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20 octobre 2012 6 20 /10 /octobre /2012 06:40

           Vercingétorix

 

      Chapitre XXI - L'œuvre et le caractère de Vercingétorix.

 

3. De la manière dont il organisa son armée.

 

Car, du premier jusqu'au dernier jour de sa royauté, Vercingétorix ne fut et ne put être qu'un clef de guerre : toutes les ressources de sa volonté et de son esprit furent consacrées à l'art militaire.

N'oublions pas, pour l'estimer à sa juste mesure, qu'il s'est improvisé général au sortir de l'adolescence, et que ses hommes étaient aussi inexpérimentés dans leur métier de soldats qu'il l'était dans ses devoirs de chef. De plus, ils avaient, lui et eux, à lutter contre la meilleure armée et le meilleur général que le monde romain ait produits depuis Camille jusqu'à Stilicon. Aussi ont-ils eu peut-être, à résister pendant huit mois, autant de mérite qu'Hannibal et ses mercenaires, vieux routiers de guerres, en ont eu à vaincre pendant huit ans.

Vercingétorix dut créer son armée en quelques jours, et s’appliquer ensuite à la discipliner et à l’instruire. Il mit à la former une attention qui ne se démentit jamais, et il trouva, pour chacune des armes, la pratique qu’il devait suivre.

La cavalerie gauloise, hommes et chevaux, était supérieure par la hardiesse et la vivacité, mais elle se débandait vite à la charge ou dans les chocs, elle n’avait pas la force compacte et enfonçante des escadrons germains. Le chef gaulois lui évita, sauf à Dijon, les grands efforts d’ensemble ; il ne l’engagea qu’en corps détachés ; et de plus, il intercala dans ses rangs, au moment des combats, des archers et de l’infanterie légère, dont les traits appuyaient sa résistance ou protégeaient sa retraite tactique qu’il emprunta à la Germanie.

Les Romains avaient des troupes excellentes aux armes de jet, archers de Crète, frondeurs des Baléares, sans parler du javelot des légionnaires. Vercingétorix multiplia, dans son armée, les corps d’archers et de frondeurs, qui l’aidèrent maintes fois à préparer l’assaut des lignes romaines, par exemple à Gergovie et dans la dernière journée d’Alésia.

L’infanterie gauloise n’était qu’un ramassis d’hommes, fournis presque tous, sans doute, par174.jpg les vieilles populations vaincues ou les déclassés du patriciat celtique : Vercingétorix finit par en tirer un corps de quatre-vingt mille soldats qu’il déclarait lui suffire et qui se montrèrent, au moins à Gergovie et à Alésia, braves et tenaces.

L’armée romaine était toujours suivie d’un parc d’artillerie et comptait de nombreux ouvriers prêts à réparer ou à construire les machines. Le chef arverne, qui ne se fiait pas aux seules forces des hommes et des remparts pour attaquer les camps de César et défendre ses propres places, tira fort bon profit de ces talents d’imitation qui étaient innés chez les Gaulois : les gens d’Avaricum eurent des engins presque aussi ingénieux que ceux des assiégeants, et les soldats d’Alésia mirent en pratique les meilleurs systèmes pour combler les fossés et faire brèche dans les palissades.

Les légions, après le combat ou la marche du jour, se retranchaient chaque soir, et leurs camps étaient à peine moins solides que des citadelles : les Romains combinaient ainsi l’attaque et la protection, l’offensive et la défensive. Vercingétorix apprit à ses soldats à fortifier, eux aussi, leurs camps, et à les transformer en refuges devant lesquels hésitât l’ennemi.

Enfin, si imprenables que parussent les grandes forteresses gauloises, Gergovie et Alésia, avec leurs remparts et les escarpements de leurs rochers, il compléta toujours leurs défenses par des boulevards avancés, derrière lesquels il campait ses troupes, et qui retardaient encore l’assaillant loin du pied des murailles. Et ces boulevards furent toujours établis sur les versants des montagnes où les positions naturelles étaient les moins fortes.

Ainsi, Vercingétorix faisait peu à peu l’éducation militaire de son peuple, et ne laissait inutile aucune des leçons que lui apportait l’expérience des combats.

 

4. Sa valeur et ses défauts dans les opérations militaires.

 

Tout cela montre qu’il eut cette qualité supérieure du chef qui se sent responsable de la vie de ses hommes et de la destinée de sa nation : la science très exacte de ses moyens et de ceux de son adversaire, sans faux amour propre ni confiance dangereuse. Ce qui apparût plus encore dans la manière dont il régla les rapports de tactique entre les deux armées, la sienne et celle de César.

Sa cavalerie est trop fougueuse : il la dissémine pour qu'elle détruise sans risques les traînards et les fourrageurs de l'ennemi. Son infanterie est médiocre sur le champ de bataille : il l'emploie surtout dans la besogne, plus matérielle, des travaux de siège. Les légions romaines sont dures comme des villes : il ne les attaque pas de front, il essaie de les user lentement, par la faim et les escarmouches. Leurs camps sont inviolables : il leur oppose des forteresses inaccessibles, comme Gergovie. Les Gaulois aiment à combattre en de grandes masses, dont la sauvage inexpérience n'aboutit qu'à des massacres : il ne recourt à ces amas d'hommes qu'une seule fois, lorsque, à Alésia, en face des retranchements de César, allongés sur cinq lieues et protégés par des piéges et des redoutes continus, il ne peut avoir raison des lignes ennemies que sous la montée incessante de corps innombrables. — Je ne songe ici qu'aux affaires où Vercingétorix prit la décision la meilleure : mais ce fut, et de beaucoup, le plus grand nombre.

De même qu'il jugea presque toujours exactement le fort et le faible des armées, il sut souvent apprécier avec justesse la valeur d'une contrée et les ressources d'un terrain.

Jules César avait un sens topographique d'une rare sûreté. Vercingétorix eut moins de mérite à connaître les routes et les lieux de la Gaule. Encore est-il juste de constater qu'il usa adroitement de ses connaissances. Ses déplacements avant et pendant le siège d'Avaricum, — sa longue retraite, tantôt lente et tantôt rapide, mais toujours hors du contact de l'ennemi, depuis les abords de Bourges jusqu'aux murailles de Gergovie, — son apparition devant les légions, au moment où elles veulent franchir l’Allier, — l’habileté avec laquelle il se présenta à l’improviste prés de Dijon, coupant la route du Sud à César venu du Nord, — la célérité enfin avec laquelle il abrita sa fuite derrière Alésia : — tout cela indique chez lui l’intelligence des routes, l’entente des longues manœuvres, un calcul sérieux de la portée des marches et des contremarches.

Il sut moins bien manœuvrer sur le champ de bataille. Il manqua de cette rapidité et de cette acuité de coup d’oeil qui faisaient le génie de César, et que peut seule donner, à défaut de la nature, l’habitude des rencontres. Il ne devine pas, en une seconde, ce que l’ennemi va faire ou ce qu’il doit faire lui-même dans une situation donnée. Sur les bords de l’Allier, il laisse César s’assurer du passage par une ruse d’enfant. À Gergovie, il perd La Roche-Blanche avec la même facilité et par un procédé presque semblable ; il commet l’imprudence de dégarnir ses camps au moment où César va les attaquer, et il l’attend à l’Ouest quand l’autre monte par le Sud. Le jour de la défaite de sa cavalerie, près de Dijon, il ne sait pas fortifier la colline qui domine la plaine et d’où les Germains le délogent si vite. Enfin, à Alésia, il s’use trois fois inutilement contre les lignes des vallons. Peut-être, à propos de la plupart de ces circonstances, est-il bon de rappeler que Vercingétorix, comme tous les Gaulois, n’avait point l’idée du stratagème militaire : je ne constate pas qu’il ait employé la ruse pour son compte, et il est presque toujours trompé par celle de l’ennemi. Ce fut aussi le cas de Camulogène devant Paris : les Gaulois, disaient les anciens, étaient, à la guerre, d’une nature simple et qui ne soupçonne pas la malice.

Un autre reproche que les tacticiens leur avaient fait, c’était de manquer de circonspection. Vercingétorix, dès le commencement, est guéri de ce défaut. Il se rend compte, autant que César lui-même, que connaître et prévoir font la moitié de la victoire. Tout ce qui est arrivé de fâcheux aux Gaulois, — le danger de garder Avaricum, la défaite en bataille rangée, l’échec d’une attaque partielle pour sauver Alésia, — il l’a annoncé et prédit : et ce fut cette réalisation de ses pronostics qui le rendait si populaire dans la foule, même après un désastre. Sa raison fit parfois de lui un prophète. Il n’espérait jamais la victoire sans se préparer pour la défaite, puisqu’il avait prévu qu’Alésia et Gergovie lui serviraient de refuges. — À l’heure du campement, il savait trouver le terrain favorable : il a eu, autour d’Avaricum, deux ou trois positions successives, sans autre protection que des défenses naturelles, et pas une seule fois César n’osa l’attaquer. — Pendant les marches, il ne s’est jamais laissé surprendre, et il a surpris plusieurs fois son adversaire. César avoue lui-même qu’il avait beau changer les heures et les routes des expéditions au fourrage, Vercingétorix ne manquait jamais de fondre à l’improviste sur ses ennemis.

L’Arverne parait avoir organisé, autour et à l’intérieur de l’armée romaine, un vaste service d’espionnage et de renseignements : il a dû, contrairement aux habitudes gauloises, multiplier les éclaireurs, et l’on sait que c’est souvent, en campagne, la condition essentielle du succès : de faibles armées ont pu remporter de très grands avantages, par cela seul qu’elles transformaient en éclaireurs un dixième de leur effectif.

Après cela, les autres qualités militaires de Vercingétorix, son courage, sa constance, son sang-froid, sont choses banales, et autant du soldat que du général. Il me semble, en relisant César, que Vercingétorix a été assez sage pour ne pas se lancer inutilement lui-même au milieu des grandes mêlées. On ne dit pas qu’il se soit exposé avec cette belle imprudence que le proconsul montra quelquefois. Si cela est vrai, le chef gaulois eut raison de croire que sa vie était le principal instrument de salut de son armée et de la Gaule.

 

À suivre...

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