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15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 07:41

             Vercingétorix

 

     Chapitre XVII - Alésia.

 

8. De l’utilité de la levée en masse.

 

Toutes ces précautions, César les avait prises parce qu’il s’attendait à voir paraître autour de lui, venues de tous les points de la Gaule, des foules profondes et sans fin.Museoparc_d-Alesia_fortifications.JPG Scipion Émilien eût regardé comme indigne d’un imperator de protéger par des pièges à bêtes les retranchements des légionnaires : mais il n’avait eu à redouter ni devant Numance ni devant Carthage ces hordes innombrables de Barbares dont César était menacé.

C’est qu’en effet, comme l’avaient dit au proconsul des transfuges et des prisonniers, les envoyés de Vercingétorix avaient la mission de lever en masse la Gaule entière. Le roi des Arvernes avait fait un grandiose projet de désespéré. Tous ceux qui pouvaient marcher devaient venir à lui ; quiconque pouvait manier une arme devait quitter son foyer et se sacrifier à la liberté commune. Il demanda le dévouement immédiat et inconditionné de tous. Ce n’étaient pas deux ou trois cent mille hommes, mais un million et davantage, qu’il appelait à l’assaut des retranchements de César.

C’était, depuis janvier, la troisième fois que Vercingétorix ordonnait des levées d’hommes. Mais, à l’assemblée de Gergovie, à celle du Mont Beuvray, il s’était contenté de troupes de choix, la cavalerie et quelques dizaines de mille de fantassins. — C’est qu’il savait qu’en rase campagne, une armée populaire, mal équipée et sans expérience, ne peut résister, si nombreuse qu’elle soit, à un corps de vieux soldats, disciplinés, pourvus d’armes parfaites, experts aux manœuvres savantes : on avait vu, dans les campagnes de Belgique, l’impuissance des levées en masse contre la solidité des légions et le coup d’oeil de César.

Assiégé dans Alésia, Vercingétorix ne désirait plus que le nombre : cette fois comme les deux autres, il calculait juste, et ce n’était pas son imagination qui l’entraînait à la chimère d’une bataille colossale. Il s’agissait, maintenant, moins de livrer bataille que de faire un siège, c’est-à-dire de combler des fossés, arracher des palissades, lapider des hommes, escalader des remparts, enlever des lignes, et les enlever d’assaut et d’emblée : besogne que des milliers de Barbares feraient mieux que des centaines de bons soldats. Quand les Gaulois attaquaient une place forte, ils espéraient plus du nombre des assaillants que de l’intelligence des moyens : c’était par la multitude des traits qu’ils rendaient les remparts intenables, sur l’amoncellement des corps qu’ils franchissaient les fossés, par la force de la poussée qu’ils ébranlaient les portes. Cette pratique eût été enfantine et dangereuse contre des villes ou des camps défendus à la romaine, et dont les remparts et les moyens de résistance auraient été ramassés et concentrés. Mais Vercingétorix la crut possible contre les lignes de César, étroites et allongées, et je ne puis me résoudre à lui donner tort.

Il a voulu s’assurer les deux avantages de l’assaut méthodique et de l’escalade par débordement : celui-là, il le confierait aux soldats d’Alésia, bonnes troupes qu’il avait formées près de Bourges et dans Gergovie, et qui attaqueraient les points faibles des lignes intérieures de César ; du côté de la Gaule, le nombre servirait à défaut de l’expérience.

Avant tout, il fallait rompre, renverser ou franchir une digue longue de quatre à cinq lieues, large à peine de 700 mètres, et menacée des deux flancs à la fois : sur cette ligne d’hommes et de défenses réduite à une profondeur minima, il importait d’exercer le maximum de pression. Ce que désirait surtout Vercingétorix, ce qui du reste s’imposait à la vue des retranchements de César, c’était de tenter sur eux une attaque en couronne, et pour la réussir, il était bon que tous les défenseurs légionnaires fussent tenus sans cesse en haleine, occupés sur tous les points, inquiétés, fatigués, énervés, aveuglés par des ennemis reparaissant toujours. Puisque le pro consul avait multiplié les fossés et les pièges qui rendaient la bravoure dangereuse et l’habileté inutile, il ne restait plus aux Gaulois qu’à combler les tranchées et recouvrir les chausse-trapes sous des flots renouvelés de corps humains, jusqu’au moment où ces vagues d’hommes, montant encore, submergeraient à la fin les chaussées, les palissades, les légions et César lui-même.  La Gaule était assez riche en mâles, les flancs de ses femmes étaient assez féconds pour qu’elle offrit sans regret toutes ces victimes à ses dieux.

Vercingétorix aurait pu obtenir de la Gaule entière ce sacrifice qui les aurait sauvés tous deux. Elle était prête à consacrer à la lutte tous ses sentiments et toutes ses ressources. Il y avait entre elle et son chef un merveilleux accord de pensées. César, dans ses Commentaires, abandonne un instant la froide concision de son style habituel pour admirer chez ses adversaires la force imprévue de l’élan national. Personne ne se souvenait plus de l’amitié du proconsul et des services qu’il avait rendus. En quelques semaines, le passé récent et ses hontes s’étaient oubliés, et toutes les autres impressions étaient effacées par le désir de combattre et la vertu du mot d’indépendance. On ne parlait plus que de refaire les glorieuses guerres d’autrefois, et les Gaulois allaient à la liberté comme à une magnifique aventure. Ils n’eurent ces jours-là qu’un seul esprit et qu’une seule âme, et, comme les Grecs avant Salamine et Platées, ils s’aperçurent qu’ils pouvaient former une même patrie.

 

9. Préparatifs des Gaulois du dehors.

 

De maladroites prudences et d’inquiètes jalousies enrayèrent cet élan et ruinèrent le plan de Vercingétorix.

Au lieu de s’entendre en quelques minutes sur le jour et le lieu où ils donneraient rendez-vous à toutes les forces de la Gaule, les fugitifs d’Alésia agirent avec une régularité de protocole. Ils convoquèrent le conseil général des chefs des cités, et celui-ci, réuni, délibéra sur le projet du roi. Ce qui signifiait que Vercingétorix n’était déjà plus le dictateur auquel on obéit, mais le général dont on étudie les plans.

Il y avait, parmi les chefs des cités, des hommes dévoués sans réserve à la liberté de la Gaule : l’arverne Vercassivellaun, cousin de Vercingétorix ; Comm l’Atrébate ; Sédulius, magistrat et chef de guerre des Lémoviques ; Sur l’Éduen ; Gutuatr le Carnute ; et surtout, les plus audacieux et les plus persévérants de tous, l’Aude Dumnac, le Cadurque Lucter, le Sénon Drappès. Mais le conseil renferma sans doute aussi des hommes à double face, — face romaine et face gauloise, — comme les deux jeunes Éduens Viridomar et Éporédorix.

Des objections furent faites à la levée en masse. — Comment nourrir tous ces hommes ? Comment se faire obéir d’eux ? les chefs auraient peine à rallier les gens de leurs clans : pourrait-on combattre suivant la tradition, les soldats par tribus et par cités, rangés sous leurs étendards ? — L’objection tirée des vivres était spécieuse : ce qui, en 57, avait empêché de maintenir la levée en masse de la Belgique, ce fut la difficulté de nourrir tant d’hommes. Mais il s’agissait, alors, d’une campagne longue et compliquée, et non pas, comme pour le salut d’Alésia, d’une marche de quelques jours et d’un assaut de quelques heures. — L’autre objection, si elle n’était pas dictée par le scrupule religieux du respect des enseignes, dissimulait peut-être quelque crainte politique. L’assemblée pensa sans doute que Vercingétorix allait vite en besogne, et que, si les Gaulois se mêlaient trop complètement pour le délivrer, ils ne distingueraient plus que lui comme chef au lendemain de la victoire.

Elle décida de lever une très forte armée, près de 300.000 hommes, six fois supérieure à celle de César. Elle crut que cela suffirait : mais il n’y avait même pas de quoi combler les deux millions de mètres cubes des tranchées romaines. Elle n’avait rien compris, sans doute, à la manière dont Vercingétorix entendait l’attaque, et les opérations devant Alésia allaient le montrer plus clairement encore.

Les chefs, toujours soucieux des convenances politiques, fixèrent eux-mêmes, suivant l’importance respective des nations, le contingent qu’elles devaient envoyer. Pour celles qui faisaient partie d’une ligue, comme les cités d’Armorique, les clientèles des Éduens et des Arvernes, on se borna à indiquer l'effectif que la confédération avait à fournir, et on laissa à ses chefs le soin de faire une répartition plus détaillée. Pour les autres, le chiffre fut arrêté à quelques centaines d'hommes près. L'assemblée se sépara ensuite, et chaque chef revint dans sa cité pour mobiliser son contingent.

Il faut dire à l'honneur de la Gaule, qu'aucun des peuples fédérés ne manqua au rendez-vous. On avait demandé 275 000 hommes ; on en eut 258 000 : 8 000 cavaliers et 250 000 fantassins. Il n'y eu qu'une note discordante, mais qui caractérise bien le séparatisme habituel des cités gauloises ; on devine qu'elle fut donnée par les Bellovaques, qui se battaient le plus possible, mais qui consentaient rarement à se battre en compagnie d'autres peuples. Ils refusèrent de se laisser taxer à dix milles hommes, affirmant qu'ils combattraient les Romains, mais sous les auspices et les ordres de leurs propres chefs ; cependant à la prière de Commius, qui était leur hôte, ils envoyèrent 2 000 hommes.

Touts cela prit du temps. Quand l'armée fut concentrée, non loin d'Alésia, sur le territoire éduens ( à Bibracte ?), on en perdit encore en besogne administratives ou religieuses, si bien qu'on laissa passer le jour du rendez-vous fixé par Vercingétorix.

On fit le recensement, on compta les effectifs, on choisit les chefs des détachements, on organisa le haut commandement.

Il y eut quatre grands chefs, Commius, Vercassivellaun, Éporédorix, Viridomar. Celui-là représentait les peuples belges ; le second, les intérêts arvernes ; les deux autres, les ambitions éduennes. Je m'étonne que l'on ait pas fait place à un chef de l'Armorique ou du Nord-Ouest, les régions, de toutes, les plus méritantes de la liberté de la Gaule : un des deux postes pris par les Éduens leur revenait de droit. Mais ceux-ci, évidemment, avaient gardé la part du lion, et les deux rivaux de Vercingétorix prenaient leur revanche de son triomphe au Mont Beuvray.

Cependant, comme on ne voulait pas de chefs absolus et irresponsables, on adjoignit aux quatre généraux un conseil de délégués pris dans les diverses cités, et chargés de préparer les plans ou de contrôler les actes.

Tout cela, pour une expédition qui devait durer une semaine à peine, réussir ou échouer en quelques jours ! On aurait dit que ces hommes conjuraient soit pour donner à César le temps d’en finir avec Alésia, soit pour se préparer au jour où ils imposeraient leur volonté à Vercingétorix victorieux. Dans ces allées et venues, ces sages délibérations, ces longs préparatifs, ces créations de conseils et de généraux, je soupçonne des lenteurs calculées ou des arrière-pensées d’égoïsme. Ce qu’il aurait fallu pour sauver Alésia, c’était un Lucter, un Dumnac ou un Drappès amenant un million d’hommes en quinze jours : et on ordonnait une armée régulière, avec des effectifs vérifiés, un commandement bien équilibré de quatre chefs et de quarante conseillers de guerre. On constituait le gouvernement militaire de la Gaule confédérée, alors qu’il s’agissait de se ruer, sur un signal, au lieu du rendez-vous.

 

À suivre...

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