Vercingétorix
Chapitre V - Celtill, père de Vercingétorix.
5. L'aristocratie arverne renverse Celtill.
Mais la notion d’un grand empire se séparait rarement de celle d’une grande monarchie. Ce fut un roi que ce biturige Ambigat dont les Gaulois célébraient encore la légendaire domination. Bituit avait eu, de la royauté, la réalité et l’appareil. Celtill aspira à lui ressembler, et à changer son titre contre celui de roi.
Ce Celtill fut, sans nul doute, un chef semblable à d’autres chefs, mais plus riche et plus influent que ses rivaux. Nous devinons sans peine comment il procéda, l’histoire est banale dans l’antiquité. Il avait plus d’amis que les autres nobles, plus d’esclaves, de mercenaires, de clients, de parasites et de débiteurs. Un parti put se former autour de lui, plébéien, militaire et monarchique ; et ce parti ne différa guère de ceux que groupèrent les Pisistrates à Athènes ou Manlius à Rome, guettant la royauté de leur nation à travers la faveur populaire et le prestige de la gloire des armes.
Les autres chefs furent les plus forts. Ils réservèrent à Celtill le sort prévu par la coutume des peuples anciens contre les aspirants à la tyrannie, celui que les patriciens avaient infligé à Manlius. Il fut condamné à mort. Le jugement fut solennel, public, porté par la cité tout entière contre celui qui avait voulu lui faire violence. Puis l’exécution eut lieu : l’usage était que le coupable pérît sur le bûcher, voué aux dieux du peuple outragé.
Les Arvernes frappèrent l’homme et ne touchèrent pas à la famille. Ils ne lui imputèrent pas le crime de son chef. C’est ainsi qu’après l’expulsion de Tarquin le Tyran ses congénères demeurèrent à Rome et purent aspirer à la gouverner par des moyens légitimes ; aucune grave malédiction ne fut portée non plus contre la race dont Manlius était sorti. Les dieux se contentaient d’abord de la victime désignée par la faute.
Le frère de Celtill, Gobannitio, conserva chez les Arvernes son rang et son influence. On peut même soupçonner ce Gobannitio d’avoir aidé à renverser son frère. Les aspirants à la tyrannie eurent souvent dans leur famille leurs pires adversaires : Brutus et Tarquin Collatin frondèrent contre le chef de leur clan le gouvernement des patriciens de Rome ; et l’Éduen Dumnorix, qui rêvera d’imiter Celtill, se heurtera à son frère Diviciac. Gobannitio allait devenir un des gardiens les plus vigilants de celte autorité des grands que son frère Celtill avait tenté de renverser.
Celtill laissait un fils en bas âge, nommé Vercingétorix. Les Arvernes furent plus cléments pour lui que les Romains ne l’avaient été pour le fils de Bituit. Celui-ci avait partagé la captivité de son père : Vercingétorix conserva, non seulement la vie et la liberté, mais l’héritage du condamné. On lui laissa ce dont les dieux l’avaient fait héritier, cette richesse en hommes et en choses qui pouvait lui permettre de conquérir dans son pays la situation réservée aux hommes de sa race.
6. Formation des deux ligues arvernes-séquanne et éduenne
Une fois encore l’unité de la Gaule fut brisée après la mort de Celtill. Cependant, le morcellement ne fut pas absolu. Toutes ces convulsions militaires et politiques, ces alternatives d’union et de désunion, laissaient aux cités gauloises, en même temps que l’impuissance à former un empire, le regret de vivre isolées. N’avait-on pas vu en Grèce, après le groupement de tous les peuples à Platées, se constituer les deux ligues de Sparte et d’Athènes, compromis entre le besoin de s’entendre et l’instinct de se combattre ?
Quatre coalitions se formèrent entre le Rhin et l’Océan, les Cévennes et la Garonne, dans le domaine qui restait aux Gaulois encore libres. Les peuples situés de l’embouchure de la Seine à celle de la Loire fondèrent la fédération de l’Armorique, qui sans doute fut maritime aussi bien que terrestre. Les nations de la Belgique, auxquelles l’invasion des Cimbres avait donné le sentiment de leur force et de leur solidarité, demeurèrent groupées pour la plupart autour des Suessions. Mais les deux principales ligues furent celles qui reconnurent la suprématie des deux grands États de la Gaule centrale, les Arvernes et les Éduens.
Entre ces deux États et ces deux ligues, l’hostilité fut aussi constante qu’entre Sparte et Athènes, Israël et Juda. La Gaule était vraiment un pays à deux têtes. La rivalité entre les deux peuples se répercutait dans les moindres cités, dans les cantons, dans les clans, dans les familles mêmes. Il devait y avoir des amis des Arvernes chez les Éduens, et inversement, comme Athènes eut ses amis à Sparte.
Les deux nations suzeraines s’appuyaient sur des cités clientes et sur des peuples amis. On a déjà nommé la clientèle habituelle des Arvernes, les gens du Velay, du Rouergue, du Quercy, du Gévaudan. Les Éduens avaient sous leur dépendance particulière les peuples du Forez, du Beaujolais et de la Bresse. — Les deux rivaux s’étaient acquis chacun une alliance utile et puissante parmi les nations de premier ordre. Les Bituriges du Berry, qui commandaient vers la Loire moyenne les abords du plateau de l’Auvergne, s’étaient unis aux Éduens ; il en fut de même des Sénons, leurs voisins dans les vallées de l’Yonne et de la Seine, ce qui assurait aux nobles du Morvan un débouché dans le bassin de Paris. Mais en revanche les Séquanes de la Franche-Comté, qui disputaient aux Éduens les deux rives et les péages de la Saône, avaient accepté l’alliance des Arvernes : car ce fut une cause ordinaire de jalousie entre les cités gauloises que la possession des deux bords et le monopole des droits sur les rivières importantes. — Au delà de la Marne, les Belges ne se désintéressèrent pas absolument de ces querelles : des liens d’amitié, sinon de clientèle, se nouèrent entre les Éduens et l’une de leurs principales nations, les Bellovaques.
En dehors de la Gaule, l’un et l’autre parti cherchèrent des appuis : ils ne répudièrent pas plus l’accord avec l’étranger que les Grecs d’aucune époque. Les Éduens demeurèrent de plus en plus attachés au peuple romain, et leurs chefs, comme Diviciac, finirent par apprendre le chemin de Rome et l’hospitalité des sénateurs en vue. — Contre les Romains, protecteurs dangereux de leurs adversaires, les Arvernes eurent recours à des auxiliaires germains, qui pouvaient devenir plus redoutables que les Romains eux-mêmes. D’autant plus que le sénat, ayant tour à tour sur les bras Mithridate, Sertorius, Spartacus, les pirates et Catilina, ne pouvait guère, au nord du Rhône, envoyer que des formules et des décrets.
À suivre...