Vercingétorix
Chapitre V - Celtill, père de Vercingétorix
1. Politique et alliances du sénat en Gaule.
Les Arvernes et la Gaule celtique, au lendemain de la défaite de Bituit, jouissaient d’une liberté beaucoup plus grande que celle qui resta, après Cynocéphales, à la Macédoine et à la Grèce. Les soldats romains ne franchirent pas les Cévennes ; dans les deux vallées du Midi, ils s’arrêtèrent à Toulouse sur la Garonne et à Vienne sur le Rhône. Au delà de ces limites, aucun délégué, que l’on sache, ne s’aventura pour parler au nom du sénat et du peuple romain. Le voisinage de la Province ne pouvait être importun que par l’excès d’initiative des marchands italiens : mais les Celtes les accueillaient avec joie, ils recevaient d’eux ce dont ils étaient le plus friands, des amphores d’excellent vin et des poignées de nouvelles.
Cependant, le sénat ne se désintéressa pas des affaires d’au delà des Cévennes. Ses générosités étaient d’ordinaire sans lendemain, et il ne renonçait jamais à une convoitise qui lui avait été une fois ouverte. Sa politique en Gaule ressembla à celle de Flamininus en Grèce, avec une allure plus discrète ou plus insouciante il se prépara à toute éventualité d’ambition romaine, et pour cela chercha à se créer, chez les Celtes, des amis et un parti.
Les amis, le sénat les choisit avec discernement. Le principal adversaire qui le gênait en Gaule était toujours la nation arverne ; sans être souveraine, elle demeurait la plus forte. Elle conserva sans doute ses clientèles du plateau central : par les vallées du Tarn, de l’Aveyron et du Lot, ses alliés menaçaient la Garonne, romaine jusqu’à Toulouse ; par la plaine de l’Allier, elle avait sa voie de conquête tracée vers le Nord. Les Romains renouvelèrent ou conclurent des traités d’alliance avec les peuples qui pouvaient fermer ces deux routes aux revanches arvernes.
Le confluent du Lot et de la Garonne appartenait aux Nitiobroges d’Agen : leur roi fut déclaré par le sénat l’ami du peuple romain. Les Éduens étaient maîtres du confluent de l’Allier et de la Loire : ils continuèrent à être traités en amis et alliés, avec beaucoup d’égards. Rome consentit même à ce que ce peuple barbare s’appelât son frère : étrange et rude fraternité, qui complétait l’alliance politique par une communion mystique de sang et de race.
Plus loin encore vers l’inconnu, mais toujours dans les deux mêmes directions, le titre d’ami fut donné à un roi aquitain à l’Ouest, au roi des Séquanes dans le Nord.
Ces alliances servaient à la fois les intérêts militaires et commerciaux de Rome. La province proconsulaire de la Gaule se composait surtout de deux routes, celle de l’Aude et Garonne, et celle du Rhône. Les Nitiobroges à Agen, les Éduens à Mâcon, tout en surveillant le flanc de la puissance arverne, dégageaient pour le négoce rentrée de ces deux routes dans le monde barbare : ils se faisaient, comme hôtes et amis, les fourriers du peuple romain.
2. Révolutions aristocratiques.
Surveillés de côté, les Arvernes étaient contenus d’en haut. Rome leur laissait lois et liberté ; mais on a tout lieu de croire qu’elle ne leur permit que les chefs qui pouvaient lui plaire. Or le sénat n aimait point les grandes royautés : il y avait, entre elles et lui, incompatibilité d’ambitions. Les principaux obstacles à sa domination universelle lui vinrent des rois, Pyrrhus, Philippe, Antiochus, Persée, et en ce moment même Mithridate ; Hannibal, tout compte fait, fut roi hors de Carthage. Les aristocraties, qu’elles fussent italiennes, grecques ou celtiques, étaient moins dangereuses pour le sénat : aucune n’avait des velléités conquérantes excessives, presque toutes regardaient la noblesse romaine comme un idéal, elles lui ressemblaient, l’enviaient ou l’imitaient ; et, surtout, elles désiraient gouverner leur peuple comme le sénat paraissait gouverner le sien. Ce fut sur elles que les chefs de Rome s’appuyèrent, aussi bien chez les peuplades gauloises qu’à Athènes ou à Capoue.
Chez les Arvernes, les Romains firent si bien, que l’aristocratie fut désormais le seul gouvernement possible. Ils confisquèrent la famille royale : Bituit et son fils restèrent dans le Latium. L’historien qui rapporte ce détail ajoute que ce fut dans l’intérêt de la paix. La noblesse arverne, qui put prendre alors l’autorité, dut savoir gré au sénat de cette intention pacifique.
Cette ruine du pouvoir royal ne fut point, à celle époque, un fait particulier aux Arvernes. Nombre de cités de la Gaule traversaient alors la même révolution politique que Rome et les villes latines au temps des Tarquins. La vieille royauté, qui était héréditaire, militaire, et peut-être aussi sacerdotale, y luttait péniblement contre les chefs de clans, les patriciens gaulois. Les grandes familles se lassaient d’être gouvernées par une lignée qui ne leur paraissait que la première d’entre elles. Le régime aristocratique, çà et là, se substituait à la monarchie. Les peuples dépendirent alors uniquement de leurs chefs de clans, réunis en sénat, dirigés par un magistrat annuel, le vergobret, sorte de juge suprême qu’ils choisissaient dans leur rang.
Ces révolutions occupèrent fort les Gaulois entre la défaite de Bituit et l’arrivée de César : elle fut, chez les Arvernes, la conséquence de la victoire de Rome. Le sénat ne la provoqua peut-être pas ailleurs : nulle part il ne la vit avec déplaisir ; le parti aristocratique lui fournit, par exemple chez les Éduens, ses meilleurs amis.
À suivre...