de César ; les quatre autres étaient plus récentes, mais les nouveaux soldats, par esprit de corps et point d’honneur, se mettaient vite à l’unisson de leurs armés. Durant les trois principales campagnes de l’année 52, César n’eut à reprocher à ses légions que la fougue imprudente avec laquelle les centurions de la VIIIe se lancèrent à l’assaut de Gergovie, et encore n’est-il pas sûr qu’ils n’aient point cru obéir à ses ordres. Devant Avaricum, affamées et presque assiégées, elles refusèrent la retraite que leur offrait le proconsul ; devant Alésia, elles furent d’une invraisemblable force de résistance : on est effrayé par la quantité de terres, de bois, de fer et d’osier qu’elles ont dû brasser pendant un mois, et par l’effort d’énergie qu’elles ont présenté encore le dernier jour. Les légionnaires n’étaient pas seulement d’admirables soldats, mais des ouvriers de premier ordre, et quelques-unes de leurs victoires ont été, somme toute, des affaires de terrassement. Une dernière qualité était l’endurance à la marche : leur expédition contre Litavicc, 75 kilomètres en vingt-quatre heures, tout en étant un fait exceptionnel, montre ce qu’on pouvait exiger d’eux.

À côté de la force des hommes, la force de l’armement, de celui de la troupe, le camp, et de celui du soldat, l’armure et les armes : le légionnaire est pesamment armé et presque entièrement bardé de fer, et la légion, retranchée dans son camp, est presque aussi à l’abri qu’une ville derrière ses remparts. Voilà pour la défense. Pour l’attaque, l’usage du javelot, la charge à l’épée (qui seule put forcer, devant Alésia, l’armée de secours à la retraite, mais qui l’y força assez vite), et plus encore (car les campagnes de 52 ont été surtout des guerres de siège), l’expérience la plus complète des machines et des engins. Les légionnaires avaient de leur côté toutes les inventions que la poliorcétique grecque multipliait depuis trois siècles : les ingénieurs des pays helléniques ont sans relâche travaillé et perfectionné leur science pour le profit final de la conquête romaine. La lutte de 52 offre précisément les exemples les plus nets des deux types de siège : l’attaque de force d’Avaricum, à l’aide d’une terrasse et de machines de guerre (oppugnatio), l’investissement d’Alésia par les lignes d’un blocus continu et sa réduction par la famine (obsessio) ; s’il est possible de trouver, même dans l’histoire romaine, des attaques plus savantes que celle d’Avaricum (par exemple celle de Marseille par Trébonius), elle ne présente pas, à ma connaissance, de circonvallation plus complète, plus compliquée et plus infranchissable que celle d’Alésia. Il est vrai que Gergovie déjoua également toute attaque et tout blocus.

Enfin, pour comprendre la défaite de Vercingétorix, pensons que tous ces hommes et toutes ces machines furent à la disposition de Jules César, l’intelligence la plus souple et la volonté la plus tenace qu’on ait vue dans le monde gréco-romain : je n’excepte pas Alexandre. Assurément, le vainqueur de Vercingétorix n’est point le type parfait de l’imperator romain : bien des actes de sa nature primesautière, nerveuse et imprudente ; auraient été blâmés par Paul-Émile. Mais il fut en Gaule un modèle inimitable de conquérant et de général : précis et rapide dans ses ordres, l’oeil aux aguets, l’esprit à l’affût des occasions, calculant beaucoup, mais comptant parfois sur le hasard aussi bien que sur sa prévoyance, patient dans les sièges (sauf à Gergovie), prudent dans les marches, pressé sur les champs de bataille, où les bons moments viennent et s’enfuient rapidement, exigeant beaucoup des siens et de lui-même, se battant comme un soldat, dédaigneux des plus grandes fatigues et des pires dangers, réussissant à coups d’audace, comme dans la traversée des Cévennes, — et par-dessus tout, trop soutenu par une inaltérable confiance dans sa Fortune pour craindre jamais les hommes ni les dieux, et pour vivre autrement que dans l’espérance de la victoire et la volonté du pouvoir.

 

À suivre...

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