Vercingétorix
Chapitre IX - Le soulèvement de la Gaule.
7. Soulèvement. Vercingétorix, roi à Gergovie.
Le jour fixé, deux chefs carnutes, Guluatr et Conconnelodumn, hommes d’audace et d’aventure, les risque-tout de l’indépendance, pour parler comme César, donnent le signal, réunissent leurs hommes et entrent dans Génabum. Ils vont droit aux maisons où habitaient les citoyens romains, les égorgent sans trouver de résistance et font main basse sur leurs biens. Cita, le chef de l’intendance de César, périt comme les autres. La révolte commençait en Gaule ainsi qu’elle débutait toujours dans les pays soumis à Rome : le premier sang versé était celui des trafiquants italiens, avant-coureurs de la servitude et ses premiers bénéficiaires.
Cela se fit au lever du soleil, un matin de janvier. Des crieurs, tout autour de Génabum, avaient été disposés à travers champs et forêts jusqu’aux extrémités de la Gaule. De relais en relais, la nouvelle gagna le même jour les cités voisines. Et telle était la rapidité et le nombre de ces étapes vocales qu’avant huit heures du soir, à 160 milles de là, Vercingétorix et les hommes de l’Auvergne reçurent le signal : il traversa la Gaule avec la vitesse du vent, faisant cinq grandes lieues à l’heure. En quarante-huit heures, tous les conjurés de la Gaule entière durent entendre le mot d’ordre de la liberté.
Vercingétorix était à Gergovie. Au premier cri venu de Génabum, il fit prendre les armes à son clan, qu’il n’eut pas de peine à entraîner pour la liberté. Mais un obstacle l’arrêta sur-le-champ. Gobannitio son oncle et les autres chefs, tenus sans doute jusque-là à l’écart du complot, le désavouent dès qu’ils le connaissent. On court aux armes de part et d’autre. Vercingétorix et les siens sont les plus faibles, et jetés hors de Gergovie.
Mais ce ne fut, pour les amis de César, qu’un court répit. Dans la campagne, où la dureté de la saison suspendait les travaux des champs, le fils de Celtill n’eut point de peine à grossir sa troupe de nombreux partisans. La plèbe rurale, les chemineaux de l’hiver, les misérables fugitifs que des années de luttes politiques avaient éloignés de la ville, toutes ces ruines humaines de la misère et de la discorde, se réunirent à Vercingétorix. Au nom de la liberté de la Gaule, beaucoup de ces prolétaires s’insurgeaient sans doute par haine de l’aristocratie dominante qui les exploitait dans les chantiers et sur les terres.
En quelques jours, peut-être seulement en quelques heures, le fils de Celtill eut, derrière ses propres hommes, toute une armée, groupée par le souvenir de son père, le besoin de combattre, l’éloquence de sa parole, le prestige de sa cause : car il l’exhortait de s’armer pour la défense de la liberté de toute la Gaule, et il en était le chef et l’orateur. Alors il put rentrer sans peine à Gergovie ; et, à leur tour, Gobannitio et les autres chefs furent chassés de la ville et expulsés du pays.
Revenu en vainqueur dans la cité de son père, Vercingétorix fut acclamé comme roi par ceux qui s’étaient dévoués à sa fortune. Il accepta le titre, il prit le pouvoir. Ce n’était sans doute qu’une tyrannie tumultuaire, à peine plus qu’une démagogie militaire, et, beaucoup de nobles ses congénères ont dû hésiter à la reconnaître. Mais la noblesse quasi royale de sa lignée, la gloire, de son père Celtill, la sainte conjuration de la Gaule donnaient à cette royauté la consécration légitime aux yeux des hommes et des dieux. Pour la première fois depuis la défaite de Bituit, la monarchie arverne était reconstituée. C’était le premier triomphe de la Gaule révoltée.
À la même date, à l’arrivée du signal carnute, les autres chefs confédérés avaient fait prendre les armes à leur peuple, égorgé les citoyens romains, appelé les milices au lieu ordinaire de concentration, mis en état les places fortes, accumulé l’or et l’argent dans les trésors et les armes dans les arsenaux. Une fièvre intense agita subitement la Gaule.
Une fois maître de Gergovie, Vercingétorix envoya des députés annoncer sa victoire à tous les chefs de la conspiration ; son message leur rappelait les stipulations de la grande assemblée, les adjurait de demeurer fidèles au serment prêté, les convoquait sur les terres arvernes. Sur-le-champ, les chefs gaulois se mirent en marche, à étapes forcées, pour se réunir à Vercingétorix et s’entendre avec lui sur les résolutions suprêmes. Il y avait à peine quinze jours qu’ils s’étaient séparés : deux semaines avaient suffi aux cités gauloises pour jurer d’être libres et pour le devenir (fin janvier 52).
À suivre...