Vercingétorix
Chapitre XX - Transformation de la Gaule.
1. Progrès de la patrie romaine.
Ce jour-là, les Romains avaient chanté, sur le passage du dictateur : Les Gaulois suivent le triomphe de César : mais il les mène ensuite siéger dans le sénat. Ce qui n’était alors qu’une boutade populaire devint bientôt une réalité.
Il restait encore des témoins de la lutte qu’avait dirigée Vercingétorix : les familles des chefs qui avaient combattu avec lui ; les villes qu’il avait armées et défendues contre César ; les divinités dont il avait cru faire la volonté. Les deux générations qui suivirent sa mort, celles qui obéirent à Octavien Auguste (44 av.-14 ap. J.-C.), virent ces témoins disparaître ou se transformer. Ces êtres gaulois ne furent plus seulement soumis à Rome, mais romains d’apparence et d’intention. Les Celtes se préparèrent à aimer le peuple qui les avait vaincus, en copiant ses hommes, sa ville et ses dieux. Leur patriotisme romain naquit peu à peu de l’oubli des traditions gauloises.
2. Transformation des chefs.
Si quelques chefs s’agitèrent encore, ce fut chez les peuples qui avaient le moins dépendu du roi de Gergovie : les Bellovaques, les Aquitains, les Morins et les Trévires. Mais la noblesse des nations qui s’étaient confédérées à Bibracte, cherchaient, comme on disait à Rome, le chemin qui mène au sénat.
César ou Auguste donnèrent aux plus grands chefs le titre de citoyens romains : ils s’appelèrent désormais du nom de Julius et entrèrent ainsi dans la grande tribu des Jules, qui fournissait au monde une famille divine. Dans leurs cités, ils administraient paisiblement leur peuple sous la surveillance du gouverneur provincial : ils ne tarderont pas à échanger l’appellation barbare de vergobret, pour la qualité plus élégante de préteur. Aux frontières, ils redevenaient chefs de guerre, et combattaient les Germains à la tête des hommes de leurs tribus ; mais, officiers de Rome, ils prenaient le titre de préfets de la cavalerie : Rome leur avait ôté l’indépendance, elle leur laissait le pouvoir, orné d’un grade supérieur dans l’armée de l’empire. Comment résister à de telles séductions ? Le fils ou le petit-fils d’Éporédirix l’Éduen, peut-être l’ancien ami du proconsul, porte les noms de Caïus Julius Magnus, comme s’il ne valait dans le monde que par les noms de César ou le surnom du grand Pompée ; il donne à son fils, Lucius Julius Calénus, le surnom qui avait été celui d’un légat de César, et ce dernier héritier d’une vieille famille éduenne deviendra tribun militaire.
À voir ces hommes, sinon à les entendre, nul ne les distingue plus des descendants de sénateurs romains. Les nobles éduens avaient du goût pour la prêtrise et la passion de l’autorité : on prit chez eux le premier grand-prêtre qui fut chargé, au nom de la Gaule, de célébrer devant l’autel du Confluent lyonnais le culte de Rome et d’Auguste : et c’est par cette suprême dignité religieuse que les mieux nés ou les plus heureux de tous les Gaulois pourront terminer leur carrière militaire et civile.
Ils se gardaient bien, sur les monuments ou les tombeaux qu’ils se faisaient élever, de rappeler des souvenirs qui ne fussent pas romains. On a retrouvé près de Cahors la dédicace d’une statue élevée à un Lucter, descendant ou parent de ce Cadurque qui fut le meilleur collaborateur de Vercingétorix, et qui mourut peut-être avec lui, le jour du triomphe de César ; elle porte ces mots, en langue romaine : À Luctérius, fils de Luctérius, qui a rempli tous les honneurs dans sa patrie, qui a été prêtre de l’autel d’Auguste au Confluent, la cité des Cadurques reconnaissante a élevé cette statue. À quinze lieues de là, Uxellodunum, où son ancêtre avait armé les Cadurques contre César, n’était plus qu’une ruine abandonnée : mais, dans la nouvelle résidence assignée au peuple, les noms et les titres de Luctérius s’étalent en formules latines sous une statue drapée de la loge romaine.
3. Transformation des grandes villes.
Car les grandes villes gauloises de montagne, comme Uxellodunum, Alésia, Bibracte, Gergovie, avaient été désertées pour des séjours plus abordables et plus pacifiques ; puissamment assises sur des roches en partie inaccessibles, elles inquiétaient Rome par ce qu’elles valaient et par ce qu’elles rappelaient : Alésia et Uxellodunum n’avaient été prises que par la faim ou la soif, Bibracte et Gergovie étaient demeurées inviolables. Elles cessèrent, peu d’années avant l’ère chrétienne, d’être des capitales de peuples et des refuges de tribus.
Alésia descendit de son plateau pour s’installer dans un repli de la montagne. Les Éduens quittèrent l’escarpement du Beuvray, et s’établirent, au delà de l’Arroux, sur les pentes gracieuses et mollement inclinées des collines autunoises. Les Arvernes remplacèrent leur triste donjon de Gergovie par les terres grasses et ondulées du nord de l’Artières. Des villes neuves furent bâties près des plaines, à mi-coteau, pour servir de capitales aux grandes nations de la Gaule : Augustodunum ou Autun, Augustonémétum ou Clermont. Car, pour leurs nouvelles cités, Éduens et Arvernes acceptèrent des appellations nouvelles, et ces noms, comme ceux de Caïus ou de Julius que portaient les nobles, étaient des marques de dépendance. Augustodunum, c’est la ville-dortoir d’Auguste, Augustonemetum, c’est le bois sacré d’Auguste. Pendant que les chefs entraient dans la clientèle impériale, les villes prenaient l’empereur comme fondateur éponyme.
À suivre...