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24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 10:03

            Vercingétorix

 

Chapitre X - L'empire Gaulois.

 

3. Vercingétorix élu chef suprême.

 

Les chefs réunis délibérèrent sur le choix de l’homme qui devait exercer le commandement suprême. Il ne fut pas question de le diviser entre plusieurs. Et, s’il y eut une hésitation sur le nom du chef, elle ne fut que de courte durée. Vercingétorix était désigné d’avance. Il avait donné à la ligue sa première victoire en conquérant Gergovie ; il avait rassemblé les conjurés autour de lui ; il était le fils du dernier Gaulois qui eût commandé à toute la Gaule ; il était le roi de la seule nation qui eût été souveraine sur le nom celtique. Sa valeur personnelle rendait plus visible l’excellence de ses titres. D’elle-même, la Gaule se remit entre les mains du successeur de Bituit. La puissance suprême lui fut offerte du consentement de tous. Il l’accepta.

 

4. Nature de ses pouvoirs.

 

Le pouvoir de Vercingétorix était essentiellement militaire. Hors du pays arverne, il était le chef de guerre des Gaulois confédérés, et rien de plus. C’était l’autorité qu’avait exercée Bituit sur les champs de bataille ; c’était aussi celle que la tradition attribuait à Bellovèse et à Sigovèse, les neveux du roi biturige, lorsqu’ils quittèrent la Gaule à la tête de bandes d’émigrants et à la conquête de terres nouvelles. Elle ne fut peut-être pas sans rapport avec la dictature romaine pour la conduite d’une guerre.

Mais l’action de Vercingétorix était à la fois plus limitée et plus vaste que celle d’un dictateur militaire. Elle était d’abord tempérée par les rapports permanents avec les chefs supérieurs des cités confédérées : il n’était pas dans la nature des Gaulois d’obéir sans condition et sans discussion au général qu’ils avaient élu même à l’unanimité. Nul d’entre les nobles n’était habitué à cette sujétion précise, froide et administrative qu’exigeait de ses préfets l’imperator suprême des Romains. Leur individualité intempérante demeurait rebelle à tous les freins. Il fallait, avant les questions importantes, que Vercingétorix les réunît en conseil ; il fallait, après l’événement, qu’il rendît compte de ce qu’il avait fait. Quand les circonstances étaient critiques, le conseil des chefs de cités fut convoqué chaque jour. Les discussions étaient, on le devine, vives et orageuses, les discours longs et fréquents ; le roi dut céder sur des points où il avait visiblement raison. Une fois même, les accusations de trahison grondèrent ou jaillirent contre lui en pleine assemblée, et il dut prendre la parole, ruser et déclamer, pour se justifier et pour convaincre : de guerre lasse, ce jour-là, il jeta dans la délibération l’offre de laisser à un plus digne le commandement de l’armée gauloise.

Au delà même de rassemblée des chefs, la foule tumultueuse de leurs amis et de leurs clients recevait l’écho de leurs discussions ou leur renvoyait celui de ses propres colères : et ses sentiments submergeaient peut-être les délibérations réfléchies des conseils de guerre. On était sorti depuis trop peu de temps du régime de la tribu pour en avoir perdu la liberté d’allures. Alors Vercingétorix intervenait encore, et il n’avait pas toujours le dessous dans un engagement direct avec les passions d’une multitude. Je ne suis pas sûr qu’il ne préféra pas, parfois, substituer aux conciliabules mesquins d’un parlement militaire les décisions rapides d’une foule enthousiaste. Sans la convoquer sans doute, il la laissait venir et s’agiter, jusqu’au moment où, parlant à son tour, ses harangues vibrantes s’achevaient dans le double tonnerre des acclamations humaines et des armes bruyamment secouées. L’armée de Vercingétorix ressemble, à peu de chose près, à une armée féodale, où la troupe des chevaliers déborde sans cesse sur le conseil des chefs, et où la marche régulière du commandement est tour à tour entravée par les intrigues des barons jaloux, ou accélérée par la brusque poussée d’une émeute soldatesque. Vercingétorix n’arrivait à gouverner qu’en mêlant l’astuce et l’éloquence. L’art oratoire fut un des éléments de sa puissance.

Mais, comme les effets n’en sont toujours ni certains ni rapides, le roi des Arvernes n’hésitait pas, le cas échéant, à imposer sa volonté avec une impitoyable brutalité, que les coutumes romaines n’auraient point tolérée chez le dictateur. Il avait droit de vie et de mort sur ses subordonnés. Quand il ne commanda pas par la persuasion, il sut le faire par la crainte. Dès le jour où il prit le pouvoir, il s’assura des gages pour n’être point abandonné : il savait le peu que durait la volonté d’un Gaulois, avec quelle promptitude les résolutions étaient, chez sa race, prises et oubliées ; il lui fallait des garanties au consentement de la Gaule et à la fidélité de la conjuration. Suivant l’usage de ces nations, chacune des cités confédérées lui livra des otages, qu’il garda près de lui, sous sa main. Aussi bien n’en avait-on pas donné à César ?

Parmi les chefs réunis autour de lui, il y avait des rivaux, des jaloux, des timorés, qui n’attendaient que l’occasion de devenir des traîtres. Peut-être, dès le début des indiscrétions furent-elles commises, des perfidies furent-elles fomentées. Mais, en ce moment, toute hésitation était criminelle. Il fallait se hâter, commander très vite et très ferme : chaque jour rapprochait du printemps et du retour de César. Vercingétorix fit de son pouvoir, contre ses adversaires, un instrument de terreur. Il étala à leur intention toutes ces variétés de supplices que recherche l’imagination des peuples barbares. Les dieux gaulois, à la veille des grands combats et des périls nationaux, recevaient de leurs sujets de formidables holocaustes de victimes humaines, et ils préféraient, entre toutes les offrandes sanglantes, les supplices des criminels : Vercingétorix fit en leur honneursacrifice de royales hécatombes avec les ennemis de la liberté. Des bûchers s’allumèrent où furent sacrifiés les traîtres à la patrie et à la race ; les appareils de torture grincèrent contre les parjures et les déserteurs ; ceux qui étaient les moins coupables furent éborgnés ou essorillés, et, rendus à leurs cités ainsi mutilés, ils allèrent leur montrer la marque éternelle de la colère des dieux et de la puissance du nouveau chef qui vengeait la Gaule.

Vercingétorix exerçait toutes les fonctions administratives attachées à sa qualité de général suprême. Il désigna le contingent d’hommes et de chevaux que les alliés devaient lui amener, et le plus tôt possible. Il indiqua la quantité d’armes que chaque peuple avait à fabriquer, et le jour où la livraison serait faite. Et, dans tous les ordres qu’il donna, il sut montrer la précision et la rapidité d’un organisateur habile. César, qui avait le goût des choses bien conduites, l’admirait en cela, et il a décerné à Vercingétorix cet éloge lapidaire qu’eût recherché un imperator romain de vieille lignée : il fut aussi actif que sévère dans son commandement, summæ diligentiæ summam imperii severitatem addit.

Enfin, Vercingétorix eut le droit de négocier pour amener les neutres ou les retardataires à la cause de la liberté. Il commença ses pourparlers diplomatiques avec la même diligence que ses opérations militaires ; mais il semble que dans ce cas il ait manœuvré plus à sa guise, très discrètement, à l’insu du conseil des chefs. Il choisissait, pour porter ses messages, des hommes fort habiles, beaux parleurs, discuteurs retors, d’allures engageantes, courtiers intelligents d’amitiés politiques. Ils avaient ordre de multiplier les promesses et les présents. Un envoyé de Vercingétorix partait largement pourvu d’or, prêt à acheter la conscience des chefs ou la connivence de leurs clients ; il offrait sans doute aux ambitieux l’appui du roi contre leurs adversaires politiques. C’est ainsi que plus tard l’on acquit d’un seul coup, chez les Éduens, le vergobret et quelques chefs des principales familles : ce qui dut coûter très cher. Parmi les nobles des cités douteuses, ce fut parfois auprès des plus jeunes que l’or et les séductions trouvèrent le meilleur accueil : plus avides d’aventures et de gloire, pressés de commander, jaloux d’égaler leurs aïeux, les chefs adolescents forcèrent souvent la main, comme avait fait Vercingétorix lui-même, à l’aristocratie assise et retraitée qui s’habituait à César. La révolte de la Gaule ressembla par instants à une folie de jeunesse.

Tous ces éléments d’action et d’influence dont fut faite l’autorité de Vercingétorix, la diplomatie, la dureté du commandement, l’éloquence, la netteté de la décision, nous les connaissons par le livre de Jules César. Mais n’eut-il pas prise sur les hommes par d’autres moyens, que César passe sous silence ? N’a-t-il pas eu recours au principal ressort qui les faisait alors obéir, la crainte de la divinité ? Il est invraisemblable qu’un chef de l’Occident n’ait pas essayé de la complicité des dieux. Marius en Provence avait eu sa prophétesse, Sertorius en Espagne eut sa biche, Civilis en Germanie aura Velléda : soyons sûr que Vercingétorix a eu près de lui des agents qui le mettaient en rapport avec le ciel. Parmi ces paysans qui le suivaient, venus des forêts d’Auvergne et de Combrailles, il y en eut, j’en suis convaincu, auxquels il inspira un fanatisme sacré. Les Gaulois répugnaient moins encore que les Romains à faire un dieu de leurs rois ; ils seront les premiers en Occident à adorer la divinité d’un Auguste et d’une Livie ; le roi sénon Moritasg a été, semble-t-il, regardé comme un dieu, a eu ses dévots et son portique. Plus tard, après la mort de Néron, dans les landes de la Sologne bourbonnaise, le boïen Maricc soulèvera la plèbe rurale à l’exemple du fils de Celtill, et prendra les titres de champion de la liberté et de dieu, assertor Gallianim et deus, Vercingétorix, lui aussi, mérite le premier de ces titres ; je ne serais pas étonné que d’autres lui eussent donné le second.

 

À suivre...

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